Assange, Wagenknecht, Carlson... le muselage de la liberté d’expression

lundi 15 mai 2023

Chronique stratégique du 15 mai 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Depuis le début de la guerre en Ukraine, au fur et à mesure que l’Occident s’enfonce dans la logique d’escalade imprimée par l’Otan contre la Russie, nous glissons lentement du type de dictature « douce » préconisée par Huxley, basée sur la consommation et les divertissements, vers le type de dictature évoquée par George Orwell, basée sur la force. L’une des principales victimes de cette dynamique est la liberté d’expression : toute personnalité – journaliste, politique, artiste, etc. — représentant plus ou moins une opposition à cette dérive se trouve systématiquement mise à l’index.

Si l’on exclut le traitement infligé à Lyndon LaRouche et Jacques Cheminade depuis les années 1970, le journaliste australien Julian Assange, qui croupit depuis quatre ans dans la prison de haute sécurité de Belmarsh pour avoir mis en lumière les crimes de guerre anglo-américains en Irak et en Afghanistan, représente en quelque sorte l’avant-garde d’une atteinte qui devient systématique à l’un des principaux droits humains, dont l’Occident s’est pourtant fait le gardien zélé : la liberté d’expression.

Le 3 mai, jour de la liberté de la presse, Jacques Cheminade a écrit sur Twitter :

Battons-nous pour la libération de Julian Assange, torturé par l’Anglosphère. Son crime : révéler pour le plus grand nombre les crimes de l’oligarchie. La cause de Julian est la cause de la paix, notre cause à tous.

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Or, depuis février 2022, ce processus s’est intensifié, au fur et à mesure que l’Occident s’est enfermé dans une escalade militaire, et que l’Otan est devenu un cobelligérant très entreprenant en Ukraine, faisant des Ukrainiens de la chair à canon utilisée pour mettre la Russie à genoux.

Voici trois exemples de personnalités qui, bien qu’il ne s’agisse pas de révolutionnaires, sont passées ces dernières semaines sous les fourches caudines de cette nouvelle inquisition qui ne dit pas son nom.

1. Le 20 avril, un grand jury fédéral aux Etats-Unis a inculpé quatre Américains et trois Russes, accusés de mener une « campagne d’influence étrangère malveillante pluriannuelle aux États-Unis ». Les Russes en question auraient « recruté, financé et entraîné des groupes politiques américains à agir en tant qu’agents illégaux non enregistrés du gouvernement russe, et de semer la discorde et de diffuser de la propagande pro-russe ».

Cette accusation s’inscrit dans la droite ligne du délire paranoïaque néo-maccartyste du « Russiagate » — la campagne qui avait tenté de faire passer Donald Trump pour un agent du Kremlin, et qui s’est avérée un montage intégral des services de (dé)renseignement anglais et américains. Cette fois-ci, les Américains désignés comme des « agents de Poutine » sont des membres d’associations politiques afro-américaines qui avaient pris part au mouvement « Black lives matter ». L’un d’entre eux se nomme Omali Yeshitela ; il s’agit du président-fondateur de l’African People’s Socialist Party (APSP), qui milite depuis des décennies (il a aujourd’hui 81 ans) pour les droits civils américains et pour l’auto-détermination des Noirs Africains dans le monde.

2. Le 24 avril, sans préavis, Fox News TV a brutalement limogé l’animateur-vedette Tucker Carlson, avec effet immédiat. Son programme du soir – qui comptait le plus grand nombre de téléspectateurs de toutes les émissions de ce type aux États-Unis – était devenue une plate-forme pour opposants à la guerre en Ukraine et à la machine de guerre permanente. Au-delà des limites du personnage, Carlson représentait une voix insuffisamment soumise, et le parti de la guerre à Washington s’est mobilisé pour obtenir son limogeage afin de supprimer toute possibilité de débattre librement de l’action des États-Unis dans le conflit en Ukraine.

3. En Allemagne, l’une des principales organisatrices des grandes manifestations qui se sont déroulées en février à Berlin contre l’envoi d’armes en Ukraine, Sarah Wagenknecht, est également devenue la cible de l’inquisition transatlantique anti-Poutine. Le 21 avril, le Washington Post, a publié un article complotiste affirmant que le mouvement des manifestations pour la paix en Allemagne était manipulé depuis Moscou : « Le Kremlin tente de construire une coalition anti-guerre en Allemagne, montrent les documents ». Selon le quotidien, Wagenknecht, la femme du fondateur du parti Die Linke Oskar Lafontaine, serait un agent russe, et la Russie serait derrière les groupes de droite et de gauche en Allemagne qui se mobilisent pour des négociations visant à mettre fin à la guerre en Ukraine.

En finir avec les « barons » de la presse

Comme l’écrit Helga Zepp-LaRouche, la présidente de l’Institut Schiller, dans son appel à la libération de Julian Assange, la liberté de la presse, et avec elle la notion même de « vérité » historique ou objective, a été « ensevelie sous un barrage d’artillerie qui en a anéanti le concept », pour être « remplacée par diverses versions arbitraires de cette vérité, à qui l’on a fait subir falsifications, discrédit, voire élimination avant même qu’elle soit conçue, en tournant à l’avance au ridicule la possibilité qu’elle puisse exister ».

Au point que l’un des piliers de cette liberté de la presse, Seymour Hersh, qui a révélé plusieurs scandales pour le New York Times et le New Yorker, depuis la guerre du Vietnam jusqu’aux tortures dans les prisons américaines en Irak, a lui aussi été cloué au piloris, pour avoir osé affirmer que l’explosion des gazoducs Nord Stream avait été pilotée par Washington.

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Le 25 avril, Jose Vega, un jeune militant de l’Organisation LaRouche, est intervenu à New York dans une conférence où s’exprimaient les principaux responsables du New York Times, du Washington Post, du Los Angeles Times et de Reuters, intitulée « Construire une presse démocratique ». Filmée, la vidéo de son intervention est rapidement devenue virale, avec plus de 15 millions de vues en 48 heures.

Depuis le fond de la salle, Jose Vega a demandé, sur un ton ironique, s’il s’agissait de la salle de conférence avec Seymour Hersh, avant d’accuser les journalistes présents sur le podium d’avoir refusé de publier objectivement les révélations de Hersh sur le rôle de l’administration Biden dans le sabotage du gazoduc Nord-Stream.

Y a-t-il un sujet que vous ayez correctement couvert depuis 20 ans, leur a-t-il demandé, ou est-ce que je me trompe ? C’est quand même drôle : sur l’Irak, vous avez eu tort ; la Syrie, tort ; le Russiagate, complètement tort. Et la liste est encore longue.

Vega a également mentionné leur silence sur l’escalade prévue par le gouvernement Zelenski (obéissant aux ordres de Washington), avant de continuer :

Pendant que Julian Assange pourrit en prison, vous touchez tous de gros chèques, parce qu’il est en prison pour avoir fait votre travail en informant le public. Et Tucker Carlson a été renvoyé de Fox pour avoir fait ce que vous avez peur de faire : dire la vérité et critiquer la guerre.

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