Le Fidelio de Beethoven, ou l’instinct de liberté

mardi 16 décembre 2014, par Maëlle Mercier

Pour situer le contexte et l’importance de cette conférence et des personnalités qui y sont intervenues, lisez 30e anniversaire de l’Institut Schiller : la nouvelle Route de la soie transforme déjà la planète !

Inspirez-vous des hautes émotions que vous avez ressenties en écoutant Beethoven ; puisez dans le meilleur de vous-mêmes, dans la beauté et l’amour universel chantés dans la scène finale pour transmettre dès demain, à un maximum de vos concitoyens, l’enthousiasme pour un futur meilleur que vous aura inspiré la conférence.

Voici, en substance, la mission qu’Helga Zepp-LaRouche, présidente de l’Institut Schiller, nous confia à la fin de la conférence de Francfort du 18 et 19 octobre 2014.

Le choix de présenter l’opéra Fidelio lors d’un tel événement (sous une forme réduite, sans décor, avec un orchestre amateur resserré et des chœurs uniquement formés de militants de notre organisation européenne) n’est pas anodin.

La profonde émotion qu’exprimèrent les spectateurs après le concert en témoigne. Pourquoi ? D’abord parce que la beauté, la vraie beauté, porte en elle une dimension morale. En effet, comment se figurer la possibilité de plus de justice, d’égalité, de progrès, si jamais dans notre vie, l’on n’a eu l’occasion d’en avoir une idée, une représentation ?

A quoi bon s’indigner de la cruauté qui sévit partout dans notre société, si rien de plus grand, de plus noble, n’a déjà été porté à notre imagination ? Enfin, y a-t-il meilleur moyen pour convaincre autrui de se battre politiquement, que de mobiliser à la fois sa raison et ses émotions ?

Beethoven fut inspiré d’un grand nom de la Renaissance allemande, Friedrich Schiller (1759-1805). Le poème L’Ode à la joie, du dernier mouvement de la fameuse 9e Symphonie, fut d’ailleurs écrit par lui.

Or pour Schiller, qui écrivit, suite aux effusions sanguinaires de la Révolution française – en laquelle il avait beaucoup espéré – Les lettres sur l’éducation esthétique de l’homme, l’artiste doit prendre très au sérieux son rôle d’éducateur, en harmonisant, par ses œuvres, nos instincts – émotionnel et rationnel – sans cesse en lutte. L’artiste est en somme un psychologue de la nation ; non pas pour nous faire nous contempler nous-mêmes, mais pour nous rendre meilleurs, enclins à intervenir pour élever notre société.

L’histoire de Fidelio

Afin de libérer son mari Florestan, détenu en secret par Don Pizarro, cruel gouverneur de la prison d’Etat, Léonore se déguise en homme et prend le nom de Fidelio : elle parvient ainsi à se faire embaucher par Rocco, le geôlier de la prison. Mais la fille de ce dernier, Marzelline, pourtant courtisée par Jaquino, tombe amoureuse de Fidelio. Les fausses idées de la fille et du père, persuadés de la réciprocité de cet amour, et le désarroi et la colère de Fidelio et Jaquino, sont chantés dans le célèbre et magnifique quartet : « Mir ist so wunderbar ».

La visite du ministre Don Fernando est annoncée : il ne doit pas connaître la détention de Florestan. Puisque Rocco refuse de tuer le détenu, Pizarro le force à creuser une tombe dans son cachot même, pour y mettre son corps après que le gouverneur lui-même l’aura tué.

Léonore obtient une courte sortie pour les prisonniers. Ces derniers expriment dans le fameux choeur « O welche Lust », la joie de respirer la lumière et un peu de liberté. Florestan n’est pas parmi eux : Léonore suppliera donc Rocco de l’accompagner dans le cachot secret.

Florestan, dans le noir et l’insalubrité de son cachot, pleure mais accepte son destin. Quand Pizarro descend pour le tuer, Léonore, dévoilant son identité, s’interpose et le menace de son pistolet. Arrive le bon ministre Fernando qui libère Florestan. Dans un final grandiose s’apparentant à l’Hymne à la joie de la 9e, tous les personnages, de Jaquino à Pizarro, rejoints par le chœur des villageois, célèbrent la liberté et le courage de Léonore, épouse exemplaire.

Fidelio est l’unique opéra de Beethoven. Écrit en 1803, inspiré du livret du Français Jean-Nicolas Bouilly, il fut censuré par deux fois par les autorités de Vienne. Mais le compositeur ne renoncera jamais, malgré les divers remaniements qu’il devra effectuer, au caractère subversif de son opéra.

Pourquoi un opéra subversif ?

Adrienne de Lafayette (1759-1807)
Wikipedia Commons

A l’époque de Fidelio, comme l’a documenté l’historien Donald Phau, alors que l’Angleterre, la Prusse et l’Autriche – où vit Beethoven – sont encore en guerre contre la France, un homme fait beaucoup parler de lui : Lafayette. Patriote mais figure aristocratique ambiguë de la Révolution française, le héros de la Révolution américaine a gardé ses ennemis : les cercles britanniques.

Or ces derniers sont connus pour avoir alimenté, afin de la faire échouer, les réseaux extrémistes de la Révolution française. En 1792, sur ordre du Premier ministre anglais William Pitt le Jeune, Lafayette est emprisonné, en Prusse puis à Olmuetz, en Autriche. Son épouse, Adrienne, emprisonnée en France, échappe à la guillotine. Mais dès sa libération, à la faveur d’un long voyage, déguisée, et de son audace auprès des autorités, dont l’Empereur d’Autriche (compatissant mais soumis aux Anglais par un pacte), elle parvient à rejoindre, avec ses deux filles, son mari.

William Pitt le Jeune (1759-1806)
Wikipedia Commons

Pitt posera une condition aux visites conjugales : qu’Adrienne consente à rester prisonnière elle aussi. Grâce à la mobilisation des cercles américains et de Carnot, l’histoire de la détention illégitime des époux Lafayette fait le tour de l’Europe, jusqu’à leur libération en 1797. Au point qu’à leur départ d’Olmuetz, des foules viennent les acclamer, célébrant leur courage et la désobéissance civique d’Adrienne ; certains chantant même la Marseillaise.

De Léonore (Adrienne) à Pizarro (William Pitt) en passant par le ministre compatissant Don Fernando (Francis II), la ressemblance avec l’histoire de Fidelio n’est pas une coïncidence... Même les premières notes des chœurs (prisonniers et chant final) sont une inversion de celles... de la Marseillaise (cf. « Aux armes, aux armes citoyens ! ») !

Comme Schiller, Beethoven avait de fortes idées républicaines. Impertinent, il était connu pour faire fi du danger à exprimer tout haut, même dans les rues, son idéal politique. Il suivait avec intérêt tout ce qui avait trait aux révolutions américaine et française. Plus qu’un reflet de ces idées, sa musique est faite pour réveiller en nous l’instinct de liberté.

Comme le disait Schiller, « un théâtre national est aussi important qu’une banque nationale ». Reste à organiser, en se basant sur le meilleur de la culture universelle, une renaissance culturelle nécessaire à la renaissance économique. Alors à quand un opéra moderne sur Kimpa Vita (Ndona Béatrice), la Jeanne d’Arc du Congo ?