William Dab : Inspirons-nous de la Chine pour casser l’épidémie

mardi 7 avril 2020

Infirmières lors de la grippe espagnole de 1919.
L’épidémiologiste William Dab, ancien directeur général de la Santé.

Tout le monde l’admet. Avec la crise qui s’aggrave chaque jour, on est nombreux à constater que le discours du gouvernement, suivant en cela l’OMS, évolue d’heure en heure concernant la nature et la gestion de la pandémie.

Dans un tweet publié vendredi soir 3 avril, le ministre de la Santé, Olivier Véran, assurait que toutes les autorisations allaient être délivrées durant le week-end pour permettre aux « laboratoires de ville, départementaux, vétérinaires, de recherche, de gendarmerie, de police » de pratiquer des tests de dépistage de Covid-19.

Cette décision ouvrira enfin la voie à une politique de dépistage massif, certaines plateformes pouvant réaliser jusqu’à 100 000 tests par semaine.

Chacun sa communication. Il y a ceux qui gèrent le budget, ceux qui se préoccupent de la réaction du peuple, ceux qui craignent gâcher leur réélection, ceux qui veulent empêcher tout mouvement de panique, et puis ceux qui veulent réellement casser la pandémie.

Parmi ces derniers, l’épidémiologiste William Dab, l’ancien directeur général de la Santé, dont nous reprenons ici quelques extraits de ses réponses au Journal du Dimanche en date du 4 avril 2020.

Sans qu’il en fasse explicitement mention, ses propos semblent refléter l’impact indirect chez les spécialistes mais également chez les décideurs et les responsables, de notre feuille de route pour sortir de la crise du Covid-19, document largement diffusé dans le pays. En tout cas, en posant clairement les enjeux, elle aura permis une espèce de « déconfinement » des esprits.

Source : Journal de Dimanche, 4 avril 2020.
(Passages en gras par la rédaction.)

Le déconfinement est-il proche ?

William Dab : Il est encore trop tôt. La question se posera une fois que nous nous situerons bien en deçà du seuil de saturation des réanimations. Si on avait disposé des masques prévus par les plans de préparation à une pandémie grippale, si toute la population s’était couvert le visage, on ne vivrait pas un tel drame.

L’analyse de George Gao, le directeur général du Centre chinois de contrôle et de prévention des maladies [il a accordé une interview à la revue américaine Science, publiée en français par Le Monde] est juste : la plus grande erreur commise en Europe et aux États-Unis est de ne pas porter de masque. Il y a des super-contaminateurs, qui peuvent transmettre le virus rien qu’en parlant.

Comment lever l’assignation à la maison ?

Le Premier ministre a eu raison de dire qu’on n’est pas obligé de le faire partout en même temps. Ce sera envisageable d’abord là où les capacités hospitalières sont bonnes. C’est le bon sens d’ajouter que les personnes âgées ou fragiles devront continuer à se protéger plus longtemps. Notre objectif ne devrait pas être d’atténuer l’épidémie mais de la casser complètement.

Est-ce possible ?

Ce devrait être notre doctrine. L’idée que 40 millions de Français vont être malades et que 40.000 pourraient mourir est inacceptable. Dans un scénario idéal, pour que 5 à 7 millions seulement de personnes soient touchées, le port du masque pour tous comme en Asie s’impose. À cette mesure, il faut ajouter des campagnes massives de test. Les gens positifs, ainsi que ceux qui sortent de l’hôpital mais peuvent encore être contagieux, ne devraient plus être isolés chez eux, car ils contaminent leur entourage. On devrait les diriger vers des chambres d’hôtel, par exemple.

À quels tests devrions-nous recourir ?

Les tests PCR, qui détectent le virus dans le nez ou la gorge, sont sensibles. Il y a peu de faux positifs, mais il y a des faux négatifs, de l’ordre de 30%. Autrement dit, vous êtes porteur du virus, mais le test ne le retrouve pas. Dès qu’on aura un test sanguin, on pourra distinguer les infections anciennes et les récentes. Le problème est la quantité de tests disponible. Si on veut écraser l’épidémie, sachant qu’on ne pourra pas pratiquer ces tests en permanence, il faudra faire comme si nous étions tous contagieux.

Cela suffira-t-il ?

Si on teste massivement, si on isole les malades et les cas suspects et si on généralise le port du masque, si l’hygiène des mains et la distance physique sont acceptées, il n’y aura pas de deuxième vague. Nous ne sommes pas impuissants. Le virus va déposer les armes faute d’organismes à infecter, il va rester dans la nature, sa membrane va vieillir et il mourra. Pour espérer écraser l’épidémie, il faudra se battre durant tout l’été et peut-être l’automne. C’est le prix à payer pour sauver des vies et l’économie. (...)

Que faut-il faire pour les soignants ?

Je ne peux que dire mon sentiment de colère et ma solidarité. Les chiffres du nombre de malades chez les professionnels de santé en première ligne sont terrifiants. On les a envoyés au front sans protection : peu de tests, peu de masques. Toutes proportions gardées, l’image qui me vient est celle des liquidateurs de Tchernobyl, qui nous ont sauvés d’une catastrophe gravissime.