L’ouverture de la Route de la soie arctique, un grand projet de l’humanité !

par Christine Bierre

lundi 12 février 2018, par Christine Bierre

Le méthanier brise-glace russe Christophe de Margerie, affrété par Total en 2017, a été le premier navire commercial à emprunter le passage Arctique du nord-est pour rallier l’Asie. Un gain de 15 jours par rapport à la route de Suez.

En ce début d’année, c’est la route de l’Arctique, la plus courte pour passer de l’océan Pacifique à l’Atlantique, qui est à l’honneur.

Alors que venait de s’achever à Trömso, en Norvège, la conférence internationale Frontières arctiques, qui a attiré cette année entre 3000 et 3500 participants, la Chine publiait, le 26 janvier, son Livre blanc pour la Route de la soie polaire.

Elle y incite ses entreprises à construire des infrastructures et à s’essayer aux échanges commerciaux dans cette région afin de créer les conditions d’une pleine participation aux échanges sur cette route maritime.

Confortant la crédibilité de son projet, la Chine vient de lancer la construction d’un brise-glace polaire de dernière génération, le Xuelong 2 (Dragon des neiges), qui s’ajoute au Xuelong 1 construit en Ukraine.

Histoire

Sur la route de l’Arctique, cependant, c’est la Russie qui donne le la et ce, depuis pratiquement l’époque du Tsar Pierre Le Grand. Comptant pas moins de 42 000 km de côtes avec cette impressionnante mer gelée, la Russie a découvert très tôt toutes les richesses naturelles qu’elle pouvait contenir et les avantages qu’elle-même, mais aussi le monde, pourraient tirer de son développement.

Au XVIIe siècle, Pierre Le Grand avait beaucoup échangé sur cette question avec le grand savant allemand Leibniz, qui lui conseilla d’envoyer une expédition au point le plus oriental de la Sibérie pour voir s’il y avait un passage par terre avec le continent nord-américain.

Pierre Le Grand en chargea l’explorateur danois Vitus Bering, afin d’établir la faisabilité de la route du Nord.

Au XVIIIe, puis au XIXe siècle, deux grands savants russes, Lomonossov et Dmitri Mendeleïev, apportèrent leur soutien à ce projet, conscients des avantages que la Russie en tirerait du point de vue de la recherche scientifique, de la découverte de ressources naturelles, des échanges économiques et du point de vue militaire. Mendeleïev consacra d’ailleurs à cette question un mémorandum intitulé « Sur le développement de l’Arctique ».

Ce qui change totalement la donne par rapport à l’Arctique, en cette nouvelle année 2018, c’est le fait que depuis 2017, les deux géants eurasiatiques, la Chine et la Russie, ont décidé de faire cause commune sur cette question.

C’est en juin que le président Xi Jinping avait annoncé sa volonté d’incorporer l’Arctique à sa Nouvelle Route de la soie. Un mois plus tard, lors d’une rencontre à Moscou, les deux présidents signaient une déclaration soulignant l’importance particulière qu’ils attribuent à la coopération dans le domaine de la route maritime du Nord.

La Russie a également signé avec la Direction de l’océanographie chinoise un mémorandum d’entente mutuelle pour élargir la coopération internationale dans le domaine des recherches arctiques et antarctiques.

Un corridor de matières premières essentielles

Au cœur de l’alliance sino-russe en Arctique, le mégaprojet Yamal LNG de production de gaz naturel liquéfié, auquel la France a la chance de pouvoir participer.

Estimé à 27 milliards de dollars, il est mené par un consortium international dirigé par l’entreprise russe Novatek (50,1 %), en coopération avec la société chinoise CNPC (20 %), le Fonds de la Route de la soie (9,9 %) et la société française Total (20 %).

Avec son usine de liquéfaction, Yamal LNG compte produire 16,5 millions de tonnes de GNL et 1,2 million de tonnes de condensat de gaz, pour approvisionner le marché eurasiatique.

De quoi contribuer, avec d’autres entreprises d’exploitation minière dans cette région, telles que Norislk Nickel et Gazprom Neft, à faire de cette route du Nord un corridor privilégié pour le transport des matières premières, en attendant de pouvoir transporter des personnes dans ces climats extrêmes.

Le 8 décembre dernier, le président Poutine inaugurait le projet lors d’une cérémonie officielle organisée dans le port Sabetta, un petit village devenu en quelques années une ville de 22 000 habitants.

« C’est un grand jour pour nous », déclara-t-il avec fierté, tout en rendant hommage à Christophe de Margerie, l’ancien PDG de Total, mort dans un accident d’avion en Russie. « Je vous félicite tous pour la première expédition d’un méthanier, baptisé du nom de notre ami Christophe de Margerie, (...) l’un des pionniers de ce projet. »

Poutine a tenu aussi à remercier les partenaires étrangers de Novatek pour les risques pris dans ce projet d’une très grande complexité géologique et climatique. « Sans leur participation, sans leur confiance en leurs amis russes, ce projet n’aurait pas existé », a-t-il reconnu.

Autre accord avec la Russie qui intéresse la Chine au plus haut point, le projet de chemin de fer baptisé Belkomour, d’Arkhangelsk par la mer Blanche en République de Komi, puis en Oural. Selon Guo Peking, directeur exécutif de l’Institut de droit polaire à l’Université chinoise d’océanologie, « Arkhangelsk et Mourmansk deviendront les principaux hubs de transport en Europe, reliant la route maritime arctique, le nord de l’Europe et les régions intérieures de la Russie. »

Pourquoi chercher dans l’endroit le plus ingrat de la terre ?

La réponse à cette question est évidente : cette région abriterait un cinquième de toutes les ressources naturelles de la planète ! Si l’Arctique est très riche en pétrole et gaz naturel, elle regorge aussi de métaux précieux et non ferreux – étain, nickel, cobalt, platine, or, diamant, antimoine, apatite, phlogopite, vermillon, barytine – et de métaux rares. Au point de pouvoir dire que l’ensemble du tableau périodique de Mendeleïev y est représenté.

Autre argument éminemment économique, la route Arctique entraîne une réduction de coûts considérable, du fait que le trajet entre l’Europe et la Chine est plus court par la route du Nord qu’en passant par le canal de Suez. Grâce à la fonte des glaces des dernières années, le trajet de Shanghai à Hambourg, par l’Arctique, se trouve raccourci de 4506 km, rapporte Anna Yudina dans Sputnik.

Résultat : entre la ville norvégienne de Kirkenes et Shanghai par la route du Nord, l’économie est de 180 000 dollars, et de 200 000 dollars pour un cargo transportant du charbon du Canada vers la Finlande.

Outre les avantages que la Russie et la Chine pourraient tirer de l’Arctique en termes de défense (car sous les glaces, les sous-marins nucléaires sont indétectables), pour la Chine, cette route s’avère beaucoup plus sécurisée que celle de l’Asie centrale, ou du détroit de Malacca, de l’océan Indien et de la mer d’Arabie, pour se procurer les hydrocarbures qu’elle n’a pas chez elle.

Ainsi, à partir de 2019, lorsqu’il sera entièrement opérationnel, Yamal fournira à la Chine 4 millions de tonnes de GLN par an.

La Route polaire de la soie est donc une belle gifle pour les géopoliticiens occidentaux en mal de Guerre froide, qui travaillent d’arrache-pied à monter en épingle toutes les divergences pouvant opposer la Chine et la Russie, dans l’espoir de casser cette puissante alliance qui, pour l’heure, tient l’Occident en respect, alors que celle-ci se porte comme un charme et lance de nouveaux défis à un Occident à la dérive !