Petite histoire des pandémies « oubliées » du XXe siècle

lundi 1er mars 2021, par Agnès Farkas

[sommaire]

Notre époque obsédée par l’instantanéité est myope. Elle croit avoir tout inventé et être l’aboutissement de tout et elle regarde le passé d’un œil au mieux condescendant.
(Jean Dion, journaliste et chroniqueur sportif québécois.)

Depuis la découverte du SARS-CoV-2, la gestion de la crise épidémique est au cœur de toutes les discussions, des instances du pouvoir ou du milieu scientifique jusqu’à une population noyée dans un flot d’information continue et contradictoire, médiatisée à outrance, tant par la presse officielle que par les réseaux sociaux.

Qui croire ? La vision au jour le jour de la situation suffit-elle à l’analyser ? Prendre de la hauteur, du recul face aux événements porterait sans doute les autorités et tout un chacun à mieux gérer cette situation historique.

Ces attaques épidémiques, il faut bien le dire, non seulement les autorités ne les ont pas vues venir, mais elles n’ont pas compris immédiatement leur gravité et leur impact de morbidité. Encore aujourd’hui, nous ne connaissons pas le nombre réel de décès et de contaminations dans le monde dus à ces pandémies.

Aussi devons-nous approfondir nos connaissances sur la gestion politique, économique et médicale des pandémies du XXe siècle.

Cet approfondissement nous aidera à ne pas reproduire les erreurs du passé et nous donnera les moyens d’affronter les crises du XXIe. De plus, nous pourrons employer à bon escient tous les moyens économiques et scientifiques pour mieux les éviter.

Cet article évoque la montée des trois grandes pandémies grippales du 20e siècle (dont deux quasi oubliées), qui sont des exemples éclairants, ainsi que la découverte du coronavirus et des épidémies identifiées grâce à cette découverte.

Je soumets ici une réflexion d’historienne, sans prétention, en espérant éclairer un tant soit peu la situation de crise pandémique actuelle.


Préambule : « Le poumon, vous dis-je. »

Poumons d’un homme atteint de COVID-19.

Juste un mot, pour savoir de quoi on parle et mieux distinguer les différentes formes d’attaques virales pulmonaires.

Les pneumopathies infectieuses ont des sources très diversifiées.

Sans entrer dans les détails, disons qu’elles peuvent être provoquées principalement par des bactéries (Pneumocoque ou Streptococcus pneumoniae), des germes dits atypiques comme par exemple l’Haemophilus influenzae (rien à voir avec le virus de la grippe) et la Legionella pneumophilia ou la coqueluche, qui peut également induire des pneumopathies très invalidantes, et plus rarement, par des champignons (pneumocytose) ou des parasites (microsporidioses). Elles peuvent aussi avoir une origine virale (grippe, coronavirus, varicelle, rougeole…).

« Il peut être difficile de dissocier une grippe de la Covid-19 ou d’une infection à rhinovirus (responsable de ce qu’on appelle communément le rhume) sur la base d’un simple diagnostic clinique », précise Sylvie Behillil, responsable adjointe du Centre national de la recherche des virus respiratoires à l’Institut Pasteur.

« Chacune de ces maladies est liée à un virus spécifique :

  • La grippe est liée au virus influenza de type A ou B (famille des Orthomyxoviridae) ;
  • La Covid-19 est liée au nouveau coronavirus SARS-CoV-2 (famille des coronavirus, Coronaviridae) ;
  • Le rhume (rhinopharyngite) est généralement lié à un rhinovirus (famille des picornavirus), dont il existe des centaines de variantes, et qui reste cantonné au niveau du nez et de la gorge. Ils circulent plus ou moins toute l’année, notamment en septembre/octobre, avant les épidémies de grippe et de virus respiratoire syncytial (VRS). »

Ces épisodes infectieux sont nombreux et pas encore tous connus. Nous allons nous intéresser à ceux qui ont marqué les grands épisodes épidémiques du 20e et début du 21e siècle : les virus de la grippe et des coronavirus.

1. Les virus de la grippe

Édition du 12 janvier 1890 du magazine satirique parisien Le Grelot, qui dépeint une malheureuse victime de la grippe renversée par un défilé de médecins, droguistes, squelettes musiciens et danseuses représentant la quinine et l’antipyrine.

a. Le premier Sras moderne : l’influenza de 1889-1890

Les épidémies de grippe ne sont pas un phénomène nouveau, elles sont reconnues depuis le 9e siècle et on en compte, depuis cette époque, deux à trois par siècle.

Parmi celles-ci, trois grandes épidémies de grippe aviaire traverseront le 19e siècle : les deux premières, en 1830 et en 1847-1848, et la « grippe russe » de 1889-1890. Cette dernière serait, en réalité, due à un coronavirus (voir chapitre suivant). Ce virus gardera le nom d’influenza que lui donneront les autorités espagnoles.

En février 1916, le corps médical militaire à Marseille observe une « épidémie spéciale de pneumococcie » qui « a éclaté chez les travailleurs annamites avec une gravité considérable », tuant un malade sur deux. Les médecins songent à « un mal étranger qui ne peut atteindre la race blanche ». Sans le savoir, ils ont sous les yeux le tableau clinique de ce qui deviendra la grippe espagnole. (Archives du Service de santé des armées, au Val-de-Grâce.)

En 1918, 30 ans après la naissance de l’Institut Pasteur, un jeune médecin biologiste, René Dujarric, invente une technique de filtration qui lui permet d’identifier le virus de la grippe. Malheureusement, malgré cette découverte, aucune mesure n’est prise et une première vague épidémique, masquée par l’offensive allemande, se répand à travers la France entière. L’explosion épidémique a lieu entre septembre et novembre 2018.

Sans être une constante, lors de crise majeure, les autorités politiques tergiversent à prendre le contrôle de l’épidémie en cours alors que le milieu de la recherche scientifique a déjà, non seulement donné l’alerte, mais mis en œuvre les découvertes majeures pour faire face à l’épidémie. Et comme nous le verrons plus loin, la presse relaie trop souvent les atermoiements de la classe dirigeante, semant la confusion dans la population, voire pire.

b. 1918, un virus « patriotique »

Le 6 juillet 1918, en pleine guerre, les lecteurs du Matin apprennent l’existence d’une grippe patriotique :

En France, affirmait le chroniqueur, elle est bénigne ; nos troupes, en particulier, y résistent merveilleusement. Mais, de l’autre côté du front, les Boches semblent très touchés. Est-ce un symptôme de lassitude, de défaillance d’organismes dont la résistance s’épuise ? Quoi qu’il en soit, la grippe sévit en Allemagne avec intensité.

Autrement dit, les autorités gouvernementales, affairées à la victoire, n’ont pas voulu reconnaître immédiatement la virulence de l’épidémie de grippe H1N1.

Pourtant, la vie du pays est bouleversée et l’anxiété est croissante. On en appelle à la prophylaxie individuelle par le port du masque et collective par la fermeture des écoles, des cinémas et des théâtres. Médecins, pharmaciens, infirmiers et personnel hospitalier sont réquisitionnés. Les pharmacies sont prises d’assaut et la presse abonde de conseils obscurs : « A titre préventif, se soumettre à des fumigations d’essence d’anis, de girofle, d’eucalyptus, de menthol, de camphre. » (The Lancet) Les médecines alternatives restent une constante en période d’épidémie.

Ou encore, comme Claude Quétel l’explique pour le magazine L’Histoire : « Grippe espagnole : le tueur que l’on n’attendait pas. »

La peur engendre souvent des réactions irrationnelles au sein des populations et ouvre la voie à tous les excès, dont la recherche de remèdes farfelus :

Vaccins et sérums improbables voient le jour. Le rhum, qui est venu très vite à manquer, ne se vend plus qu’en pharmacie et sur ordonnance. Les charlatans vantent leurs remèdes miracles. Ainsi, la Fluatine (fabriquée par un laboratoire phocéen) grâce à laquelle on est certain d’éviter ou d’enrayer la grippe espagnole et toutes les maladies épidémiques - choléra, peste, typhoïde, variole, rougeole, scarlatine, etc. 

Louis Pasteur et Claude Bernard en firent les frais, confrontés au manque de reconnaissance de la caste médicale de l’époque.

L’épidémie s’achève en août 1919, et malgré un taux de mortalité de « seulement » 2 à 4 %, après trois vagues successives, 400 000 morts sont estimés en France, dont la plupart sont décédés durant la deuxième vague de l’épidémie, entre septembre et novembre 1918. Au total, dans le monde, le virus A/H1N1 aurait tué 20 à 40 millions de personnes en 18 mois selon les premières estimations, mais de nouveaux calculs récents portent le nombre de décès entre 50 et 100 millions. Cette épidémie ayant sévi en pleine guerre, il est difficile de faire la part entre les victimes des combats et celles de la maladie, d’où la variabilité des chiffres. De plus le décompte des taux de contamination et de mortalité est souvent révisé à la hausse, tant il est difficile de faire une estimation comptable réelle sur le vif.

Ce virus grippal (H1N1), bien connu aujourd’hui, a subi un certain nombre de mutations depuis 1918, comme ceux de la grippe asiatique de 1957-1958 et de la grippe de Hong-Kong de 1968-1969, qui frappèrent le monde dans la première moitié du 20e siècle.

c. Les grippes asiatique et de Hong-Kong

La grippe asiatique (1957-58), due au virus A/H2N2, se caractérise par un nombre élevé de cas de contamination mais aussi par son faible taux de mortalité. Toute la population mondiale sera atteinte en 6 mois. Contrairement à la Covid-19, les personnes de plus de 70 ans sont peu touchées par le mal car elles ont développé une immunité dans l’épidémie précédente, alors que les jeunes sont plus souvent malades, faute d’avoir acquis cet avantage.

Le monde politique la qualifiera de « petit rhume », des paroles malencontreuses qui n’ont pas d’époque ; certaines personnalités ont ainsi donné à la nouvelle pandémie de coronavirus de 2020, le doux nom de « grippette ».

Pourtant, tout comme la Covid-19, les malades présentent un large spectre de gravité, allant d’une fièvre de trois jours sans complications jusqu’à la pneumonie mortelle. On déclare 10 000 morts en France et 1 à 4 millions dans le monde – 2 millions selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

C’est une estimation basse établie à partir des seuls décès grippaux, sans tenir compte des facteurs de co-morbidité (diabète, maladies cardiaques…). Dans une épidémie, les dégâts collatéraux ont une importance majeure qu’il ne faut pas sous-estimer car ils augmentent fortement l’impact de morbidité.

Quant à la grippe Hong-Kong (virus A/H3N2) apparue en 1968, elle tue un million de personnes dans le monde, dont 35 000 en France après deux mois d’épidémie (décembre 1969 et janvier 1970). Elle va atteindre rapidement les cinq continents mais passe pratiquement inaperçue, la presse en parle peu. Le premier pas de l’homme sur la Lune, la guerre du Vietnam et le mouvement hippie à Woodstock occupent largement l’actualité.

D’autres attaques grippales se produisent dans la seconde moitié du siècle et au début du 21e siècle, mais sans gravité, la surveillance épidémiologique nationale et internationale, les antibiotiques et la vaccination ayant réduit l’impact de morbidité des crises épidémiques grippales. Le respect de l’hygiène des mains et de la suffisance alimentaire est aussi fondamental. Les virus frappent souvent au sein des populations pauvres.

Notez bien que toutes ces attaques virales n’ont pas la même intensité. Les formes épidémiques peuvent être de courte durée, avec un fort facteur de morbidité et de létalité au quotidien, mais elles peuvent être tout aussi mortelles, si ce n’est plus, lorsque l’épidémie s’étale sur une durée beaucoup plus longue mais avec une intensité basse au jour le jour.

Pour exemple, évoquons à nouveau la grippe de Hong-Kong qui n’a duré que deux mois et a tué brutalement 1 million de personnes avant de s’éteindre, tandis que la grippe asiatique, qui la précédait de 10 ans et que l’on qualifie à son début de « petit rhume », a duré quasiment plus de deux ans et l’OMS estime, rappelons aussi, qu’elle a provoqué la mort de plus de 2 millions de personnes (15 000 estimées en France). Elle est la première pandémie de grippe à être suivie en temps réel par des laboratoires de virologie.

2. Vaccins : le temps de la découverte

a. Les premiers vaccins

Ernest Goodpasture.

Trouver la parade à des virus nouveaux, c’est-à-dire qui n’ont jamais contaminé d’être humain avant leur essor épidémique, ne se fait pas en un jour. L’exemple de la découverte du vaccin de la grippe et de son application au 20e siècle peut nous mettre sur la piste. Les souches de virus grippaux sont mutantes et le monde de la science médicale a souvent été pris au dépourvu face à une nouvelle pandémie.

En 1931, on observe une détresse respiratoire chez des poules. Un virus de la bronchite infectieuse aviaire est isolé en 1937 et en 1946, on découvre des agents infectieux produisant les mêmes pathologies sur les porcs et un « virus de l’hépatite murine » sur des souris en 1949.

La même année, le médecin américain Ernest Goodpasture (1886-1960) comprend l’origine virale – et non bactérienne – de la grippe et met au point une technique de culture virale ouvrant au développement des vaccins : il réussit à cultiver des virus dans l’œuf de poule embryonné. Ce qui va permettre à des chercheurs américains de développer les premiers vaccins inactivés, dont l’efficacité est déjà testée sur les animaux (basse-cour, animaux domestiques, etc.) mais pas encore sur l’homme.

Suite à l’hécatombe provoquée par la pandémie de grippe espagnole parmi les armées engagées dans la Première Guerre mondiale, les autorités militaires américaines encouragent le chercheur Jonas Salk (1914-1995), qui met au point le premier vaccin efficace contre la grippe à partir de la technique de Goodpasture. Il est utilisé pour protéger contre le H1N1 le Corps expéditionnaire américain en Europe en 1944-1945.

Pour faire face aux virus émergents, l’idée de créer un « comité de la grippe » est née aux Pays-Bas en 1947. L’année suivante, la Commission intérimaire chargée de la mise en place de l’OMS publie le premier document officiel du programme de coopération internationale pour la surveillance et l’évolution mondiale des virus de la grippe. Cette année-là, l’Institut Pasteur crée un laboratoire dédié à la grippe et prépare un vaccin sur cette technique.

Un centre mondial, basé à Londres, est chargé de collecter et de diffuser les informations recueillies dans des futurs centres nationaux (une sorte de musée des souches virales) et d’assurer le partage des souches, des connaissances et des informations épidémiologiques, selon les normes établies par l’OMS.

b. Réseaux de surveillance et coopération internationale

En 1953, Londres perd son exclusivité au profit d’un groupe international d’experts et les souches sont distribuées sur deux centres, ceux de Londres et de New York (Centre international pour les Amériques).

Pourtant, en 1954, si quelques laboratoires consultent les centres internationaux, malheureusement, aucun pays européen n’a mis en place de norme minimale sur la composition et l’innocuité des vaccins antigrippaux.

La conséquence est que les vaccins produits ne contiennent pas les souches en circulation (source OMS, 1954). Alors que les virus mutent rapidement, les laboratoires produisent un vaccin sur une souche déjà passée. Précisons que pour une certaine efficacité vaccinale sur la population, il faut tenir compte des mutations, rechercher la souche émergente en amont et la qualifier pour une préparation de référence de l’année.

En 1958, la pandémie est due à une souche grippale H2N2. Le deuxième Comité d’experts sur les maladies respiratoires d’origine virale est organisé par l’OMS à Stockholm (WHO, 1959). Les mesures de quarantaine mises en place dans plusieurs pays s’avèrent inefficaces et ne retardent que légèrement l’avancée de l’épidémie. De plus, les candidats vaccins n’ont pu être produits en quantité suffisante et les souches des nouveaux virus arrivent trop tard.

Dès lors, les laboratoires fabriquent un vaccin sur la base de cette souche de la grippe asiatique (H2N2), qui s’avère inopérante contre celle de la nouvelle pandémie (H3N2) qui apparaît en 1967 aux Etats-Unis (grippe de Hong-Kong).

Cette année-là, le Comité de standardisation biologique de l’OMS décide de mettre en place une réelle collaboration internationale afin d’établir un vaccin de référence annuel. La technique de production étant bien rodée, les Européens préparent un vaccin adapté qui devient alors bivalent (avec deux souches virales).

Il reste donc à faire chaque année le choix des souches pour assurer l’efficacité des programmes vaccinaux. En 1968, lors de la nouvelle pandémie de grippe, la rationalisation des vaccins est au cœur de la conférence de l’OMS à Atlanta. Elle est devenue déterminante pour les programmes de vaccination annuels après la pandémie de grippe de Hong-Kong. L’Europe, où l’épidémie ne débute qu’en 1969, est ainsi privilégiée car elle a accès au nouveau vaccin.

c. Les programmes de prévention contre les virus de la grippe

Après la pandémie de 1968, l’OMS prend alors conscience qu’il faut renforcer ses réseaux de surveillance de la grippe et les laboratoires pharmaceutiques, face à la possibilité de voir émerger une nouvelle pandémie.

La recherche fondamentale est accélérée, conduite par les centres internationaux de la grippe, avec une amélioration de la surveillance des épisodes grippaux dans les pays les plus touchés. De plus, la structure chimique, physique et fonctionnelle du virus est désormais clarifiée et la mise à disposition des souches aux industriels est accélérée pour la production de nouveaux vaccins annuels.

A partir de 1972, l’OMS publie annuellement ses recommandations sur la composition antigénique des vaccins. Leur standardisation porte sur la sélection des semences des souches, qui sont partagées entre laboratoires mondiaux et fabricants de vaccins. Seuls quelques pays ont les moyens de produire indépendamment leur vaccin, comme les Etats-Unis qui sont en mesure de ne pas observer les recommandations de l’OMS et imposent souvent leurs divergences politiques au détriment des pays en voix de développement.

En 1976, suite à une épidémie de grippe dans les élevages porcins (le porc est un hôte intermédiaire dont les souches peuvent se recombiner et infecter l’homme), et après avoir constaté quelques cas de transmissions interhumaines (du virus AH1N1), les Etats-Unis déclenchent un plan de crise dans la crainte d’une nouvelle pandémie.

Le souvenir de la grippe H1N1, dite espagnole, du début du siècle marque encore les esprits. Se fiant aux recommandations de spécialistes dont les théories sont malheureusement basées sur des preuves insuffisantes, les autorités politiques américaines mettent en place une campagne de vaccination massive de la population pour une épidémie… qui n’a pas lieu. Face aux virus, la science prévisionnelle est parfois insuffisante. On ne juge l’histoire souvent qu’après coup à tort ou à raison.

En 1977, le virus H1N1 resurgit en Russie. Suite à cela, les autorités sanitaires mondiales décident, dès 1978, de produire un vaccin trivalent – c’est-à-dire augmenté d’un virus de souche A (généralement une souche H1N1) à celui du H3N2 et de la souche B qui sont déjà contenus dans les vaccins précédents.

En 1984, la France crée un institut de veille épidémiologique, le Réseau des GROG (Groupes régionaux d’observation de la grippe). Leurs nombreuses études épidémiologiques démontrent, entre autres, que la vaccination grippale diminue la mortalité chez les personnes âgées. Suite à ces observations, à partir de 1988 le vaccin est mis en accès gratuit pour les plus de 75 ans. Les GROG sont dissous en 2014, victimes des déplorables réformes de la santé basées sur la gestion des coûts.

d. Une coopération mondiale

La Chine est partie prenante dans la surveillance de l’émergence des nouveaux virus, mais elle manque de moyens financiers. Or la veille chinoise est importante car les virus pandémiques de 1957, 1968 et la grippe russe de 1977 sont tous originaires de ce pays. C’est une faille qu’il faut combler. Les budgets de l’OMS, qui sont surtout abondés par les Etats des pays avancés, ne suffisent plus à soutenir les laboratoires chinois.

Les Etats-Unis sont les contributeurs majeurs de l’organisation, et pour augmenter leur contribution, le CDC d’Atlanta demande l’aide des fabricants de vaccins afin de doter les laboratoires chinois de techniques plus avancées.

De son côté, l’OMS fait appel aux industriels. Depuis, un échange fructueux existe entre la Chine, qui fournit les souches et les informations provenant de ses laboratoires, et les Etats-Unis, avec le don de matériel de laboratoire et une aide à leur fonctionnement, apportés par Atlanta avec le soutien d’industriels. Parallèlement, grâce à des échanges fructueux, la bio-industrie mondiale augmente régulièrement ses capacités de production de vaccins, utilisant une technique qui a fait ses preuves depuis 1937 : l’œuf de poule embryonné… en attendant d’autres découvertes.

Des échanges parfois contrariés par la géopolitique, comme nous l’avons vu en 2020 lorsqu’en pleine pandémie, le gouvernement américain menace l’OMS de lui couper les fonds sous prétexte d’une collaboration trop « explicite » avec la Chine. En réalité, ayant acquis son indépendance financière, la Chine a efficacement poussé ses propres chercheurs dans la découverte des vaccins et leur production. Certains lobbies financiers et pharmaceutiques de la zone atlantique espèrent ainsi étouffer une concurrence commerciale faisant fi de la situation sanitaire.

3. Les coronavirus

a. Une histoire très ancienne

Les précédents

Tout comme le virus de la grippe ou un simple rhume, le coronavirus se transmet surtout par aérosol, s’attaque à l’appareil respiratoire et peut provoquer des pneumopathies sévères.

Il y a quelque 2400 ans, à Périnthos dans le nord de la Grèce, un document d’Hippocrate décrit une épidémie de toux, suivie de pneumonies et autres symptômes typiques. A travers les siècles, de nombreuses épidémies sont ainsi décrites et depuis le 16e siècle, les textes dénombrent en moyenne trois pandémies par siècle, répertoriées sous le terme générique de « grippes ».

Récemment, des études de phylogénétique pointent une hypothèse intrigante : la pandémie de grippe russe de la fin du XIXe siècle ne serait pas due à un virus grippal mais au coronavirus OC43 qui a sévi entre l’automne 1889 et le printemps 1894 (voire 1895).

En effet, une équipe belge a séquencé pour la première fois l’intégralité du génome d’OC43 en 2005. Ce virus a perdu de sa virulence et ne provoque plus que de simples rhumes aujourd’hui. Si les recherches sont encore en cours pour certifier cette découverte, nous pouvons, malgré tout, apprendre de cette épidémie : au point de vue biologique, épidémique, médiatique ou sociétal.

Il y a 130 ans, la « Covid-18(89) » prend le train et, étonnamment, a sensiblement la même vitesse de propagation que la Covid-19 qui, elle, prend l’avion. La proportion de population ayant été en contact avec le virus est de 40 % à 60 % sur 5 ans et l’on recense 250 000 décès en Europe. Au plus fort de la crise, les pompes funèbres déclarent 400 à 500 décès par jour à Paris. On estime la mortalité de cette pandémie à un million de décès à travers le monde (ce qui représenterait 5 millions de morts aujourd’hui).

Selon H. Franklin Parsons, du Département médical de la ville de Londres :

Alors que le démarrage de la première vague a été soudain, avec des pics de mortalité dès la troisième semaine (18 janvier 1890) d’une épidémie qui en dura six, la mortalité a ensuite rapidement diminué. En contraste, le démarrage de la deuxième vague, en mai et juin 1891, a été plus progressif, s’étalant sur une durée de 8 semaines à Londres, mais cette vague s’avéra finalement plus létale. » (Source Vidal, Pandémie de grippe russe : une COVID du XIXe siècle ?)

Les hôpitaux sont débordés dès la première vague. Il y en aura quatre ! Les symptômes sont les mêmes que ceux de la Covid-19 (vascularites, atteintes pulmonaires, rénales et digestives, manifestations neurologiques…). Les personnes souffrant de maladies chroniques sont celles qui développent des formes graves, entraînant une mortalité plus grande chez les personnes âgées.

L’essor des journaux et de la presse en fera la première pandémie médiatique, avec toutes les dérives possibles, incriminant les hautes technologies de l’époque telles que l’éclairage public. Comme aujourd’hui, on promeut, sans preuve, les soins les plus hétéroclites comme l’huile de ricin, le courant électrique, le brandy, les huîtres, la strychnine et la quinine.

Pour cette dernière, dès décembre 1889, les médecins font face à des ruptures de stock et ne peuvent plus soigner leurs patients atteints de paludisme, sans pour autant que ce traitement stoppe l’évolution de la pandémie qui sévira jusqu’en 1895, touchant chaque pays de la planète.

Cet exemple d’une presse dévoyée n’est pas l’apanage du XIXe siècle, elle est une constante à travers le temps. La presse doit faire du chiffre et elle ne le peut qu’en créant « l’événement », la Une qui augmente la visibilité du média. Malheur au lecteur naïf !

Découvertes

June Almeida.

C’est en 1964 que la laborantine June Almeida (1930-2007) découvre des particules virales affectant l’être humain, « ressemblant à la grippe, mais pas exactement ». Elle les met en évidence grâce à une technologie nouvelle pour laquelle elle s’est prise de passion : le microscope électronique.

Lorsque June Almeida veut publier ses travaux, la communauté scientifique l’accueille fort mal, lui répondant que « ses images ne sont que de mauvais clichés du virus de la grippe ». L’année suivante, ce nouveau virus, enfin reconnu, est baptisé coronavirus en raison de la couronne qui l’entoure.

Depuis, sept coronavirus humains ont été découverts, dont la souche B815 en 1965 et trois autres en 1967, tous responsables de « rhumes » plus ou moins graves selon les individus.

Grâce à la microscopie électronique, June Almeida visualise les virus de la rubéole et de l’hépatite B, entre autres, et contribue à la visualisation du VIH.

Malgré cette découverte, il faudra attendre l’automne 1980 pour que soit organisé par la chercheuse américaine Susan Weiss, le premier congrès sur les coronavirus, réunissant toute la communauté scientifique (une soixantaine de personnes à l’époque) qui étudie ces virus et leurs particularités grâce à un approfondissement technologique dans les domaines de la microbiologie, l’immunologie, la génétique ou la biologie moléculaire.

b. Au XXIe siècle

Premières épidémies

Comme beaucoup de virus, les coronavirus existent depuis des centaines de millions d’années et, comme nous l’avons précisé précédemment, la communauté scientifique ne les étudie que depuis le milieu du XXe siècle, mais c’est l’épidémie de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 qui les a révélés au grand public.

« L’épidémie, partie de Chine fin 2002, a éclaté au niveau mondial en 2003 faisant plus de 8000 cas et près de 800 morts. Grâce à une mobilisation internationale sans précédent, motivée par l’alerte mondiale déclenchée le 12 mars 2003 par l’OMS, l’épidémie a pu être endiguée par des mesures d’isolement et de quarantaine. De même, l’agent causal du SRAS, un coronavirus inconnu jusqu’alors, a pu être rapidement identifié », selon le site de l’Institut Pasteur.

C’est à cette occasion que les coronavirologues poussèrent la recherche de traitements et de vaccins. Malheureusement, les investissements dans la connaissance du virus se tarissent avec l’extinction de cette épidémie… six mois après son apparition, et les chercheurs, privés de moyens financiers, doivent ralentir leurs travaux.

Susan Weiss.

En 2012, le Mers-CoV (coronavirus du syndrome respiratoire du Moyen-Orient, apparu en Arabie saoudite), qui présente d’importantes différences avec le SRAS, s’éteint aussi rapidement que son cousin.

Très agressif, le Mers-CoV peut entraîner la mort dans environ 30 % des cas. Par bonheur, il est resté très local et n’a causé que 449 morts en 2012. Comme pour son prédécesseur, il n’existe aucun traitement spécifique ni vaccin disponible contre ce virus.

« Cela aurait peut-être dû nous alerter sur le fait que les coronavirus peuvent émerger de différentes façons et se propager selon différents vecteurs », interpelle Susan Weiss. En effet, si ces virus ont pour vecteur connu la chauve-souris, le premier a pour hôte intermédiaire la civette, et le deuxième le chameau.

Le SARS-CoV-2, début de crise

Le 12 décembre 2019, à Wuhan en Chine, les responsables de la santé commencent à enquêter sur des patients atteints de pneumonie virale et le 31 décembre, les autorités chinoises alertent l’OMS et les autorités internationales.

La Wuhan Municipal Health Commission signale 27 patients atteints de pneumonie virale, dont sept présentent des symptômes similaires à ceux du SRAS, après avoir fréquenté le marché de Huanan SeaFood.

Une épidémie de pneumonie d’allure virale d’étiologie inconnue a émergé dans la ville de Wuhan (province de Hubei) en décembre 2019.

Le 9 janvier 2020, la découverte d’un nouveau coronavirus (baptisé 2019-nCoV, puis SARS-CoV-2) est annoncée officiellement par les autorités sanitaires chinoises et l’OMS. Ce coronavirus est l’agent responsable de la nouvelle maladie infectieuse respiratoire appelée Covid-19 (pour COronaVIrus Disease). Le marché incriminé est immédiatement fermé.

Le 12 janvier 2020, poussant la recherche dans ses laboratoires, la Chine met à disposition de l’OMS la séquence génétique du nouveau coronavirus. Le lendemain, la Thaïlande signale le premier cas hors de Chine, suivie dans les 10 jours suivants par le Japon, le Népal, la France, l’Australie, la Malaisie, Singapour, la Corée du Sud, le Vietnam, Taiwan, la Thaïlande et la Corée du Sud.

Dès le 20 janvier, le gouvernement chinois instaure la quarantaine pour des dizaines de millions de personnes. L’épidémie de SRAS de 2003 a gravement touché la Chine, une expérience qui lui fait prendre la mesure des événements. Elle décide de confiner la population de toute une région, une mesure extraordinaire qui n’a pas de précédent historique et dont la Chine fait la preuve de l’efficacité, malgré son utilisation contraignante. Le 30 janvier, l’OMS déclare l’urgence mondiale face au coronavirus.

Le 20 février, le premier patient européen reconnu est hospitalisé en Italie et dans les jours suivants, on signale des cas en Norvège, Danemark, Pays-Bas, Irlande du Nord, Estonie, Roumanie, Grèce, Géorgie, Pakistan, Macédoine du Nord et Brésil. Malheureusement, les autorités de ces pays perdent un temps précieux et n’appliquent pas immédiatement le confinement : les premières mesures de quarantaine ne sont prises qu’à partir de mi-mars dans la plupart de ces pays, bien trop tardivement car l’épidémie a pris un essor mondial et est devenue une pandémie.

Les alternatives scientifiques

Depuis le début de cette pandémie, la communauté scientifique mondiale travaille sur des alternatives tant sur les traitements que sur les tests ou les vaccins. Les avancées dans la compréhension de cette maladie sont historiques car jamais les recherches sur un virus n’ont progressé aussi rapidement.

Les chercheurs ne partent pas de zéro mais s’appuient sur les recherches faites sur le SRAS de 2003 et sur le MERS de 2011 et en moins d’un an, 200 candidats vaccins sont en lice contre le SARS-CoV-2 et une dizaine sont déjà sur le marché en ce début d’année 2021.

Plusieurs traitements à base de corticoïdes et d’anti-inflammatoires sont déjà utilisés dans les unités hospitalières contre les formes sévères de Covid-19. L’étude de traitements préventifs est en cours et a de bonne chance d’aboutir rapidement. Un nombre important de pistes est exploré comme les anticorps neutralisants et la recherche est poussée vers des traitements et vaccins universels car, comme tous les virus, le SARS-CoV-2 mute rapidement.

Mieux comprendre le fonctionnement de ce virus et de cette épidémie consolidera la recherche épidémiologique du futur pour le bien de tous. Mais pour cela, elle ne doit pas être remise dans les mains d’intérêts financiers, mais être confiée à des Etats garants du bien commun.

4. Conclusion

Poser des questions face à l’urgence sanitaire que représente la pandémie de CoviD-19 relève du bon sens, mais faire croire à une population paniquée que les réponses et les solutions sont à portée de main ou de laboratoire n’est que pure manipulation.

Malheureusement, beaucoup trop de « spécialistes » abusent des statistiques tous azimuts pour confirmer leurs propres théories (souvent a posteriori), ce qui intensifie la confusion et la panique au sein d’une population déjà en situation de stress.

Les autorités donnent actuellement une évolution chiffrée des contaminations et de la mortalité dans le monde. C’est légitime, mais dans le cas d’événements majeurs comme la pandémie de grippe espagnole ou d’autres épidémies, les données sont analysées et remises en cause plusieurs années, voire plusieurs décennies, après la fin de l’épidémie, et souvent revues à la hausse.

Rappelons qu’après l’épisode de la canicule, fin 2003, le nombre de morts évalué à l’époque fut révisé à la hausse et doublé quatre ans après. « Selon un communiqué du 22 mars 2007 de l’Inserm, le nombre de décès du fait de la canicule 2003 s’élève à 19 490 en France et à 20 089 en Italie ; pour l’ensemble de l’Europe, il est de l’ordre de 70 000. Le chiffre de 25 000 morts des conséquences de la canicule est avancé par les syndicats des urgentistes de France. » Ce sera sans doute la même chose pour cette pandémie de Covid-19.

De plus, en cette période pandémique, nos élites poursuivent leur politique financière malthusienne – consciemment ou pas – et ne remettront pas en question leur entreprise de destruction des services publics ni pendant, ni après cet événement. Il y a en effet une volonté de gérer budgétairement la situation sans avoir à augmenter le coût hospitalier, alors que la demande de services hospitaliers est forte et doit être soutenue par l’Etat.

C’est un dangereux précédent car non seulement nous ne connaissons pas la durée de cette pandémie, mais de plus, nous pouvons faire face à des événements similaires à l’avenir.

La santé publique est un bien précieux. Si précieux même qu’elle doit être donnée à chaque habitant de cette planète. Nous devons tirer les leçons de ces événements et appeler les Etats à coopérer pour organiser un système de santé publique mondial dont nul pays ne sera exclu.

Nous vivons un instant grave et déroutant de l’histoire et, il faut le dire, la pression politico-médiatique est anxiogène pour tout un chacun. Surtout, elle ne reflète pas une réalité que nous ne pourrons analyser qu’avec le recul de l’histoire. Malgré tout, nous devons prendre de la distance face aux événements et préparer l’avenir pour faire face à d’autres pandémies qui surviendront sans aucun doute comme les précédentes.

Les citoyens doivent s’engager dès aujourd’hui à faire campagne pour que des budgets conséquents soient alloués à la recherche scientifique et à la santé publique dans une véritable collaboration internationale, car nous ne pourrons lutter contre l’émergence de nouveaux virus qu’à cette condition et, ainsi, nous œuvrerons pour la paix mondiale.

Antibiotiques, antiviraux, leurs spécificités

Découverts en 1928, les antibiotiques participent efficacement à la lutte contre les bactéries, ils sont malheureusement inefficaces contre les virus.

Contrairement aux bactéries, les virus ne sont pas des cellules. Ils sont beaucoup moins complexes et détournent à leurs propres fins la machinerie cellulaire de leur hôte en s’introduisant dans ses cellules. Tout se passe comme si les virus modifiaient certains rouages de nos cellules afin de produire ce dont ils ont besoin pour se reproduire.

Face à une attaque virale, des antiviraux sont prescrits mais ils sont souvent spécifiques à une forme virale particulière. Ainsi, les antiviraux relativement efficaces contre certains virus n’ont pas démontré leurs bienfaits dans la lutte contre le SARS-CoV, et les médecins hospitaliers ont dû faire preuve de beaucoup de créativité pour éviter que leurs patients ne finissent en réanimation, en attendant de trouver un traitement spécifique. Nous pouvons les en remercier.

Références supplémentaires :

  • Pandémie de grippe russe : une COVID du XIXe siècle ? Stéphane Korsia-Meffre, Vidal ;
  • Cultiver l’esprit critique, par le Dr Marc Pilliot ;
  • Modalités de circulation des souches virales, des savoirs et des techniques, 1947-2007, Ana Aranzazu. Réseau mondial de surveillance de la grippe de l’OMS.