La fin de 20 ans de guerre contre l’Afghanistan, une occasion pour gagner la paix

mardi 31 août 2021

Chronique stratégique du 31 août 2021 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

L’attentat perpétré à l’aéroport de Kaboul quelques jours avant la fin du retrait des forces américaines, doit poser la question : cui bono ? Car les milieux va-t-en-guerre de Washington et de Londres, furieux contre l’obstination de Joe Biden à en finir avec cette « guerre sans fin », y ont au moins autant d’intérêt que la branche afghane de Daesh qui a revendiqué l’attentat.

« Il était temps de mettre fin à une guerre de 20 ans ». C’est par ces mots que le président Joe Biden a conclu sa conférence de presse du 26 août, organisée quelques heures après l’attentat terroriste meurtrier à l’aéroport international Karzai de Kaboul.

Comme nous l’avons montré dans notre précédente chronique, l’entêtement de Biden à s’en tenir à l’agenda du retrait dessiné par l’administration Trump plonge dans un état de furie l’ensemble du complexe militaro-financier, de Londres, Washington et de l’OTAN. Car pour eux, il s’agit de perpétuer dans le monde un environnement de conflit, de peur et de guerre perpétuelle, drapé derrière la « responsabilité de protéger » (R2P) — la doctrine lancée en 1999 par l’ancien Premier ministre britannique Tony Blair. Londres estime même que sa « relation spéciale » avec Washington est en péril.

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Qui bono ?

De ce point de vue, la bonne question à poser, concernant l’attaque terroriste contre l’aéroport international Karzai de Kaboul, est : « Cui bono ? » À qui profite cet attentat, qui a tué au moins 180 personnes, dont 13 soldats américains, et en a blessé des dizaines d’autres ?

Le jour même, l’ancien analyste de la CIA Ray McGovern a posé cette question sur son site Web, sous le titre « False flag ? », en référence aux opérations sous fausse bannière menées avec utilisation des marques de reconnaissance de l’ennemi.

Les attentats d’aujourd’hui à l’aéroport de Kaboul présentent-ils les signes d’une attaque sous fausse bannière ? demande McGovern. Si les renseignements préalables étaient si précis, pourquoi l’attaque n’a-t-elle pas été étouffée dans l’œuf ? Alors, Cui Bono ? A qui profite le meurtre d’Américains à ce stade ? Biden ferait mieux de la poser, avant de se faire attirer de nouveau dans un piège.

Les « renseignements préalables » évoqués par McGovern (et fournis par les talibans) ont même permis d’émettre des avertissements généraux, si bien que de nombreux experts en sécurité se posent les mêmes questions. L’attentat a d’ailleurs eu lieu dans la zone sous contrôle américain et britannique. Ensuite, après une nouvelle alerte lancée samedi, une fois de plus par les talibans, un missile américain a pu neutraliser un véhicule chargé d’explosifs afin de supprimer une menace imminente de l’État islamique au Khorasan (EI-K) contre l’aéroport.

Il n’est pas à exclure que certaines factions belliqueuses ont contribué à aggraver le chaos et rendu la situation vulnérable aux attaques terroristes pour exprimer leur opposition à la décision présidentielle. Pour ces faucons de guerre, il s’agit de tuer dans l’œuf toute coopération entre les États-Unis et les talibans, non seulement à l’aéroport de Kaboul, mais surtout dans les négociations engagées depuis un an pour préparer l’après. Pour l’instant, leurs manœuvres semblent échouer car sur le terrain, les Etats-Unis se voient bien obligé de faire appel aux talibans pour leur propre sécurité. Le monde d’aujourd’hui n’est plus celui de hier.

Coopération, connectivité et développement

A l’échelle mondiale, ce sont désormais les diplomates qui sont à la manœuvre. Déjà, le Pakistan, l’Iran, la Chine, la Russie et maintenant l’Inde, montrent leur intérêt dans une reconstruction de l’ensemble de la région. Plusieurs sujets sont à l’ordre du jour : la crise migratoire, la crise sanitaire, la culture de l’opium et le grand projet TAPI visant à acheminer le gaz du Turkménistan à l’Inde, via l’Afghanistan et le Pakistan.

Lundi, à l’ONU, la Russie et la Chine, en s’abstenant, ont fait échouer une résolution folle portée par Londres et Paris pour créer des « zones de sécurité », supposément pour acheminer l’aide humanitaire aux populations les plus fragiles sans passer par les autorités désormais en charge du pays. Si Poutine a appelé depuis janvier 2020 à une rencontre au sommet entre les 5 pays membres du Conseil de Sécurité, ce n’est certainement pas pour avaliser de telles manœuvres géopolitiques.

Plus positivement, le Programme alimentaire mondial des Nations unies (PAM) a réalisé les premiers essais de ce qui doit être un « pont aérien d’aide humanitaire » pour l’Afghanistan, via le Pakistan. Le directeur exécutif du PAM, David Beasley, s’est rendu à Islamabad la semaine dernière pour rencontrer le premier ministre Imran Khan. Il a diffusé une vidéo depuis l’aéroport d’Islamabad, afin de souligner que le PAM gère les transports pour tous les besoins des Nations unies - déplacements du personnel, aide médicale et alimentaire, et autres fonctions - et bénéficie de l’aide du Pakistan.

Le 27 août, le ministre pakistanais des Affaires étrangères, Makhdoom Shah Mahmood Qureshi, est revenu d’une tournée dans plusieurs pays, dont l’Iran et les pays d’Asie centrale voisins de l’Afghanistan — le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et le Turkménistan – où il a pu évoquer les projets de connectivité entre pays. Des représentants de trois de ces pays sont invités à poursuivre les discussions à Vienne cette semaine, à l’invitation du ministre autrichien des affaires étrangères, Alexander Schallenberg.

L’offensive de Pino Arlacchi

La clé de ce processus diplomatique est de pouvoir combiner une vision pour la région et des propositions concrètes, et c’est exactement ce qu’offre l’initiative chinoise de « la Ceinture et la Route ». C’est ce que souligne Pino Arlacchi, l’ancien directeur de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) de 1997 à 2001. Précisons que Arlacchi et McGovern ont tous deux participé activement aux dialogues politiques sur l’Afghanistan organisés par l’Institut Schiller les 31 juillet et 21 août.

Dans une interview accordée à Sputnik le 27 août, Arlacchi a déclaré que « seul un plan de reconstruction ambitieux basé sur le développement des ressources internes de l’Afghanistan permettre à ce pays de s’en sortir ». Ces derniers jours, l’ancien responsable des Nations unies, qui a participé aux deux conférences internationales de l’Institut Schiller sur l’Afghanistan, les 31 juillet et le 21 août, est en pleine campagne médiatique dans l’objectif de souligner l’urgence d’éradiquer la production de drogue en Afghanistan et collaborer avec les talibans pour garantir la stabilité du pays. M. Arlacchi a dirigé un programme qui a permis d’éliminer presque totalement le pavot à opium en Afghanistan pendant la période où il était à l’ONU, en collaboration avec les Talibans.

Dans une tribune publiée aujourd’hui dans Le Figaro, intitulée « Comment l’Occident a laissé l’Afghanistan redevenir le pays de la drogue », Bernard Frahi, qui était directeur du bureau régional de l’ONUDC pour l’Afghanistan et le Pakistan (1998-2002), sous la direction de Pino Arlacchi, fait un compte-rendu dévastateur de la manière dont la production de pavot à opium a été considérablement réduite en Afghanistan entre 1999 et 2001, avant d’être relancée pendant l’occupation par les forces américaines, britanniques et de l’OTAN.

Cela nous ramène à la question cui bono ? À qui profitent le terrorisme, le trafic de drogue et la guerre ? Ne pas poser cette question et y répondre nous rendrait impuissant à éviter une nouvelle issue tragique pour l’Afghanistan et pour le monde. Car l’enjeu est non seulement de « mettre fin à la guerre de 20 ans » en Afghanistan, mais de mettre fin au paradigme néolibéral qui a dominé les 50 dernières années, et dans lequel le terrorisme, la drogue et la guerre sont le corolaire du système financier criminel de Londres et Wall Street.

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