L’héritage de Sun Yat-Sen et la Révolution américaine

lundi 17 septembre 2012

Résumé d’un article de Robert Wesser et Mark Calney paru dans l’Executive Intelligence Review (EIR) du 28 octobre 2011.

1879 : Sun Yaté-Sen, âgé de 13 ans, arrive sur l’île d’Hawaï pour rejoindre son frère devenu cultivateur et propriétaire. C’est là que notre histoire commence, car ce sont ces années au contact avec l’esprit du « Système américain d’économie politique » sur cette île qui préparent Sun à devenir le révolutionnaire de demain.

Dans ces années là et depuis pratiquement le début du XIXe siècle, cet archipel isolé est l’enjeu d’un féroce combat politique entre tenants de l’Empire esclavagiste britannique et partisans d’un projet international révolutionnaire inspiré de Benjamin Franklin. Quand Sun y débarque, ce carrefour du Pacifique est déjà l’avant-poste stratégique de ce projet soutenu par certains missionnaires américains.

A Hawaï, le jeune Sun Yat-Sen rencontre les idéaux de la Révolution américaine grâce à sa racontre avec Jedidiah Morse (1761-1826) dont le fils fut l’inventeur du télégraphe, et John Jay (1745-1829) ancien ambassadeur de Ben Franklin à Paris et avec A. Hamilton, un des auteurs des Federalist Papers.
Morse : mith.umd.edu Jay : http://www.themoralliberal.com

Le mouvement est organisé par un comité des missionnaires, l’American Board of Commissioners of Foreign Missions (ABCFM), créé en 1810 à Farmington, dans le Connecticut. Une figure clef de ce mouvement est le révérend Jedidiah Morse (1761-1826), un allié de Benjamin Franklin. Après la mainmise des Britanniques sur Harvard, Morse ouvre en 1805 un séminaire théologique à Andover qui devient rapidement une base de recrutement et d’éducation pour ce courant. La plupart des dirigeants de ce groupe sont issus des conflits opposant les patriotes américains aux Britanniques depuis la révolution. Parmi les autres fondateurs de l’ABCFM, mentionnons l’ancien ambassadeur de Franklin à Paris John Jay (1745-1829), l’auteur de Federalist papers avec Alexander Hamilton et James Madison et premier juge de la Cour suprême américaine, et Elias Boudinot IV, membre du Congrès et très proche collaborateur de George Washington. Boudinot IV avait contribué à la nomination d’Alexander Hamilton au poste de Secrétaire au Trésor. Son père fut d’ailleurs membre de la Société philosophique américaine Junto, fondée à Philadelphie en 1743 par Benjamin Franklin.

Les premiers missionnaires arrivent à Hawaï le 30 mars 1820. Deux ans plus tard ils ont créé une langue hawaïenne écrite, utilisant cinq voyelles et sept consonnes et ont commencé à imprimer des livres (apprentissage de la langue, bibles, etc.). En 1824, 2000 élèves sont accueillis dans leurs écoles et en 1826, 400 professeurs autochtones ont été formés et les assistent pour l’éducation de 25 000 élèves. En 1831, 1100 écoles ont vu le jour et éduquent 40% de la population de l’île. En 1843, la mission a converti 27 000 Hawaïens au Christianisme.

Combattre le système d’esclavage britannique

Dans les années 40, les puissances coloniales britannique et française redoublent leur offensive contre les pays du Pacifique et d’Extrême-Orient. La première Guerre de l’opium contre la Chine et le Traité de Nankin de 1842 qui y a mis fin, révélent toute l’horreur de la politique de l’Empire britannique : si vous résistez à son « libre-échange », esclavagiste et promoteur du trafic de drogue, vous serez écrasés par ses cuirassiers.

Après une tentative (1861-1865) sans succès, par la Royal Navy de saisir Hawaï par la force, les Britanniques augmentent la pression pour imposer le libre-échange sur les îles, en promouvant un système de plantations basé sur l’exploitation des travailleurs esclaves chinois, la saisie des terres par des cartels, et la consommation d’opium. Les britanniques jouent aussi la carte « ethnique », fomentant constamment des tensions raciales entre les américains et les natifs hawaïens et d’autres populations ethniques de l’archipel.

C’est en 1842 qu’arrive à Hawaï, Samuel C. Damon (1815-1885), un missionnaire diplômé de l’école de théologie d’Andover, qui joue un rôle clé dans l’histoire de Sun Yat-Sen. Damon est déployé par des forces patriotiques de la République américaine pour jouer un rôle politique clé dans la guerre que les Etats-Unis mènent contre la monarchie britannique, et il joue ce rôle durant une bonne quarantaine d’années.

Samuel Damon est bien conscient du projet britannique pour briser l’harmonie raciale d’Hawaï. Lors de la guerre de Sécession (1861-1865) menée par le président Abraham Lincoln contre l’alliance sudiste entre banquiers de Wall Street et esclavagistes pro-britanniques, Damon écrit : « Nous allons continuer [à vivre en harmonie raciale], confiants dans notre conviction que l’on doit traiter tous les hommes comme tels sans considération de couleur ou de race ; mais quand les doctrines malfaisantes duLondon Times », s’imposeront « la guerre éclatera ».

Une attaque de flanc

Dans le Pacifique, la bataille d’Hawaï prend la forme d’une attaque de flanc contre le système esclavagiste britannique qui consiste à acheter et vendre des coolies chinois. Les puissants intérêts contrôlant les plantations de canne à sucre (les planteurs) sont dirigés par la Société royale agricole hawaïenne contrôlée par les Britanniques, dont l’objectif est d’obtenir l’adoption de la loi « Maîtres et esclaves » autorisant l’importation massive de main-d’œuvre chinoise réduite à l’esclavage. Près de deux mille chinois sont ainsi amenés à Hawaï.

Dans les pas de l’un des pères de la révolution américaine, l’économiste Alexander Hamilton, le Secrétaire au trésor hawaïen Garrit P. Judd (1803-1873) initie un projet gouvernemental pour fournir des terres et du crédit à bon marché pour tous les « roturiers » désirant s’installer et développer l’agriculture de l’archipel. L’objectif de cette redistribution des terres, ou « grand Mahele », est de briser le monopole des planteurs sur la terre et d’éradiquer le système utilisant la main-d’œuvre esclave chinoise.

Damon met également en place un projet destiné aux populations chinoises nouvellement arrivées. En 1868, à sa requête, un organisateur chinois membres de l’ABCFM arrive à Hawaï et voyage d’île en île avec des Américains, rendant visite à toutes les communautés de coolies. « Pour ceux qui désirent apprendre, et lorsque des professeurs (surtout des Hawaïens) peuvent être trouvés », des écoles de fortune sont organisées.

Aux Etats-Unis, la mobilisation économique et militaire sans précédent qui permit à Lincoln de battre l’insurrection confédérée soutenue par les britanniques (1865), déclenche aussi l’une des plus grandes explosions de progrès scientifique et économique de l’histoire moderne. La victoire de l’Union démontre au monde que les principes du « Système d’économie politique américain », appliqués d’après le principe républicain de la Constitution des Etats-Unis, peut non seulement détruire les attaques oligarchiques, mais aussi générer, « en promouvantl’intérêt général » de l’humanité, une suite sans précédent d’avancées technologiques.

L’impact de cette victoire se fait sentir à Hawaï et en 1872, le premier roi hawaïen visite les Etats-Unis pour signer des traités avec le président Ulysse S. Grant, ayant pour but de mettre fin à toute emprise du pays par la Grande-Bretagne. Ces traités de réciprocité commerciale sont fondés, non sur la base d’un « libre-échange » ruineux pour la main-d’œuvre et les ressources du pays, mais sur la base« d’une communauté d’intérêts ».

Sun et les Américains

Sun Yat-sen (1866-1925)

En 1883, Sun, âgé de dix sept ans, entre au Lycée Oahu, pour sa dernière année d’un séjour de quatre ans à Hawaï. Samuel Damon fait parti de la direction du lycée. Les trois années précédentes, il les passe à l’école anglicane Iolani d’Honolulu, où il apprend l’anglais, les exercices militaires, la musique, les mathématiques, et s’initie au christianisme. Dans cette école il fut certainement soumis à la propagande britannique anti-américaine, car le proviseur de l’école, Bishop Willis, est un monarchiste anti-américain. Sa décision d’entrer au Lycée Oahu, fréquenté par les enfants de missionnaires américains est sa première rupture avec l’Empire. A Oahu, Sun entame aussi des études de médecine et d’histoire politique des Etats-Unis. Mais son attirance pour les Etats-Unis et le christianisme inquiète son frère Sun Mei qui le renvoie aussitôt en Chine. Plus tard, à Hong Kong, un missionnaire de l’ABCFM le convertira, en effet, au Christianisme.

A partir de 1887, il étudie la médecine pendant cinq ans à Hong Kong. C’est là qu’il mène des discussions intenses avec d’autres étudiants chinois sur la nécessité d’une révolution républicaine en Chine. Il y rencontre Lu Haotung, le premier martyr de la révolution, tué en 1895 lors de la révolte de Canton.

En 1875, cent vingt étudiants chinois de Canton se rendent à Hartford, dans le Connecticut, dans le contexte d’un programme d’échanges sino-américain. Ce programme faisait partie d’un projet plus vaste visant à créer des académies « polytechniques » à travers la Chine où les cadres seraient formés aux techniques d’ingénierie militaire, aux sciences industrielles, à l’astronomie, la chimie et la physique. L’organisateur chinois de ce programme était le fameux confucéen Li Hungchang, qui en 1887 avait été aidé par Wharton Barker, un économiste protectionniste, élève d’Henri Carey, pour mener à bien la création d’une Banque Nationale Chinoise. Cette banque devait servir à financer la modernisation rapide des infrastructures chinoises. Son projet incluait « un système national de chemins de fer et de télégraphes, dont les avantages seraient vite évidents : par exemple la prospérité commerciale de la nation, l’amélioration des conditions de vies générales de la population qui résultera de l’intercommunication des habitants de différents endroits. »

Barker conclut que seule la création d’une banque centrale nationale chinoise souveraine permettrait de générer suffisamment de crédit pour financer « tous les emprunts du gouvernement pour des investissements publics tels que la construction de chemins de fer, le travail des mines, et les contrats pour les fournitures permettant de réaliser ces deux choses ».

Son projet est abandonné en 1888 à cause de la pression exercée par les Britanniques sur le gouvernement Mandchou de l’époque. Néanmoins, de nombreux leaders militaires et politiques chinois alliés à Sun au cours de la Révolution de 1911, ont subi l’influence du courant patriotique américain, qui transparaît dans l’ouvrage que Sun publie en 1919 sous le titreLa reconstruction nationale de la Chine.

A la veille de la révolution

Le 1er aout 1894, la guerre éclate entre le Japon et la Chine au sujet de la Corée. Sun et ses co-conspirateurs voient que cette défaite des Mandchous face aux Japonais leur offre l’occasion parfaite pour un renversement révolutionnaire de la Monarchie et l’établissement d’une République. Immédiatement Sun se rend à Hawaï afin de lever des fonds auprès de révolutionnaires nationalistes chinois expatriés.

Le 24 novembre 1894, une réunion de trente personnes eut lieu à Honolulu, créant la « Société pour la restauration de la Chine ». Tous les membres doivent prêter serment, appelant « au renversement des Mandchous, la restauration de la Chine par les Chinois, et l’établissement d’un gouvernement républicain ».

L’attaque de 1895 à Canton ayant échoué, Sun est forcé de s’exiler au Japon. Après seize ans de combat, il finit par établir la République Populaire de Chine en 1912. Pendant cette période, Sun voyagea en Europe, en Asie, et aux Etats-Unis, établissant partout des Sociétés pour la restauration de la Chine.

Exil et retour, vers la victoire

Ayant échappé à un enlèvement organisé par une délégation chinoise à Londres, Sun passe deux ans d’exil en Europe, les premiers six mois sont dévolus à l’étude de l’histoire et de la littérature. C’est à cette période qu’il développe les principales clefs de la révolution chinoise, le « San Min Chu I », c’est-à-dire « les Trois principes du peuple » inspirés d’Abraham Lincoln : « le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ».

En octobre 1903, Sun retourne à Hawaï et lors d’un discours le 13 décembre, déclare que rien de moins qu’une révolution pourra sauver la Chine. Le journal Pacific Commercial Advertiserrapporte :« Le docteur Sun pense que la nation chinoise se lèvera par la puissance de 400 millions de personnes et renversera la dynastie Mandchoue pour toujours. »

Le 1er janvier 1912, Sun revient en Chine pour être instauré premier Président de la République. Ses amis chinois à Hawaï envoient immédiatement un message au prince Kuhio, le délégué au Congrès américain pour le territoire d’Hawaï, afin que les Etats-Unis reconnaissent immédiatement la République de Chine. Ainsi, les Etats-Unis furent la première Nation à accorder sa reconnaissance diplomatique à la Chine.


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