Sommet Biden-Poutine : un petit pas qui nous éloigne du gouffre

jeudi 24 juin 2021

Chronique stratégique du 24 juin 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

A défaut d’une avancée majeure en direction d’une sortie de la nouvelle guerre froide, le sommet Biden-Poutine, qui s’est tenu le 16 juin dernier à Genève, constitue un pas en arrière par rapport au gouffre au bord duquel nous nous trouvions. Le spectre d’un conflit nucléaire entre les deux grandes puissances s’éloigne un peu. Mais les va-t-en-guerre ne désarment pas : dès lundi, le conseiller à la sécurité nationale Jack Sullivan a annoncé de nouvelles sanctions à l’encontre de la Russie.

Ce n’est certainement pas un grand pas pour l’humanité, mais c’est un petit pas nécessaire pour s’éloigner du gouffre, a affirmé Jacques Cheminade lors de son émission hebdomadaire du 17 juin.

En effet, deux mois plus tôt, le monde avait frôlé une terrible escalade. Gonflant ses muscles suite à l’élection de Biden et profitant des manœuvres très importantes de l’OTAN dont une partie devait avoir lieu en Mer Noire, Zelenski s’est cru autorisé à préparer une offensive militaire pour récupérer le Donbass et la Crimée. C’est le contexte dans lequel, Poutine, flairant un coup monté, a organisé des manœuvres militaires près des frontières ukrainiennes, auxquelles les Etats-Unis ont répondu en déployant deux destroyers vers la Mer Noire. Puis, coup de théâtre de Biden : au bord du gouffre, il a appelé Poutine, proposé un Sommet le 16 juin et rappelé les destroyers.

C’est pourquoi le simple fait que cette rencontre ait eue lieu est une bonne chose.

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Accord sur le contrôle des armes nucléaires

Tandis que les médias occidentaux commentaient les aspects cosmétiques de la rencontre entre les deux présidents – le langage corporel, les mets de table, etc –, Poutine et Biden se sont mis d’accord pour initier un nouvel effort diplomatique afin d’éviter un conflit nucléaire. Faisant référence à la récente prolongation du traité New START de réduction des armes stratégiques, qui expirait en février dernier, la déclaration commune publiée à l’issue de la rencontre énonce :

Aujourd’hui, nous réaffirmons le principe qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être livrée.

Que les chefs des deux puissances nucléaires (les États-Unis et la Russie détiennent 95 % de l’arsenal nucléaire mondial) aient besoin d’affirmer ainsi une telle évidence en dit long sur le niveau de tension atteint. Ajoutons que cette phrase reprend mot pour mot la déclaration de Reagan et Gorbatchev lors de leur rencontre en 1985, qui avait fait suite aux grandes tensions stratégiques survenues autour du déploiements des missiles Pershing en Europe.

« Conformément à ces objectifs, les États-Unis et la Russie entameront ensemble, dans un avenir proche, un dialogue bilatéral intégré sur la stabilité stratégique qui sera délibéré et solide, poursuit le communiqué. Par le biais de ce dialogue, nous cherchons à jeter les bases de futures mesures de contrôle des armements et de réduction des risques ». En effet, outre le retour des ambassadeurs respectifs (partis dans le contexte des tensions de ce printemps) et l’ouverture d’un dialogue commun sur la question de la cybersécurité, les deux pays ont annoncé la création d’un comité d’experts sur les armes nucléaires, destiné à coordonner leurs efforts en matière de contrôle des armes stratégiques et de limitation des risques de conflit.

Joe Biden s’est félicité de cet accord :

Les experts militaires et les diplomates de nos deux pays vont travailler ensemble sur un mécanisme permettant de contrôler les dangereuses nouvelles armes sophistiquées, qui apparaissent aujourd’hui, et qui réduisent le temps de réponse et augmentent le risque de conflit accidentel. (…) Il n’est clairement dans l’intérêt de personne – ni de votre pays ni du mien – que nous nous retrouvions dans une situation de nouvelle guerre froide, a-t-il déclaré lors de sa conférence de presse.

Le « traitement Trump » pour Biden

Il n’en fallait pas davantage pour provoquer une tempête dans la cervelle des chiens de garde de la presse atlantiste, qui en sont même venus à infliger un véritable traitement « à la Trump » au président américain, reconnu coupable de complaisance vis-à-vis du méchant dictateur russe, alors qu’on avait tellement aimé l’entendre parler de « Poutine le tueur ». « Dites-nous ce que vous avez réalisé ’concrètement’ pour empêcher Poutine de répéter ses crimes, lui ont demandé les journalistes pendant la conférence de presse. Avez-vous discuté d’une réponse militaire en cas de nouvelle violation de la cybersécurité ? Quelle sanction, quel ultimatum, quelles menaces avez-vous délivré ? ».

Et, alors qu’il commençait à descendre de l’estrade et qu’un journaliste de CNN lui a demandé pourquoi il était « si confiant sur le fait qu’il [Poutine] changera de comportement », le président américain est sorti de ses gonds : « Où diable – à quoi passer-vous votre temps ? Ai-je dit que j’étais confiant ? » Revenant à la charge, le journaliste a lancé : « Mais étant donné que son comportement passé n’a pas changé ; que, lors de cette conférence de presse, après avoir discuté avec vous pendant plusieurs heures, il a nié toute implication dans les cyberattaques, minimisé les violations des droits de l’homme, et même refusé de prononcer le nom d’Alexeï Navalny. En quoi cela constitue-t-il une réunion constructive, comme l’a dit le président Poutine ? » Ce à quoi Biden a répondu : « Si vous ne comprenez pas cela, vous ne faites pas le bon métier ».

Comme quoi le petit monde des commentateurs médiatiques est à mille lieux de la réalité de la diplomatie – d’autant plus en ces temps d’extrêmes tensions internationales !

Créer les conditions de la paix

Si la température est retombée par rapport à avril dernier, l’atmosphère de nouvelle guerre froide est loin de s’être dissipée. Car l’administration Biden est soumise aux pressions respectives des va-t-en-guerre du Parti démocrate et du Parti républicain. Ainsi, prenant le prétexte de l’affaire Navalny, le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan a annoncé le 20 juin qu’une nouvelle série de sanctions allait être imposée à la Russie, notamment contre les entreprises russes participant au projet Nord Stream 2 (le gazoduc devant relier l’Allemagne à la Russie).

De plus, ce relatif apaisement avec la Russie pourrait être exploité par les faucons pour concentrer les provocations contre la Chine – ce que ne manque pas de faire Donald Trump, qui sur ce plan-là a rejoint les vues des plus virulents, notamment Steve Bannon.

Il faut absolument sortir de la matrice « ami-ennemi » – une mentalité dans laquelle l’on croit que les grandes puissances finissent nécessairement par aller au clash. Comme l’a souligné Jacques Cheminade le 17 juin, les dirigeants russes et chinois sont très conscients que cette matrice peut conduire à la guerre, et ils se montrent prudents tout en refusant de céder.

Cette prudence intelligente et cette politique qui cherche – au moins dans l’ordre international – à empêcher la guerre, peu à peu amène les conditions de la paix, a affirmé Cheminade. Et la seule condition de la paix, c’est le développement mutuel.

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