Articles

A lire pour comprendre l’Orient compliqué : Retour sur la guerre d’Israel au Liban

jeudi 14 juin 2007

L’effroyable imposture 2
Thierry Meyssan
Editions Alphée - Jean-Paul Bertrand
397 pages
21,90 euros

C’est devant une quarantaine de journalistes que Thierry Meyssan, président du Réseau Voltaire, a présenté son dernier ouvrage, L’effroyable mensonge N°2, consacré à analyser les causes de la guerre israélienne de 2006 contre le Liban et les raisons de la défaite israélienne. Fait remarquable qui confirme les accusations portées dans cet ouvrage contre la collusion d’un certain nombre de médias occidentaux avec le Royaume Uni, les Etats-Unis et Israël, sur l’ensemble des journalistes présents, un seul représentait la presse française : Nouvelle Solidarité ! Les autres étaient, pour la plupart, des médias du monde arabe.

L’ouvrage démarre en montrant le rôle clé de la propagande pour contrôler les opinions publiques au début de tout conflit. Ainsi, les campagnes médiatiques visant à dépeindre le Hezbollah comme un groupe « terroriste », l’offensive pour interdire leur chaîne de télévision Al Manar et la campagne de diabolisation du régime de Téhéran ont fait partie des préparatifs à la guerre orchestrés à partir des ministères de la Défense du Royaume Uni, des Etats-Unis et d’Israël. Pour ce qui est de l’Iran, Thierry Meyssan dénonce vigoureusement les « provocations » du président Ahmadinejad, notamment la conférence sur l’Holocauste de décembre 2006 à Téhéran, qualifiée par l’auteur « d’insulte odieuse et gratuite » « pour tous les survivants de la barbarie nazie », mais il montre aussi la façon dont la propagande états-unienne saisit chaque occasion pour dresser au président iranien un portrait de « nouvel Hitler ».

Le rôle de la France dans la guerre

Sur la guerre elle-même, l’un des éléments les plus nouveaux de cet ouvrage concerne la façon dont la France serait intervenue tout au long de ce dossier afin d’épargner à son allié libanais un sort identique à celui de l’Irak. L’auteur souligne que cette guerre avait été prévue deux semaines après le début de la guerre d’Irak, en 2003, lorsque le Congrès avait adopté la « Loi sur la restauration de la souveraineté libanaise et sur la responsabilité de la Syrie » qui exigeait de ce pays, accusé de collaborer avec le terrorisme et de vouloir se doter d’armes de destruction massive, de mettre fin à son occupation du Liban.

Profitant des déboires américains en Irak, Jacques Chirac a proposé aux Etats-Unis la résolution 1559 pour le Liban, qui présentait l’intérêt de ramener les Etats-Unis dans le giron de l’ONU. Que demande cette résolution adoptée en septembre 2004 ? Le retrait de toutes les forces étrangères du Liban, c’est-à-dire de la Syrie, mais aussi d’Israël qui occupe encore les fermes de Chebaa, ainsi que le désarmement de toutes les milices.

Donnant la clé à l’interprétation française de cette résolution, Chirac déclarait bien plus tard que dans cette affaire, France et Etats-Unis avait eu « une approche commune ». Mais « peut-être nous n’avions pas les mêmes arrière-pensées ». En effet, pour la France, le retrait syrien devait permettre au Liban de tourner cette page et de procéder à sa reconstruction. Pour les Etats-Unis, c’était la pré-condition pour procéder au remodelage des frontières de toute la région : le vieux plan anglais de Bernard Lewis.

Problème, Jacques Chirac, plutôt que de s’appuyer sur le général Aoun qui passa 15 ans en résidence surveillée en France, ou sur le Hezbollah avec qui la diplomatie française a des contacts réguliers, mise tout sur un seul homme, le Premier ministre Rafik Hariri. « Les liens personnels et anciens qui unissent Rafik Hariri et Jacques Chirac sont notoires. (..) Le milliardaire libanais aurait été le plus généreux donateur des campagnes électorales de Jacques Chirac, en 1988, 1995 et 2002. (...) Il se murmure qu’ils gèrent leurs patrimoines ensemble ». Ayant décidé de passer par ce seul personnage, les Anglo-Américains et les Israéliens croiront qu’il suffira de le viser pour faire dérailler toute la diplomatie française. Ainsi, conclut Meyssan, « en voulant sauver le Liban, Jacques Chirac vient involontairement de désigner son meilleur ami aux coups de ses assassins ».

En février 2005 dans son discours sur l’Etat de l’Union, George Bush sonne le hallali contre la Syrie, l’ambassadeur syrien à Washington est sommé de préparer le départ des troupes syriennes du Liban et Elliot ABrams, adjoint du Conseil national de sécurité, est nommé à la tête de cette opération. Le 14 février 2005, Rafik Hariri est tué lors d’un attentat de forte puissance contre sa voiture, et ce fut le départ de la campagne contre la Syrie au Liban, accusée d’avoir commandité l’attentat et le lancement de la révolution du Cèdre, sur le modèle des révolutions « à couleurs » dans les pays de l’Est européen.

Une fois la guerre déclenchée par Israël, prenant comme prétexte « l’enlèvement » de deux soldats israéliens par le Hezbollah, le 12 juillet 2006, après des débuts cafouilleux, Jacques Chirac aurait mené une stratégie en deux temps : laissant à Philippe Douste-Blazy le soin de s’embourber diplomatiquement dans ses interminables paroles d’un côté, et de l’autre, confiant à « Michelle Alliot-Marie, le soin d’assister militairement le Liban sous couvert d’opérations humanitaires. (...) Elle déploie un dispositif sur-dimensionné d’évacuation des ressortissants français, installant une navette maritime entre Beyrouth et Larnaca, Chypre, qui brise le blocus israélien du Liban ». Elle aurait agi en coordination avec son homologue russe. La France aurait poussé sa stratégie si loin que le 28 septembre 2006, lorsque, la guerre terminée, Hassan Nasrallah s’est adressé à une foule compacte à Beyrouth, des dizaines d’avions français aurait franchi la Méditerranée pour former un bouclier de protection pour le dirigeant de Hezbollah, cible potentielle des attentats israéliens.

En conclusion, beaucoup d’analyses nouvelles et de faits recueillis aux bonnes sources dans cet ouvrage, mais aussi quelques critiques. Tout un chapitre est consacré à retracer l’origine du sionisme et des chrétiens sionistes jusqu’aux fondateurs des Etats-Unis, les Pilgrim fathers qui ont débarqué à Massachusetts pour fonder les premières colonies en 1620, et là nous ne pouvons que regretter qu’une interprétation de l’histoire limitée à la religion et à la géopolitique aboutisse à une image si déformée de toute l’histoire des Etats-Unis. Etablir un lien entre les chrétiens sionistes d’aujourd’hui et les Pilgrim fathers est aussi abusif que ceux qui prétendraient que parce que les membres du Hezbollah sont animés par la « foi », ce serait des allumés... Car une analyse religieuse doit être complétée par une analyse politique, philosophique et économique permettant d’établir le rôle progressiste joué par les uns et les autres à leur époque et de distinguer ceux qui agissent en faveur du bien commun de ceux qui sont obsédés par la lutte contre le « mal ». Comme l’attestent les écrits des premiers colons américains, de John Winthrop, par exemple, ceux-ci étaient favorables à la tolérance religieuse, à la lutte pour le bien commun, à l’égalité des hommes face à la loi, au développement de la manufacture, à la lutte contre l’usure financière.
C’est aussi étonnant de voir la Révolution américaine condamnée du même revers de la main, accusée de ne pas s’inspirer de Locke et de Rousseau, comme si ceux-ci étaient la source même d’un humanisme républicain. Comme le montre l’article de Jacques Cheminade « La recherche du bonheur&nbsp ; », Locke, un héritier du courant empiriste anglais fondé par Thomas Hobbes et David Hume, était un philosophe pour qui l’homme, comme la bête, ne comprend le monde que par les sensations. Cet univers bestial, de la lutte de tous contre tous, est ce qui amène Locke à définir les droits inaliénables de l’homme comme étant un droit à « la vie, la liberté et la propriété ». C’est le principe fondateur du libéralisme britannique, celui d’un animal humain pourvu de droits à posséder, y compris des serfs et des esclaves. Inspirée par Leibniz, la déclaration d’indépendance des Etats-Unis stipule, au contraire, que ces droits inaliénables sont ceux à « la vie, la liberté et la recherche du bonheur », cette notion étant associée à celle d’agapê, d’amour de notre espèce et de l’univers, la joie de les connaître mieux. Ce sont ces notions et non les premières qui peuvent inspirer les citoyens à faire le bien, fondement même d’une République digne de ce nom. Elles se traduiraient aujourd’hui dans la pratique, par exemple, par un plan de paix israelo-palestinien et régional, fondé sur une politique de coopération économique d’intérêt mutuel.

L’essentiel, suivez notre fil :

« Guerre et Paix en Asie du Sud Ouest »