L’Afghanistan éradique 80% de la production d’opium : Dope Inc est furax

lundi 12 juin 2023

Chronique stratégique du 12 juin 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Un an après la publication d’un décret du gouvernement afghan interdisant la culture du pavot d’opium, les résultats sont spectaculaires : 80 % des champs ont été éradiqués et remplacés par la culture de céréales. De quoi rendre hystérique le lobby de la drogue et les acteurs financiers participant au blanchiment — qui constituent Dope Inc. ; à l’image de William Byrd, ancien responsable de l’Afghanistan à la Banque mondiale, qui estime que cette éradication est « une mauvaise nouvelle pour les Afghans et le monde ».

80 % de la production d’opium éradiqué

Les images satellite et les rapports des experts le confirment : la culture du pavot d’opium en Afghanistan a été ramenée à des niveaux les plus bas depuis 2001. Dans le sud, comme l’a rapporté la BBC, elle a été réduite d’au moins 80 % en un an, notamment dans la province du Helmand, où la taille des champs de pavot est passée de 129 000 hectares l’année dernière à moins de 1 000 hectares, soit une réduction de 99 % !

Sous le titre orwellien « L’interdiction réussie de l’opium par les talibans est une mauvaise nouvelle pour les Afghans et le monde », l’ancien « country manager » de la Banque mondiale William Byrd, qui travaille aujourd’hui pour l’US Institute of Peace, déplore l’étonnante réussite de Kaboul en matière d’éradication du pavot.

Byrd reconnaît tout d’abord que les données satellitaires analysées par Alcis et les recherches associées de David Mansfield, un chercheur indépendant qui a mené des travaux de terrain et des analyses approfondies sur le secteur de l’opium et l’économie rurale en Afghanistan pendant plus d’un quart de siècle, montrent que l’interdiction de l’opium par les talibans, annoncée en avril 2022, « a remarquablement réussi à réduire fortement la culture du pavot d’opium ».

 Il s’agit d’une réussite indéniable, surtout si l’on tient compte de la taille beaucoup plus importante de l’économie de l’opium, cette fois-ci (estimée à 233 000 ha en 2022 contre quelque 82 000 ha en 2000), écrit Byrd.

Selon Mansfield, les talibans ont adopté une approche relativement sophistiquée, par étapes, qui a évolué et s’est intensifiée au fil du temps. « L’annonce de l’interdiction n’a pas été accompagnée de l’éradication de la récolte exceptionnelle de pavot de 2022 qui était sur le point d’être récoltée, ce qui aurait suscité une résistance féroce. Cela a donné lieu à des spéculations non-fondées selon lesquelles l’interdiction n’était pas sérieuse. Les talibans ont effectivement procédé à l’éradication des cultures de printemps et d’été beaucoup plus modestes plantées par la suite en 2022, dans le but de dissuader d’autres personnes ».

En 2022, les autorités afghanes ont également déployé des efforts considérables pour « lutter contre l’éphédrine, principal ingrédient de l’industrie florissante de la méthamphétamine en Afghanistan. Ces actions ont envoyé des signaux forts à la population rurale avant la saison de plantation de l’automne 2022, ce qui, avec la sensibilisation et les menaces, a effectivement dissuadé la plantation de pavot dans le sud et le sud-ouest du pays. En conséquence, la majeure partie de la réduction de la culture du pavot est due au fait que les gens n’ont pas planté, ce qui a été complété par l’éradication de certains champs de pavot restants peu de temps après la plantation. Contrairement à l’interdiction précédente de l’opium par les Talibans, l’interdiction actuelle englobe le commerce et la transformation des opiacés, et pas seulement la culture du pavot ».

La chasse gardée de Dope Inc.

Cependant, pour William Byrd, l’idée de remplacer l’opium par le blé est un désastre : « Le choc économique provoqué par l’interdiction de l’opium est énorme, écrit-il. (…) Selon les calculs de Mansfield, l’économie rurale de l’Afghanistan a perdu plus d’un milliard de dollars par an d’activité économique, y compris des centaines de millions de dollars qui étaient revenus aux travailleurs salariés et aux métayers les plus pauvres. Ces personnes et leurs familles, qui sont déjà à la limite de la subsistance et qui n’ont pas d’autres possibilités d’emploi dans l’économie très faible de l’Afghanistan, seront encore plus exposées à la faim, à la malnutrition et aux problèmes de santé qui en découlent ».

Un tantinet hypocrite de la part de cet ancien haut responsable de la Banque mondiale, qui ne doit pas ignorer que la production brute d’opium afghan représentait moins de 2 % du PIB en 2019, soit 350 millions de dollars, alors que l’héroïne rapportait plus de 20 milliards de dollars sur le marché européen ! Autrement dit, les revenus de l’opium afghan sortaient massivement du pays sans réellement profiter aux Afghans...

De plus, rappelons que la Banque mondiale, en août 2021, a littéralement appliqué un garrot à l’Afghanistan en approuvant le gel des 9,5 milliards de dollars d’actifs de la Banque nationale afghane. A l’époque, Byrd affirmait que « la loi américaine stipule que les réserves de la banque centrale d’un pays qui, pour quelque raison que ce soit, a un gouvernement non reconnu, n’appartiennent pas à ce gouvernement ».

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En outre, selon Byrd, « remplacer le pavot par le blé (comme c’est le cas depuis l’interdiction actuelle de la culture de l’opium) n’est pas viable économiquement pour l’ensemble du secteur rural afghan et en particulier pour les ménages qui ne possèdent que peu ou pas de terres. La plupart des Afghans n’atteignent pas la sécurité alimentaire en cultivant leur propre nourriture. Ils parviennent plutôt à joindre les deux bouts en cultivant des produits de rente ou en produisant d’autres produits agricoles (par exemple, du bétail et des produits laitiers), qui peuvent être vendus pour fournir les ressources nécessaires à l’achat de nourriture, ou en exerçant d’autres emplois. Le blé est une culture de faible valeur et un mauvais substitut à l’opium, bien qu’il serve de recours temporaire pour les personnes qui prévoient de revenir au pavot à opium plus tard, en particulier pour les propriétaires terriens dont les champs sont suffisamment vastes pour répondre aux besoins alimentaires de leur propre famille ».

Et Byrd d’invoquer la menace d’une nouvelle crise massive des réfugiés et d’un afflux de migrants vers la Turquie et l’Europe, en conséquence de la chute désastreuse des revenus provoquée par l’interdiction de l’opium. Comme si le gel des avoirs afghans en 2021, combiné à l’arrêt du versement des salaires de 70 % des fonctionnaires payés via la Banque mondiale, n’avait pas contribué à plonger le pays dans le chaos !

Il faut dire que la question de la drogue constitue une véritable chasse gardée, quand on sait que le trafic de drogue international génère selon les estimations entre 500 et 1000 milliards de dollars annuels, en grande partie blanchis, via les paradis fiscaux, par des opérateurs financiers ; au point que, comme l’avait souligné l’ancien directeur exécutif du bureau des Nations unies pour le contrôle des drogues et la prévention des crimes (ONUDCCP), Antonio Maria Costa, lors des crises financières, où le système bancaire souffre du manque de liquidités, ces capitaux liquides sont devenus un facteur important de stabilité permettant de retarder la faillite systémique.

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