La désertification vue de la Haute-Marne

jeudi 23 janvier 2020

Entretien accordé par Eugène Perez, maire de Chamouilley, au journal Nouvelle Solidarité.

Chamouilley est une commune de 850 habitants en Haute-Marne, à 50 km de La Boisserie (ancienne résidence du général De Gaulle). Elle se trouve dans « la diagonale du vide ». L’ensemble du département de la Haute-Marne accueille à peine autant d’habitants que la ville de Reims (187 000). Bienvenue au cœur de la désertification territoriale de notre beau pays ! Eugène Perez nous livre ici son témoignage de maire.

Alors, pour que cela change, il est signataire du Manifeste pour un vrai aménagement du territoire - La République doit gouverner la finance qu’il soutient afin de constituer un réseau de citoyens et d’élus locaux autour d’une vraie alternative : le retour d’un Etat stratège ayant la capacité de diriger la finance et d’organiser un vrai aménagement du territoire.

Les propos de cet entretien sont recueillis par Rémi Lebrun.

Quelle désertification vivez-vous ?

Nous sommes à 10 minutes de Saint-Dizier, mais nous n’avons pas de transports en commun. Ça fait une vingtaine d’années que le bus a été supprimé ! C’est donc au bon vouloir des gens de rendre service notamment aux personnes âgées. Je me bats auprès de l’agglomération pour obtenir un transport à domicile. « On se verra », m’a assuré un conseiller régional en poste à la Mairie de Saint-Dizier. Mais j’attends encore son coup de téléphone…

Avant, on avait 120 gendarmes sur le secteur de Saint-Dizier. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 80. La gendarmerie à laquelle je dois déposer les plaintes est à 30 km. Chaque fois, je prends une demi journée pour tout faire. Quand j’appelle la gendarmerie la plus proche pour intervenir sur la commune, ils mettent 30 minutes pour arriver. Avant ils étaient à Saint-Dizier et mettaient 10 minutes. Mais ceux qui restent à Saint-Dizier ne s’occupent plus que de délinquance financière et de drogue.

Nous avons une école communale qui est très bien ; elle vient d’être refaite pour 1,5 million d’euros. Nous avons aussi une garderie gratuite entre 7h30 et 18h et une cantine. Nous avons investi l’impôt du contribuable avec l’accord du département. Or, cinq ans après, l’inspection académique nous dit : « Tiens ! Il faudrait peut-être regrouper les écoles ailleurs. » Mais les enfants devront faire environ 30 minutes de bus, alors qu’actuellement, ils n’en ont que pour 10 minutes. Je n’y suis pas favorable.

Pareil pour les collèges. Celui de Saint-Dizier, construit il n’y a même pas une dizaine d’années, accueille actuellement 450 élèves. Dans deux ans, la capacité maximale sera atteinte. Du fait de ces décisions, certains enfants seront à Saint-Dizier et d’autres, à 15 bornes de là, à l’autre bout de la commune. Cela veut dire que certains parents devront aller chercher leurs enfants à Saint-Dizier, à 10 km, et revenir à Chamouilley pour repartir chercher les autres à 15 km, de l’autre côté. Résultat : si les parents ont les moyens, ils mettront leurs enfants dans le privé et puis voilà !

J’ai l’impression que cela fait partie d’une politique délibérée. Comme dans les services publics, on cherche à appauvrir les collectivités pour pouvoir les fermer et les remplacer par du privé. Ce qui coûtera plus cher aux contribuables. Alors qu’on a payé des impôts et que l’on doit nous rendre ces services.

Moi, j’ai des problèmes de vue, et pour un rendez-vous avec l’ophtalmo, c’est un an, voire un an et demi d’attente. On a du mal à avoir des médecins en zone rurale et on voit des gens qui décèdent aux urgences. C’est pourquoi on cherche des relais, avec des infirmières et un système de télémédecine, avec un médecin en visioconférence.

Au niveau économique, on perd de plus en plus d’entreprises. En Haute-Marne, on a 12 à 13 % de chômage et on perd 1000 habitants chaque année.

Sur Saint-Dizier, il y avait les tracteurs Case. L’usine a été rachetée par le chinois Yto. Cinq ans après, ils sont partis avec tous les brevets. Cette entreprise employait 1000 personnes dans les années 1980. Aujourd’hui, il n’en reste plus que 43.

Sur Chamouilley, nous avions, depuis 70 ans, une entreprise de menuiserie employant 40 personnes. Elle va partir sur Saint-Dizier. Même s’il devra payer le double en taxe foncière, l’employeur estime que là-bas, il y a une meilleure distribution logistique, la 4G et la fibre. Pourtant la différence n’est pas énorme.
Mais, au fond, il y a l’envie d’être sur la ville. Ce qui me fâche le plus, c’est que personne ne m’en a parlé. Ce sont des petits coups en douce, alors que l’on aurait pu faire des propositions.

La faute à pas de chance ?

Nous avons subi plusieurs coups durs. D’abord la loi Alur de Duflot, en 2014, qui oblige les propriétaires d’habitations non conformes à faire des travaux avant location – ce qui est bien. Mais sur le territoire, le préfet a obligé les constructions à se faire dans les centre-bourgs plutôt que dans les villages. C’est ainsi qu’on a vu dans notre village des terrains constructibles passer en non-constructibles. Il reste bien ici ou là une vieille maison abandonnée à retaper, mais cela demande beaucoup plus de dépenses que d’en construire une nouvelle. Ce qu’un jeune couple ne peut pas facilement se permettre.

A Saint-Dizier, dans les années 1970, ils étaient entre 40 et 45 000 habitants ; ils ne sont plus que 25 000 aujourd’hui. Les décisions depuis quelque temps consistent à renflouer les villes en déshabillant les petites communes. Dans nos villages, on a à peu près 30 % de jeunes, le reste étant en grande partie composé d’anciens.

Ensuite, on est confronté à la réduction des moyens. La dotation globale de fonctionnement pour notre commune est passée de 120 000 euros en 2008 à 3000 euros aujourd’hui. Ça fait un million d’euros de perdus sur 10 ans, alors que la commune est un vecteur économique ; on fait travailler les entreprises. Aujourd’hui on ne peut plus rien faire. Par exemple, j’ai la toiture de l’église à changer, mais je ne peux pas le faire faute de moyens. Les budgets deviennent de plus en plus serrés. Alors que ces dotations sont dues, suite aux décentralisations et aux compétences confiées aux collectivités locales !

La misère a augmenté, les gens vivent de plus en plus mal. Je vais souvent voir les jeunes d’hier. Parfois, quand je toque à leur porte, je vois des gens pleurer. Et je leur demande « pourquoi vous pleurez ? – Ben, parce que vous êtes venu, et que d’habitude je ne vois personne. Ça me fait du bien. » J’en ai la larme à l’œil. Est-ce que nous voulons être comme ça ? Il faut faire le miroir de tout ça. Je souhaite que l’humain change un peu d’état d’esprit, qu’on ait une réflexion différente, que sorte plus le côté du cœur que le côté de l’argent.