Les guerres hybrides de l’Otan : après l’Ukraine, l’Argentine ?

mercredi 8 mars 2023

Chronique stratégique du 8 mars 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le mercredi 1er mars, l’Argentine a subi une vaste panne qui a privé d’électricité au moins 20 millions de personnes, soit 40 % de la population. Le gouvernement argentin a immédiatement demandé l’ouverture d’une enquête sur la possibilité qu’une action criminelle en soit à l’origine. L’Argentine vient-elle de connaître son moment « Nord Streaming » ? Ses infrastructures civiles et sa coopération avec la Chine deviennent-elles la nouvelle cible des guerres « hybrides » de l’Otan ?

Le 1er mars, plusieurs incendies se sont déclarés soudainement sous une ligne de transmission à haute tension de 500 KW à l’extérieur de la zone métropolitaine de la capitale Buenos Aires, provoquant la mise hors service de certaines sections du réseau électrique, et obligeant la centrale nucléaire d’Atucha I, par mesure de précaution, à se déconnecter du réseau. Cela a eu pour effet de priver le réseau de 10 000 MW sur les 25 000 MW qui étaient nécessaires à ce moment-là, plongeant six millions de foyers dans le noir.

Cet incident est survenue en plein milieu de la pire vague de chaleur que le pays ait connue depuis 20 ans, ainsi que d’une sécheresse dévastatrice. Les températures ont atteint 35°C (la température corporelle est de 37°) à certains endroits. De grandes parties de l’agglomération de Buenos Aires et au moins sept autres provinces ont été touchées et si l’électricité a été rétablie au bout de quelques heures le jour même, le courant n’a été totalement rétabli dans le pays que deux jours plus tard.

Il faut dire qu’après des années de désinvestissement et de dérégulation sous le gouvernement néolibéral de Mauricio Macri (2015-2019), le réseau électrique argentin est en piteux état, et les pannes sont devenues monnaie courante dans le pays.

Cependant, quelques heures après la coupure géante du 1er mars, le ministre des finances Sergio Massa a exprimé sa « certitude » quant au caractère intentionnel des trois départs de feu à l’origine de l’incendie, et a demandé à la justice « d’enquêter » et « de poursuivre » les éventuels responsables.

Presque instantanément, les cercles liés à l’ancien président centre-droit Mauricio Macri, fils d’un milliardaire italien ayant fait fortune en Argentine, se sont mis à crier au loup, affirmant qu’Atucha représentait une grave « menace nucléaire » pour le pays – dans une tentative évidente de détourner l’attention et de jeter le bébé avec l’eau du bain.

La question qui se pose ici est de savoir si cet incident représente un acte de guerre contre l’infrastructure civile du pays, ce dont le président Vladimir Poutine a prévenu que cela pourrait se produire au niveau international si les révélations du journaliste américain Seymour Hersh sur le rôle des États-Unis dans le dynamitage de Nord Stream ne faisaient pas l’objet d’une enquête approfondie.

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De ce point de vue, considérez les menaces proférées par les réseaux géopolitiques américains et occidentaux à l’encontre du port péruvien de Chancay que la Chine est en train de construire ; considérez de la même façon les menaces directement proférées, en espagnol, par la députée républicaine américaine Maria Elvira Salazar devant la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, le jour-même de la panne géante, mettant en garde l’Argentine et la sommant de renoncer à sa coopération avec la Chine dans les domaines spatial et militaire, l’accusant d’avoir « conclu un pacte avec le diable »...

Julio De Vido, ancien ministre de la planification sous les deux gouvernements Kirchner (2003-2015) et participant à deux conférences internationales de l’Institut Schiller, a déclaré sur Radio Grafica le 3 mars : « Je pense qu’il y a des intérêts qui veulent que l’Argentine abandonne son plan nucléaire et c’est pourquoi Atucha a été désigné comme la raison de l’échec du système ». D’autre part, il a affirmé qu’« il y a toute une opération visant à annuler les accords que nous avions signés avec la Chine et la Russie pour la construction de trois autres centrales nucléaires. Ils essaient d’associer [les centrales nucléaires] à la corruption et à l’énergie sale ».

« Regardez la situation dans laquelle se trouve l’Allemagne avec son retour au charbon – ce à quoi il faut ajouter le fait que les Yankees ont fait sauter le gazoduc que [l’Allemagne] avait construit avec la Russie pour garantir son approvisionnement », a souligné l’ancien ministre argentin, faisant référence aux révélations de Seymour Hersh. La réalité est que certains intérêts américains ne veulent pas que l’Argentine se développe de manière souveraine : « Laura Richardson, [la commandante du United States Southern Command], l’a dit très clairement : pas de lithium, pas d’énergie nucléaire, pas de ressources énergétiques ».

Pour ce qui est de rendre la centrale d’Atucha responsable de la panne, De Vido a déclaré à La Politica Online que l’ « opération Atucha » avait clairement un parfum géopolitique. Car, comme il l’a souligné, l’Argentine est sur le point d’achever la construction de son usine d’uranium enrichi, 100 % argentine, et de terminer son prototype de petit réacteur modulaire CAREM, « et les puissances nucléaires n’aiment pas cela. Cela inquiète le United States Southern Command. Blâmer Atucha n’était pas une erreur fortuite ».

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