Covid-19, crise sanitaire, krach financier

Principes d’un combat pour la France et pour l’humanité

lundi 13 avril 2020, par Jacques Cheminade

Principes d’un combat pour la France et pour l’humanité

Par Jacques Cheminade, vendredi de Pâques, le 10 avril 2020

Gouverner, c’est prévoir ; et ne rien prévoir, c’est courir à sa perte ».
— Emile de Girardin - La politique universelle (1852).

On ne résout pas les problèmes avec le mode de pensée qui les a engendrés ». — Albert Einstein.

Fichier PDF téléchargeable de ce texte.

Une crise sans précédent frappe l’humanité : plus de la moitié se trouve confinée et l’économie mondiale est à l’arrêt pour la première fois dans l’histoire. Face à cet effondrement des certitudes et des modes de pensée, les dirigeants occidentaux sont comme des lapins pris dans les phares d’un camion s’apprêtant à les écraser.

Emmanuel Macron affranchit les siens : « Quand on vit quelque chose qui est inédit, on ne peut pas demander aux gens de l’avoir prévu il y a dix ans. » Il exhibe ainsi leur faiblesse : la défausse devant le péril. Il appelle « gens » des responsables occupant le pouvoir, dont la mission est précisément de prévoir, comme le rappelait Emile de Girardin, Léonard de Vinci ajoutant cruellement : « Ne pas prévoir, c’est déjà gémir. »

Face à l’incapacité de ceux qui devraient tenir le gouvernail, il revient donc à chacun d’entre nous, citoyens d’une République, de le saisir. Se dérober ou s’installer dans le confort d’un pessimisme confiné reviendrait à se faire complice.

Nous sentons tous confusément que rien ne pourra plus être comme avant. Il n’est pas d’issue qui ramène au passé, mais le futur pourrait être pire, dans le chaos d’une guerre de tous contre tous où chacun espèrera rafler toute la mise au détriment des autres, comme on l’a vu dans les récentes mêlées pour s’emparer des masques protecteurs. Cette pandémie du coronavirus est le déclencheur d’une pandémie financière mondiale. Ce n’est pas la crise sanitaire qui est la cause de la crise financière, mais c’est au contraire le régime de mondialisation financière qui a détruit le système immunitaire de la société, sa capacité de se protéger.

C’est cette capacité que nous devons contribuer à rétablir, non pas en revenant « à la normale », car c’est elle qui nous a conduit là où nous sommes, mais en promouvant une dynamique de santé publique, économique et culturelle. C’est ce projet politique d’ensemble dont nous devons relever le défi. Il n’y a pas de code, de formule ni de recette, mais il y a des pistes de vie que nous nous efforçons d’ouvrir dans la jungle morale de ce monde d’avant pour arriver à un monde d’après, gagnant pour tous : solidarité et progrès.

L’urgence : amour de l’humanité contre esprit oligarchique de possession

Nous ne pouvons plus tolérer la négligence criminelle vis-à-vis des êtres humains au profit d’une idéologie qui, sous son masque néo-libéral, est une dictature financière.

Elle s’est exprimée en soumettant les centres de soins à un système de rentabilité immédiate au détriment du service rendu à des êtres humains. Dans les hôpitaux publics, c’est la tarification aux actes, imposant une approche statistique de la maladie et non l’attention aux malades, redoublée par une gestion à flux tendus où chaque lit doit être « rentable », comme dans le privé, qui aboutit à réduire le nombre de lits, sans qu’une réserve puisse être faite en prévision d’une catastrophe. L’exploitation des personnels est devenue la norme  : les infirmiers français, par exemple, sont parmi les plus mal payés d’Europe et soumis, comme les aides-soignants et les médecins, à des rythmes de travail impossibles à tenir sans un héroïsme quotidien.

Pour les stocks de masques, de tests de dépistage et de ventilateurs, cela s’est traduit par une gestion à flux tendus. On a liquidé les stocks à partir de 2013, en déléguant la gestion aux entreprises publiques et privées, censées organiser un stockage pour leur personnel. Résultat : l’Etat ne se trouvant plus au poste de commande, le contrôle étant devenu défaillant et la priorité financière dominante, très peu de stocks étaient disponibles en mars. Responsabilité collective : abandon depuis 2013 d’une gestion anticipatrice, mais aussi aucune réaction des autorités actuelles au rapport publié en mai 2019 (Santé Publique France, Avis d’experts relatif à la stratégie de constitution d’un stock de contre-mesures médicales) appelant de toute urgence à une politique de mobilisation face à la possibilité d’une pandémie.

Pire encore, en affirmant en mars que le port des masques était inutile et qu’il était d’ailleurs très difficile de s’en équiper,la porte-parole du gouvernement a sciemment menti. Les plans de préparation à une pandémie grippale élaborés à partir des années 2000, prévoyaient non seulement d’équiper tous les soignants de masques protecteurs, mais aussi les caissiers et caissières, les pompiers et les forces de maintien de l’ordre. La doctrine selon laquelle ils n’étaient pas nécessaires a été forgée pour justifier qu’on avait été incapables d’en prévoir. Ainsi, non seulement de nombreux soignants ont été contaminés mais aussi les personnels exposés au contact du public. Or, au moins dès fin février, et sans doute bien avant, les services de santé et les responsables politiques savaient que le coronavirus responsable du Covid-19 est extrêmement contagieux (l’indice moyen de contagion se situe entre 5 et 7, contre 1,2 pour une grippe classique et 2 à 3 pour la grippe espagnole). L’on peut donc affirmer qu’il a été fait preuve d’une négligence et d’une absence de réactivité criminelles.

Des décrets des 23 et 28 mars 2020 autorisent jusqu’au 15 avril les médecins de ville et les médecins référents dans les EHPAD à administrer du Rivotril, un anti-convulsivant pour la prise en charge palliative de la détresse respiratoire et de la dyspnée.

Il ne s’agit pas, bien entendu, d’une politique volontaire d’euthanasie, comme l’ont affirmé certains, mais de déléguer à la base de la chaîne médicale l’administration de remèdes visant à apaiser la souffrance et l’angoisse de patients âgés ne pouvant être pris en charge dans les hôpitaux. Dans certains cas, ils ne pouvaient pas l’être en raison de leur fragilité extrême, dans d’autres ils auraient sans doute pu être sauvés. Alors que j’écris ce document, le Conseil d’Etat se réunit pour décider si le gouvernement doit édicter des directives précises sur la priorisation des patients atteints du coronavirus dans les services de réanimation saturés. En clair, établir si le gouvernement doit être responsabilisé pour une sélection dans les traitements (au détriment des personnes âgées de plus de 70 ans et/ou souffrant de maladies chroniques, et même d’obèses...), provoquée par l’absence de moyens, ou s’il doit continuer à se défausser sur les médecins. Terrible dilemme, conséquence de l’incurie.

Le fort taux de mortalité dans les centres médico-sociaux témoigne de deux choses : l’incapacité de fournir des masques aux soignants (on a ainsi assisté à une véritable « course aux masques » au sein des EHPAD), qui ont involontairement contaminé des patients âgés et vulnérables, et l’impossibilité d’accueillir ceux-ci dans les hôpitaux lorsqu’ils auraient pu l’être. Il s’est donc bel et bien agi d’une approche palliative, excluant de fait la possibilité de guérison. Ajoutons que si les médecins de ville et les référents des EHPAD ont ainsi été autorisés à administrer du Rivotril (clonazépam), on ne leur pas donné la même possibilité d’accès à l’hydroxychloroquine, qui a été réservée au traitement en hôpital des phases avancées de la maladie, alors qu’il a été prouvé que son administration n’est efficace qu’en début de contamination. La vérité est que pour l’administrer, non comme un remède miracle mais comme quelque chose de disponible et qui semble marcher, il faut d’abord pouvoir tester pour être certain de la contamination. Or, jusqu’à pratiquement le moment où j’écris ce texte, on ne disposait pas de tests... Ceux que les services du professeur Raoult se sont procurés à Marseille l’ont été par des méthodes relevant de la débrouille. On lui en a sans doute voulu…

Je mentionne ces errements pour souligner deux choses fondamentales. La première est que la désorganisation irresponsable et dans ses conséquences, coupable, du traitement de la pandémie relève de la même erreur de départ que celle commise vis-à-vis de la grippe espagnole. Il n’y eut alors aucune mesure nationale, tout se faisant à l’échelon local, à la discrétion des préfets en France et des municipalités en Allemagne. Avec les résultats catastrophiques que l’on connaît. Aujourd’hui, il y a certes une politique nationale, avec des mesures prises à ce niveau (centralisation – tardive – des commandes de masques, pont aérien avec la Chine, mobilisation de grandes entreprises pour produire 10 000 ventilateurs, etc.) mais trop peu et trop tard. Le problème est que les errements de la politique nationale pendant deux mois au moins ont abouti dans tous les secteurs à une dissociation des initiatives et une insuffisante mobilisation ( pas de consultation d’entreprises pouvant construire rapidement des hôpitaux modulaires, pas de centralisation de commandes de masques au départ, pas de mobilisation des cliniques privées, mobilisation tardive des laboratoires vétérinaires pour aider à produire des tests de dépistage... et surtout, aucune stratégie industrielle contre la pandémie). La combinaison d’un libéralisme financier et d’une bureaucratie erratique a conduit à la situation que nous décrivons.

C’est pourquoi une politique d’urgence, malgré les efforts récents qui ont été faits, reste indispensable, mettant la solidarité humaine au poste de commande.

Trois fautes graves qui ont été commises dans l’approche de la pandémie ne doivent plus jamais se reproduire, ni dans la politique sanitaire ni dans la politique économique nécessaire à la sortie du confinement.

Tout d’abord, il faut anticiper. Ne plus avoir un raisonnement qui déduit et extrapole, sans être capable de prévoir. Au contraire, gouverner c’est être capable d’envisager l’inédit. C’est-à-dire combattre le danger qui vient. Même comportement vis-à-vis de la pandémie sanitaire que vis-à-vis de la pandémie financière : mesurer les conséquences de ce qu’on fait et de ce qu’on a omis de faire, pour être en mesure de faire autrement. Cela s’appelle la possibilité de faire face à un changement de phase provoqué par des décisions aux conséquences prévisibles dans la durée.

C’est ainsi que j’ai participé, au cours des années 1970 et 1980, avec l’homme politique américain Lyndon LaRouche (1922-2019), à la réflexion sur la nécessaire mise en place d’une bioforce contre les pandémies.

Car LaRouche et ses collaborateurs avaient compris que découpler l’or et le dollar, à partir de la décision prise par l’administration Nixon le 15 août 1971, aboutirait fatalement à une dérégulation financière qui privilégierait la rentabilité à court terme dans les choix économiques et conduirait à une politique de triage vis-à-vis des pays du tiers-monde. Le « consensus de Washington » imposa effectivement un démantèlement des systèmes sanitaires et hospitaliers des pays de l’hémisphère Sud, notamment en Afrique.

Nous avons tenu en 1986, à Paris, une Conférence internationale sur la lutte contre les pandémies, prenant pour exemple la « médecine sentinelle » des pastoriens, basée sur la prévision et les rapports entre la maladie et l’environnement. Eux savaient comment prévoir et se préparer à intervenir. La bioforce de l’Institut Mérieux rejoignait ainsi l’approche que nous avions. Certains Etats prirent alors quelques bonnes mesures, ponctuellement, mais dans un environnement où le remboursement d’une dette illégitime au détriment des services publics, conduisait à la destruction du système immunitaire des sociétés. Les pandémies du XXe siècle comme celle du coronavirus aujourd’hui sont le résultat de l’abandon de la priorité humaine au profit des statistiques de profits financiers. La pénurie de masques n’est pas une simple faute logistique de l’Etat français. Se démunir de stocks stratégiques sans penser au réapprovisionnement en en situation de crise est un forfait politique.

Ensuite, il faut dire implacablement la vérité et agir en conséquence. Le succès de la politique sanitaire et la confiance des peuples en dépendent. En Chine, le confinement total décidé dans tout le Hubei et l’obligation de porter des masques ont permis de contrôler la pandémie. En Corée du Sud et à Taïwan, les tests massifs ont permis de retracer les chaînes de contact et de transmission et d’isoler les malades. La Tchéquie, le 19 mars, a rendu le port du masque obligatoire. Six jours plus tard, la Slovaquie en faisait de même, suivie par la Slovénie puis par l’Autriche, qui l’a imposé dans les supermarchés et les lieux publics. Israël l’a fait, tout comme le Vietnam, la Thaïlande et même le Venezuela et l’Ouzbékistan. Nous pas, non seulement parce que nous ne disposions pas de masques, mais parce que nos autorités ont menti pour ne pas avoir à reconnaître leur défaillance. La population, à qui l’on n’a pas ainsi donné l’exemple, n’a pas respecté les consignes de confinement, notamment dans les classes bourgeoises aisées et les banlieues défavorisées. La ruée d’une partie du XVIe arrondissement vers ses résidences secondaires témoigne de cette attitude irresponsable.

Dans un entretien publié dans la revue américaine Science, George Gao, directeur chinois du Centre de contrôle et de prévention des maladies, s’étonne que l’on n’ait pas prévu, en Europe et aux Etats-Unis, que la population doive porter un masque pour se protéger. Il ajoute que les personnes infectées ne sont pas isolées. Or le Covid-19 « ne peut être enrayé qu’à condition de faire disparaître les sources d’infection ». Chez nous, on a donc bel et bien menti par action et par omission. Même chose pour le nombre de contaminés et de morts du covid-19. Aujourd’hui, 10 avril, il y a selon les statistiques officielles plus de 30 000 personnes hospitalisées à cause de l’épidémie et plus de 10.000 morts. Le nombre de contaminés est en fait bien plus élevé. Considérant qu’il ne devrait pas être, en pourcentage, très éloigné de celui des députés, qui sont, eux, dûment testés et dont plus de 3 % ont été atteints, j’arrive à un chiffre de 67 millions de Français multiplié par 3 %, soit environ 2 millions. Une récente étude de l’Imperial College de Londres confirme mon évaluation en l’aggravant, à l’encontre de la thèse officielle : elle estime que 3 millions de Français ont déjà été infestés. Quant aux décès, on n’a longtemps comptabilisé que ceux survenus à l’hôpital, n’ajoutant que début avril les morts dans les EHPAD. La seule comptabilisation, bien qu’approximative mais plus sérieuse que celle des autorités, serait de comparer le nombre de décès mensuels au cours des premiers mois de ces cinq dernières années, à ceux des mois correspondants de 2020, ou de comparer mois par mois le nombre de morts dans les hôpitaux.

Enfin, le souci de l’autre, autrement dit la consécration à l’intérêt collectif, définit un comportement citoyen. C’est particulièrement clair pour le port des masques. Les masques de type FFP2 et FFP3 permettent de protéger les porteurs et sont essentiels pour tous les soignants et tous les métiers exigeant une exposition publique. Les masques chirurgicaux (anti-projections) protègent très imparfaitement le porteur mais l’empêchent de contaminer autrui. C’est pour cela que son port est essentiel pour tous. Or au cours de cette épidémie, on a trop souvent pensé en termes de sa propre protection et non de celle d’autrui et de toute la société. C’est à cette manière de penser qu’il faut revenir : faire à autrui tout le bien qu’on voudrait qu’il nous fît.

Anticiper, dire et pratiquer la vérité et agir avec le souci de l’autre, doivent ainsi être les trois piliers sur lesquels bâtir une politique sanitaire, définissant une rentabilité sociale à moyen et long terme contre une rentabilité financière fatalement destructrice si elle est pratiquée en dépit de toute autre considération, comme l’impose depuis plus de cinquante ans la dictature du profit « juste à temps ». Nous allons présenter ici brièvement les conséquences qu’il faut aujourd’hui en tirer pour une politique sanitaire, en montrant ensuite que ces mêmes principes doivent guider les choix fondamentaux d’une politique économique.

Servir le bien commun et les plus vulnérables

Notre but ne doit pas se limiter à contrôler l’épidémie en aplanissant son pic, en faisant en sorte d’en prolonger les effets tout en maintenant la capacité d’y faire face, c’est-à-dire d’en adapter la progression aux capacités dont nous disposons, notamment en lits de réanimation et de soins intensifs. On ne doit pas viser à atténuer l’épidémie mais à la casser. Une guerre suppose une victoire sur l’ennemi avec un minimum de pertes dans un minimum de temps, sinon il ne s’agit pas d’une guerre mais d’un massacre. Nous avons publié, sur le site de Solidarité et progrès, une feuille de route à cet effet, traçant les pistes politiques du combat.

Il est nécessaire d’en souligner ici les points majeurs de référence :

  • Puisque nous ne disposions pas des moyens de tester, il fallait bien entendu confiner. Ceux qui prétendent le contraire sont irresponsables ou incompétents. Ce confinement devrait être total, comme en Chine, pour isoler totalement le terrain de propagation du virus. Il ne l’a pas été en France. Il faut corriger cette faute en rendant obligatoire le port d’un masque protecteur. Avant la fin du confinement, nous devons nous habituer au masque qui crée un confinement extérieur généralisé pour nous préparer à l’interruption du confinement intérieur. C’est en procédant ainsi qu’on pourra réduire la durée du confinement intérieur. Evidemment, l’Etat doit être capable de fournir des masques à tous ou au moins de coordonner les efforts de ceux qui en fournissent, souvent avec un dévouement exemplaire.
  • Le confinement intérieur pourra prendre fin lorsque nous nous situerons en deçà du seuil de saturation des réanimations. C’est en effet à partir du moment où l’on pourra prendre soin des cas les plus graves, grâce aux efforts fournis en termes de production et d’achat de ventilateurs, et que nous disposerons d’un nombre suffisant de lits de soins intensifs et de réanimation nécessaires pour prendre en charge ceux qui en ont besoin,tout particulièrement les handicapés, les personnes âgées et les malades chroniques, que l’on pourra commencer à déconfiner. L’idée que 40 ou 50 millions de Français vont être fatalement malades et que plus de 50.000 pourraient mourir, dans la dignité ou pas, est inacceptable. Par ailleurs, le port du masque étant partout obligatoire et l’effort hospitalier partout réalisé, le Premier ministre a raison de dire que l’on pourra déconfiner sélectivement et par étapes. On devra le faire en priorité là où les capacités hospitalières sont bonnes, par région. Les trois conditions minimales sont : un nombre de cas en recul depuis au moins 14 jours, des services de réanimation désengorgés, c’est-à-dire avec un retour aux besoins correspondant à la situation pré-endémique, et la capacité de protéger, suivre et soigner les plus faibles (personnes âgées, malades chroniques, handicapés...).
  • Il faut ajouter, comme le gouvernement paraît en avoir l’intention mais comme cela doit aussi être mis concrètement en œuvre, des campagnes massives de dépistage. Les tests PRC (biologiques) d’abord, en priorité pour les personnels soignants et tous ceux qui sont exposés au contact du public : pompiers, ambulanciers, livreurs, caissières, gardiens de prison et prisonniers, enseignants, forces de maintien de l’ordre, éboueurs, agents des pompes funèbres, etc. Ces tests, qui détectent le virus dans le nez ou la gorge, repèrent peu de faux positifs mais laissent passer de l’ordre de 30 % de faux négatifs. En outre, on n’en dispose pas en nombre suffisant. C’est pourquoi il faut recourir massivement aux tests sanguins (sérologiques), qui permettent de déterminer très rapidement si une personne a été exposée ou non au virus, et donc de détecter ceux qui ne sont plus infectieux et ne risquent pas de propager le virus. Il faut faire dès que possible pour tous et sur l’ensemble du territoire, en particulier dans les lieux clos (EHPAD, prisons), comme si nous pouvions tous être contagieux. Les personnes immunisées présentant des anticorps, et qui ne sont donc plus contagieuses, pourront bénéficier d’un « droit de sortie », sous forme, par exemple, d’un passeport d’immunité. Lorsque ces personnes seront déconfinées et que le port du masque sera généralisé, le virus ne pourra pratiquement plus circuler et sa propagation s’arrêtera. Il restera cependant la crainte d’une deuxième vague épidémique si l’on ne procède pas méthodiquement. On proposera aux personnes immunisées, sur la base du volontariat, de participer aux soins et à l’assistance de malades isolés présentant des symptômes apparemment sans gravité.
  • Deux dispositions doivent être prises pour que cette deuxième vague ne se produise pas. La première est bien entendu, comme on l’a vu, de tester massivement, d’imposer le port du masque, d’isoler les malades et les cas suspects et de respecter l’hygiène des mains et la distance physique pendant encore une longue période. La seconde est d’établir scientifiquement que les sujets infectés ne sont plus susceptibles de l’être à nouveau, en raison de l’existence de récepteurs différents du virus dans l’organisme humain. Cela semble contraire à l’expérience de l’immunisation dans tous les autres cas d’attaque virale, mais encore faut-il le vérifier pour celle-ci.
  • Il faut reconsidérer notre rapport au grand âge et aux personnes handicapées. Des milliers d’alertes, concernant les EHPAD comme les services à la personne, sont restées trop longtemps sans réponse. La société civile et le dévouement des personnels ne peuvent suffire à compenser le flottement politique. Cette pandémie doit être le signal d’alarme imposant à notre société une attention accrue à l’égard des aînés et une meilleure considération pour les métiers du soin, notamment dans les EHPAD. Car si nous prétendons être une société humaine, il nous faut fonder une culture du soin personnalisé et solidaire. Les handicapés ont été, eux aussi, particulièrement discriminés. On a ainsi demandé aux personnes handicapées malades de rester dans des établissements médico-sociaux n’assurant que des soins courants et d’entretien, et ne disposant ni des personnels ni des matériels pour traiter les conséquences de cette pandémie. Les aidants familiaux et les professionnels, en nombre insuffisant, ne peuvent gérer ce sur quoi la société ferme les yeux. Il n’est pas acceptable que des personnes handicapées se voient refuser une hospitalisation ou même que le handicap devienne un motif de refus de soins intensifs ou de réanimation. Puisse ainsi cette pandémie susciter une réflexion sur l’âge et le handicap, aboutissant à un nouvel état d’esprit moins statistique et plus humain : prévention, revalorisation des salaires des professionnels, renforcement des équipes soignantes et des accompagnateurs, intégration de tous dans des modes de vie sociale à partager et découvrir. Il ne faudra plus jamais que les aides-soignantes, qui sont toutes des femmes issues de milieu populaire, ne soient pas écoutées lorsqu’elles signalent des situations intenables. Ces manifestations de sexisme et de morgue sociale doivent disparaître de notre société.
  • Dans les quartiers des grandes villes, les conditions d’existence rendent difficile le respect du confinement. La parole publique n’est pas adaptée aux gens des quartiers. Les chibanis (travailleurs venus d’Afrique du nord entre 1945 et 1975) sont des hommes vivant seuls ou en groupes d’amis, trop souvent isolés. Certes, une association comme Banlieue Santé leur livre des repas en respectant un protocole très strict d’hygiène, mais les autorités publiques ne s’occupent pas d’eux. Les travailleurs et travailleuses pauvres ne connaissent pas leurs droits et ceux qui ne sont pas déclarés continuent d’aller travailler, car pour eux il n’y ni arrêt de travail ni chômage partiel. Si on ne fait rien pour aider les plus jeunes à rester chez eux, ces territoires seront les « clusters » de demain du Covid-19. Puisse donc cette pandémie inspirer une politique des banlieues à l’écoute de leurs habitants et répondant à leurs besoins, comme ce fut hier le cas à Chanteloup-les-Vignes, mais à une échelle bien plus générale. Les troubles violents qui s’y sont produits montrent la nécessité d’une continuité politique : rien n’est jamais acquis.
  • N’oublions pas bien entendu les DROM-COM, nos Outre-mer qu’il faut intégrer dans une politique de santé publique correspondant aux régions où ils se trouvent. La situation de Mayotte ou de la Guyane peut encore devenir plus catastrophique, à l’image de ce qui se passe en Equateur ou en Haïti. Des mesures spécifiques doivent être prises partout, ce qui donne à la France l’occasion de jouer un rôle exemplaire dans toutes les régions du monde où nous nous trouvons. Nous pouvons donc faire beaucoup mieux, en pensant plus loin et plus grand, à l’échelle humaine et mondiale. Est-il par exemple inimaginable que la métropole soutienne l’effort sanitaire de la Guadeloupe et de la Martinique, et que celles-ci deviennent des centres d’assistance et de soutien pour Haïti et la Guyane ?
  • De nouveaux outils numériques doivent être mis en œuvre pour suivre le développement de l’épidémie et renforcer son contrôle sanitaire. Tout le débat sur le « tracking » (traçage), c’est-à-dire sur la nécessité de mesures d’identification intrusives pour retracer personnellement les chaînes de transmission et de contact de la maladie, qui seraient attentatoires aux libertés publiques, n’a pas lieu d’être à condition d’avoir recours à des applications modernes mettant l’Intelligence artificielle au service d’une approche respectueuse de ces libertés. CovidIA et Covimoov, par exemple, permettent d’avoir des informations sur la maladie et d’en établir la carte à partir d’échantillons de population croisés. Covimoov s’appuie sur des données anonymisées et agrégées avec le consentement des utilisateurs et en respectant les protocoles établis par la CNIL, ou en se soumettant même à des protocoles plus stricts. CovidIA demande aux autorités, de manière temporaire et contrôlée, la communication de données de santé et certaines données des opérateurs mobiles, après garanties d’anonymisation et cryptage, sur la base du volontariat et sous contrôle de la CNIL. Je mentionne ces deux possibilités à titre d’exemple de ce qui peut être accompli pour accélérer la connaissance de la situation et donc le retour des Français au travail. J’ajouterais que des services de renseignement comme le NSA américain ou d’autres, qui recueillent déjà massivement des données pour de mauvaises raisons, pourraient dans ce cas les utiliser pour le bien public.
  • Des mesures de « santé politique » doivent être immédiatement prises, comme la nationalisation de Luxfer, seul producteur de bombonnes à oxygène en France, ou de Famar, fabricant de Plaquenil (nivaquine, de même nature que l’hydroxychloroquine), afin de les arracher aux intérêts financiers qui ont conduits à la faillite ou au redressement judiciaire, à cause d’une exigence de rentabilité à court terme ne tenant aucun compte de l’incidence sociale. Ces nationalisations, coordonnées avec les fournisseurs nationaux et internationaux de ces sociétés, auraient plus de portée symbolique que de venir au secours d’Air France ou de telle ou telle société du secteur de la banque, de l’assurance ou de la chimie, qui ont par ailleurs un réel besoin d’être assistées à court terme, mais sans qu’il s’agisse de raisons de santé publique.
  • Enfin, l’hôpital public doit être désormais la référence de gestion publique car son fonctionnement est entièrement voué au service d’autrui et de la vérité sur la vie humaine, et à la responsabilité collective. L’idéal est un Etat fonctionnant selon les mêmes principes qu’un hôpital, à l’opposé d’un Etat et d’un hôpital soumis à des critères de rentabilité immédiate inspirés par une logique financière de cabinets de conseil. Un geste fort est nécessaire pour imposer ce changement de perspective et le faire comprendre aux Français : il s’agit d’un jubilé de la dette hospitalière, évaluée par l’INSEE à 33 milliards d’euros. Cela implique son annulation quasi-totale et non la reprise par l’Etat d’un tiers en trois ans, comme annoncé par Edouard Philippe. Le reste relèverait d’un moratoire, étant entendu que seraient annulés tous les emprunts à taux variable et à risque élevé que les hôpitaux ont été contraints de contracter. Aucun intérêt de la dette ne devra être payé en 2020. Les belles paroles et les hommages au dévouement des personnels ne suffisent pas. La tarification à l’activité (T2A) doit être définitivement supprimée et il devrait être reconnu que l’hôpital doit procéder à des dépenses supplémentaires pour trois raisons légitimes : les progrès techniques et les innovations médicales, le vieillissement de la population et les meilleurs soins accordés aux maladies chroniques. Le personnel hospitalier doit être plus respecté et mieux rémunér : nos infirmiers et aides-soignants, qui sont moins bien traités qu’ailleurs en Europe, doivent voir leurs salaires augmenter de 20 %, tout comme les enseignants du primaire. Car il s’agit ici d’une réhabilitation générale du service public après la faillite de cinquante années de privatisations néo-libérales, autoritairement imposées. Bref, on doit faire en sorte que l’idéal du bien commun puisse s’inscrire dans le réel quotidien. La contrepartie pour les personnels sera de penser en termes d’anticipation et de prévision, avec les yeux du futur, pour susciter des découvertes et organiser de meilleurs traitements, de la même façon que pour un responsable politique, « gouverner, c’est prévoir ».

Une économie physique au service de l’humain

Les piliers sur lesquels doit être bâtie la politique sanitaire sont les mêmes qui doivent porter une économie physique au service de l’humain. La pandémie, révélatrice d’une crise générale de notre société, a en effet discrédité économiquement, politiquement et moralement son orientation depuis plus de 50 ans.

Les virus financier, malthusien, géopolitique et bureaucratique, dont la conjugaison a entraîné au vu et au su de tous l’incapacité à réagir rapidement et efficacement face au défi sanitaire, doivent être éradiqués pour permettre un changement de paradigme de nature à empêcher qu’une crise sanitaire de même envergure se reproduise et surtout que l’on puisse relever le défi d’un monde plus juste et plus solidaire pour les générations futures.

Le virus financier, avec son exigence de profits de plus en plus immédiats et de moins en moins en rapport avec la réalité physique, est sans doute le plus visible. Nous vivons dans une société sous perfusion monétaire, une monnaie qui est en fait une série d’impulsions électroniques émises par le système financier, avec l’assistance constante des Banques centrales ayant pour objectif principal de maintenir les circuits de l’oligarchie mondialisée. Il s’agit ainsi d’une économie de marché sans marché, au sein de laquelle tous les cours évalués en cotation continue permettent les spéculations et les manipulations à la nanoseconde. Face aux initiés de ce système, maîtres des algorithmes et opérant à l’échelle du monde à la vitesse de la lumière, toute vision à moyen ou long terme se trouve exclue. Les peuples se demandent où va l’argent, puisqu’on leur affirme qu’il est impossible d’en investir pour ce qui correspond à leurs besoins et à ceux de l’économie. Il faut leur expliquer le fonctionnement de ce détournement permanent, c’est-à-dire comment ce système de fausse monnaie prédateur impose l’austérité à tout autre qu’à lui-même. Surtout, montrer qu’il en a existé d’autres dans notre histoire ; la différence étant que cette fois, les nations doivent organiser une coopération internationale pour en imposer un nouveau, répondant aux mêmes principes à l’échelle du monde que ceux qui ont réussi dans le passé à l’échelle d’un seul pays ou d’un groupe de nations.

Le virus malthusien est associé au virus financier, il en est pour ainsi dire l’expression sociale. Il repose sur l’idée que le monde est composé de ressources limitées et que les êtres humains doivent donc réduire leur consommation et leur reproduction pour s’adapter à cet état de choses. En effet, si l’on demeure au sein d’un ordre financier prédateur, incapable par nature d’engendrer de nouvelles découvertes ou de nouvelles innovations, on en arrive fatalement à un épuisement des ressources existantes. Or, toutes les théories sur l’entropie du monde, dérivées de ce malthusianisme, contredisent totalement la réalité. D’une part, l’univers dans son ensemble est en expansion et n’obéit donc pas à la seconde loi de la thermodynamique (entropie), seulement valable dans un système fermé. D’autre part et surtout, l’être humain se caractérise par sa capacité créatrice, celle d’être en accord avec la loi naturelle de développement et d’expansion universelle. Il élève à l’état de ressource ce qui auparavant était soit un déchet, soit un élément intégré à un niveau moins élevé d’utilité dans sa vie. Il y parvient en découvrant un principe dont il ignorait jusque-là l’existence. Le fondement de la science est cette capacité, par-delà la déduction, l’induction et le principe de non contradiction, de trouver des solutions aux problèmes existants, comme le dit Einstein, avec un mode de pensée différent de celui qui les a engendrés. Notre mouvement politique, avec Lyndon LaRouche, s’est insurgé dès le départ contre le modèle Forrester-Meadows du Club de Rome, suivant lequel il y aurait des limites à la croissance, en lui répondant qu’il n’y en a pas, car la créativité humaine a précisément pour caractéristique de sortir des règles de tout jeu donné, de franchir les limites définies par un ensemble d’axiomes et de postulats.

Le danger aujourd’hui est de voir se répandre une fausse écologie répondant à une fausse conception de l’humain. On a ainsi d’un côté des forces financières qui, par leur nature même, se livrent au pillage des ressources (et donc de la nature) et polluent, et de l’autre, un écologisme dévoyé qui considère que c’est l’être humain qui, par sa nature, est prédateur et pollueur. Les forces financières ne sont pas gênées par cet écologisme-là, elles considèrent au contraire qu’il leur ouvre un nouveau domaine de contrôle des esprits en promouvant un pessimisme culturel et un retrait entropique sur le local conduisant à l’impuissance politique des populations ou au chaos. Insidieusement ou ouvertement, ces forces financières promeuvent une sous-culture d’un monde fini, où règne la loi du plus fort et le retrait pastoral des faibles. Le cas extrême du nazisme militaro-industriel et du pétainisme de retour à une Terre qui ne ment pas, illustre ce type de rapport sado-masochiste. L’holocauste montre que si l’on admet ses axiomes de départ, tout malthusianisme, quelle qu’en soit la forme, devient raciste, criminel et en fin de comptes autodestructeur. Les camps de la mort et les bunkers effondrés sur nos plages en sont les témoignages.

Le virus géopolitique est l’expression internationale des virus financier et malthusien. Il s’exprime ouvertement dans la majorité de la presse occidentale et dans la politique des néo-conservateurs anglo-américains et de leurs alliés dans le monde. Pour eux, l’univers politique est un champ de bataille sur lequel s’affrontent des ennemis, le vainqueur devant rafler toute la mise au détriment des vaincus, quel que soit le nombre de victimes causé par les hostilités. L’Empire britannique, après bien d’autres, a fonctionné selon ce modèle : mondialisation financière, malthusianisme et géopolitique. Il fonctionne encore ainsi, non sous une forme territoriale mais en ayant muté hors sol, sous forme de la City de Londres, de Wall Street et de leurs paradis fiscaux, avec l’appui de l’armée américaine, des services de renseignement des Five Eyes et de leurs associés, mais en ayant conservé la même idéologie et le même mode d’action. C’est ce système auquel nous devons mettre fin pour lui substituer un ordre gagnant-gagnant, un projet de civilisation qui serait un « Pont terrestre mondial » dont les Nouvelles Routes de la soie sont l’ébauche.

Le virus bureaucratique, enfin, est le vice des serviteurs. Il sert un ordre voué à un monde fini, linéaire, opposé par nature à l’éclosion et au développement de toute idée créatrice. C’est en ce sens qu’il est le serviteur des vices financier, malthusien et géopolitique. Tout système administratif, s’il n’est pas animé par une volonté politique, s’adonne à ce vice. C’est ce qui est arrivé à notre système administratif français, face à la pandémie sanitaire comme face à la pandémie financière. Il s’est exécuté suivant les contraintes de la règle du jeu existante. Même lorsqu’il a tenté ou tente de changer d’approche, comme c’est le cas aujourd’hui vis-à-vis de la pandémie, quelles que soient ses intentions, il ne change pas de régime. Il tente d’introduire dans un ordre donné des initiatives d’une portée incompatible avec cet ordre. C’est ce qu’a très justement remarqué dans son domaine, sans peut-être mesurer la portée plus générale de ses propos, le professeur Raoult. Il a en effet affirmé que dans les sciences de la vie humaine, une approche philosophique devait se substituer à l’approche mathématique. C’est une idée insupportable pour toutes les bureaucraties du monde, et c’est pour cela qu’elles sont les servantes de l’Empire du « tout fait ». Le « se faisant », la dynamique des actes créateurs, leur échappe.

Mon ami Georges Mathé, brutalement arrêté dans ses recherches sur le VIH par une bureaucratie administrative conjuguée à celle du Conseil de l’ordre, subit le même ostracisme que le professeur Raoult  : on lui disait alors qu’étant cancérologue, il devait s’occuper du cancer et laisser de côté le Sida, bien que ses plurithérapies aient eu un réel début de succès, ce qui importait étant le domaine formel de compétence et non le succès ou l’échec de l’initiative. J’ai personnellement connu à l’ENA cet univers-là, transformant des êtres humains au départ créateurs en excellents exécutants de protocoles établis. A quoi l’on répondra qu’un administrateur doit se limiter à bien administrer sans bouleverser. Ce n’est même pas vrai, ou en tous cas pas suffisant, mais les choses deviennent encore pires lorsque les administrateurs formés pour appliquer occupent des postes politiques exigeant de la créativité, du moins lors de circonstances exceptionnelles.

Les exemples de Charles de Gaulle et de Lyndon LaRouche furent pour moi révélateurs de cette qualité de caractère nécessaire face aux défis et aux épreuves. Tous deux ont été rejetés, chacun à sa façon, par les castes dominantes vouées à servir l’ordre – ou le désordre – établi. Leur mémoire demeurera cependant malgré les efforts de toutes les bureaucraties du monde pour l’étouffer ou la rendre confuse. L’homme sans qualités de Robert Musil exprime dans l’espace littéraire l’incapacité contraire, stérile même si parfois elle ne cause aucun préjudice apparent.

L’Union européenne (UE) actuelle est l’exemple même d’une conjugaison de ces vices, tout particulièrement le dernier, qui la porte à une impuissance plus ou moins satisfaite. L’impuissance à décider une politique coordonnée de relance économique, bonne ou mauvaise, manifestée lors du dernier Conseil européen, témoigne de son incapacité à relever les défis nouveaux. Même chose dans l’ordre de la politique sanitaire. En démissionnant de son poste au Conseil européen de recherche scientifique, Mauro Ferrari a parfaitement exprimé ce que je tente de dire ici : sa colère face à l’incapacité de coordonner les politiques sanitaires des différents Etats, à l’opposition des institutions à tout engagement financier bouleversant l’ordre des choses et à l’absence de volonté politique, aboutissant à une approche bottom up condamnant tout plan conçu top down. Le Conseil a purement et simplement refusé d’examiner sa proposition. Si l’on veut exprimer cette situation en termes philosophiques, l’UE repose sur l’idée aristotélicienne que la somme des particularités peut aboutir à l’intérêt général. C’est apparemment de là, d’un consensus, que l’on attend le bon choix, sans affronter le contexte dans lequel se situe ce consensus : celui d’un ordre néo-libéral reposant sur le système de l’euro et de la Banque centrale européenne, enchaînant les pays membres à la mondialisation financière. Consensus sans détermination ni volonté, dans un contexte supranational opposé par nature à l’idée même de souveraineté nationale. Parler de souveraineté européenne revient ainsi à endosser des décisions ou des indécisions de portée criminelles, même s’il s’agit souvent de crimes de bureau. Car il n’y a pas de Don Juan sans Leporello, pas de dictateur sans servitude volontaire.

C’est arrivé à ce point de conscience que l’on doit audacieusement, dans l’intérêt de l’humanité, appliquer à la politique économique les mêmes principes que ceux que l’on doit appliquer pour vaincre une pandémie. A commencer par l’empathie envers l’humanité et les principes physiques qui déterminent sa manifestation dans l’univers réel.

Pour cela, il est nécessaire de commencer par assainir l’environnement pour pouvoir changer les fondements mêmes de la politique.

A l’échelle internationale, cela signifie décréter un cessez-le feu général, partout dans le monde, comme l’a demandé le Secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. En même temps, lever toutes les sanctions contre tous les pays concernés. On ne peut en effet lutter contre une pandémie, sanitaire ou financière, dans un climat de guerre de tous contre tous.

A l’échelle nationale, il faut séparer les secteurs financiers de dépôt et de crédit, des secteurs traitant d’investissements sur les marchés. Il faut également en séparer les sociétés d’assurance : la pratique de la bancassurance a prouvé son rôle de levier pour les spéculations dans tous les domaines. C’est le système de « murs de feu » entre fonctions financières dont nous disposions à la Libération, à l’image du Glass-Steagall de Franklin Roosevelt. Il empêcha, après la Deuxième Guerre mondiale, que les crises financières deviennent systémiques. Cette fois, il doit s’agir d’un Glass-Steagall global, isolant les spéculations et les livrant à elles-mêmes. Ce Grand Jeu destructeur que nous subissons ne peut continuer sans détruire l’ensemble de l’économie, mais il ne peut se poursuivre sans le soutien des perfusions monétaires continues des Banques centrales. Ce soutien doit cesser et les spéculateurs tombant en faillite (la plupart le sont déjà virtuellement) doivent être abandonnés à leur sort. Le problème est le contrôle des circuits financiers par l’oligarchie financière, et non leur mauvais fonctionnement. Il faut un autre système, et de toute urgence.

Une banque nationale et un système de crédit dirigé par la puissance publique doivent se substituer à l’ordre de crédit actuel, dominé par une vingtaine de méga-banques. Dans ce système, le pouvoir réel appartient aux mastodontes financiers, associés aux géants du numérique. Ils ont ainsi détruit à la fois les fondements mêmes de la souveraineté monétaire, sur laquelle repose toute souveraineté nationale, et le système démocratique de décision garanti par nos Constitutions. Au lieu d’exercer son rôle positif de « pari sur l’avenir » sous contrôle de la puissance publique, le crédit est devenu un instrument nourrissant la pyramide de Ponzi du casino financier mondial, dans sa fonction principale, et servant à enchaîner les quelque 95 % de la population non initiée au Grand Jeu dans sa fonction secondaire. En effet, la baisse du pouvoir d’achat des salariés, ressenti et réel, a été compensée par un système de crédits leur permettant de consommer des biens produits dans des pays à bas salaires où les très grandes entreprises ont délocalisé leurs opérations. La mondialisation financière en cours depuis plus de quarante ans s’est ainsi traduite par une circulation de plus en plus effrénée de monnaie associée à un capital et un crédit de plus en plus fictifs, c’est-à-dire sans lien cohérent entre producteurs et consommateurs, mais au profit d’intermédiaires organisant une exploitation qui n’a été freinée que par le développement de la Chine, dont la part dans le PIB mondial est passée de 3 % à plus de 15 % en une vingtaine d’années. Que cela plaise ou non, c’est la réalité, et l’extension de la pandémie actuelle prouve qu’un tel système à flux financiers tendus ne peut pas faire face à un changement physique dans le monde réel.

Cette reprise en main des choses pour les réorienter par le crédit vers le travail, les infrastructures physiques (ponts, ports, routes, moyens de transport...) et les infrastructures humaines (hôpitaux, écoles, laboratoires...) exige le grand retour d’un Etat citoyen, du peuple et agissant pour et par le peuple. La crise que nous traversons redonne à la puissance publique un rôle de premier plan, au prix d’une dette colossale. Grâce à cet endettement, les Etats ont sauvé l’économie physique en soutenant massivement les entreprises et les particuliers. Bruno Lemaire, notre ministre de l’Economie et des Finances, a eu raison d’avoir « voulu éviter un naufrage ». En France, 345 milliards ont été mobilisés au départ, puis 55 milliards supplémentaires et 7 milliards de dépenses exceptionnelles pour la santé. Ce plan suit un schéma classique : garanties de prêts octroyés aux entreprises, reports de charges et aides directes aux entreprises comme aux ménages. Le total étant d’environ 14 % du Produit intérieur brut, dont 12 % de garanties de prêts.

Cette décision était indispensable à partir du moment où le confinement a dû être décidé pour éviter que la pandémie ne devienne un désastre humain. En effet, l’économie à l’arrêt ne pouvait être abandonnée à la main invisible de la libre entreprise, qui serait alors devenue socialement et économiquement criminelle. Le problème est que, se trouvant incapable de prévoir, le gouvernement a agi de manière purement réactive, son impréparation économique s’avérant à la mesure de son impréparation sanitaire. Restent donc deux défis immédiats à relever : établir une plateforme économique de développement réel, anticipative, créant par le crédit productif les moyens de son remboursement, et traiter la question d’une dette devenue encore davantage impossible à rembourser au sein du système existant sans causer de terribles dégâts aux ménages et aux entreprises qu’elle a permis de temporairement sauver !

Cette question a immédiatement suscité la réaction de Christine Lagarde, pour qui annuler la dette après la crise est « totalement impensable ». En bonne juriste servant l’ordre dominant, elle a entendu siffler les balles économiques mettant en danger le pouvoir de ses promoteurs financiers. La question est aujourd’hui devenue simple : ou bien nous continuons à payer la dette et ses intérêts cumulés, et finalement plusieurs fois son montant sur des dizaines d’années, comme de vulgaires pays émergents, ou bien, étant tombés dans la même trappe, nous organisons avec eux un jubilé international de la dette. Ce jubilé ne peut être une chose en soi mais doit, comme la politique d’Alexandre Hamilton lors de l’Indépendance américaine, reposer sur une transformation de la dette en titres d’investissement dans l’économie réelle, pour sa part légitime, et pour sa part spéculative, être purement et simplement annulée. Cela seul permettra aux Etats de retrouver leur souveraineté monétaire, condition même de leur souveraineté nationale, mais, là aussi, pas comme une chose en soi mais comme un instrument associé à d’autres pour mettre en œuvre une coopération internationale fondée sur le développement mutuel, la plateforme commune d’un ordre gagnant-gagnant. J’ai moi-même évoqué un jour un système de l’Atlantique à la mer de Chine.

Cette fois, c’est un pont terrestre mondial que l’on doit construire, un système en rupture définitive avec le mondialisme financier, le monétarisme et l’idéologie de l’Empire britannique, porteuse de tous les vices ci-dessus mentionnés. La dette doit faire l’objet d’une annulation multilatérale, au-delà de la dette de survie injectée pour maintenir l’économie pendant cette pandémie. En ce qui concerne les plus pauvres des pays émergents, pour lesquels elle représentait déjà 168 % de leur PIB, c’est l’ensemble de leur endettement qui a été contracté dans des conditions iniques.

Il est clair que dans ce contexte, l’Union européenne doit cesser d’exister. Elle se condamne d’ailleurs elle-même sous nos yeux, avec sa bureaucratie servile et impuissante et son système de l’euro qui doit être immédiatement déconstruit, car il est la courroie de transmission de l’ordre financier mondial destructeur. L’UE se meurt, l’UE est un mort-vivant à cause de son absence de solidarité entre Etats membres et vis-à-vis des autres. Un retour aux monnaies nationales ? Oui, mais uniquement sous la forme d’une association de grands projets de développement mutuel, dans l’économie physique et dans l’ordre d’un nouvel ordre économique et monétaire, un Nouveau Bretton Woods.

Ce que nous disons depuis longtemps avec Lyndon LaRouche, et qui a provoqué notre mise à l’écart de la vie politique, au nom de la démocratie mais par les moyens les moins démocratiques qui soient, de même nature que ceux allégués pour mener les guerres criminelles contre les pays émergents récalcitrants, doit devenir l’objet du débat public.

Ce Nouveau Bretton Woods vient d’être mentionné dans une tribune au Monde, signée par le juriste Frédéric Peltier, qui souligne à juste titre l’impérieuse obligation d’annuler la dette Covid-19 dans le monde entier. Nous avons vu qu’il faut aller au-delà, à la fois pour annuler d’autres dettes illégitimes passées, engendrées par la noria spéculative criminelle, et aussi pour aménager le financement des nouveaux investissements massifs nécessaires à la fois pour équiper, partout dans le monde, un système sanitaire digne de ce nom et relancer l’économie mondiale sur des bases solides et durables.

Ce qui justifie le Nouveau Bretton Woods c’est, comme le dit M. Peltier, que « le droit international devra donc prendre l’ascendant sur les marchés financiers », l’annulation de la dette ne pouvant « qu’être ordonnée par une règle de droit et pour tous les Etats » face à un événement imposé au monde entier.

C’est pourquoi notre Institut Schiller appelle à une réunion de toute urgence des quatre principaux pays (Chine, Etats-Unis, Russie et Inde), ayant un poids suffisant dans le monde pour mettre en œuvre ce Nouveau Bretton Woods, un changement de système. La France n’est pas un de ces quatre « Grands », mais son rôle devrait être celui d’aiguillon : modérateur, inspirateur et catalyseur. Ce rôle correspond à la fois au meilleur de notre histoire et à ce que Friedrich Schiller nous enjoint d’être : patriotes et citoyens du monde, élevant notre intérêt national au service de l’Humanité.

Ce dont ne parle pas M. Peltier, et qui est essentiel, est la nécessité de bâtir un « pont terrestre mondial », pour reprendre l’équipement du monde comme un vaste territoire à aménager. Relever le défi de la pandémie consiste à construire un ordre mondial plus juste, mettant fin au sous-développement chronique d’une partie de l’humanité et à l’esprit de possession d’une oligarchie mondiale prédatrice. Utopique ? Non, car il s’agit de l’avenir de notre planète. Sinon, nous aurons un monde invivable, où le remboursement des dettes au détriment des vies humaines ne pourra être imposé que par une nouvelle politique de la canonnière, conduisant inéluctablement à une guerre de tous contre tous. Le Nouveau Bretton Woods devra ainsi, outre l’annulation ordonnée des dettes illégitimes, organiser un ordre gagnant-gagnant de développement mutuel.

Dans le cadre de ce Nouveau Bretton Woods, l’équipement de l’homme et de la nature devra être assuré par des crédits à long terme et à faible taux d’intérêt, permettant de reconstruire dans le temps long les fondements de la plateforme économique et sociale commune. Des contrats à long terme devront être signés entre Etats pour l’approvisionnement dans les domaines des échanges alimentaires, de l’énergie et de la gestion de l’eau. Le solde des échanges sera effectué dans des monnaies souveraines mais ayant une référence commune, qui pourra être l’or ou un panier de matières premières. Il sera déterminé, entre Etats et au sein de chaque Etat, un « panier de la ménagère » définissant les conditions minimales d’existence pour tout être humain, ainsi que les services (santé, éducation, alimentation...) dont il devra bénéficier.

Reste la question fondamentale du choix des investissements à effectuer, pour lesquels les systèmes de crédit devront être mobilisés. Il ne s’agit pas bien entendu de critères de rentabilité financière, mais de développement de l’économie physique au service des êtres humains. C’est en fonction du bien commun que les investissements doivent donc être décidés pour permettre la capacité d’accueil relativement la plus élevée possible : le potentiel de densité démographique relative, développé par Lyndon LaRouche. C’est le critère anti-malthusien, anti-financier, anti-géopolitique et anti-bureaucratique ! La nature de l’investissement doit permettre à plus d’êtres humains de vivre ensemble. Pour cela, il faut produire plus avec moins  : appliquer le principe de moindre action pour accroître la productivité par être humain, par unité de surface et par unité de matière incorporée. La densité technologique et de flux d’énergie apportée par l’application de découvertes humaines de principes physiques nouveaux est ce qui permet de peupler et de développer l’univers. Dans cette approche, l’être humain n’est pas un prédateur de la nature, mais une force qui accompagne et précède son action. Le bio-géochimiste russe Vladimir Vernadski constate ainsi que le domaine de la noosphère, celui de la pensée humaine, oriente progressivement l’évolution de la biosphère, le domaine du vivant, la responsabilité des conséquences de cette évolution incombant à une humanité plus avancée, maîtrisant les conséquences de ses actes. L’humanité deviendrait alors une véritable force géologique propre à sa nature même, et trahir cette force reviendrait à enclencher un recul destructeur tant pour l’homme que pour la nature. Pour le dire plus simplement, l’économie future, pour servir le bien commun, devra être une économie appliquant les facultés créatrices de l’homme, une société de chercheurs et de découvreurs. Sans cette application, les êtres humains se condamneraient à se battre dans une guerre permanente pour s’emparer de ressources limitées. C’est seulement en considérant qu’il n’y a pas de limites à la croissance qu’ils peuvent exercer leurs facultés et vivre dans un univers pacifié par leur développement mutuel.

Je suis ici en complète opposition à un écologisme dévoyé pour qui il ne peut y avoir de croissance infinie dans un monde de ressources finies. Ce faux écologisme (il y a un faux écologisme comme il y a de la fausse monnaie) non seulement ne prend pas en compte la capacité humaine de créer de nouvelles ressources, mais voit en l’homme un prédateur des ressources existantes. Les prédateurs financiers, eux, se réjouissent de ce fardeau mis sur le dos de l’homme, ce qui les exonère de leur culpabilité. Un écologisme mesurant réellement ce qu’a été l’histoire de notre planète y voit au contraire l’accroissement de la puissance du vivant et du pensant, une continuité en puissance, scandée de temps de discontinuités dues à de grands cataclysmes, dont l’extinction des dinosaures est le plus connu. L’avenir de l’homme se mesurera à sa capacité à surmonter ces défis, non en diminuant son action sur l’univers mais en l’accroissant à des niveaux qualitatifs et de responsabilité supérieurs.

Dans cette optique, le nucléaire n’est pas une technique en soi mais l’application dynamique d’un principe universel. La fusion thermonucléaire contrôlée en est la prochaine étape, dont on connaît la possibilité théorique. Il reste à l’homme à l’exploiter en pratique, cette tentative de maîtriser un principe et de l’appliquer s’inscrivant dans sa nature même. Il y aura bien entendu d’autres possibilités au-delà, comme les rapports matière-antimatière qui restent des domaines passionnants à explorer, comme peut l’être l’espace extraterrestre dans le monde physique.

A l’écologisme dévoyé qui croit pouvoir trouver une issue dans le passé, dans des formes moins productives d’action dans l’univers, allant ainsi à rebours, donc à sa perte faute de capacité anticipatrice, j’oppose l’explorateur, agissant non pour sa propre gloire ou celle de son groupe de référence, mais porté par son principe social d’humanité. Bien évidemment, je m’oppose ainsi au pessimisme culturel sur la nature humaine, partagé par les financiers exploiteurs d’un monde fini et les écologistes dévoyés, qui pensent s’y installer pour survivre tout en condamnant à leur perte leurs successeurs et, avant cela, les pays les moins pourvus de la planète, où la décarbonisation et la dénucléarisation conduiraient à la mort des centaines de millions de leurs habitants, faute d’énergie et de ressources pour vivre.

Sur ce point, le prince Philip d’Edimbourg, qui a affirmé espérer renaître sous la forme d’un virus tueur afin de réduire la population de la planète, ou les adeptes du Club de Rome, pour qui l’humanité est comme un cancer dont il faut arrêter les métastases, sont plus cohérents dans leur logique criminelle que ces soi-disants écologistes qui pensent trouver refuge dans une nature épargnée, sans savoir à quoi elle correspond « pour de vrai ». Tous partagent la croyance qu’on peut trouver des issues qui ramènent au passé. Il n’en est rien. Le seul développement durable est celui de la créativité humaine et de ses réalisations, toujours renouvelées et porteuses de plus de capacité d’accueil que les précédentes.

Ainsi, la fameuse injonction de la sagesse juive, « Reçois tout homme avec un beau visage », qui dépend des applications concrètes de nos capacités créatrices pour l’avantage d’autrui, correspond à notre propre intérêt. Notre assistance aux pays dépourvus de réseaux sanitaires leur permettant de lutter contre la pandémie actuelle, est non seulement nécessaire pour des raisons humanitaires, mais elle correspond à notre intérêt en tant que pays « développés ». En effet, un réservoir de misère dans ces pays (à partir des bidonvilles, camps de regroupement...) constituerait un point de propagation de l’épidémie qui se transmettrait fatalement chez nous. Le coronavirus est mondial et ne connaît pas de frontières. Le continent africain, l’Indonésie, l’Inde et les pays latino-américains les plus pauvres doivent donc constituer les priorités d’un Nouveau Bretton Woods, en leur communiquant les technologies disponibles les plus avancées. Le bond de la Chine au XXIe siècle est bien entendu l’exemple qui s’impose. La conception des Nouvelles Routes de la soie, la méthode pour en transmettre l’élan.
L’argument suivant lequel la mobilisation contre la pandémie actuelle détourne des efforts menés contre d’autres pandémies, pour l’instant plus mortelles, est faux dans sa conception même. Car il ne prend pas en compte les morts que risque de causer le Covid-19 et oppose, comme s’il s’agissait de domaines statistiques différents, des combats de même nature. C’est en effet à une mobilisation anti-pandémique d’ensemble que nous appelons ici. La mobilisation contre le coronavirus et celles contre le choléra, le paludisme et la malaria, le sida, les hépatites B et C et la tuberculose, parmi les principales, forment un tout de politique sanitaire. A ce cocktail mortel nous opposons un cocktail vital, une vraie politique du respect de la vie contre la pandémie financière, la plus grave de toutes et à terme la plus mortelle.

Nous devons d’abord répondre au communiqué conjoint publié par les directeurs généraux de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) appelant à une coopération internationale urgente pour assurer la sécurité alimentaire, c’est-à-dire le droit d’accès à la nourriture pour tous. La déclaration de Rome des chefs d’Etat, à l’occasion du sommet mondial pour l’alimentation de 1996, appelait déjà à une mobilisation pour la sécurité alimentaire mondiale. Nous devons aujourd’hui effacer la honte que si peu ait été fait depuis et constituer systématiquement des stocks d’urgence pour bloquer les spéculations sur ce qui est le plus nécessaire à la vie humaine. Nous devons en même temps élaborer et mettre en place un plan d’industrialisation de l’Afrique, au sein duquel la France doit jouer un rôle fondamental, en raison de ses responsabilités historiques et en s’associant avec toutes les parties prenantes : Chine, Turquie, Etats-Unis, etc.

A ceux qui dénoncent un monde « où chacun y va de son utopie » chaque fois que leur confort se trouve menacé et qui ne cessent de répéter qu’il n’y a pas d’argent, nous demandons de considérer sérieusement un monde où les liquidités coulent à flots. La Réserve fédérale américaine (FED) vient d’abolir pratiquement tout risque financier, spéculateurs en tête, en promettant qu’aucune entreprise, aucune municipalité, aucun emprunteur insolvable américain et bien entendu aucun banquier, ne pourrait faire faillite dans un avenir prévisible (2 mois, 6 mois, 1 an… on ne sait pas encore). Son plan de soutien tous azimuts à l’économie américaine s’élève à 2 300 milliards de dollars et elle se propose de racheter tous les actifs, même les plus pourris (les High Yield) jusqu’à ce que la pandémie « permette une reprise d’activité normale ». Une somme de 4000 milliards de dollars ayant déjà été auparavant prévue, c’est un véritable torrent de dollars électroniques qui iront se déverser dans les circuits financiers de Wall Street et de la City !

Il est honteux, criminel et économiquement absurde que l’on n’ait pu trouver un peu moins de 200 millions de dollars pour combattre le fléau des criquets qui s’étend à partir de l’Asie du Sud-ouest et de la Corne de l’Afrique. Il est honteux, criminel et économiquement absurde qu’on ait si longtemps prétendu qu’il n’y avait pas d’argent, ni pour les Etats africains ni pour nos hôpitaux publics. Les choses sont aujourd’hui exposées en pleine lumière, c’est donc le moment que s’impose une volonté politique. Il serait honteux, criminel et économiquement absurde de ne pas agir maintenant que nous ne pouvons plus ignorer ce qui se passe. « Savaient ou devaient savoir », c’est ainsi que s’est exprimé Justice Jackson, le Procureur général américain au Tribunal de Nuremberg.

Une conception de la culture visant constamment à éveiller les capacités créatrices de chacun doit porter la mission politique dont j’ai tenté ici d’esquisser les pistes. Il est difficile, voire impossible, de décrire ce qu’est cette conception. Un quatuor de Beethoven, la cathédrale de Chartres, un dialogue de Platon ou un tableau de Rembrandt , ou encore un beau poème, en témoignent par eux-mêmes. On ne peut ramener dans un univers défini ce qui s’exprime par une pensée métaphorique, communiquant ce qu’elle est à sa source. Cependant, il est plus facile de dire ce qu’elle n’est pas : une combinaison d’images ou de sons qui s’adressent à nos impulsions immédiates, sans arrière-plan intellectif. C’est la sous-culture dite contemporaine dont on nous inonde, créant un environnement pulsionnel et répétitif de rythmes et de couleurs, parfois avec talent mais sans direction, comme une world music qui synthétise des apports divers sans motif directeur. La pensée ne pouvant se fixer sur le déroulement d’une composition, elle se trouve réduite à une somme d’impressions. A partir de là, on se trouve abandonné aux perceptions de ses sens ou aux divagations de son esprit. C’est cette sous-culture-là qu’un Aldous Huxley recommande, dans son Meilleur des mondes, pour gérer un Etat totalitaire sans autre issue que les manifestations des sens des individus qui le composent. Le soma, une drogue disponible pour tous, entretient ce monde lui-même sans issue. L’on reconnaîtra aujourd’hui la place qu’ont pris les drogues dans notre univers, non seulement les physiques, mais la drogue de toutes les drogues, la possession addictive d’argent, qui fournit l’illusion de pouvoirs et de possessions, devenu pur fantasme électronique sans pièces ni billets. Il devrait donc être clair que nous devons retrouver, sans plagiat ni pastiche, la source de l’accès à nos capacités créatrices, sans quoi elles ne pourront s’exercer dans la société. Non pour une utilisation pratique mais pour inspirer en nous de ce qui est le plus humain.

Revenons, après ce détour nécessaire par la question fondamentale de la culture, qui doit inspirer le changement de paradigme, à celle du pouvoir, le contrôle citoyen de la monnaie et du crédit. Les deux sont évidemment liés : le contrôle ne pourra s’exercer pour le bien commun que si la culture inspire le citoyen qui contrôle. Un ouvrage de François Morin, Quand la gauche essayait encore, le récit inédit des nationalisations de 1981 et quelques leçons que l’on peut en tirer, est passionnant à double titre : par ce qu’il dit avec une compréhension très juste de l’enjeu essentiel, et par ce qu’il ne dit pas sur le sous-jacent de cet enjeu.

Les nationalisations, définies dans le discours de politique générale de Pierre Mauroy (8 juillet 1981) sur le renforcement et l’extension du secteur public, ont été conçues au sein d’un système politique donné, et non dans leur organisation des rapports de production. Plus clairement, elles ont été organisées comme un dossier juridique ou un instrument de pouvoir et non comme une organisation de la participation citoyenne. François Morin le dit très bien, depuis plusieurs angles et à plusieurs reprises : l’enjeu était l’organisation des pouvoirs dans l’entreprise, aussi bien publique que privée. Dans les entreprises nationalisées, le pouvoir est ainsi passé de dirigeants du privé, venant pratiquement tous du même milieu social, à des dirigeants du public plus ou moins cousins germains du même milieu. On n’a donc pas procédé à une véritable nationalisation, portant à la fois une réorganisation des forces productives et des rapports de production, mais à une étatisation entre gens du même monde. En clair, un échange de responsables formés à administrer et non à créer, et sans contrôle citoyen. Morin remarque justement que « le bilan de l’expérience des nationalisations nous amène à réfléchir en profondeur au poids de la représentation salariale dans les organes de gouvernement et de direction des entreprises ». La « codétermination à parité » lui paraît très probablement « l’élément central qui devrait permettre, là aussi, de passer un pas décisif et, par conséquent, de vraiment changer les logiques de nos systèmes économiques ». C’est en effet, dans toute son ampleur, la question de la participation : y répondre est le défi, bien plus aujourd’hui qu’alors. Cette participation se pose à plusieurs niveaux, tant dans le domaine de la participation électorale que du financement des partis politiques.

Quand Julia Cagé, dans Le prix de la démocratie, après avoir examiné les résultats de toutes les élections législatives depuis 1993 et des municipales depuis 1995, constate que ce sont invariablement les partis ou les candidats les plus riches qui l’emportent, le problème est bien posé. La vie démocratique est de plus en plus prise en otage non seulement par des intérêts privés, mais par des hommes et des femmes issus de milieux semblables à ceux contrôlant les entreprises. Ici s’impose donc une réflexion sur la participation dans tous les secteurs de pouvoir de notre société, pour rendre ces pouvoirs aux citoyens qui, seuls, peuvent garantir que les choix économiques seront faits en faveur de l’intérêt général et de leurs propres intérêts, et non de ceux d’une classe gérant ses richesses accaparatrices, comme on disait au XIXe siècle.

Il faut cependant aller plus loin que ne le fait Morin. Ici nous touchons à nouveau au domaine de la culture.De même qu’à partir de 1983, François Mitterrand et son gouvernement se sont adaptés à un monde dominé par l’idéologie financière néo-libérale en se soumettant à la domination de la City, de Wall Street et des gouvernements anglais et américain, ils se sont également et habilement insérés dans le moule de la culture à la mode. Jack Lang fut bien entendu le personnage clef dans cette affaire, dévoyant ce qui restait d’une culture de gauche populaire en une sous-culture amorale du flash, de l’apparence et des perceptions immédiates. Le petit monde de la culture parisienne a ainsi plus ou moins contaminé, ou du moins dérouté, le reste de la France, avec une réaction se réfugiant, elle, dans le folklorique et le local, pour constituer l’autre branche de la perte de repères créateurs. Nous en sommes toujours là, et le défi d’une vraie culture de la vie et de la découverte pour notre temps reste plus que jamais à relever.

Conclusion : le fil du futur

Comme je viens d’écrire ce texte, en ce Vendredi saint, chacun essaye de s’emparer d’un monde d’après, mais sans autres repères que réactifs par rapport à celui où nous sommes confinés. Beaucoup de paroles, parfois bien dites, et peu de substance humaine.

Edouard Philippe et Emmanuel Macron consultent les présidents des groupes parlementaires et les chefs de parti, pour « faire le point, être à l’écoute et échanger ». Bref, tous ceux qui n’ont pas su prévoir et anticiper s’efforcent de gérer. L’intuition de la nécessité d’une rupture est partagée, mais sans l’intuition créatrice et l’empathie pour le salut du genre humain indispensables pour ouvrir les portes de leur monde d’après.

Je me suis efforcé ici d’apporter ma pierre, convaincu qu’un boxeur qui a reçu beaucoup de coups est le mieux à même de les rendre, en améliorant son jeu. J’entends les applaudissements de la ville adressés à nos soignants. Il est huit heures du soir et j’espère pouvoir contribuer à une réponse plus cohérente à ce qui est latent dans ce monde, exprimé par les mains qui se heurtent et se nouent.