Le retour à l’esprit de Bandung fera-t-il renaître le multilatéralisme ?

lundi 21 novembre 2022

Chronique stratégique du 21 novembre 2022 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Helga Zepp-LaRouche, la présidente-fondatrice de l’Institut Schiller international, a participé à la conférence de « l’Esprit de Bandung » (en référence à la conférence fondatrice du Mouvement des pays non-alignés, ou NAM), qui s’est tenue du 7 au 14 novembre en Indonésie, en marge d’un sommet du G20 qui malheureusement s’est fait vampiriser par le G7 et son paradigme défaillant.

A cette occasion, elle a souligné que nous vivions sans doute la plus grave crise de l’histoire, avec le risque d’une guerre thermonucléaire globale, et que la renaissance actuelle du NAM peut jouer un rôle crucial pour ouvrir la voie à un nouveau paradigme.

Cette conférence avait pour objectif de commémorer les conférences historiques du NAM, qui s’étaient tenues à Bandung en 1955, à Belgrade en 1961 et à La Havane en 1979. Dans le contexte des indépendances, les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, émancipés des dominations coloniales, faisaient valoir par ce mouvement leur refus de s’inscrire dans quelconque « camp » de la Guerre froide, et surtout leur droit au développement économique.

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Rappelons qu’à cette époque, les travaux de l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche, le mari défunt de Mme Zepp-LaRouche, avaient inspiré ce mouvement, notamment son projet de Banque de développement international (IDB), son appel en faveur d’un « Nouvel ordre économique international » plus juste et d’un moratoire sur la dette des pays du tiers-monde. Il avait joué un rôle clé dans la conception de grands projets de développement régional pour ces pays, parmi lesquels l’Inde d’Indira Gandhi et le Mexique du Président Lopez Portillo.

La conférence de « L’esprit de Bandung » s’est tenue du 7 au 14 novembre dans plusieurs villes d’Indonésie, et s’est terminée au moment de l’ouverture du G20, qui s’est également tenu sur l’île. Elle a été organisée par des mouvements universitaires et sociaux en faveur des idéaux de l’Esprit de Bandung (bandungspirit.org) pour un avenir global. Helga Zepp-LaRouche a pu y présenter son point de vue et son combat.

Les participants ont tous exprimé avec enthousiasme leur volonté de sortir de l’ordre impérial « basé sur des règles » et de construire un nouveau système économique mondial ; un débat a notamment eu lieu sur la nécessité de libérer les pays de la domination financière anglo-américaine, afin de les prémunir des attaques spéculatives ainsi que de la saisie illégale d’actifs souverains qui nuit à leur développement technologique et à leur indépendance.

Danger d’escalade

Lors de son intervention, intitulée « L’émergence de l’Asie et la restructuration de l’économie politique globale », après avoir remercié les organisateurs de l’avoir invitée, Helga Zepp-LaRouche a insisté sur le fait que le péril auquel le monde se trouve actuellement confronté, avec une potentielle escalade dans une guerre nucléaire, ne trouve pas son origine dans le conflit entre les « autocraties » et les « démocraties », comme veut le faire croire le récit dominant en Occident, mais dans celui opposant les forces qui veulent maintenir le système colonial dans un habillage moderne aux pays qui luttent encore pour leur droit au développement économique.

En effet, 67 longues années après la conférence de Bandung, « le colonialisme n’est toujours pas mort, même s’il n’existe plus officiellement, a affirmé Mme Zepp-LaRouche. Officiellement, l’indépendance a été accordée, mais la souveraineté de nombreuses nations est niée par les structures monétaires, les règles régissant les échanges mondiaux et le manque d’accès aux ressources. (…) L’option d’un système de sécurité européen fonctionnel, ou d’une ‘maison européenne commune’, évoquée par Gorbatchev à la fin de l’Union soviétique, n’existe manifestement plus, compte tenu de la sixième expansion de l’Otan à l’Est. L’intention de créer une ‘Otan mondiale’, telle que proclamée lors du récent sommet de l’Alliance à Madrid, y compris l’établissement d’un quartier général indo-pacifique quelque part en Asie, menace de renforcer la confrontation entre les pays appartenant à une telle alliance militaire et ceux qui veulent maintenir des relations politiques, économiques ou militaires avec la Russie et la Chine ».

L’esprit de Bandung

Mme Zepp-LaRouche a rappelé que les cinq principes de la coexistence pacifique et les dix principes du Mouvement des pays non alignés, énoncés lors la Conférence de Bandung et enrichis lors des conférences ultérieures, avaient défini le cadre pour établir une nouvelle architecture internationale de sécurité et de développement.

« C’est lors de la conférence de Colombo, au Sri Lanka, en 1976, que le Mouvement des pays non alignés s’est approché le plus de la formulation de ce à quoi ce nouvel ordre devrait ressembler économiquement », a-t-elle expliqué, notamment avec les revendications exprimées par la Première ministre indienne Indira Gandhi, incorporées ensuite dans la résolution finale, en faveur de la suspension du paiement de la dette des pays les plus pauvres, de l’établissement d’un nouveau système monétaire universel en lieu et place de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, et de la création d’un nouveau système de crédit favorisant le développement économique mutuel entre les nations de la planète.

Cette résolution était presque identique à la proposition d’une Banque internationale de développement, la BID, que les hommes d’État et économistes américains Lyndon LaRouche avaient faite un an plus tôt, c’est-à-dire remplacer le FMI par un nouveau système de crédit afin de faciliter le développement mondial, a souligné Mme Zepp-LaRouche.

C’est d’ailleurs à partir de cette période que la violence s’est déchaînée contre le NAM, avec l’assassinat du Premier ministre pakistanais Zulfikar Ali Bhutto, l’éviction du pouvoir d’Indira Gandhi, la déstabilisation du Sri Lanka, et la liste est longue... « La cohésion du Mouvement des pays non alignés a ainsi été affaiblie et, naturellement, la demande d’un nouvel ordre économique mondial juste n’a jamais été satisfaite ».

Nouveau Bretton Woods

Aujourd’hui, le système financier anglo-américain est au bout du rouleau et il menace d’entraîner le monde à la guerre. « Il est donc vital de trouver une plate-forme appropriée pour réorganiser le système financier défaillant actuel, a affirmé Mme Zepp-LaRouche. Cela peut être dans le cadre du format du G20 ou, si cela n’est pas réalisable, dans un autre cadre approprié, comme les pays BRICS, l’OCS ou une autre institution du Sud. Un nouveau système de Bretton Woods doit être établi avec les modalités, telles qu’elles ont été initialement prévues par le président Franklin D. Roosevelt, mais jamais mises en œuvre en raison de sa mort prématurée. L’objectif premier et non négociable de ce nouveau système doit être l’augmentation qualitative et quantitative du niveau de vie des populations du secteur en développement et des pauvres du monde en général ».

« De nombreux développements sont déjà en cours dans le sens de la création d’un monde multipolaire, où les pays choisissent des modèles économiques en cohésion avec leurs propres cultures et traditions. Mais c’est la vocation unique du Mouvement des pays non alignés d’essayer de surmonter la dangereuse formation de blocs propice à la guerre, en offrant un nouveau système de Bretton Woods inclusif. Dans la tradition du discours du président Sukano à la Conférence de Bandung en 1955, ils pourraient reprendre sa référence à la ’première guerre anticoloniale réussie de l’histoire’, c’est-à-dire la guerre d’indépendance américaine, et sa citation du poète Longfellow et son poème sur la célèbre chevauchée de Paul Revere ».

Si l’on trouve un moyen de rappeler aux États-Unis et aux nations européennes leurs meilleures traditions, la politique de Benjamin Franklin ou John Quincy Adams, d’Enrico Mattei, de Charles de Gaulle ou la coopération germano-indienne dans la construction de l’aciérie de Rourkela, un nouveau paradigme de coopération mondiale basé sur les cinq principes de la coexistence pacifique pourra être établi, a conclu la présidente de l’Institut Schiller.