Face à la Chine et aux BRICS, la peur du déclassement de l’oligarchie occidentale

samedi 22 juillet 2017, par Christine Bierre

Aux prises d’une interminable crise économique, financière et politique, les élites transatlantiques, incapables jusqu’à présent de se reformer, cherchent, pour un certain nombre d’entre elles, à saboter les alternatives mises de l’avant par les pays émergents pour une nécessaire réforme de l’ordre international, à empêcher même qu’elles soient connues des populations occidentales.

C’est le cas du projet chinois de Nouvelles Routes de la soie (appelé aussi Initiative de la ceinture et de la route (ICR)), de l’Union économique eurasiatique russe (UEEA) et des initiatives des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, South Africa). Qui a entendu parler aujourd’hui, en Occident, des avancées du dernier Sommet de la Nouvelle Route de la soie qui a eu lieu à Beijing, les 14 et 15 mai derniers, des progrès affichés par l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OCS) lors de son dernier sommet des chefs d’état du 8 et 9 juin ou de la coopération étroite établie entre la Russie et la Chine, lors de la dernière rencontre entre les présidents Xi Jinping et Poutine, à Moscou, les 3 et 4 juillet derniers ?

Qu’on rapporté les médias dits « officiels » sur tout cela ? Sur la rencontre Poutine/Trump au G20 de Hambourg, la couverture était dominée par les obsessions antirusses venant d’outre-Atlantique. Quant au sommet de la Nouvelle Route de la soie de Beijing, la presse parisienne a été presqu’unanime : Pékin déploie ses tentacules ! Les médias officiels ne sont en cela que la voix de leur maîtres....

Même état d’esprit chez beaucoup de « stratèges ». La récente conférence d’Emmanuel Lincot sur les Nouvelles Routes de la soie à l’École militaire, organisée par l’association de jeunes de l’IHEDN (ANAJ-IHEDN) dont la qualité des conférences est pourtant souvent excellente, n’en est que l’exemple le plus représentatif.

Loin d’évoquer le caractère visionnaire de ce projet, comme l’ont fait Jean Pierre Raffarin et Dominique de Villepin, deux anciens premiers ministres, ainsi que l’ancien ambassadeur français en Chine, Maurice Gourdault-Montagne, Emmanuel Lincot s’est employé à réveiller toutes les peurs d’une France frileuse, vivant dans la crainte du déclassement. Défense à tout prix de la géopolitique occidentale pour qui seul compte qui domine sur qui, alors que la Chine s’évertue à défendre un nouveau modèle gagnant/gagnant pour tous les pays, quelque soit leur taille ou importance relative.

Intérêts, dissensions, blitzkrieg

C’est à peine si l’orateur explique l’ampleur et les objectifs de ce projet qui pourtant devrait intéresser nos compatriotes au plus haut point, vu la crise qui s’éternise chez nous. Car les Chinois ont décidé de mettre leurs milliers de milliards de surplus dans des investissements productifs gagnant-gagnant à l’échelle de la planète, des grands projets infrastructurels et des échanges scientifiques notamment (spatial, nucléaire, numérique), une politique qui est certes de leur intérêt mais aussi du nôtre.

Depuis 2013, date du lancement de cette politique par Xi Jinping, l’équivalent de douze fois le Plan Marshall ont déjà été engagés dans la réalisation des chemins de fer, barrages et projets énergétiques en Asie centrale, en Europe de l’Est et de l’Ouest, en Afrique et en Amérique latine, financés via des institutions dédiées telles que la Banque asiatique des investissements en infrastructures et différents Fonds de la Route de la soie.

Monsieur Lincot a préféré passer son temps de parole à réduire la portée du projet et a énumérer ses dangers innombrables. On apprend ainsi que la vraie motivation de la Chine en créant d’abord le Club de Shanghai en 1995, ancêtre de ses initiatives plus récentes, est tout simplement de pourvoir à son énorme besoin d’énergie qu’elle n’est plus en mesure de se procurer chez elle. Serions-nous les vaches à lait de la Chine ?

L’orateur profite ensuite du récit du contexte politique dans lequel Xi Jinping a lancé ce projet en 2013, pour dresser un portrait peu flatteur du Président. A son arrivée au pouvoir, la Chine traversait une situation précaire, dit-il, évoquant une guerre de factions et une tentative de putsch contre lui, situation qui se poursuivrait jusqu’aujourd’hui. Ceci expliquerai le « pouvoir à poigne » exercé par Xi Jinping, et une politique qu’il qualifie « d’extraordinaire retour en arrière » alors qu’avec Hu Jintao on s’attendait à un allègement du dispositif.

Trop risqué

Viens ensuite la dénonciation des risques inconsidérés que prends la Chine en Asie centrale, une région en proie à un boom démographique, à des populations paupérisées, et gangrénée par le djihadisme. La Chine commettrait, une fois de plus, l’erreur de croire que l’argent peut faire le bonheur de tous : « Je vais vous construire des routes, des stades, et de cette manière, acheter la paix sociale ». Eh bien non, dit-il, la preuve par l’Algérie, la preuve par le Pakistan. Ce sont des puits sans fond où l’argent est distribué puis il disparaît...

De plus, ce projet coûte fort cher, ce qui fait qu’il est de plus en plus critiqué en haut lieu. Car, perdre quelques centimes, ce n’est pas grave ; perdre des milliards, c’est autre chose. Pour certains, ce serait même le projet d’un homme seul, de la « comm » très coûteuse pour mieux consolider le pouvoir de Xi Jinping...

La Chine ennemi mortel de la Russie

Arrive enfin le couplet sur l’alliance sino-russe. Comme bon nombre de stratèges occidentaux qui craignent cette alliance plus que tout, car qui, en Occident est encore capable de nos jours de s’y opposer, M. Lincot se met à répéter en chœur avec eux que cette alliance ne peut pas durer… Ça ne va pas de soi, dit-il, les relations entre Moscou et Pékin n’ont pas toujours été empreintes de la plus grande chaleur. La preuve, le schisme sino-russe de 1960 qui a créé une situation où les Chinois disent aujourd’hui : « plus jamais ça ». Il évoque enfin la ritournelle de la menace que constitue la Chine pour Vladivostok qui n’est plus une ville russe en raison de la forte immigration chinoise.

Et tant pis si tout prouve que ces relations qui remontent déjà aux années 1990, se portent très, très bien, comme on l’a vu lors du dernier sommet entre les deux présidents à Moscou, les 3 et 4 juillet derniers... Insinuez, insinuez, il restera toujours quelque chose.

Tout ceci n’empêche pas, pour autant, M. Lincot, de croire que ces deux puissances pourraient s’inspirer l’une de l’autre en termes militaires. La Chine pourrait vouloir imiter en mer de Chine méridionale, ce que la Russie a fait en Ukraine : le déni d’accès ! Et là, c’est le délire : la Chine voudrait, selon lui, « trouver son symétrique » avec la Russie en Ukraine, un jugement qui serait conforté par la volonté des Chinois de développer un dispositif aéronavale lui permettant de réduire l’adversaire par le fait accompli, avec un blitzkrieg !

Du péril rouge au péril jaune…

Pour finir, M. Lincot avertit que ces Routes de la soie tiennent aussi du projet idéologique : il y voit l’affirmation d’une possible alternative au modèle de développement économique hérité de la deuxième guerre mondiale (Bretton Woods, FMI) ainsi que des relents tiers-mondistes qui rappellent la conférence de Bandung en 1955 où la Chine avait joué un rôle moteur.

Sans oublier la dimension nationaliste très forte qui se développe aussi en Chine, teintée d’idéologie revancharde, contre les humiliations faites à la Chine lors des guerres de l’opium. D’où l’idée que « nous allons laver, nous Chinois, le déshonneur que nos ancêtres ont connu avec le Japon et l’Occident. Une Chine, où l’on entendrait partout les thèses de Spengler sur le déclin de l’Occident et où le grand retour de la Chine paraît une évidence.

Pourraient renaître aussi, prétend-il, dans ce contexte d’Eurasie renaissante, toutes sortes d’idéologies que l’on croyait disparues, du type « panslavisme » ou « pantouranisme », des idéologies s’affranchissant des frontières et tendant à réviser l’histoire pour privilégier une part de la supériorité supposée des pays concernées, respectivement la Russie, la Turquie et pourquoi pas la Chine qui développerait à son tour, une idéologie pan quelque chose...

Pour terminer, M. Lincot qualifie ce projet de totalement incertain, utopiste pour les uns, et riposte stratégique éventuelle de la Chine contre les États-Unis pour les autres. Cependant, sachant toujours garder deux fers au feu, il n’exclut pas pour autant qu’il puisse marcher ! Et alors, profitant de la fermeture des frontières par Trump, les projets de Nouvelles Routes de la soie pourraient être une aubaine pour les économies européenne et française en particulier !

Peut être pas, dit-il méprisant, en participant aux projets d’infrastructures qu’il qualifie des « délirants », auxquels adhérent d’ailleurs les pays les plus pauvres de l’UE, les fameux PECO de l’Europe orientale ou la Grèce, mais dans des domaines autrement plus importants du point de vue de leur plus value : les routes de la soie numérique, un domaine où les Français et les Européens peuvent coopérer avec les Chinois.

Voici donc une belle leçon de comment un Occident vieillissant et incapable jusqu’à présent de se rénover, pourrait saboter ces projets et finir par se tirer une balle dans le pied. Pour notre part, nous conseillons à nos lecteurs de découvrir les progrès énormes que la Chine a accomplis depuis 1976 et de les comparer à notre passé récent. Deux chiffres sont parlants : la Chine a investi 10 000 Md$ dans l’économie physique en dix ans, provoquant une forte chute du nombre de Chinois vivant sous le seuil officiel de la pauvreté, alors que les banques centrales de la région atlantique ont injecté en dix ans pas moins de 15 000 Md$ dans les marchés financiers, pour maintenir sous perfusion des banques en faillite, tout en serrant le garrot sur les populations !

Si la Chine est encore un très grand pays en voie d’industrialisation rapide, nous ferions bien de nous inspirer de cette devise héritée, selon certains, du président Deng Xiao Ping et qui anime encore la Chine : « Vision, détermination et tripes » !