Revue de livre

Une affaire d’État – La tentative de sabordage du nucléaire français

mercredi 30 mars 2022, par Pierre Bonnefoy

Revue de livre

Une affaire d’État – La tentative de sabordage du nucléaire français.

Bernard Accoyer et Chantal Didier.
Edité par Hugo Doc, 238 pages
16,95 €

Ce livre paru en janvier 2022 vise certainement à influencer l’élection présidentielle française d’avril, dans un contexte où la fermeture en cours de centrales électriques « pilotables » (nucléaire et charbon) à travers l’Europe, au profit de ressources intermittentes (éoliennes et panneaux solaires), menace de provoquer un black-out catastrophique.

Comme de nombreux défenseurs du nucléaire, Bernard Accoyer, ancien président de l’Assemblée nationale, et Chantal Didier notent avec un certain intérêt les annonces récentes d’Emmanuel Macron de lancer la construction de 6 réacteurs EPR, mais ne sont pas vraiment convaincus par la solidité de l’engagement du Président sortant à défendre le nucléaire français.

Comment pourrait-il en être autrement après la fermeture pour des raisons purement politiques, de la centrale de Fessenheim en parfait état de marche, ainsi que de l’abandon de projets de recherche cruciaux pour l’avenir comme le surgénérateur ASTRID, ou encore le réacteur Jules Horowitz ?

Cependant, comme le montrent les auteurs, Macron est loin d’être le premier politicien français ou européen à faire passer ses intérêts personnels ou partisans avant l’existence d’une infrastructure nous assurant l’électricité sûre et abondante dont notre économie nationale a besoin.

Accoyer donne un historique intéressant de l’infiltration de l’idéologie antinucléaire dans les institutions françaises qu’il fait remonter à 1974 avec la création de l’Agence pour l’économie de l’énergie, ancêtre de l’ADEME. Progressivement les antinucléaires ont investi les agences et les ministères, jusqu’à la situation actuelle où l’Energie fait partie du ministère de la Transition écologique. (Accoyer veut la retirer de là et en faire un ministère autonome). Ces agences et ministères promeuvent ensuite les énergies intermittentes au détriment du nucléaire, tout en finançant les ONG et associations militantes. Accoyer mentionne un certain nombre de conflits d’intérêts patents entre ces différents acteurs politiques, hauts fonctionnaires et associatifs, ainsi qu’avec l’industrie des « énergies renouvelables ».

Les attaques auxquelles Accoyer se livre contre le malthusianisme sont particulièrement bienvenues, car on oublie trop souvent que l’économiste Malthus du XIXe siècle a aussi bien inspiré la notion de Lebensraum (Espace vital) d’Adolf Hitler que le rapport Meadows de 1972 qui sert de bible à tous les « décroissants » d’aujourd’hui.

Lorsqu’il écrit « Partageant avec le pétainisme l’attachement à ’une terre qui ne ment pas’, expression des années sombres, l’écologie politique est malthusienne », Accoyer est manifestement inspiré du récent livre Apocalypse zéro de Michael Shellenberger. Ce dernier, écologiste convaincu devenu défenseur du nucléaire, déplore en effet que le malthusianisme associé aux idéologies d’extrême-droite avant la Seconde guerre mondiale, est venu polluer jusqu’à la gauche par la suite.

Autre cible d’Accoyer : la logique de dérégulation et de privatisation rampante (plan Hercule) de nos infrastructures, poussée par Bruxelles au nom d’une idéologie ultralibérale incompatible avec les lois de la physique. En effet, la gestion d’un parc nucléaire national ne peut fonctionner que de manière centralisée et sous le contrôle d’un Etat stratège. Inversement, les énergies intermittentes décentralisées peuvent rapporter de l’argent à court terme à ceux qui les gèrent car elles sont outrageusement subventionnées et nécessitent relativement peu d’investissement. Cependant, ces dernières ne permettent pas à l’économie d’une nation de fonctionne.

D’ores et déjà, des industries fortement consommatrices d’électricité peuvent accepter, moyennant compensations financières, de voir leur courant coupé en cas de tension sur le réseau, mais en plus les particuliers pourront bientôt choisir entre avoir une électricité fiable et chère, ou des coupures fréquentes pour un courant à bon marché ! Pierre Messmer doit se retourner dans sa tombe.

Signalons tout de même que dans ce livre qui identifie bon nombre de facteurs dans le sabordage du nucléaire français – et pourrait-on ajouter de notre électricité en général – il en manque cependant un majeur : le rôle de la spéculation financière. Si on raisonne simplement en terme d’offre et de demande, il peut être avantageux pour les sociétés privées qui achètent et vendent de l’électricité, d’opérer sur un marché où l’électricité n’est ni stable ni abondante : la pénurie fait monter les prix, dirait tout économiste libéral.

Cependant le principal n’est pas encore là. Les produits financiers dérivés hautement spéculatifs représentent l’essentiel des activités financières dans le monde. Il s’agit notamment d’assurances sur les prix futurs – ou dit autrement des paris financiers. Si, par exemple, une entreprise achète de l’électricité dont le prix fluctue sans arrêt, et doit en commander pour dans six mois, comment peut-elle s’assurer que le prix qu’elle paiera à cette échéance ne la ruinera pas ? En prenant une assurance à l’avance sous la forme d’un produit dérivé qui lui permettra de payer dans six mois son électricité à un tarif déterminé maintenant.

Et c’est l’énormité des volumes financiers que représentent ces mouvement spéculatifs qui impactent le plus le prix de l’électricité et de l’énergie en général. La folie, c’est d’avoir un système dérégulé global. Accoyer a donc raison de vouloir le retour à un Etat stratège qui contrôle ses infrastructures et son énergie nationales, mais il ne se rend peut-être pas totalement compte que cela ne sera possible que par une remise à plat de tout le système économique mondial.

Ce qui nécessite de nouveaux accords de « Bretton Woods ».