HSBC, lorsqu’Arte sombre dans le complotisme anti-chinois

mardi 19 décembre 2017, par Karel Vereycken

La bande annonce était prometteuse. Tout comme le texte annonçant l’émission « Les gangsters de la finance » sur Arte le 12 décembre :

Blanchiment, fraude fiscale, corruption, manipulation des cours... : depuis la crise de 2008, la banque HSBC est au cœur de tous les scandales. (…) Cinq ans après ‘Goldman Sachs – La banque qui dirige le monde’, Jérôme Fritel et Marc Roche plongent dans les arcanes d’un empire tentaculaire qui se cache derrière sa vitrine de banque de détail britannique. De Hong Kong aux États-Unis en passant par l’Europe, cette édifiante enquête révèle non seulement l’ampleur ahurissante des malversations commises par HSBC, mais éclaire aussi – avec une remarquable limpidité – les menaces qui se profilent sur la stabilité financière mondiale, dix ans après la crise des ‘subprimes’.

Fort utilement, l’émission conforte le spectateur dans ses intuitions sur l’existence d’une oligarchie financière, d’une finance folle et délinquante échappant à la loi. Et s’il y a une banque dont les dirigeants méritent bien la prison, c’est HSBC.

Comme le précise le site d’Arte,

créée à Hong Kong, il y a un siècle et demi, par des commerçants écossais liés au trafic d’opium, HSBC (Hongkong and Shanghai Banking Corporation) n’a cessé de prospérer en marge de toute régulation. Aujourd’hui, la banque britannique à l’ADN pirate incarne à elle seule les excès et les dérives de la finance internationale. Blanchiment de l’argent du crime – celui des cartels de la drogue mexicains et colombiens –, évasion fiscale massive, corruption ou manipulation du cours des devises et des taux d’intérêt : depuis la crise de 2008, ce géant a été mêlé à de nombreux scandales avec régularité et en toute impunité. Car l’opaque HSBC, experte en sociétés-écrans, dont les coffres débordent d’argent liquide déposé par ses clients discrets et douteux, est devenue « too big to jail », (trop grosse pour aller en prison). La banque, riche de quelque 3 000 milliards de dollars, s’en tire chaque fois avec des amendes dérisoires.

Qui Bon Dieu protège cette banque ?

Le spectateur finit alors par se poser la question fondamentale : qui Bon Dieu protège cette banque ? La réponse, vous auriez pu la lire dans le bestseller Dope Inc., publié en 1978 par une équipe internationale de journalistes d’enquête sous la direction de l’économiste américain Lyndon LaRouche.

Si l’objectif était avant tout à empêcher que HSBC puisse mettre la main sur la banque Marine Midland, le cœur du livre est sans doute une des premières enquêtes sérieuses sur les paradis fiscaux.

Or, à l’époque, et cela n’a pas beaucoup bougé, la seule infrastructure bancaire en mesure de « cacher », c’est-à-dire de « blanchir » l’argent de la drogue (estimé en 1978 à environ 200 milliards de dollars par la DEA), c’était la myriade de paradis fiscaux où les banques britanniques continuent à prédominer.

Et dans le monde bancaire, la « HongShang », tout comme bien d’autres « pirates », a été dès sa fondation une arme de guerre et de domination au service et sous contrôle direct de sa Majesté la Reine d’Angleterre et des grandes familles de la Cour britannique (Les familles Keswick, Jardines et Mathesons, etc.) qui menèrent les guerres de l’opium pour des raisons géopolitiques au service de l’Empire.

Rien à voir donc avec le mythe d’une simple entreprise cupide d’une poignée de « commerçants écossais » cherchant à profiter d’un moment historique opportun.

Dans ses termes propres, le cœur de cette analyse fut confirmé en France en octobre 2001 par le Rapport parlementaire n° 2311 « La Cité de Londres, Gibraltar et les Dépendances de la Couronne : des centres offshore, sanctuaires de l’argent sale » de MM. Vincent Peillon et Arnaud Montebourg. Or, aujourd’hui, avec les Paradise Papers, l’on prétend « découvrir » que la Reine, O my Lord, planque son argent dans les îles Caïman et que HSBC n’est pas très propre !

C’est la Monarchie, crétin !

Or, les auteurs du documentaire réussissent un tour de magie extraordinaire en faisant disparaître le rôle des Britanniques. Au lieu de démasquer la nature de la bête impériale en braquant la lumière sur sa queue, c’est-à-dire HSBC, le documentaire, à 1h26, affirme soudainement qu’aujourd’hui, HSBC « navigue sous pavillon rouge » , c’est-à-dire chinois !

Premier « preuve », le fait qu’en 2009, lorsque HSBC est touchée par la crise des subprimes, elle préfère se recapitaliser auprès de ses propres actionnaires (« les capitaux chinois ») au lieu d’accepter un renflouement par l’Etat anglais.

Or les principaux actionnaires de HSBC ne sont pas chinois mais anglo-américain :

  • Fisher Asset Management, LLC (8,58%) ;
  • Dimensional Fund Advisors LP (8,07%) ;
  • Bank of America Corporation (2,98%) ;
  • Cambiar Investors, LLC (2,80%) ;
  • Royal Bank of Canada (2,58%).

Ensuite, et surtout depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997, la banque restée « trait-d’union entre l’Orient et l’Occident » sert désormais de « pipeline pour les centaines de milliards d’euros de capitaux chinois partant à la conquête des marchés occidentaux… ».

Bizarrement, aucun dirigeant politique ou financier de haut niveau chinois n’est invité à répondre à des accusations aussi graves. La seule personne locale qu’on découvre, c’est Mme Laura Cha. En plein conflit d’intérêts, en effet, Mme Cha conseille le gouvernement de Hong Kong tout en siégeant au conseil d’administration de la banque mais également à celui d’Unilever, de Sotheby’s, etc.

Fière de son rôle, elle exhibe alors la philosophie de HSBC : « A Hong-Kong, nous ne gardons aucune trace des fonds investis, qu’ils viennent de Chine, d’Inde, de Singapour ou du Japon. Et ce sera toujours le cas. […] Cela ne pose aucun problème à nos entreprises d’avoir des filiales aux îles Vierges, aux Caïmans, aux Bermudes… ». Qu’elle puisse servir de relais entre certains requins chinois et les baleines de Londres, pourquoi pas. Mais voir en elle « la main » de Beijing, il y a de la marge.

La Chine veut dominer le monde

Le passage sur Mme Cha est supposé nous alarmer sur le grand danger qui menace nos belles banques occidentales : l’apparition d’un nouvel acteur sur l’échiquier financier mondial, la Chine : « Elle veut imposer sa monnaie, le yuan, à l’égal du dollar, mais elle n’a pas la connaissance de la finance sophistiquée. HSBC, qui a un ADN à moitié chinois, s’en charge. Un pacte informel a été conclu : HSBC garde sa longueur d’avance à Pékin et, en retour, facilite l’ouverture des marchés occidentaux à la Chine ».

Pour Roche & Fritel, la Chine cherche clairement à dominer le monde. Et pour accéder au statut de grande puissance, il faut disposer d’une monnaie mondiale ! Machiavélique, la Chine est alors accusée de « prendre prétexte de la Nouvelle Route de la soie » pour subrepticement imposer sa monnaie à l’échelle du globe, voilà le véritable but recherché…

C’est également pourquoi, poursuivent les réalisateurs, il faut s’inquiéter du contrat d’Hinkley Point— la construction de deux EPR en Grande-Bretagne —, parrainé par HSBC et financé à hauteur d’un tiers par la Chine, qui marque l’arrivée de la Chine dans un secteur éminemment stratégique : le nucléaire. « C’est son ticket d’entrée sur le marché de l’exportation de ses propres centrales », s’inquiète Fritel qui oublie que l’Afrique verrait d’un bon œil des partenariats franco-chinois en pays tiers, notamment dans le domaine du nucléaire civil.

Interrogé à la fin de l’émission, Marc Roche, souvent présenté comme un grand « expert » de la haute finance, a été décevant. A la question de la présentatrice s’il ne fallait pas enfin séparer les banques de marché des banques de dépôts, c’est-à-dire adopter un Glass-Steagall à la française, Marc Roche n’a pas lancé un appel à la séparation bancaire mais simplement suggéré que les citoyens n’avaient qu’à retirer leurs deniers des banques universelles en les plaçant dans des structures « plus petites qui ne jouent pas sur les marchés ».

Or, personne n’ignore que justement, ces petites banques indépendantes et plus sûres, ont disparues depuis belle lurette de nos contrées par un système fait par, et pour les banques de marché...

Et Marc Roche n’ignore pas non plus qu’en France, c’est Jacques Cheminade et S&P qui, armés d’une proposition de loi, se battent pour les recréer.

Quant au krach qui menace, l’expert, qui n’avait pas vu venir la crise de 2008, avant de nous souhaiter la bonne année, a lâché : « cela arrive tous les dix ans ».