Diogène Senny : une renaissance africaine passe par l’annulation de la dette

jeudi 11 mai 2023


Intervention de Henda Diogène Senny, spécialiste de l’intelligence économique et des relations économiques internationales, fondateur de l’Ecole africaine de management (EAM) au Congo, membre fondateur de la Ligue panafricaine - UMOJA (LP-U), lors de la visioconférence de l’Institut Schiller du 15 et 16 avril 2023.

Chers conférenciers, chers participants, chers invités,

Au nom de notre organisation, je voudrais remercier l’Institut Schiller de m’avoir invité à participer depuis le Congo, à ce moment de réflexion et de partage. Je remercie également l’ensemble des conférenciers pour la qualité des interventions livrées, avant ma prise de parole.
Après un bref rappel historique des origines de la dette fatale qui plombe le destin des populations africaines, nous verrons ensuite les vraies/fausses solutions des puissances internationales pour terminer sur les alternatives à la dette odieuse et illégitime.

Bref rappel historique des origines de la dette

Les dettes africaines trouvent leur origine dans les mécanismes de domination et d’exploitation élaborés principalement par les anciennes puissances coloniales, avec la complicité d’une élite africaine minoritaire.

En effet, deux défis majeurs ont préoccupé les anciennes puissances coloniales au tournant des indépendances africaines dans les années 1960, à savoir : garder la main sur les anciennes colonies en empêchant par tous les moyens la montée au pouvoir des figures nationalistes panafricanistes et, en même temps, aidées par les États-Unis, empêcher l’URSS d’avoir des alliés en Afrique, donc d’accéder aux minerais et autres ressources stratégiques.

Ayant réussi globalement ces deux défis, en dépit de quelques exceptions de pays prétendument alliés à l’Est, comme par exemple, l’assassinat emblématique de Patrice Lumumba en 1961 et son remplacement par Joseph-Désiré Mobutu, les conditions d’endettement odieux et massif de l’Afrique étaient réunies.

Et comme chacun le sait, il y a eu trois phénomènes historiques qui ont permis à l’Occident de disposer des moyens financiers colossaux pour réaliser sa mainmise sur l’Afrique :

  1. Les banques privées et le phénomène des eurodollars, se caractérisant par un déversoir massif en Afrique des prêts de dollars américains qui auraient dû être renvoyés aux Etats-Unis à la suite du plan Marshall, et favorisés par des régimes complaisants, alignés et intéressés au détriment de leur peuple.
  2. Le choc pétrolier de 1973 et le phénomène des pétrodollars, se caractérisant par un quadruplement soudain des prix du pétrole, dont les recettes furent déposées dans les banques occidentales. Ainsi, ajoutés aux eurodollars, les pétrodollars seront déversés en Afrique, avec naturellement la complicité des régimes africains complaisants et intéressés.
  3. La dette de nature bilatérale et le phénomène de l’aide liée, se caractérisant par une forme de subvention indirecte des grandes entreprises occidentales dont les intérêts sont payés par les peuples africains. Il s’agissait de trouver des débouchés aux marchandises qui ne trouvent plus preneurs en Occident à cause de la baisse du pouvoir d’achat, à la fin des Trente Glorieuses.

Les vraies/fausses solutions à la lourde dette africaine

Après les indépendances nominales, le développement clé en main auquel l’Occident prédestinait l’Afrique était accompagné, couvé et encadré par d’immenses colonnes de soldats que l’on nommait des assistants techniques.

Ces « assassins » techniques, superbement payés, remplissaient les cabinets ministériels et les présidences africaines tels des magiciens du développement. Au vu de l’état de l’Afrique, il va de soi que leur échec massif se passe de commentaires. Nous allons vous épargner la litanie des vraies/fausses solutions des 60 ans post-indépendance, pour ne prendre que deux d’entre elles sur les deux dernières décennies :

  1. Taxe Chirac sur les billets d’avion. De quoi s’agit-il ? Pour lutter contre le SIDA, le paludisme et la tuberculose, trois pandémies qui emportent des millions de personnes dans le monde et en Afrique en particulier, en 2006, Jacques Chirac, accompagné du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan, reprend une proposition de l’Association française pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne (ATTAC) visant à taxer chaque billet d’avion entre 1 et 40 €. Cette contribution allait permettre de lever 200 millions d’euros par an. Il suffit de regarder les tragédies causées par ces trois pandémies en 2023, soit 17 ans après, afin de s’apercevoir de l’échec patent d’une telle mesurette.
  2. Partenariat public-privé (PPP). En mai 2021, Emmanuel Macron réunissait 21 chefs d’État africains, ainsi que les responsables des grandes organisations financières internationales et commerciales, afin de répondre au choc de la COVID-19 sur les économies africaines. Le président français annonçait une sorte de New deal africain. L’un des outils de prédilection de cette initiative, ce sont les partenariats public-privé (PPP), ces conventions par lesquelles le financement et la gestion de services publics sont confiés à des prestataires privés. Pourtant décriés en Europe, notamment par la Cour des comptes européenne (CCE) pour qui ils « ne peuvent être considérés comme une option économiquement viable pour la fourniture d’infrastructures publiques », et en France, où la Cour des comptes a fustigé son coût et « son insoutenabilité financière », amenant le gouvernement d’Emmanuel Macron à y renoncer, les PPP font pourtant encore l’objet d’une large promotion, y compris par la France, par le truchement de l’Agence française de développement (AFD), auprès des pays africains. Pourquoi ce qui est décrié en Europe et en France est-il promu en Afrique, où les gouvernements créent des ministères entiers dédiés au fameux Partenariat public-privé ?

Les alternatives à la dette odieuse et illégitime

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la question de la dette et donc du développement est, d’abord et avant tout, une question fondamentalement politique.

Nous n’allons pas faire la liste de toutes les alternatives à la dette odieuse et illégitime, mais prenons-en quelques exemples, ne serait-ce que pour l’Afrique francophone et notamment les pays de la zone franc.

  1. En finir avec le soutien aux dictatures : en effet, comme nous venons de l’indiquer, la question de la dette est fondamentalement politique. Car les régimes politiques dictatoriaux, loin d’être éclairés, se maintiennent en bradant les richesses nationales et, ainsi, privent les politiques publiques de financements suffisants. Par conséquent, le recours à l’endettement illégitime, sans contrôle des institutions démocratiques, devient la règle.
  2. Lutter contre les paradis fiscaux : dans les révélations des Panamas Papers publiées par le site d’investigation Mondafrique en mai 2018, figurent six Congolais (cinq membres du bureau politique et du comité central du Parti congolais du travail et un collaborateur du chef de l’État), qui détiennent à eux seuls dans les comptes offshores, environ 5500 milliards de francs CFA, soit 68 % des 8130 milliards de la dette du Congo et 79 % du PIB au 31 décembre 2021, et il convient de noter que cela n’est pas la totalité des fortunes accumulées par ces personnalités congolaises.

Rendre la souveraineté monétaire

Il convient de rendre la souveraineté monétaire aux anciennes colonies françaises, en mettant fin au franc CFA. La prétendue fin du franc CFA (et uniquement pour les huit Etats membres de l’UEMOA, Union économique et monétaire ouest-africaine), actée et votée par l’Assemblée nationale puis le Sénat français en janvier 2021, n’a pas convaincu les opinions africaines. D’ailleurs, le changement de nom en ECO pour tenter de faire croire à la disparition des deux dispositions les plus dénoncées par les Africains, à savoir : la représentation française dans les instances de décision et le compte d’opération, ne suffisent pas non plus.

En conclusion, les alternatives à la dette odieuse et illégitime sont nombreuses. On aurait pu parler aussi de l’audit citoyen, instrument de souveraineté des États. Dans tous les cas, le contexte actuel, dominé par des revendications de souveraineté, touchera sans doute tous les aspects de la souveraineté des peuples africains, y compris la dette. Car la question de la dette africaine est une question éminemment politique !

Je vous remercie.

Conférence de l’Institut Schiller du 15 et 16 avril 2023

VIDEOs avec la traduction française
Conférence Schiller - Panel 1
Conférence Schiller - Panel 2
Conférence Schiller - Panel 3
Conférence Schiller - Panel 4

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