De Saint-Pétersbourg à Qingdao, le nouveau monde de coopération se prépare

vendredi 1er juin 2018

Deux mondes cohabitent actuellement sur la planète : d’un côté, le vieux système transatlantique à l’agonie, où l’accumulation de capital fictif conduit vers un « tsunami financier » et où la doctrine géopolitique « ami-ennemi » induit la guerre de tous contre tous ; de l’autre, un nouveau paradigme de développement économique mutuel, s’organisant autour des Nouvelles Routes de la soie, de l’Union économique eurasiatique et de l’Organisation de la coopération de Shanghai. Les événements spectaculaires auxquels nous assistons ces dernières semaines – tensions en Asie du Sud-Ouest, négociations dramatiques dans la péninsule coréenne, crise politique italienne, etc – sont en grande partie déterminés par cette contradiction entre le monde du passé et celui du futur.

Du 24 au 26 mai s’est déroulée la 22e édition du Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF). Signe des temps, cette édition a été la plus importante de l’histoire du Forum, avec 17.000 participants, dont les dirigeants des plus grandes entreprises mondiales, ainsi que des dirigeants de petites et moyennes entreprises. 60 entreprises françaises étaient représentées, dont Air Liquide, Auchan, Danone, Engie, Michelin, Sanofi, Schneider Electric, Servier, Société Générale, TechnipFMC et Total.

La France et le Japon étaient les invités d’honneur du Forum. Outre le président français Emmanuel Macron et le Premier ministre Shinzo Abe, était aussi présent le vice-président chinois Wang Qishan.

La France et la Russie ont-elles réussi à dépasser leurs nombreux désaccords ? L’important, a dit Jacques Cheminade à RT France, était qu’Emmanuel Macron ait été là ! Le président français a aussi donné un coup de pouce à la coopération économique franco-russe, en appelant les entreprises françaises à investir davantage en Russie, où la France peut « faire mieux » notamment dans l’agroalimentaire, le spatial ou le numérique. « Notre relation a beaucoup d’avenir (...) car l’Europe va de l’Atlantique à l’Oural », a aussi dit Emmanuel Macron.

Sur les autres dossiers, les avancées sont restées plutôt maigres et se limitant aux dossiers iranien et syrien. L’attention s’est focalisée sur l’Iran suite au rejet par Trump de l’accord sur le nucléaire. Le président français a réaffirmé l’engagement des trois signataires européens à maintenir l’accord, faisant référence à la décision prise la semaine précédente à Sofia, lors du sommet européen, d’activer les mécanismes permettant de protéger l’accord ainsi que les entreprises européennes des procédures extraterritoriales des États-Unis liées aux sanctions. Si la France et la Russie sont d’accord sur ce sujet, le Président Poutine n’emboite pas le pas d’Emmanuel Macron qui veut bien défendre l’accord signé en 2015, à condition d’obtenir d’autres concessions de l’Iran par ailleurs : un contrôle sur son programme de missiles balistiques, sa décision de n’exercer aucune influence dans le reste du Moyen-Orient, ce que l’Iran rejette.

Sur la Syrie, les discussions ont porté sur la mise en place d’un mécanisme de coordination afin qu’un agenda commun soit établi entre le groupe d’Astana mené par la Russie, avec la Turquie et l’Iran, gagnants de cette guerre occidentale contre la Syrie, et le « Small Group » des perdants, initié par la France et comprenant le Royaume-Uni, les États-Unis, la Jordanie, l’Allemagne et l’Arabie Saoudite.

Revenons sur les nombreux accords de coopération économique conclus entre la France et la Russie et dont les plus intéressants sont un accord sur dix ans (2022-2032) entre EDF et la société russe Techsnabexport dans le domaine de l’énergie nucléaire, sur le traitement de l’uranium ré-enrichi ; ou encore un protocole d’accord entre Total et Novatek pour une participation de 10% de l’entreprise française au nouveau projet LNG2 dans l’Arctique pour 2,5 milliards de dollars, le nouveau projet géant de gaz naturel liquéfié situé sur la péninsule de Gydan dans le nord de la Sibérie.

« Crise systémique » ou coopération

Lors de la séance plénière du Forum, Vladimir Poutine a mis en garde pendant son discours contre le danger qui plane aujourd’hui sur le monde. Sans toutefois mentionner le problème central de l’expansion stratosphérique des bulles spéculatives mondiales, il a souligné le fait que « le système de coopération multilatérale, qui a été construit pendant des décennies, au lieu d’évoluer naturellement, s’effondre, et assez grossièrement. La violation des règles devient une règle à part entière. (…) Le mépris des normes existantes et la perte de confiance se combinent avec l’imprévisibilité et les turbulences provoquées par les changements mondiaux. Ces facteurs peuvent conduire à une crise systémique, d’une ampleur sans précédent pour le monde ».

« Nous n’avons pas besoin de guerres commerciales aujourd’hui ni même de cessez-le-feu commercial temporaire. Nous avons besoin d’une paix commerciale globale », a affirmé Poutine.

De son côté, le Premier ministre japonais Shinzo Abe a prononcé un discours qui reflète le processus de transformation en cours en Asie, sous l’influence du paradigme gagnant-gagnant des Nouvelles Routes de la soie portées par la Chine, affirmant que la coopération économique est la clé pour résoudre le différent entretenu entre le Japon et la Russie depuis sept longues décennies, autour des îles se trouvant dans le Nord du Japon, et pour parvenir enfin à conclure un traité de paix mettant fin à la IIe Guerre mondiale entre les deux pays.

« À quoi ressemblera le monde lorsqu’une stabilité sera rétablie entre le Japon et la Russie ? » a-t-il demandé. « Les îles, autrefois au cœur du conflit, deviendront un symbole de la coopération russo-japonaise, ouvrant de nouvelles possibilités en tant que plateforme logistique ».

Le lendemain, Poutine et Abe ont tenu un appel vidéo conjoint avec les astronautes japonais et russes se trouvant sur la station internationale (ISS). Le président russe les a félicités pour les nombreuses expériences et travaux de recherche réalisés, soulignant l’importance de la coopération spatiale : « Vous créez une atmosphère extraordinaire et fondamentale pour résoudre nos problèmes ici sur Terre  », a-t-il déclaré.

Anton Shkaplerov, le commandant de l’expédition 55 de l’ISS, a expliqué que « les échanges culturels facilitent la compréhension entre les peuples. L’ISS est une plateforme spatiale internationale où les représentants de nombreux pays travaillent côte à côte. Notre base de recherche conjointe se situe à 400 km de la Terre, et son existence est due à l’interaction coordonnée entre la Russie, le Japon, les États-Unis, le Canada et les pays européens ».

« L’un des moyens de rétablir la confiance est de renforcer la coopération », a renchéri Poutine. « Comme je l’ai déjà dit à propos de la Corée du Nord, plus il y a de coopération, plus il y a de chances de développer des relations normales et de créer les conditions pour résoudre les vieux problèmes mondiaux tels que le traité de paix [Russie-Japon] ».

Cet esprit de « détente, entente et coopération », que souhaitait de Gaulle en son temps, forme un vent de plus en plus puissant, qui souffle à travers le monde, et que les efforts acharnés de l’empire militaro-financier anglo-américain ne parviennent pas à stopper, comme on le voit dans le cas de la Corée.

La prochaine étape fondamentale de ce processus se déroulera les 9 et 10 juin à Qingdao, dans la province de Shandong, dans l’Est de la Chine, avec le Sommet de l’Organisation de la Coopération de Shanghai (OSC). L’édition de cette année sera marquée par la première participation en tant que membres à part entière de l’Inde et du Pakistan. Et, en plus des six autres États membres de l’Organisation (Kazakhstan, Kirghizistan, Chine, Russie, Tadjikistan et Ouzbékistan), plusieurs pays participeront en tant qu’observateurs, dont la Turquie, le Népal, l’Arménie et le Sri Lanka. Le président chinois Xi Jinping, le Premier ministre indien Narendra Modi et Vladimir Poutine seront présents.