Forum de Vladivostok : vers un ordre mondial de coexistence pacifique

mercredi 11 septembre 2019

Chronique stratégique du 10 septembre 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le Forum économique oriental de Vladivostok s’est tenu du 4 au 6 septembre, réunissant 8500 participants de 65 nations différentes, dans le contexte d’un changement stratégique de plus en plus palpable, notamment avec le « reset » des relations entre la France et la Russie, initié par Macron à l’occasion du G7, et, espérons-le, avec l’éviction par Trump du faucon John Bolton.

Ce changement provient essentiellement d’une prise de conscience (mieux vaut tard que jamais !) que l’ordre du monde, tel qu’il a été ces dernières décennies dominé par les Occidentaux est en train de disparaître et de laisser place à un nouveau paradigme, dans lequel les puissances émergentes jouent un rôle croissant.

Lors de son discours devant les ambassadeurs, le 27 août, Emmanuel Macron a en effet admis que nous vivons actuellement « la fin de l’hégémonie occidentale sur le monde », et qu’il va falloir compter avec ces nouvelles puissances. « Regardez l’Inde, la Russie et la Chine. Elles ont une inspiration politique beaucoup plus forte que les Européens aujourd’hui, a-t-il déclaré. Elles pensent le monde avec une vraie logique, une vraie philosophie, un imaginaire que nous avons un peu perdu ».

Tout l’enjeu est de savoir quel choix feront les Occidentaux. Disparaîtront-ils comme les dinosaures ? Se laisseront-ils entraîner dans une logique de confrontation par les milieux néoconservateurs anglo-américains ? Ou parviendront-ils à se libérer de la « géopolitique » du XXe siècle et à se joindre à ces nouvelles puissances dans un esprit de coexistence pacifique ?

L’Inde et la Russie renforcent leur coopération

Au-delà de l’émergence de différentes individualités, c’est surtout le type nouveau de relations de coopération entre ces nations qui porte la marque de ce nouveau paradigme. L’Inde et la Russie, lors du Forum de Vladivostok, en ont montré un bel exemple.

Lors de leur conférence de presse commune, le président russe Vladimir Poutine et le Premier ministre indien Narendra Modi ont tous deux souligné le fait que la relation entre leurs pays est basée sur « des valeurs civilisationnelles similaires » et sur des approches similaires concernant « la question fondamentale du développement et du progrès économique ».

Les deux dirigeants ont signé le 4 septembre une déclaration commune en 82 points, avec pour objectif de renforcer leur coopération dans de nombreux domaines, tel que le nucléaire, l’espace, le militaire et la défense, les affaires régionales et globales, ainsi que la culture et l’éducation. L’Inde a notamment annoncé vouloir investir 1 milliard de dollars dans le développement de l’Extrême-Orient russe.

Alors que l’Inde vient de recevoir les systèmes de défense aérienne russes S-400, en dépit des pressions de Washington, Poutine et Modi envisagent désormais d’élaborer un nouveau système de paiement hors dollars pour tous les contrats de défense.

La coopération dans le domaine spatial se développe entre les deux pays, Moscou ayant récemment proposé son aide à Delhi dans le cadre du programme Gaganyaan, pour envoyer un astronaute indien dans l’espace en 2022, et l’Inde a annoncé en juillet son intention d’acheter des moteurs de fusée à la Russie.

Poutine : pour une refonte de l’ordre international

Lors de la séance plénière du Forum, répondant à une question à propos de la proposition faite au G7 par les présidents Macron et Trump de réintégrer la Russie dans le G8, Poutine a affirmé que tout dialogue sur les affaires du monde nécessitera au préalable que les institutions représentant l’ordre ancien soient entièrement repensées, de façon à permettre la participation active de la Chine, de l’Inde et de la Russie.

Si nos partenaires veulent rétablir le G8, qu’ils le fassent, a déclaré Poutine. Mais je pense que tout le monde se rend compte désormais, et le président Macron l’a récemment dit en public, que le leadership de l’Occident touche à sa fin. Je ne peux pas imaginer une organisation internationale efficace sans l’Inde et la Chine (cette dernière remarque a suscité les applaudissements de l’audience).

Par conséquent, tous les forums sont utiles, a-t-il ajouté  ; ils impliquent toujours un échange positif d’opinions, même lorsque la discussion est tendue, comme cela a été le cas lors du sommet du G7. C’est toujours utile. Et c’est la raison pour laquelle nous n’excluons aucun format de coopération.

Le rôle de la France

Comme nous l’avons dit plus haut, plusieurs changements récents vont dans le sens de ce nouvel ordre mondial naissant. L’éviction de John Bolton de l’administration Trump pourrait être un signe très fort s’il est suivi par la nomination d’une personnalité favorable au dialogue et à la paix. En effet, Bolton est le représentant d’une approche agressive de la politique étrangère américaine ; sur à peu près tous les points de tension – Corée du Nord, Iran, Venezuela, etc – il a activement contribué à saboter tout processus de dialogue et de paix.

L’initiative diplomatique de Macron, pour dégeler les relations entre la France et la Russie, est également une excellente nouvelle. De plus, elle a immédiatement été suivie d’effets : le 9 septembre, les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des deux pays se sont rencontrés à Moscou ; la veille, Macron et Poutine se sont entretenus au téléphone et ont confirmé la tenue dans les semaines prochaines d’un nouveau sommet du « format de Normandie », qui réunit l’Ukraine, la France, l’Allemagne et la Russie, afin de résoudre la situation ukrainienne. Cette amorce de détente franco-russe a d’ailleurs sans doute joué dans la réussite de l’échange de prisonniers entre l’Ukraine et la Russie, le samedi 7 septembre.

Toutefois, une véritable refonte de l’ordre international ne sera pas réellement possible tant que nous serons occupés par les forces de l’argent de la City de Londres et de Wall Street, et de leurs réseaux dans le « shadow banking » et les paradis fiscaux. De même, cela ne sera pas possible sans en finir avec l’UE de Maastricht et de l’euro, qui s’est faite comme une courroie de transmission de cette finance folle, et sans poser les bases d’une Europe des États et des projets.

La France peut jouer un rôle de catalyseur dans le monde, comme l’a souvent répété Jacques Cheminade. Mais elle ne doit pas le faire à moitié.

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