Le Coronavirus condamne l’humanité à retrouver son unicité

mardi 10 mars 2020

Chronique stratégique du 10 mars 2020 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le coronavirus sonne le glas du modèle de la mondialisation financière. Ne pas changer de système nous condamne au pire. Déjà, en Italie, les hôpitaux saturés, le dos au mur, recourent à une politique de triage.

Coronavirus, crise économique, krach boursier, réfugiés, etc. Nous faisons face à une somme de crises interconnectées qui sont toutes, d’une manière ou d’une autre, des manifestations de l’échec du modèle économique ultralibéral.

L’épidémie de Covid-19, qui touche désormais plus de 100 pays (sur 197), avec 115 000 contaminés dont environ 4000 morts, a le don de nous montrer brutalement que l’austérité budgétaire, qui a conduit à la dégradation systématique de nos systèmes de santé, est non seulement stupide mais criminelle. Elle nous rappelle également que nous formons une seule humanité et que nous devrions agir comme telle. « Vivons ensemble comme des frères ou nous finirons comme des fous », disait Martin Luther King.

Un « moment Lehman »

La panique des marchés financiers est sans doute l’aspect le plus caractéristique de la nef des fous sur laquelle nous nous trouvons. La semaine noire du 24 février, où les bourses du monde entier ont chuté de 12 %, soit la plus grave depuis 2008, a été suivie d’un vendredi 6 et d’un lundi 9 mars noirs. Tous les gains de l’année 2019 ont été effacés en quelques jours, et l’on évoque partout un « moment Lehman ». Dépassée, la Réserve fédérale américaine (Fed) a successivement annoncé une baisse de ses taux directeurs, la plus importante depuis 2008, puis une augmentation de 100 à 150 milliards de dollars de ses injections monétaires quotidiennes. Les marchés rebondissent, puis retombent, comme les rebonds d’un chat mort.

Contrairement à ce que disent la plupart des titres des médias, le coronavirus n’est pas la cause du krach boursier ; il n’en est que le détonateur, et l’explosif est un système de mondialisation financière basé sur l’endettement (la dette globale représente environ 350 % du PIB mondial) et les paris spéculatifs sur des dettes titrisées (les produits dérivés représentent minimum 1000 % du PIB mondial), le tout étant soutenu par l’émission de fausse monnaie des banques centrales. « C’est quand la mer se retire qu’on voit ceux qui se baignent nus », comme disait Warren Buffet.

L’effondrement des bourses lundi a largement été emmené par la baisse brutale du pétrole (35 dollars le baril, soit -50 % depuis début 2020), elle-même provoquée par l’arrêt (temporaire) d’une partie de l’économie chinoise au mois de février. Quand la Chine tousse, les marchés financiers atrophiés font un infarctus.

En effet, les secteurs chinois des services, des transports, de l’industrie, du tourisme, de la restauration et du divertissement sont durement touchés ; en février, les ventes immobilières ont chuté de 44 % et les ventes d’automobiles de près de 80 %. L’indice de l’industrie manufacturière (PMI) a chuté à son niveau le plus bas de 2004. L’interdiction des visas en Chine a provoqué une chute de 90 % du tourisme chinois dans les capitales occidentales. « Le choc de l’épidémie de Covid-19 est encore plus grave que le choc Lehman Brothers », observent les économistes de la Société Générale.

Au lieu de jeter à la poubelle leurs mauvaises recettes, les sorciers qui dirigent la politique monétaire occidentale s’enfoncent dans le jusqu’au-boutisme. Le gouverneur de la Fed de Boston Eric Rosengren, par exemple, propose sérieusement de mettre en marche la « monnaie hélicoptère », en faisant voter par le Congrès américain une loi autorisant la banque centrale à racheter sans limite tous les titres sur les marchés, ce qui reviendrait à transformer d’office la plupart de banques centrales en vastes « bad bank ».

Le triage ou le changement d’axiome ?

Ceux qui croyaient cyniquement que les taux de propagation et de létalité du coronavirus seraient inférieurs en Europe par rapport à la Chine, du fait de nos systèmes de santé supposés meilleurs, se sont une fois de plus trompés. Non seulement l’évolution est similaire, mais les derniers chiffres en Italie sont pires encore, puisque l’on atteint désormais une létalité de 5 % (9172 personnes contaminées dont 463 morts). Si ce chiffre révèle sans doute qu’on sous-estime probablement le nombre de personnes contaminées, il s’explique également en partie, les personnes âgées étant en première ligne face au virus, par le vieillissement important de la population italienne. Après le Japon, l’Italie est en effet le plus vieux pays du monde.

A cela s’ajoute que le système de santé est saturé, que 10 % du personnel médical est contaminé, et que les ambulances mettent plus d’heure pour arriver au lieu de 8 minutes habituellement. Par manque de lits dans les unités de soins intensifs (USI), les soignant se voient condamnés à recourir de plus en plus, au nom d’une charité rationnelle, au triage entre les malades « utiles », plus jeunes, et les plus vieux, que l’on renvoie chez eux. Résultat de dix ans d’austérité imposée par l’Union européenne au nom de « l’équilibre budgétaire », qui ont entraîné la suppression de 70 000 lits dans l’ensemble des hôpitaux italiens.

En Belgique, Philippe Devos du CHC Liège tire également la sonnette d’alarme contre cette logique de triage. Le taux de propagation du coronavirus laisse prévoir que 850 000 Belges seront touchés, dont 6 % (selon les chiffres chinois et italiens) de cas grave de pneumonie nécessitant une hospitalisation en soins intensifs. Ce qui représentera 52 000 malades… pour 1400 lits en USI Au bout d’un moment, prévient Devos, « nous appliquerons le principe éthique de justice distributive : entre un jeune de 40 ans avec un infarctus et un senior de 90 ans avec le coronavirus, nous réserverons le lit pour le jeune et enverrons le senior à domicile ».

La France dispose quant à elle de 5500 lits en USI. Il suffirait donc de 100 000 Français contaminées, ce que nous pourrions atteindre en quelques semaines compte tenu du taux de propagation actuel, pour porter à saturation nos services de soins intensifs…

Tous les médecins belges, italiens ou allemands ayant osé soulever ce tabou, se sont vu rétorquer : « On n’a ni l’argent, ni les moyens ». Pendant ce temps, tandis qu’elle a réussi à endiguer la progression de l’épidémie, la Chine vient de sauver un centenaire en lui administrant le plasma sanguin d’une personne guérie du coronavirus. Un état d’esprit diamétralement opposé à celui qui prévaut en Europe, où règne le chacun pour soi et le sauve qui peut.

L’orgie de fausse monnaie des banques centrales doit cesser. Non seulement elle est impuissante à résoudre la crise, mais elle ne contribue qu’à empirer la situation de l’économie réelle. De toute urgence, les chefs de gouvernement – à commencer par les cinq membres du Conseil de sécurité de l’ONU, comme le propose Poutine – doivent s’entendre pour jeter à la poubelle les axiomes ultralibéraux, assainir le système financier par la séparation bancaire et le jubilé sur les dettes illégitimes, et poser les bases d’une nouvelle architecture économique mondiale mettant la priorité au développement de l’économie physique.

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