Pour en finir avec les accusations de plagiat contre Einstein

mercredi 7 septembre 2016, par Pierre Bonnefoy

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Selon certains auteurs actuels, Albert Einstein serait un plagiaire. Parmi les accusations les plus fréquentes, il est affirmé que la relativité restreinte aurait été l’œuvre d’Hendrik Lorentz et surtout d’Henri Poincaré ; d’autres vont même jusqu’à dire que la relativité générale aurait été découverte par David Hilbert avant Einstein.

Rencontre de Einstein et de Lorentz.

La base essentielle de ces procès repose sur l’existence de publications des savants cités-ci-dessus énonçant les équations de la relativité et antérieures à celles d’Einstein. Einstein aurait donc copié et publié sous son nom ces formules mathématiques.

Nous voulons réfuter ici ces accusations qui reposent sur une incompréhension fondamentale chez leurs auteurs de la notion même de « découverte scientifique » – une incompréhension dont la cause épistémologique est largement répandue dans le monde scientifique d’aujourd’hui.

Pour énoncer ici la nature du problème avant de l’expliciter, nous dirons que les mathématiques ne sont pas une science . Il est probable que beaucoup seraient a priori d’accord avec cette affirmation, mais sans en mesurer vraiment la portée…

Nous ne voulons pas dire que les mathématiques ne sont pas nécessaires à la science, mais simplement que la découverte scientifique est comme un animal que poursuit le chercheur, et que l’équation mathématique est la trace de pas de cet animal dans le sol. Ni plus, ni moins.

Le premier indice qui montre que les accusateurs d’Einstein ne comprennent pas ce qu’est une découverte, c’est que certains affirment qu’Einstein n’a rien produit de significatif après 1921, date de son prix Nobel. Au risque de choquer, nous dirons ici que la contribution la plus importante d’Einstein à la science n’est pas sa découverte de la relativité, mais la bataille qu’il entreprit à partir du Congrès de Solvay de 1927 jusqu’à sa mort, pour réfuter l’indéterminisme de Bohr et Heisenberg de l’École de Copenhague (nous vous invitons à réfléchir à cette question traitée dans l’article « Einstein, Tagore, Vernadski : pas de science sans poésie  »).

Certains diront peut-être ici : « Comment pouvez-vous affirmer que la plus grande contribution d’Einstein soit une bataille qu’il a finalement perdue ? » À cela nous répondons que cette bataille qu’il a initiée n’est pas terminée, car même si Bohr et Heisenberg ont annoncé la mort de la science en affirmant que l’univers n’est pas connaissable par l’homme, et convaincu de cela la majorité des physiciens jusqu’à ce jour, tôt ou tard leur point de vue sera soigneusement rangé aux poubelles de la science. Et les savants qui donneront ce coup de balai salutaire auront été inspirés par le courage solitaire d’Einstein contre l’obscurantisme.

La découverte de la relativité par Leibniz

La relativité, quant à elle, n’est pas un ensemble d’équations mathématiques, mais un principe de l’univers qui a été l’objet de développements et d’ajouts successifs au cours de plusieurs siècles par une série de penseurs originaux. De ce point de vue seulement on peut dire qu’Einstein n’est pas le premier découvreur du principe, mais un de ses contributeurs. À vrai dire, il serait probablement aussi inutile que futile de chercher à savoir quel a été le premier découvreur.

Une avancée majeure dans ce domaine a toutefois été réalisée par Gottfried Leibniz à la fin du XVIIe siècle, comme on peut le lire dans la Correspondance Leibniz-Clarke. Dans cette correspondance, Leibniz combat de manière très pédagogique les idées exprimées par Isaac Newton – et malheureusement devenues hégémoniques – d’espace absolu et de temps absolu.

Pour Newton, l’espace vide est le « décor » infini à trois dimensions, homogène, informe, immobile, dans lequel évoluent les corps physiques exerçant les uns sur les autres des forces d’attraction réciproques ; et l’évolution de ces corps se déroule au cours d’un temps monotone et identique pour tous. Newton conçoit que cet espace vide et ce temps monotone puissent exister en l’absence de toute autre chose. D’ailleurs, il affirme que l’espace et le temps étaient préexistants de toute éternité et que Dieu a décidé un beau jour choisi arbitrairement d’y créer le monde.

Leibniz montre que si l’on admet cela, il en découle des conséquences absurdes et, en particulier, que l’homme est incapable de comprendre l’univers qu’il habite. Pour Leibniz, ni l’espace, ni le temps n’ont d’existence en soi. Ils n’existent que comme conséquence des événements qui se produisent dans l’univers. Ils expriment des relations entre ces événements : ils sont relatifs.

Cette notion de relativité de Leibniz ne doit pas être confondue avec le mouvement relatif des corps dont parlaient déjà les physiciens à son époque. Sachant que la Terre n’est pas au centre de l’univers, ils avaient admis leur incapacité à déterminer un point immobile dans l’espace pouvant servir de référence au mouvement de tous les corps. Ils ne parlaient donc pas du mouvement absolu d’un corps par rapport à ce point hypothétique, mais du mouvement relatif d’un corps par rapport à un autre. L’idée d’espace absolu de Newton suppose néanmoins implicitement l’existence théorique d’au moins une référence absolument immobile, même si l’on est incapable de la connaître. Avec la relativité, telle qu’elle est comprise par Leibniz et ses successeurs, l’immobilité absolue n’existe tout simplement pas.

L’éther remplit l’espace absolu

Au début du XIXe siècle, presque toute la communauté scientifique acceptait les idées d’espace et de temps absolus, mais comme Fresnel avait montré – contre les newtoniens – que la lumière a un comportement ondulatoire, on décida que cet espace vide était rempli d’une matière subtile, l’éther, car cela posait effectivement un paradoxe d’imaginer qu’une onde, c’est-à-dire la propagation d’une perturbation dans un milieu, puisse exister en l’absence d’un milieu pour lui servir de support – et le vide était compris comme une absence de milieu. L’éther est une hypothèse dont la justification est de permettre la propagation de la lumière.

Il semblerait cependant que cette hypothèse d’éther ait renforcé d’une certaine manière l’idée d’espace absolu. En effet, tant que l’on suppose que l’espace est essentiellement vide, on a vu qu’il est impossible de « donner corps » à l’immobilité absolue. Si l’espace est rempli d’éther, on pourra décréter que cet éther est la référence physique en matière d’immobilité absolue et, si par la suite on parvient à déterminer notre vitesse par rapport à cet éther, on pourra donc connaître notre mouvement absolu, et pas seulement notre mouvement relatif par rapport aux objets qui nous entourent. Exit la relativité. Il ne restait donc qu’à mesurer notre vitesse par rapport à l’éther, ce que certains appellent un « vent d’éther ».

Riemann : un physicien

Cependant, à la même époque, tout le monde n’accepte pas l’idée d’un espace absolu informe – vide ou rempli d’éther. En Allemagne, certains autour de Carl Gauss réfléchissent à l’idée que cet espace puisse avoir une courbure physique particulière. C’est ainsi qu’en 1854, Bernard Riemann lance un pavé dans la mare en soutenant une thèse intitulée Des hypothèses qui servent de fondements à la géométrie.

Dans ce texte, Riemann part de la constatation que personne parmi les géomètres depuis Euclide ne se soit interrogé sur la légitimité des postulats de la géométrie euclidienne pour décrire l’espace physique. Riemann affirme que ces postulats ne sont en réalité que des hypothèses physiques, et que, par conséquent, seule l’expérience peut nous permettre de juger si elles sont valides ou non.

Or, si ces hypothèses semblent valides pour les expériences réalisées par l’homme jusqu’à l’époque de Riemann, à l’échelle macroscopique, rien ne prouve qu’elles demeureront valables lorsque la science explorera ultérieurement l’infiniment grand et l’infiniment petit.

Il est très important de souligner ici que Riemann ne raisonne pas en mathématicien mais en physicien ! Il ne considère donc pas qu’il y ait un espace absolu prédéterminé qui servirait de « décor » à la réalité, mais que l’espace est lui-même un phénomène physique, donc susceptible d’expérimentation.

La transformation de Lorentz

A la fin du XIXe siècle, un certain nombre de physiciens comme Albert Michelson et Edward Morley (puis Miller), voulurent faire des mesures précises de la vitesse de la lumière, espérant en déduire la vitesse de la Terre par rapport à l’éther et, au passage, d’avoir ainsi une preuve expérimentale indirecte de l’existence de l’éther. Pour cela ils utilisèrent des interféromètres qui sont des appareils munis de deux bras perpendiculaires entre eux dans lesquels passent des faisceaux lumineux. L’idée était que l’interféromètre se trouvant entraîné par le mouvement de la Terre dans l’éther, on pensait pouvoir mettre en évidence une certaine différence de vitesse de la lumière entre les deux bras, surtout en orientant l’un des bras dans la direction du vent d’éther (et l’autre, par conséquent, dans la direction perpendiculaire).

En effet, l’éther étant le substrat de la lumière, on suppose que la lumière se déplace à une vitesse constante par rapport à cet éther ; mais comme il y a un mouvement relatif entre l’éther et chacun des bras, on montre facilement, par la géométrie, que la durée pour que la lumière parcoure la longueur d’un bras ne devrait pas être la même que pour l’autre. Étant donné que les deux bras sont de même longueur, il s’ensuivrait que la vitesse de la lumière ne serait pas la même dans chacun d’entre eux. Il resterait à espérer que cette différence de vitesse soit suffisante pour pouvoir être mesurée. Or, Michelson et Morley ne parvinrent pas à mettre en évidence une différence de vitesse significative. La vitesse de la lumière était apparemment la même dans les deux bras de l’interféromètre.

Face à ce paradoxe, Lorentz proposa une explication : le mouvement des corps dans l’éther devait provoquer une légère contraction de ces corps dans la direction du vent d’éther. Dans l’expérience, il y avait donc une contraction différente de la longueur de chaque bras du fait qu’ils ne sont pas orientés de la même manière. Et l’effet de cette contraction supposée devait compenser exactement la différence de vitesse de la lumière que l’on s’attendait à observer. Lorentz imaginait donc un effet ad hoc pour expliquer un effet observé : il ne proposait pas un changement radical des lois de la physique.

Pour pouvoir calculer cette transformation des corps physiques, Lorentz établit une transformation mathématique liant entre elles les coordonnées de l’espace avec celle du temps, qu’on appelle d’ailleurs encore aujourd’hui la transformation de Lorentz. Cette transformation faisait notamment intervenir un certain « temps local » attaché à l’objet considéré dans le vent d’éther et différent du temps qui serait attaché à tout corps immobile par rapport à l’éther. On voit donc bien poindre ici sous une certaine forme un temps qui n’est pas le même partout, mais cette construction n’est évidemment pas la relativité : la manière de penser de Lorentz s’appuie sur l’idée qu’il existe d’une certaine manière un espace absolu et un temps absolu.

La relativité restreinte

C’est en 1905 qu’Einstein publia pour la première fois sa théorie de la relativité restreinte. Partant du principe que les lois physiques de l’univers doivent être les mêmes partout, il comprit à sa manière, tout comme Leibniz avant lui, que les idées de temps absolu et d’espace absolu devaient être rejetées. Par ailleurs, il fit l’hypothèse que la vitesse de la lumière devait être la même pour tous les observateurs, indépendamment de leurs mouvements. Ceci le conduisit à un certain nombre de conséquences.

Tout d’abord il fallait rejeter l’hypothèse de l’existence de l’éther. Il fut conforté en cela par ses recherches sur l’effet photoélectrique combinées avec les travaux de Planck qui montraient que la lumière n’avait pas simplement une nature ondulatoire, mais également une nature corpusculaire – un paradoxe que l’hypothèse d’un éther comme support de l’onde lumineuse ne permettait pas de résoudre (d’ailleurs ce paradoxe n’est toujours pas résolu à l’heure actuelle).

De plus, admettre que deux observateurs en déplacement l’un par rapport à l’autre, mais qui néanmoins verraient la lumière d’une même source leur parvenir à la même vitesse, représentait une contradiction majeure avec la physique classique qui avait servi de cadre de référence à ses prédécesseurs. La seule manière de résoudre ce paradoxe devait nécessairement partir du principe que les durées et les distances observées ne devaient pas être les mêmes pour les deux observateurs. En particulier, si deux événements sont simultanés du point de vue d’un observateur, ils ne le sont pas forcément pour un autre qui se déplace à une vitesse suffisamment grande par rapport à lui. La simultanéité de deux événements dépend donc de leur observateur.

Einstein élabora donc la théorie de la relativité restreinte pour calculer les changements de durées et de distances qui ont lieu lorsque l’on passe d’un observateur à un autre qui se déplace selon un mouvement rectiligne uniforme par rapport à lui. Le mot « restreinte » vient évidemment du fait que tous les mouvements qui se produisent dans l’univers ne sont pas rectilignes uniformes. La relativité restreinte n’est donc qu’une première approche vers une théorie plus générale, mais elle établit que le temps et l’espace ne sont pas des grandeurs absolues et indépendantes l’une de l’autre, mais liées entre elles.

Einstein élabora les lois mathématiques permettant de calculer la transformation de l’espace-temps lorsque l’on change d’observateur, et il s’avéra que les équations obtenues étaient mathématiquement identiques à la transformation de Lorentz. Cependant personne de sérieux n’oserait prétendre qu’Einstein a volé à Lorentz sa découverte car, comme on vient de le voir, l’interprétation physique des mêmes équations mathématiques n’est pas du tout la même. Pour Lorentz les corps sont réellement contractés par le vent d’éther, tandis que pour Einstein, la contraction n’est qu’une apparence qui dépend de l’observateur.

Le fait est que Lorentz et Einstein ont entretenu des relations cordiales jusqu’à la mort de Lorentz en 1928, et jamais ce dernier n’accusa Einstein de plagiat, ni ne revendiqua pour lui la découverte de la relativité. D’ailleurs, Poincaré n’a pas non plus accusé Einstein de plagiat, bien qu’ils se soient rencontrés au moins une fois, au moment du Congrès de Solvay de 1911, soit après 1905 et un an avant la mort de Poincaré, en 1912.

Congrès de Solvay en 1927. Au centre du 1er rang, Albert Einstein et à sa droite Hendrik Lorentz. Les deux scientifiques ont entretenu des relations cordiales jusqu’à la mort de Lorentz en 1928.
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L’approche de Poincaré

A vrai dire, la plupart des accusateurs d’Einstein affirment qu’il a volé la relativité restreinte non pas à Lorentz, mais à Poincaré qui a repris les travaux de Lorentz et élaboré une théorie plus complète que celui-ci. Pour montrer cela, ils s’appuient sur le fait que toutes les équations mathématiques caractéristiques des découvertes attribuées à Einstein ont été publiées par Poincaré en premier. Nous ne discuterons pas ce point car, comme l’exemple de Lorentz ci-dessus l’a montré, ce n’est pas l’écriture d’une équation mathématique qui détermine la découverte d’un principe physique.

Pour le plus grand malheur de la science, les scientifiques actuels ont un très faible niveau épistémologique : ce que ces accusateurs ne veulent pas faire, c’est se pencher sur la manière dont pensent des savants comme Einstein ou Poincaré. D’autres physiciens diront que Einstein et Poincaré ont élaboré chacun indépendamment de l’autre sa propre théorie de la relativité : Poincaré aurait fait une théorie de la relativité avec éther, tandis qu’Einstein une théorie de la relativité sans éther. Ces physiciens ne réalisent apparemment pas que l’expression « relativité avec éther » est contradictoire dans les termes. Poincaré, bien qu’il ait apporté des contributions importantes à cette recherche ne semble pas avoir osé aller jusqu’au bout et rejeter les idées d’espace absolu et de temps absolu.

Il y a cependant plus important : la manière de penser de Poincaré l’aurait probablement empêché de faire l’avancée décisive pour passer de la relativité restreinte à la relativité générale comme nous allons le voir.

Il est évidemment difficile d’extrapoler sur la pensée d’un homme mort quatre ans avant la publication de la relativité générale, car la pensée d’un savant est pleine de changements et ne se prête pas à l’extrapolation, mais voici ce qu’écrivait Poincaré en 1902 dans La science et l’hypothèse qu’Einstein a lu et dont on l’accuse de s’être inspiré :

Les axiomes géométriques ne sont donc ni des jugements synthétiques à priori ni des faits expérimentaux.

Ce sont des conventions  ; notre choix parmi toutes les conventions possibles, est guidé par des faits expérimentaux ; mais il reste libre et n’est limité que par la nécessité d’éviter toute contradiction. C’est ainsi que les postulats peuvent rester rigoureusement vrais quand même les lois expérimentales qui ont déterminé leur adoption ne sont qu’approximatives.

En d’autres termes, les axiomes de la géométrie (je ne parle pas de ceux de l’arithmétique) ne sont que des définitions déguisées.

Dès lors, que doit-on penser de cette question : la géométrie euclidienne est-elle vraie ?

Elle n’a aucun sens. Autant demander si le système métrique est vrai et les anciennes mesures fausses. Si les coordonnées cartésiennes sont vraies et les coordonnées polaires fausses. Une géométrie ne peut pas être plus vraie qu’une autre ; elle peut seulement être plus commode.

Or la géométrie euclidienne est et restera la plus commode :

1° Parce qu’elle est la plus simple ; et qu’elle n’est pas telle seulement par la suite de nos habitudes d’esprit ou de je ne sais quelle intuition directe que nous aurions de l’espace euclidien ; elle est la plus simple en soi de même qu’un polynôme du premier degré est plus simple qu’un polynôme du second degré ; les formules de la trigonométrie sphérique sont plus compliquées que celle de la trigonométrie rectiligne, et elles paraîtraient encore telles à un analyste qui en ignorerait la signification géométrique.

2° Parce qu’elle s’accorde assez bien avec les propriétés des solides naturels, ces corps dont se rapprochent nos membres et notre œil et avec lesquels nous faisons nos instruments de mesure.

La relativité générale

La citation de Poincaré qui précède montre qu’il est explicitement aux antipodes du défi lancé par Riemann aux physiciens, dans sa thèse de 1854. Pour Poincaré, il y a un espace absolu informe, et peu importe la géométrie qu’on utilisera pour y décrire les événements qui s’y produisent. Il est vrai que ce point de vue peut se défendre dans le cadre de la relativité restreinte qui s’exprime par les relations entre deux référentiels cartésiens dans un mouvement relatif rectiligne uniforme, avec la géométrie euclidienne. Ceci n’est plus possible avec la relativité générale.

Pour Einstein, la relativité restreinte n’a été qu’un galop d’essai. Comme on le sait, il n’existe pas dans notre univers de véritable mouvement rectiligne uniforme à cause notamment de la gravitation universelle qui change en permanence la direction et la vitesse des mouvements. Einstein chercha donc à généraliser la relativité à tout type de mouvement, ce qui lui imposa de lier non seulement l’espace et le temps, mais avec eux la gravitation. Il est donc passé d’une conception de l’espace-temps à une conception de l’espace-temps physique.

Einstein n’aimait pas beaucoup les mathématiques, mais il savait que le problème auquel il était confronté exigeait de lui d’utiliser les travaux de Riemann sur les tenseurs et les géométries non-euclidiennes, car il comprit que la gravitation déforme l’espace-temps. Il demanda de l’aide à son ami mathématicien Grossmann et ils se mirent au travail ensemble, mais perdirent du temps à cause d’une erreur mathématique d’Einstein. Pendant ce temps, un autre mathématicien, David Hilbert, qui s’intéressait à la relativité, demanda à Einstein de lui exposer la nature du problème.

Se basant sur les spécifications fournies par Einstein, Hilbert travailla de son côté et découvrit les équations de la relativité générale quelques jours avant Einstein et Grossmann. Sachant qu’Einstein avait fait la majeure partie du travail, Hilbert n’eut jamais la malhonnêteté de se prétendre découvreur de la relativité générale, et d’un commun accord entre Hilbert et Einstein, l’équation associée à la découverte fut appelée « équation d’Einstein ».

Épilogue

Einstein n’a jamais considéré que son travail fût achevé. Ses découvertes ont fait apparaître de nouveaux problèmes non résolus. La théorie de la relativité repose sur l’idée que la vitesse de la lumière est une constante absolue et que rien dans l’univers ne peut avoir une vitesse supérieure. L’idée qu’une grandeur physique puisse avoir une valeur mathématique arbitraire absolument constante n’est évidemment pas satisfaisante. La question que devrait poser un physicien compétent à cela c’est « Pourquoi cette valeur ? »

Nous avons signalé ci-dessus que les expériences de Michelson et Morley n’ont pu mettre en évidence une différence significative de la vitesse de la lumière dans les deux bras de l’interféromètre. Le mot « significative » indique que dans chaque mesure d’un phénomène physique, il y a toujours une imprécision et de ce fait, l’expérimentateur doit décider si deux mesures donnent un résultat réellement différent ou si les différences constatées ne sont dues qu’à des effets parasites.

Cependant, un troisième homme, Dayton Miller, entreprit après eux de manière plus exhaustive, des milliers d’expériences d’interférométrie. Vers 1930, pour plusieurs raisons dont l’immense popularité de la théorie de la relativité, Dayton classa les résultats de ses travaux. Après la Seconde guerre mondiale, Maurice Allais reprit ces résultats et les analysa d’une manière plus approfondie que ne l’avait fait Miller. Allais constata alors quelque chose qui avait échappé à Miller. Ces mesures semblaient mettre en évidence une régularité remarquable, compte tenu de la position de la Terre sur sa trajectoire autour du Soleil, dans les petites différences de vitesse de la lumière dans les deux bras de l’interféromètre.

Cette régularité semblait montrer que la vitesse de la lumière n’était pas constante. Ayant fait cette constatation capitale, Allais en tira une conséquence malheureuse : au lieu d’y voir une occasion de faire progresser la relativité, il voulut y voir un vent d’éther et revenir à une physique pré-relativiste. Ce point de vue le mit en conflit avec la majorité de la communauté des physiciens pour des bonnes et des mauvaises raisons.

En effet, pour que les observations d’Allais soient acceptées, il fallait montrer qu’elles étaient reproductibles et donc refaire les expériences de Miller qui demandaient énormément de temps et d’argent et un équipement qui n’existait plus. Beaucoup commirent la faute épistémologique majeure de dire à Allais que depuis Miller on avait fait des mesures de la vitesse de la lumière avec des appareils plus modernes, et que ces mesures confirmaient la théorie. Allais répondit avec justesse que si mille expériences vérifient une théorie et qu’une la contredit, c’est que la théorie est fausse. Mais presque plus personne ne le prenait plus au sérieux.

Les progrès de la science ne sont pas sans équivoque comme une formule mathématique. Ils sont liés essentiellement à des facteurs culturels, psychologiques et émotionnels. Vouloir ignorer cette réalité provoque des polémiques stupides et ne fait pas avancer la science.