Aménagement du territoire

Incendies en Australie : trop d’intervention humaine... ou pas assez ?

mardi 28 janvier 2020, par Karel Vereycken

Le CO2 et la civilisation humaine ont bon dos ! Dès la révélation de la catastrophe des feux de forêts en Australie, les grands médias se sont déchaînés, une fois de plus, sur le réchauffement climatique « causé par l’Homme ». Or, après un examen sérieux des chaînes de causalités, il s’avère, pour nombre d’experts, que ces incendies sont au contraire l’exemple même du manque d’intervention humaine. De quoi se rappeler quelques notions d’aménagement du territoire, salutaire pour l’homme et la nature.

Le bilan des incendies en Australie n’est pas des moindres  : au 2 janvier, on comptait 18 morts et 17 disparus, 1 300 maisons en cendres et 5,5 millions d’hectares partis en fumée, soit l’équivalent du Danemark. Les plus hautes flammes sont montées jusqu’à 70 mètres. Le pronostic vital d’un très grand nombre d’animaux, dont des espèces très vulnérables comme les koalas, est en jeu.

N’y allons pas par quatre chemins : voici les trois principaux facteurs qui ont composé le cocktail mortel de l’incendie australien :

  1. une sécheresse aggravée par des variations climatiques résultant d’un renouveau d’activité solaire ;
  2. une politique ultra-libérale cherchant à maximaliser les profits tirés de la monoculture d’eucalyptus, tout en réduisant les services publics et l’action de l’Etat ;
  3. un fondamentalisme vert, qui exige que l’homme renonce à toute intervention sur la nature et tout aménagement du territoire.

Bush et climat australien : petite mise au point

Pour dissiper la fumée des nombreuses interprétations qui ont enflammé le web, revoyons quelques notions élémentaires de physique et de chimie.

Oxygène. Rappelons que tout incendie a besoin de combustible bien sec et d’oxygène pour se développer. C’est pourquoi certains espéraient que la combustion du carbone (CO2 en particulier) freinerait l’extension du feu (on utilise par exemple des extincteurs au CO2 pour combattre les feux).

Sauf que l’incendie a son fonctionnement propre : plus la combustion affiche une température élevée, et plus l’air chaud monte dans l’atmosphère, à la manière d’une montgolfière. Cette colonne ascendante entraîne alors une aspiration d’air au niveau du sol, et bien évidemment cet air contient l’indispensable oxygène nécessaire à la combustion ! Ainsi, l’effet du feu crée son propre vent qui va venir amplifier la force du vent existant. Par conséquent, au-delà d’un certain stade, le monstre ne peut plus être circonscrit, l’embrasement est général et rien ne peut l’arrêter.

Sécheresse. Chaque année, pendant l’été austral – qui débute en décembre – , la forêt australienne se trouve en proie aux feux « saisonniers » : lors des fortes chaleurs, la végétation devient en effet combustible… et la foudre fait le reste. Cependant, les causes à l’origine de la sécheresse qui a précédé les incendies de cette année sont multiples.

Les chercheurs s’intéressent notamment à ce qu’ils nomment l’IOD (Indian Ocean Dipole) ou dipôle de l’océan Indien : l’IOD prend en compte les différences de température de surface de la mer entre les parties ouest et est de l’océan Indien. On qualifie d’« IOD positive » la période durant laquelle les eaux situées près de la Corne de l’Afrique sont plus chaudes que la moyenne, et celles des eaux à l’ouest de l’Australie plus froides que la normale. Ce phénomène, assez comparable à El Nino (que l’on trouvera plus au nord, vers l’Equateur) est lié à des phénomènes de pression atmosphérique qui engendrent des vents réguliers de l’est vers l’ouest.

Ces vents éloignent les eaux chaudes des côtes australiennes et les propulsent vers les côtes africaines, alors que parallèlement des remontées d’eaux froides (upwelling) sont observées à l’ouest de l’Australie. Les conséquences sont une augmentation des précipitations sur l’Est de l’Afrique, et a contrario, de rares précipitations et des températures élevées en Australie. Le Dr. Andrew Watkins, chef du service des prévisions à long terme du Bureau de météorologie de Melbourne, a précisé que l’événement IOD a culminé à la mi-octobre 2019 lorsque les eaux autour de l’Afrique de l’Est étaient environ 2°C plus chaudes que celles proches de l’Australie.

Le rôle de l’eucalyptus

En gris, les forêts autres qu’eucalyptus...
Ministère d’agriculture d’Australlie.

Dans ces conditions, se pose le problème des cultures d’eucalyptus, des arbres particulièrement inflammables car leurs feuilles sont remplies d’huile, ce qui leur à permis d’obtenir le label de « cauchemar des pompiers ».

L’eucalyptus pousse très rapidement. L’utilisation de son bois est multiple : pâte à papier, poteaux électriques, construction navale, traverses pour les voies ferroviaires, fabrication de meubles, bois de chauffage, charbon de bois. Poussant facilement dans les zones arides ou soumises à de grands vents, les haies d’eucalyptus constituent de bons coupe-vent. Enfin, étant de grands consommateurs d’eau, ils ont souvent été utilisés avec succès pour assécher des marais et des zones humides (notamment autour de Rome dans les années 1930).

Pourtant, leur culture est controversée. Plantés au détriment des espèces plus humides, comme certains chênes et du fait de ses grands besoins en eau, les eucalyptus appauvrissent les sols de leurs minéraux.

Or les eucalyptus sont des « indigènes » en Australie, où ils dominent 95 % des forêts. Comme le souligne le journal Le Monde : « Le pouvoir de régénération des forêts australiennes est connu de longue date, tant le feu fait partie des cycles saisonniers de la gigantesque île australe ».

Etat naturel d’un tronc d’eucalyptus.

Cependant, ajoute-t-il, « la majeure partie de son territoire, notamment sa côte Est, est couverte par les eucalyptus, ces arbres qui se sont adaptés pour survivre, et même prospérer, en cas de feux. Tout est fait pour : les feuilles qui, en tombant, forment un épais tapis inflammable, les bandes sous son écorce qui facilitent le chemin du feu jusqu’à la couronne de l’arbre, l’huile combustible contenue dans son tronc, et la canopée clairsemée qui permet de laisser passer le vent pour transmettre le feu d’un arbre à l’autre et projeter des braises le plus loin possible.

L’eucalyptus provoque même de la vapeur qui fait de lui un pyrophyte actif, qui favorise les départs de feu », souligne Rod Fensham, biologiste à l’université du Queensland. Pourquoi un tel attrait pour les flammes qui le carbonisent ? Les eucalyptus disposent à leur racine d’organes souterrains qui assurent la survie du végétal. Surtout, ses graines prospèrent sur les sols riches en cendres, contrairement aux autres essences.

Le feu permet ainsi au célèbre arbre à reflets bleus d’assurer sa suprématie sur le règne végétal. ’Plus il y a de feux, plus il y aura d’eucalyptus’, résume David Phalen, professeur du département vétérinaire de l’université de Sydney et spécialiste de la biodiversité australienne. ’Une équation qui avait valu au Portugal, après les terribles incendies de 2017, de proposer une loi pour ‘interdire jusqu’en 2030 toute nouvelle plantation d’eucalyptus, qui occupent aujourd’hui plus d’un quart des surfaces boisées du pays, et sont particulièrement invasifs et dotés d’un feuillage sec très inflammable’ ».

« Lorsque je regarde la forêt d’eucalyptus par ma fenêtre, en Tasmanie, je ne vois qu’un gigantesque risque d’incendie. S’il fait vraiment très chaud, ces arbres vont s’enflammer comme des torches et répandre de nombreuses étincelles sur les banlieues » , précisa David Bowman, écologiste forestier à l’Université de Tasmanie, lorsqu’un incendie avançait sur un front de 350 km ravageant des centaines de foyers… en 2013.

En 2017, suite à un terrible incendie, le Portugal a adopté un projet de loi dit « loi de l’eucalyptus ». L’un des points vise à « interdire jusqu’en 2030 toute nouvelle plantation d’exemplaires de cet arbre qui occupe aujourd’hui plus d’un quart des surfaces boisées du pays, particulièrement invasif et surtout doté d’un feuillage sec très inflammable. »

Pour sa part, le Conseil des Plantes Invasives de Californie, considère l’eucalyptus comme un problème sérieux dû à sa propagation rapide et à sa capacité à déloger les plantes natives et les communautés animales. Son expansion mondiale, les eucalyptus poussant sur tous les continents peuplés, représente ainsi un problème inquiétant.

Faille de la prévention et de l’aménagement du territoire : la faute... aux écologistes ?

Pour les pompiers volontaires australiens, à qui on interdit de faire leur travail et qui ont perdu de nombreux collègues, la coupe est pleine.

Vu les risques connus posés par cette spécificité australienne, force est de constater que la prévention n’a pas été à la hauteur.

D’abord, alors que la crainte d’un réchauffement climatique aurait dû conduire les écologistes à réclamer la mise en place de dispositifs spécifiques (pare-feu, pistes d’accès, coupures de combustible, réservoirs d’eau, observatoires, etc.) permettant à la force publique d’intervenir à temps pour protéger la végétation et la faune, c’est à leur demande qu’on a fait le contraire !

Aveuglés par les chimères romantiques d’un écologisme qui a fini par diviniser la nature et diaboliser l’homme, les pouvoirs publics ont déclaré de vastes zones « réserves » naturelles. Résultat : celles-ci sont carrément interdites à toute intervention humaine.

Très porté sur l’environnement, le gouvernement de Bob Carr avait augmenté, entre 1995 et 2005, le nombre de parcs nationaux sur le territoire après son arrivée au pouvoir en 1995. Selon le Sydney Morning Herald, les travaillistes ont protégé au total 3,06 millions d’hectares supplémentaires au cours des années 1995-2011.

Déjà en 2015, un scientifique du CSIRO (Commonwealth Scientific and Industrial Research, agence scientifique nationale), avait ouvertement interpellé l’Inspection générale pour la gestion des urgences.

Pour lui, la politique inadéquate de gestion des incendies du gouvernement était une menace croissante pour la vie humaine, l’approvisionnement en eau, les biens et l’environnement forestier. Vu les dangers, il demanda notamment de faire passer de 5 à 15 % les « coupures de combustible », c’est-à-dire d’aménager, à des distances régulières, des zones agricoles ou de pâture entre des zones boisées, capables de servir de pare-feu et donc de circonscrire les incendies tout en facilitant l’accès des pompiers.

L’autre politique préventive consiste à réduire la « masse » du combustible, notamment les sous-bois, grâce à des interventions de brûlage dirigé.

Manifestation écologiste contre les incendies préventifs.

Cette politique, pratiquée par les peuples indigènes depuis des millénaires, a rencontré une opposition farouche de la part des militants écologistes  ; une opposition plus ou moins soutenue par le gouvernement. Curieusement, ces écologistes argumentaient que ces brûlages préventifs contribueraient au réchauffement climatique et à la réduction de la biodiversité ! Chapeau les artistes !

Le vice-président des pompiers australiens volontaires Brian Williams, lors d’un entretien à Radio 2GB a déclaré : « Un bon nombre de forêts devenues réserves naturelles étaient exploitées industriellement. Les scieries savaient gérer leurs ressources. Ils nettoyaient la forêt, gardaient les pistes ouvertes, car pour eux, le bois représentait un intérêt. Maintenant, l’industrie forestière a été quasiment fermée, on a clôturé les réserves. Et les arbres pourrissent sur pieds alors qu’on va chercher du bois pour nos meubles dans des pays qui rasent leurs forêts primitives. Un peu dingue, non ? »

Un autre responsable des pompiers australien, David Packham, ne cache pas sa colère : « Depuis vingt ans, on a décidé de ne plus traiter le pays comme les peuples indigènes l’ont fait pendant 30 000 ans (…) Le concept de base, c’est que tout incendie est un mauvais incendie (…) Dans le contexte australien, il faut surveiller la broussaille (…) » Pour y arriver, il estime qu’il faut au moins en brûler 20 % par an et qu’on en est très loin. « Si déjà on passait à 10 % de brûlis, la surface ravagée par les incendies serait de 90 % moindre qu’aujourd’hui ».

Selon Packham, qui se réfère à l’index Byram qui mesure en MW la quantité de chaleur émise par mètre du front du feu, le calcul est simple : si l’on laisse pendant 15 ans la quantité de combustible se massifier, on arrive à des feux émettant 70 MW/m, alors qu’aucune technologie connue ne peut éteindre un incendie de plus de 3 MW/m…

Aujourd’hui, la colère des Australiens est telle que le site d’information ABC Gippsland a préféré effacer son article sur la manifestation des écologistes de septembre contre les brûlis.

Bien qu’on ne faut pas passer sous silence le rôle d’un nombre impressionnant d’individus malveillant dans le déclenchement de certains foyers de l’incendie, c’est avant tout ce cocktail explosif d’un non-aménagement du territoire provoqué par un libéralisme cherchant le démantèlement des services publics et un écologisme romantique et suicidaire qui porte la plus lourde responsabilité dans cette catastrophe environnementale et humaine.

Forêts et aménagement du territoire : le cas de l’ONF

Manifestation des personnels de l’ONF.

En France, alors qu’on assiste devant nos yeux au démantèlement de l’Office National des Forêts (ONF), il n’est pas inutile de s’arrêter un instant sur l’histoire de la forêt des Landes, le plus grand massif forestier d’Europe occidentale, entièrement créé par l’homme. Alors que son cœur ancien (20 %) fait cohabiter chênes, ormes, tilleuls, châtaigniers, aulnes, lauriers, arbousiers, pruniers, pommiers et cerisiers, les 80 % restants sont couverts de pins maritimes, parfois mêlés de vignes.

Cependant, à la fin de la deuxième guerre mondiale, la forêt des Landes était dans un état piteux : pas entretenue, avec des coupe-feu embroussaillés et inaccessibles... Après trois étés caniculaires, éclate alors en août 1949 un des plus grand incendies forestiers du siècle, qui ravage 50 000 ha et emporte la vie de 82 personnes, prises par surprise au moment où le feu changea de direction.

Les conséquences de ce drame ayant été tirées, des mesures strictes furent prises pour prévenir les incendies de forêt avec des méthodes éprouvées : entretien des massifs boisés, élimination des arbres en surnombre, tours d’observation, bassins de stockage d’eau, plans d’intervention et surtout création d’un vaste réseau d’allées pare-feu, d’une largeur supérieure à la hauteur de deux pins couchés, de façon à ne pas transmettre les flammes en cas d’incendie. Depuis, bien qu’il n’aient pas totalement disparu, les incendies et leur ampleur restent toujours limités. Une bonne raison pour pleinement rétablir l’ONF et lui donner les moyens dont elle a besoin.