Italie : la renaissance du Mezzogiorno passera par le pont de Messine

mardi 11 avril 2023

Par Sébastien Lantrade, militant S&P.

Le 16 mars 2023, après des mois de manifestations politiques et universitaires, un décret ministériel a été signé par le président de la République italienne, Sergio Mattarella, pour démarrer la construction d’un pont suspendu reliant la Sicile au reste de la « botte », dans la partie la plus étroite du détroit de Messine.

Le chantier pourrait s’ouvrir à la mi-2024. Actuellement, pour rejoindre la Sicile, il faut prendre un ferry ou un avion.

Pour le ministre des Infrastructures et des Transports, Matteo Salvini, ce pont « représentera le fleuron de l’ingénierie italienne » et une « importante attraction touristique », du fait qu’il s’agira du pont suspendu (soutenu par des câbles) le plus long du monde. Avec ses 3,2 kilomètres, il dépasserait en effet l’Akashi Kaikyo Bridge au Japon (1991 mètres) ou encore le Xihoumen Bridge chinois (1650 mètres).

Il sera soutenu par des câbles attachés à deux pylônes (d’une hauteur de 400 mètres), l’un en Sicile et l’autre en Calabre, sans appuis intermédiaires. L’ouvrage prévoit une liaison routière et ferroviaire, avec six voies de circulation sur route et deux voies ferrées permettant le passage de 200 trains par jour.

Contexte

Taux de chômage en Italie.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie connaît un écart économique entre ses différentes régions, la coupant en deux : la partie septentrionale et la partie méridionale.

Selon ConfCommercio, le plus grand syndicat national du secteur tertiaire, le PIB de l’Italie méridionale n’a crû que de 3,3 % entre 1996 et 2019, alors que celui des régions du nord a connu sur la même période un essor de 20,1 % en moyenne.

En outre, de 2007 à 2019, les régions du sud ont perdu 800 000 habitants. Cet écart nord-sud fait parler ConfCommercio d’une croissance à deux vitesses.

Et en effet, aucun gouvernement depuis le boom économique des années 1960 n’a su réduire l’écart nord-sud, souvent malgré la volonté d’exploiter les ressources, riches et nombreuses, naturelles et industrielles du Mezzogiorno.

Au-delà de la Sicile

Comme le rapportait l’Institut Schiller en 2019 dans son dossier « Les Nouvelles Routes de la soie, pont terrestre mondial : pour en finir avec la géopolitique », toutes les conditions sont réunies

pour susciter une renaissance du Mezzogiorno, il faut comprendre le rôle que peut jouer sa situation géographique au cœur de la Méditerranée et la connexion qu’il peut établir entre l’Europe et l’Afrique, via la péninsule italienne.

« De son point le plus septentrional jusqu’au plus méridional (l’île de Lampedusa), la ‘botte’ italienne s’étend sur 1291 km comme un pont naturel entre le nord de l’Afrique et l’Europe centrale. Elle se situe à 140 km des côtes tunisiennes et à 70 km de la côte de l’Albanie. »

L’Institut Schiller rappelle qu’il existe « plusieurs projets visant à creuser des tunnels sous-marins pour connecter ces territoires (les Balkans et l’Afrique du Nord) à l’Italie ».

L’Italie dispose d’une relative autosuffisance industrielle, c’est-à-dire qu’elle est capable de produire pour satisfaire ses propres besoins et ceux d’autres pays. Son secteur industriel est considérable. Mais le problème est que cette base industrielle se concentre essentiellement dans le nord de l’Italie et en partie dans le centre, alors que le sud reste sous-développé.

C’est pourquoi l’Institut Schiller, connu pour son attachement à la souveraineté des nations, milite depuis sa fondation pour la construction d’un pont au-dessus du détroit de Messine, reliant la Calabre à la Sicile. Ce pont constituerait ainsi une première étape vers une intégration économique harmonieuse des pays méditerranéens.

Mieux vaut tard que jamais

Relier la Sicile à la botte, les Romains en ont rêvé, les Italiens semblent désormais décidés à le faire. En 2001, le gouvernement Berlusconi avait mis le projet à l’ordre du jour. Son successeur à la tête du Conseil des ministres, Romano Prodi, l’avait abandonné en 2006, alors que l’entreprise de BTP italienne WeBuild avait remporté l’appel d’offres en 2005 et établi un devis de 3,9 milliards d’euros.

Revenu aux affaires de 2008 à 2011, Silvio Berlusconi avait tenté de ressusciter le plan de construction, avant que le Parlement ne le contraigne à y renoncer en 2011, en pleine austérité.

En 2020, le journal Le Monde, un brin moqueur mais, il faut l’avouer, bon observateur, titre : Entre la Sicile et la Calabre, le pont qui n’existe pas.

Or, ce projet figure dans le budget présenté en novembre 2022 par la présidente du Conseil, Giorgia Meloni. Et le Conseil des ministres des transports, réuni à Bruxelles en décembre de la même année, a donné son feu vert à une étude de faisabilité dans le cadre du réseau transeuropéen de transport (TEN-T) pour garantir des liaisons durables à travers le continent.

Ainsi, après des décennies d’études, de combats politiques et scientifiques, la décision politique semble enfin été prise de commencer les travaux du pont. Ce serait une belle ironie de l’histoire que grâce à la « ligue du Nord », le sud de l’Italie voie enfin son sort amélioré !

Dans un décret du 16 mars 2023, comme le rapporte ConfCommercio, le Conseil des ministres italien a consenti à « l’immédiate reprise de la construction du Pont sur le Détroit de Messine ».

Selon le ministère des Infrastructures et des Transports italien, le projet « utilisera le plan technique de 2011 et réalisera un pont à haubans (c’est-à-dire suspendu, avec des câbles attachés à des pylônes de soutien) le plus long du monde : 3,2 km ».

Approuvé également par l’Union européenne, ce projet sera réalisé grâce, notamment, à la part revenant à l’Italie du Plan de relance européen (PNRR).

Conclusion

Si l’enthousiasme scientifique, universitaire et politique, en Italie, est grand autour de ce projet, il suscite toutefois des oppositions radicales de la part de certains idéologues environnementalistes ou de certaines classes politiques non moins idéologisées.

La Commission européenne, les écologistes et les comptables sont en embuscade, évoquant à tour de rôle le risque sismique et volcanique, le coût pharaonique et l’impact environnemental. Rome ne s’est pas construite en un jour. Ce sera pareil pour le pont de Messine.

Cependant, toute personne soucieuse du destin des nations et de l’avenir de l’humanité devrait se réjouir de la décision du gouvernement et de l’approbation du président de la République pour un projet aussi ambitieux.