Pacte financier avec le sud planétaire : Macron veut diviser pour régner

mercredi 28 juin 2023

Chronique stratégique du 27 juin 2023 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Dans une nouvelle poussée jupitérienne, Macron a invité à Paris, les 22 et 23 juin, les représentants de plus de 100 pays, dont 40 chefs d’État et de gouvernement, des représentants d’organisations et d’institutions financières internationales, ainsi que des entreprises et des investisseurs privés, pour un sommet visant à lancer un nouveau pacte financier mondial. Le nom officiel de l’événement était « Sommet pour un nouveau pacte financier mondial ».

Rassembler pour mieux diviser

Parmi les chefs de gouvernement et d’État participants : le Premier ministre chinois Li Qiang, le Premier ministre indien Narendra Modi, le chancelier allemand Olaf Scholz, le président brésilien Lula da Silva, le président sud-africain Cyril Ramaphosa, le président sénégalais Macky Sall, le président tunisien Kais Saied, le président camerounais Paul Biya et le prince héritier Mohamed bin Sultan d’Arabie saoudite. Parmi les institutions internationales, il y avait les dirigeants de l’ONU, de la Commission européenne, du Conseil européen, de la Banque mondiale, de l’OCDE, etc.

« Les objectifs de ce sommet », peut-on lire sur le site de l’Élysée, ne sont rien moins que « réformer le système financier international », c’est-à-dire « construire un nouveau consensus pour un système financier international plus inclusif [...] définir les principes des réformes à venir et poser les jalons d’un partenariat financier plus équilibré entre le Sud et le Nord ». Il doit également « ouvrir la voie à de nouveaux accords pour lutter contre le surendettement et permettre à davantage de pays d’accéder aux financements dont ils ont besoin pour investir dans le développement durable, mieux préserver la nature, réduire les émissions et protéger les populations de la crise écologique, là où c’est le plus nécessaire ».

Tout cela intervient à un moment où le président français tente de se faire inviter au sommet des BRICS qui se tiendra du 22 au 24 août en Afrique du Sud. Et derrière l’épaisse couche de bien-pensance sur l’unité du monde, la solidarité internationale et le « combat conjoint pauvreté-climat », le sommet de Paris ressemble à s’y méprendre à une tentative d’acheter, de diviser les pays des BRICS et d’isoler la Russie. D’autant plus que, comme nos lecteurs réguliers le savent, les pays des BRICS, sous l’impulsion des Nouvelles Routes de la soie de la Chine, sont en train d’imprimer une dynamique en faveur d’une recomposition de l’architecture financière et monétaire mondiale qui échappe de plus en plus à l’oligarchie financière de Wall Street et de la City de Londres, dont le président français se veut être le serviteur de luxe.

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Dans une interview accordée le 22 juin à France Info, Macron a utilisé des termes qui nous sont familiers, déclarant que l’objectif de ce sommet « est de réunir des dirigeants venant de tous les continents, parce que nous vivons un moment de risque de fracture, autour de la guerre en Ukraine et l’agression russe, et au fond d’une division du monde ; on ne peut régler aucun de ses problèmes si le monde se divise. (…) Ici, à Paris, la planète est là. (…) Ce sommet montre ‘l’isolement de la Russie’. (…) Aujourd’hui, la Russie s’est mise, de son propre chef, dans une situation qui est de ne plus respecter le droit international, de redevenir l’une des seules puissances coloniales du 21ème siècle, en menant une guerre d’empire auprès de son voisin en Ukraine, et c’est une puissance de déstabilisation de l’Afrique à travers des milices privées qui viennent faire de la prédation et des exactions sur les populations civiles (...). Par les choix qui sont les siens, la Russie ne joue pas un rôle bénéfique pour la communauté internationale ».

Un nouveau pacte, mais pas un nouveau système

À défaut de réformer sur-le-champ les institutions de Bretton Woods en berne, Macron propose quelques miettes pour les nations à faible revenu, toutes orientées vers la transition verte. La directrice générale du FMI, Mme Georgieva, a annoncé que l’équivalent de 100 milliards de dollars de Droits de tirage spéciaux (DTS), promis en 2015 au secteur en développement pour les investissements verts, avait finalement été rassemblé grâce aux contributions des différents États membres.

Le nouveau président de la Banque mondiale, Ajay Banga, a annoncé une « boîte à outils » élargie pour l’aide internationale : « Une pause dans les remboursements de la dette, la possibilité pour les pays de réorienter les fonds vers des mesures d’urgence, de nouveaux types d’assurance pour soutenir les projets de développement, et une aide aux gouvernements pour mettre en place des systèmes d’urgence anticipés ». Il n’est cependant pas question de moratoires sur la dette ou de décotes pour les détenteurs de la dette.

L’Occident a également proposé au président sénégalais Macky Sall un accord de 2,5 milliards d’euros pour porter les énergies renouvelables à 40 % du bouquet énergétique sénégalais en 2030, mais Macron a précisé que le Sénégal serait autorisé à poursuivre ses investissements dans le gaz naturel, qui, selon lui, « est une énergie de transition ».

La coopération sino-française a permis de trouver une solution au problème de la dette zambienne, élaborée en marge du sommet. Un accord a été conclu sur la restructuration de la dette de la Zambie, la Chine et les créanciers occidentaux ayant accepté de restructurer 6,3 milliards de dollars de dette.

La Chine et le Brésil pour une refonte de Bretton Woods

En dépit de l’entreprise de phagocytose du président français, le sommet de Paris a été marqué par la présence du premier ministre chinois Li Qiang et du président brésilien Lula da Silva, dont l’intervention a eu beaucoup de retentissement.

Plusieurs chefs d’État africains ont notamment tenu à souligner le fait que le rôle de la Chine est bien accueilli sur leur continent. Le président kenyan William Ruto a affirmé, lors de la conférence de presse de clôture du sommet, qu’il était important de collaborer avec la Chine dans la lutte contre le changement climatique. « Les tensions entre la Chine et l’Occident sont inutiles », a-t-il déclaré.

Lors de son intervention, le président brésilien Luiz Inácio Lula da Silva a fait grand cas de Dilma Rousseff, la présidente de la Nouvelle banque de développement des BRICS, qui était également présente au sommet de Paris (Elle était présidente du Brésil lorsque les BRICS ont créé la banque lors du sommet de Fortaleza en 2014) :

Je suis venu ici pour dire que, parallèlement à la question du climat, nous devons soulever la question de l’inégalité mondiale, a déclaré Lula. (…) Nous vivons dans un monde de plus en plus inégal, où la richesse est de plus en plus concentrée entre les mains d’un plus petit nombre de personnes, et où la pauvreté est concentrée entre les mains d’un plus grand nombre de personnes.

Le président brésilien a ensuite expliqué que les institutions de Bretton Woods, qui ont été créées après la Seconde Guerre mondiale, ne fonctionnent plus, ne répondent plus aux aspirations et ne servent plus les intérêts de la société. « Soyons clairs : la Banque mondiale laisse beaucoup à désirer. (…) Soyons clairs, le FMI laisse beaucoup à désirer au regard de ce que les gens attendent de lui ». Lula a cité l’exemple de l’Argentine, qui a été mené à la faillite suite au prêt de 44 milliards de dollars par le FMI au président Mauricio Macri, et dont personne ne sait ce qu’il a fait de l’argent.

Puis, prenant pour exemple l’énorme potentiel inexploité de développement autour du fleuve Congo, précisément en raison de ce système, Lula a appelé à cesser « le prosélytisme des ressources » consistant à faire des petites choses par-ci, et des petits projets par là, sans générer de saut qualitatif. « C’est pourquoi je suis optimiste quant à la création de la Banque des BRICS. C’est pourquoi je suis optimiste quant à la possibilité de créer la Banque du Sud. C’est pourquoi je suis optimiste sur le fait que nous allons discuter des monnaies d’échange ».

Il y a des gens qui ont peur quand je dis qu’il faut créer de nouvelles monnaies pour le commerce. Pourquoi le Brésil et l’Argentine devraient-il commercer en dollars ? Pourquoi ne pouvons-nous pas le faire dans nos propres monnaies ? (...) Cette discussion est donc inscrite à mon agenda et, si cela dépend de moi, elle aura lieu lors de la réunion des BRICS, qui se tiendra en [août]. Elle aura également lieu lors de la réunion du G20, car nous aurons besoin de faire participer davantage d’amis africains au G20.

Il est clair que les pays de l’hémisphère sud n’entendent plus se laisser dicter la loi par la finance folle de New-York et de Londres. Et le président français a du pain sur la planche s’il veut inverser la vapeur…

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