Glass-Steagall Act : comment Roosevelt remit Wall Street à sa place

mercredi 8 octobre 2008

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Ce texte a été rédigé sur la base d’un article américain de 1999, lui-même publié à un moment crucial : quand fut abrogée la loi Glass-Steagall de Roosevelt par le Congrès américain aux Etats-Unis (via la loi Gramm-Leach-Bliley « de modernisation des finances »). Cela contribua activement à créer les conditions de la crise financière et économique actuelle.

L’article américain a été écrit sous la plume de Richard Freeman et est paru le 24 décembre 1999 dans l’Executive Intelligence Review (EIR), l’hebdomadaire international dirigé par Lyndon LaRouche.

1933. La loi Glass-Steagall promulguée par Roosevelt

16 juin 1933. Le président américain Franklin D. Roosevelt signe la loi dite Glass-Steagall, après son adoption par la Chambre des représentants à 262 voix contre 19, et par le Sénat, par acclamation. L’esprit de cette loi se résume à l’affirmation de la souveraineté nationale : une nation a le droit et l’obligation d’exercer un contrôle sur ses affaires économiques et monétaires, en les mettant au service de l’intérêt général et des générations futures, et à l’abri de la domination d’une oligarchie financière.

La loi Glass-Steagall figure parmi différentes mesures prises à l’époque pour mettre un terme aux aspects les plus insensés de la spéculation financière et de certaines activités économiques délictuelles ayant conduit au krach boursier du « jeudi noir » d’octobre 1929. Après son adoption, et pendant soixante-six ans, les financiers les plus rapaces dépensèrent des milliards de dollars pour faire sauter ce dispositif légal.

La loi Glass-Steagall établit une incompatibilité rigoureuse entre les métiers de banque de dépôts (commercial banking) et de banque d’affaires (investment banking). Elle interdit à toute banque de dépôts de posséder une banque d’affaires ou d’acheter, de vendre ou de souscrire à des titres financiers, domaine réservé aux banques d’affaires. A l’inverse, il est interdit aux banques d’affaires d’accepter les dépôts de simples clients, ce qui relève exclusivement des banques de dépôts.

Glass-Steagall pour protéger les dépôts

Voyons la genèse de cette législation. Le 4 mars 1933, Franklin Roosevelt prête serment en tant que Président des Etats-Unis. Immédiatement, le Congrès se réunit en session spéciale. Le caractère douteux de certaines pratiques bancaires était déjà relativement connu, mais le scandale est étalé devant l’opinion publique à travers la médiatisation des auditions de la commission Fletcher-Pecora. Le sénateur démocrate de Floride, Duncan Fletcher, préside les auditions de la commission des Affaires bancaires et monétaires, dont le conseiller principal est Ferdinand Pecora. Ce dernier mène les enquêtes et interroge les témoins. Les conclusions de leur enquête sont publiées en une série de rapports intitulés Stock Exchange Practices, datés de 1932 et 1933.

Les investigations en question s’intéressent surtout aux activités de la banque d’affaires new-yorkaise Goldman Sachs, mettant en lumière le danger évident que pose une situation dans laquelle une seule institution financière mêle une activité de banques de dépôts, de banque d’affaires/courtage et de compagnie d’assurance.

Mettre un terme à cette combinaison explosive est le but de la loi Glass-Steagall, officiellement dénommée le Banking Act de 1933, mais plus connue par les noms des deux élus qui l’ont présentée, le sénateur démocrate de Virginie Carter Glass, membre de la Commission bancaire du Sénat, et le démocrate de l’Alaska, Henry Steagall, président de la Commission bancaire de la Chambre.

Comme nous l’avons vu, le texte stipule qu’aucune institution financière ou holding financier n’a le droit de cumuler les activités de banque de dépôt et de banque d’affaires. Les articles 16 et 21 précisent qu’aucune banque commerciale n’est autorisée à s’engager dans « l’émission, la souscription, la vente, la distribution, en gros ou en détail, à titre individuel ou à travers une action commune, d’actions, d’obligations, de certificats, de bons ou d’autres titres ». (Seule exception : les banques de dépôts sont autorisées à souscrire des bons du Trésor américain.) Car cette activité relève d’une banque d’affaires. Au nom des mêmes principes, aucune banque d’affaires n’est autorisée à ouvrir des comptes clients, domaine réservé aux banques de dépôt. En plus, ni une banque d’affaires, ni une banque de dépôts, n’ont le droit de posséder une société d’assurance.

Les banquiers ont compris qu’une part importante du cycle de profits des années 1920 serait tarie. W.C. Potter, de la banque Guaranty Trust (appartenant à la maison Morgan), clama que ce projet de loi était la chose « la plus désastreuse » qu’il ait jamais entendue. L’American Bankers Association, l’association américaine des banquiers, s’y opposait jusqu’à son dernier souffle, selon son président.

Le texte comporte un autre dispositif fort utile : la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC), le fonds fédéral de garantie des dépôts bancaires. Pour la première fois dans l’histoire des Etats-Unis, l’Etat fédéral garantit les dépôts bancaires individuels jusqu’à une certaine hauteur. A partir du 1er juillet 1934, tout dépôt inférieur à 10 000 dollars est intégralement assuré par l’Etat. Si le montant se chiffre entre 10 000 et 50 000, l’Etat ne garantit que 75% et au-delà, la garantie ne couvre plus que 50%.

Afin de mettre un terme aux pratiques frauduleuses des années 1920, la loi interdit aussi à toute institution financière d’accorder un emprunt à ses propres mandataires.

Comme nous l’avons indiqué, la loi Glass-Steagall faisait partie d’un dispositif plus vaste comprenant :

  • la loi sur la transparence (Truth-in-Securities Act) de mai 1933, qui exige de rendre publique toute création de titres en fournissant des informations complètes et exactes. Le non respect de cette disposition entraîne de fortes amendes.
  • la loi sur la création d’une autorité des marchés par la Securities Exchange Act (juin 1934), instaurant la Securities and Exchange Commission (SEC) en charge de surveiller et de réguler le marché des titres. Le délit d’initié et la manipulation des cours furent strictement punis.

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L’empire financier contre-attaque

La loi Glass-Steagall touchait un nerf sensible de l’oligarchie, qui a cherché depuis lors à en réduire la portée. Un grand pas dans ce sens a été franchi en octobre 1982, avec l’adoption de la loi Garn-St-Germain, ouvrant la voie à la dérégulation de tout le système bancaire américain.

Sans toucher à Glass-Steagall directement, mais en éliminant les plafonds sur les taux usuriers, cette loi permit d’en diluer l’application et d’introduire la dérégulation. Elle permit notamment aux caisses d’épargne d’élargir leur champ d’activités bancaires et d’investissement, sans régulation. De pair avec la politique de taux d’intérêt très élevé, imposée par le président de la Réserve fédérale, Paul Volcker, en octobre 1979, cette nouvelle loi précipite les caisses d’épargne américaines dans la crise qui allait frapper de plein fouet quelques années plus tard.

En pratique, la loi Garn-St-Germain réoriente toute l’économie américaine vers la spéculation, aux dépens de l’industrie manufacturière et de l’agriculture, affaiblissant à la fois le système financier et l’économie dans son ensemble.

Ensuite, en 1985 et 1986, la haute autorité en charge de la monnaie (Comptroller of the Currency) se livre à une lecture sophiste de la loi Glass-Steagall pour autoriser les banques nationales à se procurer et à vendre des fonds d’investissement (mutual funds). En 1987, l’autorité estime qu’une banque peut offrir à ses clients, par l’intermédiaire d’une filiale, des produits et du conseil de courtage.

En avril 1987, le Conseil des gouverneurs de la Réserve fédérale réinterprète une disposition de la loi Glass-Steagall, pour affirmer que les banques de dépôts peuvent se livrer à certaines activités de banques d’affaires, si elles s’effectuent par le biais d’une filiale et si les revenus de ces activités restent marginaux, ne dépassant pas 5% de leurs bénéfices.

En avril 1998, Citicorp, une banque de dépôts, fait un pied de nez à la loi Glass Steagall en fusionnant avec Travelers Salomon Smith Barney. Travelers est une compagnie d’assurance et Salomon Smith Barney une banque d’affaires.

Enfin, la loi sur la « modernisation financière » (1999) (loi Gramm-Leach-Bliley) offre sur un plateau d’argent un pouvoir spéculatif faramineux à une petite vingtaine d’institutions. De concert avec la Réserve fédérale, elles font la loi.

Aujourd’hui, on en déguste les conséquences.

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