Diaboliser le peuple, dernière carte des élites « abâtardies »

vendredi 29 avril 2022

L’analyse de Jacques Cheminade selon laquelle un « bloc populaire » a émergé lors des récentes élections, non pas autour des personnalités de Mélenchon et Le Pen, mais parmi leurs électeurs, est confirmée par Christophe Guilluy, le « géographe social » qui s’est fait connaître par ses analyses visionnaires sur les causes de la fracture sociale opposant dans notre pays les élites mondialisées et « métropolisées » aux classes populaires.

Diaboliser le diagnostic des classes populaires

Dans une interview publiée dans Le Figaro au lendemain du second tour des présidentielles, Guilluy explique que les 41% de Marine Le Pen n’expriment pas le vote de « petits blancs » xénophobes – comme le montrent les résultats de la candidate RN en Outre-mer —, mais la progression d’une fracture dans la société française, qui remonte au début des années 1980, entre les « gagnants » de la mondialisation, vivant dans les zones métropolitaines, et les « perdants » de la mondialisation, les « classes populaires » poussées hors des villes et dans les zones périphériques et la campagne.

Quelles que soient les régions, l’opposition métropoles/périphéries s’est cristallisée, analyse le géographe.

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La composition sociale du vote Macron est en soi significative : « La bourgeoisie de droite et de gauche (77 % des catégories supérieures ont voté Macron) et les bataillons de retraités (70 % ont voté Macron) », relève Guilluy ; comme si le président était moins « le pilote d’une start-up nation que le directeur d’une immense maison de retraite ». Avec la logique de nouveau modèle économique et de désindustrialisation, « les métropoles concentrent depuis trente ans l’essentiel de la création d’emplois, mais n’y vivent que 30 à 40 % maximum de la population. Dit autrement, et pour la première fois dans l’histoire, la majorité des catégories modestes ne vit pas là où se crée l’emploi  ».

« Ce choc social et culturel est à l’origine de toutes les contestations politiques, sociales ou culturelles en France comme dans tous les pays européens. A travers la diabolisation de ‘l’extrême droite’ et du nom de ‘Le Pen’, ce que les ‘élites’ cherchent à diaboliser (sans le dire, évidemment), c’est le diagnostic social, culturel et économique des classes populaires et moyennes.

Déjà, en 1963, dans une analyse qui résonne encore, De Gaulle avait confié à Alain Peyrefitte : « Heureusement, le peuple a la tripe nationale. Le peuple est patriote. Les bourgeois ne le sont plus ; c’est une classe abâtardie. Ils ont poussé à la collaboration il y a vingt ans, à la Communauté Européenne de Défense (CED) il y a dix ans. Nous avons failli disparaître en tant que pays. Il n’y aurait plus de France à l’heure actuelle ».

Aujourd’hui, poursuit Guilluy, le théâtre antifasciste qui s’applique à [Marine Le Pen] s’appliquerait à n’importe quel candidat venu de la gauche, de la droite, du monde du spectacle ou de nulle part, qui porterait le diagnostic de la majorité ordinaire. La question du casting est donc accessoire. Si demain le dalaï-lama se présentait avec un programme souverainiste, il serait lui aussi fascisé, décrit comme la quintessence de l’intolérance, le symbole de l’exclusion de l’autre.

Ce mouvement social ne s’arrêtera pas

En réalité, cette élection présidentielle ne fait que confirmer un processus qu’il faut considérer dans le temps long. En effet, en 2002, Jacques Chirac avait été élu avec 62% des inscrits, tandis qu’Emmanuel Macron l’a été avec 43,1 % des inscrits en 2017, et seulement 38,5% aujourd’hui, rappelle Christophe Guilluy. « Le mouvement de la majorité ordinaire agit comme des coups de boutoir. Il ne s’arrêtera pas, car il est existentiel ».

Ainsi, les troubles politiques et sociaux que de nombreux analystes redoutent pour le prochain quinquennat risquent de se manifester très rapidement : « C’est une évidence et cette contestation viendra, comme c’est le cas depuis vingt ans, de la France périphérique ».

Chose intéressante, cette réalité semble moins échapper aux observateurs étrangers qu’aux ‘élites’ françaises. Le Courrier International publie en effet un article du journal chinois Huanqiu Shibao, proche du pouvoir, dans lequel l’auteur Wang Yiwei considère cette dernière élection présidentielle comme une nouvelle manifestation d’une « tradition révolutionnaire profonde », conduisant les Français à rejeter le statu quo et à épouser des tendances politiques antiélitistes et anti-establishment.

Selon lui, « une révolution se prépare en France », car les partis français traditionnels, Les Républicains et le Parti socialiste, ont totalisé à eux deux moins de 7 %, tandis que l’extrême droite, à laquelle Marine Le Pen et Éric Zemmour appartiennent, a obtenu plus de 30 % des voix au premier tour. « Tôt ou tard, une révolution en France éclatera, c’est une question de temps », prédit le chercheur chinois.

Comme l’affirme Jacques Cheminade, en l’absence de personnalité politique sur la scène répondant à cette volonté électorale, il faut maintenant être à l’écoute et lui « donner un visage ».

C’est pourquoi Solidarité & progrès, sous la bannière commune « La Raison du peuple » présente des candidats aux élections législatives, avec la République souveraine de George Kuzmanovic, de façon à « former un embryon d’union et de bloc populaire » renouant avec « l’esprit de Jean Jaurès, de Charles de Gaulle et du Préambule de notre Constitution, jusqu’ici dévoyé », et à combattre « l’oligarchie financière et son complexe militaro-industriel qui est notre véritable ennemi, et non tel ou tel parti ou telle ou telle nation, aussi égarée soit-elle », écrit Jacques Cheminade.