Un nouveau plan Laroque : pour une vraie politique d’allongement de la vie

samedi 12 mai 2018, par Agnès Farkas

Une inquiétude grandit au sein des institutions : comment payer les retraites de la génération des baby-boomers ? Le rallongement de l’espérance de vie (voir encadré ci-dessous), la baisse de la fécondité dans les pays avancés et, surtout, l’arrivée massive de la génération des baby-boomers (nés entre 1945 et 1975) à l’âge de l’inactivité, font que nos institutions craignent pour la viabilité du système de retraite dans le court terme des 25 années à venir. 2040 devrait marquer un retour à l’équilibre entre les actifs et les inactifs, pensent-ils, car nous entrons dans un boom progressif des décès de cette classe d’âge.

A l’exemple de la Suède, le gouvernement français veut diminuer la charge des pensions retraite en passant, sans le dire vraiment, d’un système par répartition à un système par capitalisation. L’objectif final est de transférer le « poids » des retraites à des assurances et mutuelles privées. La volonté d’éliminer tous les régimes spéciaux de retraite constitue le premier pas, essentiel du point de vue du monde des affaires, vers une privatisation du système.

Pourtant, une autre solution, soucieuse de l’intérêt des peuples, a bien été explorée dans un rapport sur la Politique de la vieillesse, rédigé en 1962 par Pierre Laroque, le « père » de la Sécurité sociale de 1945, et ceci au cœur du « pic de natalité » qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale.

Chacun cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.
Principe fondateur de la Sécurité sociale, 1946.

Le modèle de retraite Macron, la Suède

En été 2019, Macron veut réformer notre système de retraite par répartition, institué sous De Gaulle, pour aller vers un système de capitalisation fondé sur des comptes notionnels, où les cotisations sont calculées par points sur les seules heures travaillées. Le capital virtualisé de ce compte serait conservé et reversé au moment de l’entrée en retraite.

Une idée qui a poussé les retraités suédois à reprendre le travail. En effet, depuis 1998, l’Etat suédois encaisse les cotisations, en laissant croire à la pérennité du système par répartition tout en mettant en place un système de pensions retraites par capitalisation qu’il a fondu dans le système précédent. La Suède a ensuite créé deux régimes obligatoires : 86 % du produit des cotisations finance un système de répartition sur des comptes notionnels personnalisés, et 14 % sont capitalisés en fonds de pension sur des comptes financiers.

Comment connaître le montant réel de sa retraite notionnelle ? Difficile, car la pension est désormais calculée sur un nombre de points acquis sur les heures réelles accumulées dans une vie de travail. Ces points sont transformés en capital virtuel retraite, puis convertis en rente viagère, lors de la liquidation de sa pension. Ce qui n’est pas dit est que ce capital est assujetti à la flexibilité et à la performance de l’économie, des marchés financiers et immobiliers, ce qui entraîne une modification automatique des points accumulés.

Un mécanisme de correction des déséquilibres financiers, fondé sur le ratio actif/passif, s’enclenche automatiquement en infléchissant le rythme d’évolution des pensions jusqu’au retour d’un ratio d’équilibre d’une valeur supérieure ou égale à un. Ce qui rend très aléatoire le calcul de sa retraite et, pire encore, le montant des points est sujet à modification même après la retraite. Aucun équilibre automatique n’est possible dans ce monde financier spéculatif puisque le versement des pensions reste entièrement corrélé au niveau de richesse de ce système.

Si la Suède a effectué une transition lente dans un système qui a fonctionné sous un mode hybride sur plusieurs années, Macron souhaite plutôt « une transition très rapide qui laisserait ceux qui sont à 5 ans de la retraite profiter de l’ancien système, tandis que ceux qui en sont éloignés basculeraient automatiquement dans le nouveau système. Cela nous permettrait de gagner du temps », comme le souligne l’économiste Antoine Bozio. C’est le monde « plus libre et plus égalitaire » d’Emmanuel Macron…

Ce dernier pourrait y mettre une touche supplémentaire en divisant le capital notionnel accumulé par le nombre d’années d’espérance de vie :

Exemple : soit un salarié partant à la retraite à 65 ans ayant cotisé 150 000 euros. Si l’espérance de vie pour sa génération est de 78 ans, il lui reste donc théoriquement 13 ans à vivre. Le montant annuel de sa retraite sera alors égal à 150 000 / 13 = 11 538 euros par an, soit 962 euros par mois. Conséquence de ce dispositif : plus un cotisant part tardivement, plus sa retraite sera élevée puisqu’il cotisera des sommes en plus et que son nombre d’années d’espérance de vie théorique diminuera. [1]

Espérance de vie augmentée

En 56 ans (1960-2016), la population mondiale a augmenté de 56 %, mais au sein de ce groupe, ceux qui ont 65 ans ou plus ont augmenté de 67 % pour atteindre près de 20 % du total. L’espérance de vie a presque doublé dans tous les pays à haute valeur technologique, contribuant à un accroissement de la population des plus de 60 ans, d’autant que dans ces mêmes pays, le taux de natalité par femme baissait.

En France, entre 1900 et 2017, l’espérance de vie à la naissance est passée de 45 ans à 79 ans pour les hommes, et de 49 ans à 85 ans pour les femmes. En 2050, selon l’Institut national de la statistique, la France comptera 74 millions d’habitants dont 20 millions de plus de 65 ans. En même temps, le taux de natalité en 2017 est en baisse à 1,88 enfants par femme, par rapport aux années 2000 où il était de plus de 2 enfants par femme.

Parallèlement, l’entrée des jeunes sur le marché du travail qui est plus tardive (22 ans, 4 ans de plus qu’il y a 30 ans) et le chômage devenu endémique provoquent une baisse des ressources pouvant être allouées au système d’allocations retraite. Une projection statistique qui, depuis l’époque de Mitterrand, pousse les gouvernements successifs à baisser le montant des pensions pour « rééquilibrer » les comptes des caisses de retraites.

Le système de retraite par répartition fait partie de notre patrimoine historique

Pierre Laroque (1902-1992)

Pierre Laroque.

Entre les deux guerres mondiales du XXe siècle en France, le modèle d’Assurances obligatoires instaurées par le chancelier Bismarck dans les départements d’Alsace-Lorraine sous occupation allemande, inspire le gouvernement de Gaston Doumergue. Ce dernier adopte des Lois instituant les premières Assurances sociales obligatoires pour les travailleurs français et offre à certaines catégories de corps de métiers un minimum retraite couvert à 50 % par l’Etat, le reste devant être couvert par le patronat. Cette allocation ne concerne pas les non salariés. Conseiller d’Etat depuis 1929, Pierre Laroque entre en 1931 au cabinet du ministre des Affaires sociales Alexandre Landry et se spécialise dans les assurances sociales.

En 1940, Laroque rédige avec Alexandre Parodi un projet de « réforme des législations sur les Assurances sociales, les Allocations familiales et les congés payés » qui aboutit, en 1941, à l’instauration d’une Allocation aux vieux travailleurs salariés (AVTS).

Il sera révoqué dans les premières semaines du régime de Pétain pour ses origines juives et rejoint l’organisation de Résistance Combat à Lyon, puis De Gaulle à Londres en 1943. Ce dernier, qu’il accompagne lors de son retour en France en juin 1944, le nommera directeur général de la Sécurité sociale en octobre 1944.

Sous le gouvernement provisoire de De Gaulle, le préambule de la Constitution de la IVe République inscrit, aux côtés des Droits de l’homme et du citoyen, le droit à la Sécurité sociale et à la retraite.

La même année, le Plan de Sécurité sociale Pierre Laroque est mis en œuvre au sein d’une coopération entre les communistes d’Ambroise Croizat et des gaullistes issus des rangs de la Résistance. Ce nouveau programme a généralisé les systèmes de retraites contributives financées à parts égales par les cotisations patronales et salariales, et supprimé l’assistanat, jugé dégradant et archaïque. Désormais, même les retraités non pensionnés et privés de ressources suffisantes ont droit à une allocation.

En 1956, des lois instaurant un minimum vieillesse pour tous les bénéficiaires d’allocation retraite âgés de plus de 65 ans sont votées. Malgré ces réformes, la situation de nombreuses personnes âgées reste souvent proche de la misère. En 1961, le nouveau gouvernement de De Gaulle met en place une Commission d’études des problèmes de la vieillesse présidée par Laroque.

Le 4 juillet 1961, le député et médecin Jean-Robert Debray, membre de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales, souligne dans son rapport d’information à l’Assemblée nationale :

Après 1965, la proportion des actifs restera à peu près stable. Mais d’ici 1970, la population inactive augmentera encore deux fois plus que l’active (1 438 000 contre 609 000). Or, c’est au sujet des emplois que l’opinion s’inquiète et non des retraites. Elle a tendance à croire que le nombre d’emplois est limité, comme le nombre de joueurs d’une équipe de football, et qu’en revanche le versement des retraites est assuré parce qu’il est écrit dans la loi. Or, c’est le contraire qui est réel. Le nombre d’emplois sera ce que nous voulons qu’il soit : une politique non malthusienne peut donner dans cette matière des résultats largement suffisants. Les retraites, au contraire, et tous les revenus d’inactivité constituent un prélèvement sur la production. Leur montant effectif dépendra de la production.

Jean-Robert Debray.

Ici, Jean-Robert Debray souligne deux choses importantes : la qualité de vie des plus de 60 ans et surtout, un monde industriel qui se mécanise et ouvrira à des emplois nouveaux et moins physiques.

En 1962, Laroque publie un rapport qui ira bien au-delà des mesures qui ont été prises jusqu’alors. L’importance de la « conservation plus fréquente des facultés physiologiques et psychologiques des personnes âgées » est un critère économique essentiel car il prévoit un allongement de l’espérance de vie jusqu’à 75 ans pour la fin des années 1970.

Ce qui s’est confirmé !

Début des années 1970, inspiré par cet esprit, Robert Boulin, ministre de la Santé publique et de la Sécurité sociale sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas, fait voter une loi de réforme retraite :

Donc, notre axe a été celui de la revalorisation. Il y a une récrimination qui consiste à dire, il faut la retraite à 60 ans. Alors, je me permets de prendre mon petit livre rouge, qui n’est pas celui de Mao, mais qui est le code de la Sécurité sociale ; et qui dit à l’article 331, l’Assurance vieillesse garantit une pension de retraite à l’assuré qui atteint l’âge de 60 ans. Par conséquent, la loi fixe la retraite à 60 ans. Nous n’allons pas la revendiquer. Mais pourquoi est-ce qu’on ne prend pas la retraite à 60 ans ? parce qu’elle n’assure à 60 ans que 20 % du salaire de base. Ce n’est donc pas un problème d’âge de la retraite, c’est un problème de revalorisation. C’est très bien de prendre la retraite, mais il faut avoir les moyens de vie. Alors, c’est ce que nous faisons. [2]

Ce qu’il ne pouvait deviner, c’est la mise en place des politiques post-industrielles après le départ de De Gaulle. Jusqu’en 1987, il y eut peu d’apports supplémentaires ou de changements sur ce secteur social et ensuite, dans les années qui suivirent, les divers gouvernements s’employèrent à un lent démantèlement des acquis sociaux.

Le 12 décembre 1992, Pierre Laroque prononce une allocution au sein d’un colloque sur les retraites, lors de l’établissement à Bordeaux de la Caisse des dépôts et consignations. Il souligne : « La sécurité, c’est l’élimination de l’incertitude du lendemain. Je suis d’ailleurs surpris que les historiens n’aient jamais, ou très rarement fait l’histoire de l’influence de ce besoin de sécurité sur l’évolution politique des nations. »

Retraites : chronologie d’une dérive

De la réforme Seguin en 1987 à la retraite notionnelle du gouvernement Macron, les pouvoirs publics français ont sabordé les acquis du programme de la Résistance de 1945 :

  • 1987. Réforme Seguin : les salaires qui étaient jusqu’alors reportés au compte retraite selon l’évolution du salaire moyen, seront seulement revalorisés sur l’inflation, entraînant une chute de 20 % du niveau des pensions, étalée sur 25 ans ;
  • 1996. Tentative de « rééquilibrage » par la hausse des cotisations pour les régimes complémentaires des salariés du privé (ARRCO et AGIRC) ;
  • 1999. Institution d’un « fonds de réserve pour les retraites » pour constituer une épargne collective en vue du financement des diverses caisses entre 2020 et 2040 » ;
  • 2003. Loi Fillon alignant les conditions des départs à la retraite du public sur celle du privé et adaptant la durée de cotisation nécessaire pour l’obtention d’une retraite à l’augmentation de l’espérance de vie ;
  • 2010. Réforme Woerth, repoussant de 5 ans l’âge de la retraite ;
  • 2014 . « Loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraite », allongeant à 43 ans la durée de cotisation pour une retraite à taux plein pour les salariés nés à partir de 1973 ;
  • 2019. En projet : création d’un système par « compte notionnel » ouvrant un compte virtuel personnalisé à chaque salarié, proposé par Macron. C’est un capital virtuel qui serait actualisé au moment du départ à la retraite. Cette sorte de rente viagère individualisée serait divisée par un coefficient dépendant de l’âge de la retraite et de l’espérance de vie de la génération à laquelle appartient le salarié.

Qu’est-ce qu’une personne âgée ?

Qu’on le veuille ou non, les premiers signes de vieillissement biologique sont détectés dès l’âge de 26 ans. Fort heureusement, les découvertes scientifiques et médicales nous offrent des années supplémentaires plus actives et en meilleure santé et, le futur est gros d’espoir pour toutes les générations. Malgré tout, il ne faudrait pas « gaspiller » ce gain précieux.

La nécessité pour l’individu de ne plus subir passivement. Mieux vaut pour lui organiser sa vie d’adulte de façon, non pas à vivre plus longtemps dans la condition de vieillard, mais à prolonger son existence normale. (…) Chacun aura, dans certaines limites, la vieillesse qu’il se sera préparée : ici plus encore qu’ailleurs, l’information et l’éducation accompagnent nécessairement les propositions envisagées.
Pierre Laroque, 1962.

Contrairement à Macron, Laroque est bien contre un travail forcé des personnes âgées et précise d’emblée que les pensions de vieillesse, ou revenus de substitution au salaire, doivent tendre à assurer aux retraités inactifs un niveau de vie en rapport avec celui dont ils bénéficiaient avant leur cessation d’activité.

Toutefois, il tient compte de la volonté d’un nombre certain de retraités de participer à la vie active et civique de leur pays. Or, ceci se prépare bien en amont et tout au long de la vie active et professionnelle. Pour les soutenir, l’Etat mettra en place un programme d’éducation polytechnique constant, quels que soient l’âge ou le bagage universitaire de chacun, et ceci tout au long de la vie. En effet, la rupture avec la vie active engendre souvent certaines difficultés d’adaptation à l’inactivité, préjudiciables à la bonne santé :

C’est au moment où il cesse son activité professionnelle qu’il se trouve brutalement avec une réalité qu’il a antérieurement imaginé sous un aspect différent.

Aussi, il faut dissocier deux âges : celui de la retraite et celui de la dépendance. Une personne vieillissante peut être diminuée physiquement sans être dépendante. Si la question s’est progressivement posée pour les handicapés et a été en partie résolue par des lois et directives qui ont changé le regard du monde du travail sur eux, pourquoi ne l’est-elle pas de la même manière pour les personnes vieillissantes ?

De plus, s’il faut insister sur la nécessité de garantir des services adaptés aux besoins des personnes dépendantes dans le domaine hospitalier et à domicile, il ne faut pas les contraindre à un isolement où les « scrupules de conscience semblent apaisés au détriment de leur vie sociale. (…) il convient donc de se garder de la tentation de trouver à ce problème la solution de facilité qui consisterait à isoler les personnes âgées dans un milieu entièrement autonome, dans lesquels les intéressés trouveraient plus aisément la satisfaction de leurs besoins propres. La maison de retraite, le village des vieux peuvent paraître, au premier abord, comme la solution idéale et, sans doute, la moins onéreuse, tant il est vrai qu’elle permet d’assurer des conditions de vie adaptées, avec le maximum de confort, à des vieillards groupés en communauté ».

Cependant, « la solution de ségrégation rejoint la tendance même des personnes âgées à se replier sur elles-mêmes, à renoncer progressivement à tout effort de contact avec l’extérieur ; elle a donc de bonnes chance d’accélérer leur vieillissement, psychologique tout au moins » et, ainsi « de faire naître, chez les vieillards, un sentiment de dépendance. » On veillera donc à « respecter le besoin qu’ils éprouvent de conserver leur place dans une société normale, d’être mêlés constamment à des adultes et à des enfants ».

Laroque pose ici une question fondamentale : une occupation doit contribuer puissamment à l’équilibre psychologique de chaque individu dans une société en expansion et les retraités ne peuvent en être exclus s’ils veulent trouver un sens à leur vie de chaque jour.

Casser les préjugés

La répression et la contrainte sont l’exact opposé d’un bon gouvernement et le Plan Laroque est appliqué dans le strict respect de la Constitution de 1946. Il donne ainsi, à chaque citoyen, non seulement le devoir d’intervention dans les affaires de l’État, mais aussi dans celles de l’entreprise et, surtout le droit de définir sa carrière au sein de la société et du monde du travail.

Dans le monde du travail actuel, on devient un senior à 45 ans et c’est une barrière à l’embauche artificiellement construite. De plus, ces « seniors » sont vus à Pôle emploi comme les personnes « parmi les plus dures à caser ». La notion de vieillesse est donc devenue une variable d’ajustement économique, tandis qu’à l’époque des Trente Glorieuses, le futur est un monde de la recherche, de la découverte et de l’innovation industrielle, et tout un chacun veut en être, participer à l’avancement de la société.

Chaque individu doit pouvoir se construire une carrière excluant une vie de travail en mode séquencée, alternant chômage et petits boulots, mais qui soit organisée de sorte qu’il n’y ait pas de rupture mais une adaptation constante de l’homme au travail et au service civique.

Depuis 60 ans, nous assistons à une mécanisation accélérée des entreprises. Toujours plus, les machines outils et les robots font le travail pénible qui était le lot des ouvriers au début du XXe siècle. Le XXIe siècle est celui des nanotechnologies, de la robotique, de la numérisation, de l’exploration spatiale ou des océans. Il offrira des opportunités d’emplois nouveaux au sein d’entreprises de caractère totalement différent de celles du XXe siècle.

Il n’y aura pas moins de travail, mais un temps consacré à l’emploi réparti différemment entre l’entreprise et le développement de carrière pour tous, du manœuvre au cadre. Les heures travaillées diminueront au profit d’heures consacrées à l’apprentissage et à l’éducation.

D’ailleurs beaucoup de personnes de plus de 60 ans en bonne santé physique et mentale désirent participer activement à l’éducation au progrès, mais la société ne leur en offre pas vraiment les moyens. Le bénévolat devient une autre variable d’ajustement économique : on ne salarie pas un bénévole.

Laroque souligne :

Le maintien au travail constitue, pour les personnes âgées que leur santé physique ou mentale met en état d’exercer une activité professionnelle, un facteur d’équilibre physique et psychologique, dans la mesure du moins où les emplois qu’elles occupent sont adaptés, aussi bien à leur aptitude qu’à leur aspiration. Si la prolongation de la vie ne doit ainsi ni préjuger à l’ascension et à la promotion des jeunes, ni s’effectuer au détriment de la santé des personnes âgées, elle ne doit pas non plus aboutir à perturber les conditions économiques normales du marché du travail, spécialement en matière de rémunération.

Bien sûr, des retraités sous pensionnées auront tendance à chercher un moyen de survie et peuvent être soumis à une exploitation par le travail au noir ou à une sous rémunération par des entreprises peu scrupuleuses. Les seniors ont une expérience et leurs emplois doivent être de « mérite », demandé et accepté, et surtout adapté à leur condition physique. Une personne âgée peut être plus lente tout en restant efficace. De plus, l’État peut offrir les moyens aux entreprises d’embaucher sans avoir à subir de charges supérieures.

Prévoyant, Laroque veut « casser les préjugés dans le domaine de l’emploi des seniors » et permettre une réelle formation professionnelle spécifique des personnes vieillissantes et même des plus de 65 ans, si elles le désirent et peuvent suivre un rythme de travail différent avec un aménagement des horaires.

Pour cela, il faut leur faciliter l’adaptation à leur emploi (poste qualifié exigeant des diplômes ou des capacités mais non un rythme de travail soutenu).

L’assouplissement des conditions de capacités physiques pour les emplois de l’administration doit être étudié, avec une rémunération par honoraires ou vacations en vue de développer les emplois à mi-temps, garantissant des salaires planchers et des emplois légers. A aucun moment un travailleur vieillissant ne doit se sentir sous-évalué, mais doit se considérer comme entrant dans un « emploi de prestige » qui valorise sa carrière.

Une formation permanente polytechnique tout au long de la vie

Selon Pierre Laroque, « il va de soi que l’effort de formation doit s’inscrire dans une action plus large, orientée non seulement vers des fins utilitaires, mais aussi plus généralement vers le développement culturel et une adaptation psychologique aux transformations du milieu. C’est la base même de l’éducation permanente qui devrait être un des mots d’ordre essentiel ».

« Chez les employeurs, ajoute-t-il, il faut combattre la tendance naturelle à conserver le plus longtemps possible le salarié au même poste », mais favoriser les mutations, soit à l’intérieur des entreprises si elles sont suffisamment importantes, soit, par une collaboration étroite entre les entrepreneurs et les services de main-d’œuvre, vers d’autres entreprises ou même une profession différente. Toutefois, une mutation ne peut donner lieu à un déclassement ni réduire le pouvoir d’achat d’un employé. Des accords avec le patronat et les syndicats pour les plus de 45 ans et les retraités seront indispensables et il faudra mener une vaste enquête sur les possibilités réelles en entreprise, mais aussi les moyens à donner aux entreprises innovantes. Il faut aussi former une médecine du travail déterminant les aptitudes au travail des personnes vieillissantes, avec un suivi régulier et sortir des normes actuelles où, depuis le 1er janvier 2018, le suivi médical des salariés n’est plus systématiquement assuré par le médecin du travail, sauf pour décider avec l’employeur s’ils sont aptes ou pas et, pire, la visite d’embauche est remplacée par une visite d’information et de prévention ».

Pour Laroque, « toute solution du problème de l’emploi ou du reclassement des travailleurs âgés ou ‘vieillissants’ s’inscrit nécessairement dans le cadre d’une politique globale de l’emploi ».

Il appelle à un débat avec les citoyens, les syndicats, les entreprises et le monde médical :

Il va de soi cependant que l’animateur de la politique ne peut être que le Gouvernement lui-même, s’appuyant sur le Parlement et, à travers lui, sur l’ensemble de l’opinion, et dont les multiples services et comités ne peuvent que traduire l’impulsion.

L’État doit investir dans une véritable politique de l’emploi instaurée sur la formation permanente et polytechnique des adultes, et ceci dès l’âge d’entrée sur le marché du travail, quel que soit le niveau scolaire de la personne, et assurer le reclassement du travailleur en facilitant, tout au long de sa carrière, la qualité et la polyvalence d’une vie dans l’entreprise.

Chacun pourra, tout au long de sa vie, changer d’orientation, non seulement dans un but de valorisation de la qualification professionnelle immédiate, mais aussi afin de se préparer un avenir professionnel de qualité au fur et à mesure de son avancée en âge.

La perte de capacités physiques ne doit, à aucun moment, justifier un arrêt des possibilités de qualification, et encore moins un licenciement. Il serait même souhaitable qu’un texte législatif interdise aux employeurs de licencier, sans remplacement assuré, les travailleurs âgés de plus de 45 ans.

Il faut préciser que les travailleurs sont assurés de toucher leur pension retraite dès l’âge de 60 ans sans qu’il leur soit interdit de demander une formation professionnelle.

Cependant, « s’il est souhaitable de ne point décourager les personnes âgées de se maintenir en activité aussi longtemps que leur état de santé et leurs aptitudes le leur permettent, il est essentiel que cet objectif n’ait pas pour conséquence d’empêcher l’accès des jeunes sur le marché du travail, qu’il ne se traduise pas par un conflit de génération », précise Pierre Laroque, qui laisse le choix à la libre volonté des intéressés et compte beaucoup sur l’esprit de civisme de la population.

Aujourd’hui, nous n’avons pas de base expérimentale suffisante pour permettre une adaptation constante des individus au travail. Il faudra donc lancer des études sur le sujet, sans imposer des catégories rigides mais en offrant des options préférentielles selon l’âge et les capacités physiques et intellectuelles de chacun.

La nécessité pour l’individu de ne plus subir passivement. Mieux vaut pour lui organiser sa vie d’adulte de façon, non pas à vivre plus longtemps dans la condition de vieillard, mais à prolonger son existence normale. (…) Chacun aura, dans certaines limites, la vieillesse qu’il se sera préparée : ici plus encore qu’ailleurs, l’information et l’éducation accompagnent nécessairement les propositions envisagées.
Pierre Laroque, 1962.

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[1Source : Retraite Macron - La réforme des retraites 2018, sur le site Droit-Finances.

[2Extrait de son interview donnée au Journal télévisé de l’ORTF 14 octobre 1971.