Entretien avec Fabrice Grimal

samedi 18 septembre 2021


Dans le cadre de l’union nationale que nous nous efforçons de susciter dans le contexte des prochaines élections, nous avons interrogé François Asselineau puis Alexandre Langlois, tous deux candidats à la présidentielle. Voici le tour de Fabrice Grimal, entrepreneur et écrivain, candidat présidentiel de La Concorde Citoyenne (entretien paru dans notre mensuel Nouvelle Solidarité, n°8 - septembre 2021).


Nouvelle Solidarité : Quel est votre projet politique et quelles seraient vos premières initiatives si vous êtes élu président de la République ?

Cet entretien est tiré de notre mensuel Nouvelle Solidarité n° 8, Septembre 2021. Abonnez-vous ici !

Fabrice Grimal : Le « programme des programmes » que je défends a été élaboré par quatre groupes très différents [1], autour des principes de la justice sociale, fiscale et environnementale, de la souveraineté du peuple (l’autre nom de la démocratie réelle) et de l’indépendance de la nation, condition qui les regroupe toutes. Ces objectifs nécessitent un important rééquilibrage fiscal, le sauvetage et la consolidation d’un certain nombre de services publics, des renationalisations de souveraineté et l’amorce de la réindustrialisation de notre pays. Cela implique bien entendu la fin de l’Union européenne telle qu’on la connaît, le retour d’une banque centrale nationale et de notre souveraineté monétaire, ainsi que la reprise en main de notre défense.

Nous portons par ailleurs une série de grands projets, allant de la durabilité agroécologique au « plan grande pauvreté » pour sortir 100 000 sans-abris de la rue, en passant par la mise en place de l’Internet souverain français. Enfin, nous nous donnons les moyens d’une réelle indépendance de la justice ainsi que d’un renouveau démocratique, par la refonte de nos institutions vers une implication équilibrée autant que décisive du citoyen. En plus du RIC, les dix plus grands points de ce programme seront par conséquent soumis aux Français par référendum. Mes premières initiatives seront de nommer un gouvernement compétent (incroyable !) et de préparer les premières consultations, à commencer par celle qui lancera le processus de notre affranchissement européen, ce qui autorisera la mise en place des mesures les plus élémentaires pour répondre aussi vite que possible à l’urgence sociale qui accable notre pays.

Vous évoquez un véritable clivage politique entre la population et ses dirigeants. Comment en définissez-vous les fondements ?

Fabrice Grimal fait partie des cinq personnalités qui interviendront à notre conférence de rentrée du 25 septembre. Programme et inscription ici.

Il s’agit d’un constat tout simple que je suis loin d’être le seul à partager : la fracture n’a jamais été aussi béante entre la population et celle qui se fait encore appeler son « élite », au sens large qui inclut le personnel politique, l’oligarchie industrielle et les médias, déconsidérés comme jamais et d’ailleurs suspendus aux perfusions financières des deux premiers. Conscient que tous les blocages accumulés avaient mené le système politique français à sa phase terminale, mais que les forces en présence étaient trop importantes pour rendre probable un changement de cap en douceur par la voie classique de l’élection, j’en avais tiré mon premier ouvrage, intitulé Vers la révolution, et si la France se soulevait à nouveau ? paru au début de l’année 2018, quelques mois avant l’apparition des Gilets jaunes. Deux événements majeurs avaient en effet coupé le dernier cordon de confiance qui reliait les Français et leurs dirigeants : la gestion de la crise financière de 2008 (toujours pas résolue) et quelques années plus tôt, un certain 29 mai 2005 qui a entériné une dépossession démocratique quasi-définitive.

Qu’entendez-vous exactement par « dépossession démocratique » ? Après avoir voté « oui » au référendum de 2005, qu’est-ce qui vous a fait changer ?

Soyez indulgent, j’étais jeune à l’époque… Cette dépossession s’exprime par la perte de sens du vote, jusqu’à faire du vote blanc un fétiche, et le jeu pervers de cette alternance obligatoire, aujourd’hui ce centrisme obligatoire qui met en scène un « cercle de la raison » fantasmé contre des « extrêmes » qui jouent son jeu la plupart du temps. À quoi bon voter si ce sont toujours les mêmes politiques qui sont proposées ou à peu près, et si tout se décide ailleurs, à Bruxelles, Washington ou La Défense ?

Vous m’avez demandé ce qui m’a fait changer de braquet. À l’époque, j’avais certes « perdu » ce référendum de mon point de vue, mais la désinvolture avec laquelle nos dirigeants se sont tous assis sur le vote populaire m’a rapidement mis la puce à l’oreille. Lorsque Giscard a lâché que le nouveau texte serait identique alors que Sarkozy avait promis que ce ne serait pas le cas, et que j’ai compris que les promesses de notre président de régler le problème à lui tout seul n’étaient qu’un copié-collé de ce que les autres dirigeants européens avaient raconté à leurs peuples, j’ai eu l’intuition que le système bruxellois, que je tolérais jusqu’alors mais dans lequel je voyais tout de même un « cadre mental obligatoire » (Hubert Védrine), n’était pas forcément conforme à la publicité qui en était faite, alors j’ai eu envie d’aller voir sous le capot. Puis la crise de 2008 a démontré une gestion calamiteuse par la BCE au profit exclusif des banques, et c’est à cette période que j’ai compris le rôle néfaste de l’euro dans notre déclin économique.

Faut-il rompre avec les critères importés des écoles de commerce et d’administration, et si oui comment ?

Comme leur nom l’indique, ces écoles apprennent à leurs étudiants à commercer et à administrer, et ils devraient s’en tenir là. Les critères que vous évoquez peuvent être efficaces dans de nombreux domaines mais ils ne doivent pas entraver le champ de la décision politique qui ne saurait être l’objet d’un quelconque formatage. Au fond, on pose ici la question du renouvellement et de la diversification du personnel politique. Même si leurs connaissances ont souvent une grande utilité, le fait qu’ils soient tous biberonnés sur le même modèle ou presque (ENA, écoles d’ingénieur ou de commerce, Sciences Po, avocats…) n’a jamais rien apporté de bon car il faut multiplier les points de vue pour la saine direction d’un État. Notre expérience avec La Concorde Citoyenne a démontré que des Français de toutes classes et de tous horizons pouvaient élaborer un programme riche et argumenté autant voire davantage que ceux des politiciens professionnels, tout en étant beaucoup plus proche des véritables aspirations du peuple, telles qu’exprimées dans les derniers mouvements sociaux ou les revendications du « Vrai débat ».

Pensez-vous que le peuple soit, par nature, conscient de ses intérêts ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’est pas toujours conscient de ses intérêts de peuple (sauf cas évident de la guerre) et lorsque c’est le cas, il souffre de la déficience classique de toute masse ou majorité pour se donner une cohérence. Mais chacun reste conscient de son intérêt propre, familial et professionnel et de ceux de ses proches. L’intérêt du pouvoir est de maintenir les gens divisés pour qu’ils ne prennent pas conscience que, le plus souvent, leurs intérêts convergent. Les Gilets jaunes et le chamboulement dû à l’arrivée du virus ont permis ce petit miracle et le soufflé n’est pas près de retomber.

Comment pourrez-vous obtenir les parrainages des maires ?

Il faut pour cela constituer une équipe fiable avec un maillage territorial serré, puisqu’il faut à tout candidat 500 parrainages répartis sur 30 départements. Le défi est encore plus dur à relever cette année avec la modification de la procédure de signature (envoi direct d’un formulaire officiel aux maires un mois avant la clôture des parrainages). Nous avons cependant bon espoir d’y arriver puisque La Concorde Citoyenne, le nouveau parti créé pour soutenir le « programme des programmes » et ma candidature, reçoit des soutiens venus de toute la France.

Votre « rassemblement d’union » va devenir, dites-vous, un parti présidentiel ? Comment allez-vous faire ?

Nous allons le créer tout simplement, lors d’un congrès qui s’annonce dans les semaines qui viennent. Nous nous en serions bien passés mais nous n’avons hélas pas le choix. Les règles de financement de la vie politique et des campagnes, particulièrement la présidentielle, impliquent en effet le soutien d’un parti, sinon autant essayer de jouer du piano avec un seul doigt.

Quelle influence exerce sur vous la pensée de Simone Weil ?

Dans ma conception de la philosophie, le fétichisme des systèmes doit toujours céder la place à l’observation et à l’intuition, dans la quête d’une vérité forcément partielle ou temporaire mais qui puisse être utile à d’autres, sur notre chemin dans le grand tout de la société humaine ou de l’espace métaphysique. Simone Weil résonne forcément en moi de ce point de vue. J’apprécie son amour de la vérité, sa simplicité, sa capacité à fréquenter tous les milieux et à considérer tous les points de vue pour formuler des synthèses qui font mouche instantanément sans avoir la prétention d’élaborer des systèmes purs et parfaits qui ne sont que des fictions. Écrite sur une courte période, son œuvre est prolifique. J’en retiens et je conseille la lecture de sa « Note sur l’interdiction des partis politiques » qui, sans résoudre la tension entre la formation individuelle d’une idée et son élaboration collective (personne n’y est jamais arrivé), décrit par le menu et avec une finesse chirurgicale les conditionnements mentaux qu’impose le plus souvent la « forme parti » et le poids qu’ils font peser sur l’exercice serein de la démocratie. Je considère aussi L’Enracinement comme l’une de ses œuvres majeures, pour son étude éloquente des besoins fondamentaux de l’homme. Tout y est.

Vous êtes candidat aux élections présidentielles mais, dans certaines de vos interventions, vous sembliez considérer que ce n’était pas la question fondamentale aujourd’hui. Pourquoi ?

Lorsque j’ai défendu mon premier ouvrage sur certains plateaux, j’expliquai ce dont je suis toujours convaincu, à savoir que les blocages sont trop importants pour être réglés à court ou moyen terme, et que l’élection présidentielle dans ce contexte est une impasse, quand bien même elle est l’élection centrale qui conditionne tout le reste. C’est pourquoi nous avons voulu travailler sur le « quoi » avant le « qui », formuler les meilleures propositions pour demain avec les citoyens les plus impliqués. Mais qu’on le veuille ou non, l’élection présidentielle se profile. Certains veulent la boycotter, mais ils seront mangés tout crus en 2022, comme les autres. Imagine-t-on que trois ans après le déclenchement du plus grand mouvement social depuis Mai 68 et deux ans après l’aboutissement du Brexit, cette élection ne voie aucun candidat se revendiquer de ces deux faits majeurs ? C’est pourquoi nous avons fait malgré tout le choix d’y aller, de désigner un « qui » pour porter ce projet populaire, puisqu’aucun politicien professionnel n’en est capable ou n’en a la volonté. Nous avons aussi en tête la crainte que cette élection soit la dernière à notre portée, qu’en 2027, il faudra peut-être 1000 signatures aux candidats et que le vote sera intégralement électronique, donc que toute confiance dans les institutions sera définitivement perdue. Surtout si Emmanuel Macron mène grand train sa politique de destruction et de division de la société pendant cinq années supplémentaires.

Vous appelez à des compromis avec « les plus malins du CAC40 et les cadres ». Comment concevez-vous ces compromis ?

Tout changement majeur implique plusieurs classes de la société, et celui que nous appelons de nos vœux impliquera nécessairement certaines classes favorisées (en voie de déclassement ou non) qui, pour plusieurs raisons qu’il serait trop long d’expliquer ici, peuvent fraterniser avec la cause du peuple. Ils ne nous rejoindront, ils ne prendront le risque de nous rejoindre contre leurs milieux, leurs castes et parfois contre eux-mêmes que si nous leur garantissons le sérieux, l’ordre et la méritocratie (la vraie). Beaucoup de celles et ceux qui se sont hissés dans les 10 % sont conscients qu’ils n’ont d’utilité sociale que comme valets de pied du 1 %, et leur honneur de Français les titille. Ils sont souvent sensibles à nos valeurs et nos principes, et comme nous, ils ont chaque jour à l’esprit l’avenir de leurs enfants, qui est loin d’être garanti. Le déclin terminal de notre pays ne les fait pas tous rire. Une minorité de ces gens-là nous suffira, car ils ont les moyens de leur révolte. Il y a ceux qui avaient déjà rejoint les Gilets jaunes, et maintenant ceux qui s’éveillent depuis le Covid. La prochaine vague sera, je l’espère, décisive.

Conférence de rentrée de Solidarité & Progrès : inscrivez-vous !


[1S&P a participé à ces échanges en présentant les points essentiels de son programme, sans toutefois endosser la candidature de M. Grimal.