ENTRETIEN (II/II)

Jean-Claude Gayssot : mettre l’innovation au cœur de la croissance durable

lundi 28 septembre 2020, par Karel Vereycken

Port de Sète.
Jean-Claude Gayssot

Pour la rédaction de Nouvelle Solidarité, Karel Vereycken et Christine Bierre se sont entretenus début août avec Jean-Claude Gayssot, ancien ministre des Transports, de l’Équipement et du Logement (1997-2002) et actuellement président du Port de Sète - Sud de France.

Depuis 2018, il préside l’agence de développement MedLink Ports, premier ensemble fluvio-portuaire de France mettant en réseau l’action de Voies Navigables de France (VNF), la Compagnie du Rhône (CNR) avec celle de 2 ports maritimes (Marseille et Sète) et 8 ports multimodaux du bassin Rhône-Saône : Pagny, Chalon, Mâcon, Villefranche-sur-Saône, Lyon, Vienne Sud/Salaise-Sablons, Avignon-le Pontet et Arles.

Ancien manœuvre dans le bâtiment, cheminot, militant syndical CGT, responsable communiste, conseiller municipal, maire, député, puis ministre et vice-président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon, Jean-Claude Gayssot, surtout connu pour la loi qui porte son nom visant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, a milité toute sa vie pour la justice. Le développement de l’intermodalité reste au cœur de son combat.

Dans la première partie de notre entretien, il a souligné que son combat pour le ferroviaire et pour le report modal découlait de sa vision d’un « type nouveau de croissance ».

S’inscrivant en faux aussi bien contre un productivisme prédateur que contre une décroissance conduisant à « l’aggravation des injustices qui assaillent les peuples », il précise ici sa vision d’une « croissance durable » et sa mise en œuvre au Port de Sète.

Jean-Claude Gayssot : En effet, on ne peut parler de transition énergétique, écologique, sociale et citoyenne, sans s’appuyer sur les forces du travail et de la création. L’innovation en fait partie intégrante. C’est même devenu un enjeu essentiel.

La crise globale que nous traversons ne trouvera pas d’issue réelle sans de profondes évolutions dans tous les domaines. L’innovation technologique pour la mobilité des marchandises, des personnes et des services est centrale. Le dérèglement climatique en montre l’urgence. Moins de gaz à effet de serre, moins d’énergies inutiles dépensées, moins de déchets plastiques, moins de pollution de l’eau et de l’air, y compris avec la réduction significative des émissions d’oxydes de soufre (SOx) et des polluants atmosphériques émis par les navires. [1]

Les ports, le littoral, l’hinterland, les océans sont les premiers concernés par ces notions incontournables : le développement durable et l’innovation. Innover pour lutter contre toutes les formes de pollution, pour préserver la nature et la qualité de la vie.

Cela suppose, je le répète, que les choix stratégiques soient pour une croissance d’un type nouveau, fondés sur un guide majeur, « l’utile et le nécessaire ».

Port de Sète

Au Port de Sète, tous les investissements réalisés ou prévus depuis 10 ans visent à réussir le challenge du développement durable avec l’innovation. Comme moteur de la réussite, plusieurs centaines de millions d’euros ont été investis par la Région et le Port, pour le public, et par les partenaires privés, pour aller dans ce sens.

Nous avons obtenu la certification ISO pour les trois ports (commerce, pêche, plaisance) et la certification européenne (CWA Port propre) pour le port de plaisance.

  • 4 hectares de panneaux photovoltaïques ont été installés. Ils produiront deux fois et demie la consommation annuelle du port sur l’ensemble de ses trois sites (commerce, pêche, plaisance) ;
  • Le parc véhicule a été renouvelé par une flotte électrique ;
  • Le Bassin Orsetti, proche de la ville de Sète, a été le premier à être équipé de branchements électriques à quai ;

Nous sommes engagés avec le Service qualité, sécurité et environnement pour l’objectif zéro plastique. Le port de Sète est le partenaire officiel de l’association Expédition 7ème continent. [2]

  • Nous avons également déplacé l’activité croisière pour éloigner du centre-ville les grands paquebots. Une nouvelle plateforme ferroviaire est en construction ;
  • Au Port de Sète, 10 000 camions par an sont transférés de la route sur le rail et notre objectif est d’atteindre les 40 000 en 2025 :
  • La station de pilotage va bientôt voir l’une de ses embarcations transformée. La propulsion thermique conventionnelle sera remplacée par la solution électrique. Cette innovation a été primée aux 8ème Assises du Port du futur.

Au niveau de la qualité de l’air et de l’eau, sans attendre les résultats d’études supplémentaires, le Port de Sète a instauré une tarification incitative pour les navires, selon leur indice environnemental ESI (Environmental Ship Index) et un contrôle de la qualité de l’eau dans les canaux s’effectue pour connaître le rôle du port dans le système écologique marin, afin de faire les choix les plus adaptés pour la préservation de la biodiversité marine.

Enfin, un agrandissement de 18 hectares de la zone portuaire grâce au projet du nouvel appontement pétrolier réalisé par BP. En réinjectant le sable provenant des dragages dans le casier de la Zone industrielle fluvio-maritime (ZIFMAR), on a pu éviter toute opération d’immersion en mer – l’économie circulaire en quelque sorte.

Sont planifiés :

  • l’électrification sur plusieurs quais ;
  • un Plan hydrogène vert, déjà engagé, sous l’impulsion de la présidente de la Région, Carole Delga. D’ores et déjà, 150M€ sont prévus par la Région ;
  • la construction d’une « barge énergie zéro émission et multiservices portuaires », fournissant à tout navire en escale puissance et énergie électrique, grâce à une pile à hydrogène « vert », ainsi que l’élimination des déchets de bord en toute sécurité et sans aucune émission polluante. Ce projet a été récompensé par deux fois aux dernières Assises du Port du futur à Lille, en septembre 2019. Il a aussi été un des lauréats officiels de l’appel à projets « Avenir littoral » et bénéficie d’une aide de 239 K€ !

Coopération inter-portuaire

Les ports maritimes et intérieurs membres de Medlink.

En lien avec le ministère, nous entendons développer la coopération inter-portuaire avec les autres ports de la Méditerranée. On le voit dans tous ces domaines, l’innovation est au cœur des évolutions, elle permet une croissance durable. C’est vrai pour tout ce qui concerne la mobilité des personnes et des marchandises.

L’électrification du réseau ferré français, les évolutions possibles et nécessaires concernant les moteurs à explosion, la motorisation avec les nouvelles technologies à hydrogène sont plus que jamais à l’ordre du jour.

Sans oublier les liens avec la communauté scientifique pour développer des projets innovants. C’est ainsi que le Port de Sète, en lien avec le Centre spatial universitaire de Montpellier, participe à un projet de nano-satellites destinés à anticiper les épisodes cévenoles (pluies violentes et inondations).

Partout où nous agissons, nous avons la possibilité et le devoir d’agir en faveur du développement durable.

Mais il ne s’agit pas d’être les seuls : c’est à l’échelle du pays, de l’Europe et du monde que le combat doit être mené. Du pays, avec les collectivités locales, pour que les finances publiques concernant les investissements et le fonctionnement privilégient la dépense utile et nécessaire. A l’échelle de l’Europe ? Ce n’est ni de moins ni de « plus d’Europe », mais de « mieux d’Europe » qu’il faudrait. C’est une réorientation réelle de sa construction, faisant de l’harmonisation sociale et du développement durable la clef de voûte de ses choix. Une Europe qui ne laisse pas les États-Unis et la Chine décider du sort de la planète.

En ce qui concerne les différents types d’Europe, outre les énergies renouvelables (eau, soleil et vent) et avec elles, outre l’hydrogène, le nucléaire peut être une solution, avec notamment la perspective à l’étude pour substituer à la fission la fusion nucléaire, qui élimine le polluant des déchets. En tout cas, tout doit être fait pour sortir de la tentation du « tout nucléaire ». Je me méfie de tous les « tout ». Je suis pour les TGV mais j’ai combattu le « tout TGV ». Je suis contre le « tout routier » mais on a aussi besoin de camions. C’est pourquoi l’intermodalité et le transport combiné me paraissent les solutions d’avenir.


[1Précision de kav : un article publié en 2018 par les Décodeurs du Monde relatait que « Les cargos et porte-conteneurs utilisent l’un des carburants les plus sales au monde, un résidu visqueux du pétrole, lourd et difficile à brûler. Ce pétrole « bunker » est ce qui reste une fois que les autres produits pétroliers – essence, naphta ou encore diesel – plus légers, ont été raffinés. Seul l’asphalte utilisé pour les routes est plus épais. (...) la pollution d’un seul cargo équivaut à environ 50 millions de voitures dans les cas où la teneur en soufre est encore de 3,5 %, une pollution tolérée dans des zones de plus en plus limitées et amenées à disparaître d’ici deux ans. »

[2Expédition 7ème Continent est une association à but non lucratif qui, en vue de réduire la pollution plastique, œuvre pour un océan préservé en combinant des savoir-faire scientifiques, pédagogiques, médiatiques structurés autour d’un engagement commun par l’action et les solutions.