France-Chine : les atomes crochus

lundi 15 janvier 2018, par Karel Vereycken

Qualifiée de « plus grand parc nucléaire en devenir du monde », la Chine fait figure de terre promise dans l’atome civil.

Avec un parc nucléaire en expansion et des dépenses de R&D en forte hausse, la Chine ambitionne de pouvoir exporter dans le monde entier d’ici peu le Hualong (ou « dragon chinois »), un réacteur de IIIe génération de conception entièrement chinoise, et se place en pôle position pour le nucléaire du futur, pas seulement sur les réacteurs de IVe génération mais également sur la fusion nucléaire.

En septembre 2017, son parc national, avec 36 unités, dispose d’une puissance installée de 34,43 GWe en exploitation, à laquelle il faut ajouter les 23,20 GWe des 20 unités en construction.

Déjà aujourd’hui, la Chine représente un tiers des réacteurs en chantier dans le monde, avec une quarantaine d’autres en projet. Ce pays doit rattraper son retard. Il vient de se doter du plus vaste réseau de TGV du monde (20 000 km), travaille d’arrache-pied à l’électrification de l’ensemble de son territoire et veut devenir le leader mondial de la voiture électrique.

Pour atteindre 200 GW de puissance installée en 2030, Beijing devra lancer la construction de réacteurs en bord de rivières, alors qu’ils sont actuellement tous en bord de mer.

Une tendance qui se poursuivra après 2030. Car la Chine vient de très loin et ses besoins sont immenses. Or, même avec les 200 GW espérés en 2030, cela n’assurerait jamais que 10 % de la production électrique du pays (contre un peu moins de 3,56 % aujourd’hui).

Un peu d’histoire

Comme le raconte Pierre-Yves Cordier dans Chine, le nouveau géant du nucléaire, l’excellent dossier publié en septembre 2017 (N°5) dans La revue générale nucléaire, « La Chine a une longue histoire nucléaire, marquée par une alternance et une complémentarité entre aide extérieure et adoption de technologies étrangères et développement des capacités domestiques ».

Si l’aide de la Russie a été décisive pour permettre à la Chine de réussir son premier test nucléaire militaire en 1964, c’est essentiellement le Premier ministre Zhou Enlai qui lancera dans les années 1970 le programme du nucléaire civil. La France accompagne dès le début ce programme.

Les premiers contacts avec la France dans le domaine du nucléaire remontent à août 1973, date de la première visite en Chine du président Pompidou.

Ils se concrétisent en 1982 par la signature d’un accord de coopération entre le CEA et le ministre chinois de l’industrie nucléaire (MIN), accord régulièrement renouvelé depuis trente ans.

En mai 1983, un accord détaillé prévoit la fourniture de centrales nucléaires de 900 MWe en incluant une clause relative aux transferts de technologies. La construction de la centrale Daya Bay est lancée, puis celle de Linag Ao.

L’ambition chinoise

Mais la Chine ne met jamais tous ses œufs dans le même panier. Avant de faire le choix de sa propre stratégie, elle teste plusieurs filières en les achetant à l’étranger. Si elle a commencé par des réacteurs français à eau pressurisés (REP) mis en service dans les années 1990, elle a également construit des CANDU canadiens en 2002-2003, des VVER russes en 2007, tout en développant plus récemment des EPR d’Areva et l’AP1000 de Westinghouse.

En clair, tout en se dotant d’une puissance électronucléaire pour faire décoller l’économie du pays, la Chine prend le temps d’inventer une filière qui conviendrait le mieux à ses besoins nationaux et au réacteur idéal pour l’exportation.

Comme le résument Dominique Ochem, conseiller nucléaire à l’ambassade de France en Chine et son adjointe Loeïza Cavalin :

L’ambition de la Chine vis-à-vis de son programme nucléaire est logique et n’est pas nouvelle : après avoir acquis une technologie étrangère, on réalise la sienne, que l’on essaie dans un troisième temps d’exporter.

Visite d’étudiants en génie civil de l’Ecole centrale de Paris au site de construction de l’EPR à Taishan dont l’exploitation commerciale démarrera dans les mois à venir.
ECP

La visite d’Emmanuel Macron

C’est dans ce contexte qu’il faut se féliciter, lors de la visite d’Etat du Président français Emmanuel Macron, de la signature avec Areva, le 9 janvier, d’un protocole d’accord commercial en vue de construire une usine de retraitement du combustible nucléaire en Chine, un projet d’une ampleur comparable au barrage des Trois Gorges (environ 23 milliards d’euros), dont environ la moitié pour Areva.

La décision stratégique est donc prise. A l’inverse des Etats-Unis, la Chine va adopter le modèle français : les combustibles usés seront retraités, l’uranium et le plutonium récupérés pour fabriquer de nouveaux combustibles dits MOX et les produits de fission seront vitrifiés, comme à La Hague, dans la perspective d’un enfouissement géologique. Areva n’assurera pas la construction proprement dite du site, mais apportera ses capacités d’ingénierie pour concevoir l’usine et les procédés, ce qui donnera du travail à quelque 2000 ingénieurs en France le temps de la construction.

Nucléaire 100% made in China

Maquette du réacteur 100% chinois Hualong1.

En même temps, la technologie entièrement chinoise du réacteur Hualong (HL), d’une puissance moyenne de 1000 GW, est en marche.

Etant fortement inspirée des standards français, son arrivée permettra aux sociétés françaises de bien se positionner. Bien que le Hualong soit déjà en construction en Chine, Beijing veut le faire certifier au Royaume-Uni où un premier réacteur pourrait voir le jour à Bradwell. Brexit ou pas, cette réalisation permettrait d’entrer en fanfare sur le marché européen.

En échange de la participation chinoise au projet de construction de deux EPR à Hinckley Point, EDF aidera son partenaire chinois à faire certifier son concept. C’est du gagnant-gagnant sur toute la ligne : EDF a besoin de l’EPR pour consolider son avenir, et la Chine de son Hualong.

Pour l’exportation de la technologie chinoise, trois projets à l’international sont déjà très avancés :

  • Au Royaume-Uni, à Bradwell ;
  • au Pakistan, où deux Hualong sont en cours de construction par la CNNC depuis 2015 ;
  • en Argentine, où le Canada et la Chine installeront ensemble un réacteur Candu et un Hualong d’ici 2020.

D’autres projets sont dans les cartons, notamment au Brésil, en République tchèque et au Kenya où, en vertu d’un accord conclu le 21 mars 2017, la Chine aidera son partenaire kenyan à former du personnel, à augmenter sa capacité industrielle et à partager des informations sur le Hualong et d’autres réacteurs chinois.

Les rapides

« Le déploiement d’une part de réacteurs rapides (RNR) est le prolongement naturel de cette politique », car en effet, en s’en servant comme combustible, les réacteurs à neutrons rapides, tout comme les réacteurs au thorium, permettent de brûler le plutonium inévitablement produit par l’ensemble du parc nucléaire chinois.

« Là aussi, le programme est impressionnant, avec un premier démonstrateur de 600 MWe annoncé pour 2023, planning sans doute très optimiste mais qui démontre le volontarisme du programme. »

Et comme le souligne le journaliste scientifique Sylvestre Huet sur son blog : ces réacteurs rapides

font disparaître la limitation des ressources minérales pour plusieurs siècles en multipliant par au moins 50 le volume d’électricité produite à partir d’une même quantité d’uranium naturel relativement aux réacteurs ’lents’. [1]

Les ressources sont un élément de réflexion important pour les Chinois qui ne produisent sur leur sol que le tiers de l’uranium qu’ils utilisent, un autre tiers provenant de mines à l’étranger mais opérées par des industriels chinois, le dernier tiers étant acheté sur le marché mondial.

Une R&D florissante

Ochem et Cavalin soulignent également que

la Chine possède les moyens, la volonté politique, et joue également de la diversité des acteurs qui se font concurrence entre eux pour lancer une multitude de projets dont l’inventaire englobe à peu près tout ce que la communauté internationale a envisagé durant les vingt dernières années. Habités par un enthousiasme et un sens de la prise de risque que nous avons oublié depuis longtemps, ces acteurs n’hésitent pas à lancer le début des travaux de génie civil, voire les achats de composants, alors même que les concepts ne sont pas stabilisés, ni bien sûr la certification validée, ce qui explique en partie les durées de construction bien inférieures à ce que les pays occidentaux peuvent bien espérer.

Ils citent alors les chantiers en cours pour développer les prototypes les plus prometteurs des réacteurs de la IVe génération :

Même si tous ces projets n’aboutissent pas, ils stimulent l’accumulation d’une expertise en la formation d’un potentiel humain qui ont toutes les chances de faire de la Chine la puissance nucléaire du XXIe siècle.

Fusion nucléaire

Promu au plus haut niveau politique dans chacun des deux pays, l’accord donne de la force supplémentaire à la coopération déjà engagée par le CEA et les instituts chinois de recherche travaillant sur la fusion nucléaire. De gauche à droite, assis, M. Yuntai Song de l’Institut ASIPP (Académie chinoise des sciences), M. Gabriele Fioni, directeur de la coopération internationale du CEA, M. Luo Delong, directeur général du département de la coopération internationale du Most et Xuru Duan, directeur de la China National Nuclear Corporation.

Ajoutons à cela la signature à Beijing, les 23 et 24 novembre, en marge de la réunion de haut niveau préparant le voyage d’Emmanuel Macron, d’un accord majeur sur la coopération franco-chinoise dans le domaine de la fusion thermonucléaire contrôlée, pour la création entre le CEA, les autorités chinoises et les instituts de recherche les plus avancés dans ce domaine en Chine, d’un centre franco-chinois sur l’énergie de fusion (SIFFER, Sino-French Fusion Energy Center).

Accompagnée d’une Déclaration politique intergouvernementale signée en présence de M. Jean-Yves Le Drian, notre ministre des Affaires étrangères, et de Madame Liu, vice-présidente de la République populaire de Chine, cet accord promeut la recherche dans ce domaine au plus haut niveau politique, renforçant ainsi la coopération déjà engagée par le CEA et les instituts chinois de recherche travaillant sur la fusion nucléaire, notamment sur ITER à Cadarache en France.

Rappelons qu’à masse égale, la fusion d’atomes légers comme l’hydrogène libère une énergie près de quatre millions de fois supérieure à celle d’une réaction chimique telle que la combustion du charbon, du pétrole ou du gaz, et quatre fois supérieure à celle des réactions de fission nucléaire.

Une occasion pour les PME français

Derrière les grandes entreprises françaises (EDF, Areva, CEA, etc.) dont la présence semble évidente sur un marché aussi important, il faut rappeler l’importance des PME/PMI françaises qui sont partie prenante de la chaîne d’approvisionnement du nucléaire chinois, non seulement pour les réacteurs de technologie française, mais également pour les autres modèles.

Il faut souligner ici le rôle majeur d’EDF qui, en créant le Partenariat France Chine Electricité (PFCE), a permis aux PME/PMI qui faisaient partie de sa chaîne d’approvisionnement en France, de participer à l’aventure chinoise, et de profiter du réseau d’EDF en Chine pour s’implanter sur ce marché difficile. Ces entreprises sont présentes en Chine via des joint-ventures, et leurs produits et équipements sont sur quasiment tous les sites en construction. Le marché chinois permet d’augmenter leur capacité de production, de recruter du personnel en France, et représente pour beaucoup une part importante de leur chiffre d’affaires.

C’est notamment la proximité des référentiels nucléaires chinois et français, promus en Chine par l’Association française pour les règles de conception, de construction et de surveillance en exploitation des matériels des chaudières électronucléaires (AFCEN) qui facilite la pénétration de nos entreprises sur le marché chinois.

Ainsi, depuis 1973, la France accompagne le programme nucléaire chinois et les accords conclus aujourd’hui permettront aux deux pays d’être au cœur de la Renaissance de cette technologie au XXIe siècle.


[1C’est le même objectif – s’affranchir de toute limitation des ressources – qui guide la R&D du CEA sur ce sujet, avec le projet de réacteur Astrid : le seul stock d’uranium appauvri conservé en France (300 000 tonnes) suffirait à produire l’électricité du pays durant plus de mille ans. Le second avantage possible d’un tel réacteur est que les neutrons rapides cassent les noyaux des actinides mineurs en noyaux dont la période radioactive est beaucoup plus courte, diminuant drastiquement la durée de la nocivité des déchets nucléaires.