Pourquoi le « protectionnisme » de Trump n’en est pas un

jeudi 26 juillet 2018

Le 6 juillet, la Maison-Blanche a mis en œuvre les taxes douanières punitives de 25 % sur 34 milliards de dollars de produits d’importation chinois. La Chine a répondu par des mesures similaires visant les secteurs de l’aéronautique, de l’automobile et de l’agriculture.

Lors d’une interview sur CNBC le 20 juillet, Trump a affirmé qu’il était « prêt à aller à 500 » milliards, ce qui reviendrait à taxer la quasi-totalité des produits chinois exportés aux États-Unis. « Je ne fais pas ça dans un objectif politique, mais parce que c’est une bonne chose pour notre pays. Nous avons été arnaqués par la Chine depuis trop longtemps », a-t-il déclaré, précisant qu’il n’agissait pas par mauvaise volonté vis-à-vis des Chinois : « Je ne cherche pas à leur faire peur. Je veux qu’ils agissent bien. J’apprécie beaucoup le président Xi, mais tout cela a été vraiment injuste » .

De bien mauvais conseils

Cette politique de guerre commerciale est le principal talon d’Achille de l’administration Trump. Elle est en complète contradiction avec ses efforts pour rétablir des relations de détente et de coopération avec la Russie et la Chine.

Trump, qui a fait campagne sur l’idée d’inverser le processus de déclin des capacités industrielles américaines des dernières décennies (« Make America great again »), se fait conseiller cette politique absurde et faussement protectionniste par Peter Navarro, qui dirige le Conseil du Commerce extérieur. Navarro n’était qu’une personnalité marginale du monde académique, jusqu’à ce que Jarod Kushner, le conseiller et beau-fils de Trump, ne découvre son livre Death by China, une diatribe anti-chinoise. Dans ce livre, il détaille les dégâts qu’aurait causés la Chine sur l’économie américaine au cours des quarante dernières années.

Cette vision est totalement biaisée, car elle élude le fait que la désintégration de l’économie américaine est surtout le résultat de la politique de ses propres multinationales – le capital mondialiste américain — qui ont préféré les profits rapides en se délocalisant en Chine ou ailleurs aux profits à long terme obtenus grâce à la recherche scientifique et à des industries de plus en plus performantes.

La chute de l’économie américaine a été causée par l’abandon progressif de toute politique industrielle au cours de cette période ; tendance qu’ont suivi tous les pays développés en Occident. Dans cette période, le gouvernement a cessé d’apporter son soutien au développement des infrastructures et à l’effort de recherche et de progrès scientifique et technologique, tandis que la production industrielle s’installait dans les pays à bas coûts, et que les flux financiers étaient détournés de la production pour aller vers la spéculation.

Les mesures punitives engagées par l’administration américaine contre la Chine vont produire – elles produisent déjà – des effets inverses à ceux recherchés, notamment du côté des agriculteurs américains, dont de nombreux produits sont vendus sur le marché chinois ; des grandes entreprises se fournissant auprès de la Chine qui vont devoir chercher d’autres fournisseurs ou voir leurs coûts augmenter substantiellement ; et également des ménages les plus pauvres qui vont subir une augmentation des prix des biens informatiques, télévisuels et téléphoniques. Enfin, la cerise ironique sur le gâteau est que les taxes vont provoquer la hausse des prix des drapeaux « made in China » pour la réélection de Trump...

Le plus grave est que la guerre commerciale portera un coup aux bonnes relations que Trump a établi avec la Chine au début de son mandat, dans un monde en crise où il faudrait, au contraire, une coopération étroite entre les grandes puissances pour rétablir la paix et la croissance. L’offensive de Trump n’a laissé d’autre alternative à la Chine que d’adopter de mesures symétriques et d’utiliser l’arme monétaire : le 12 juillet la Chine a procédé a une dévaluation du Yuan de 0,73% par rapport au dollar, qui diminuera l’impact des tarifs imposés par Trump.

En réalité, les véritables bénéficiaires de cette guerre commerciale sont les spéculateurs sur devises des banques de la City de Londres et de Wall Street, des hedge-funds et autres acteurs du « shadow banking ». En effet, 5000 milliards de dollars de contrats se négocient chaque jour sur le marché des changes (le « Forex »), c’est-à-dire 200 milliards par heure, 98-99 % d’entre eux n’étant que pure spéculation sans lien avec des échanges réels de biens ou de services. Ces opérations représentent une source majeure de revenus pour les intérêts financiers.

Le protectionnisme dans une économie monde

Une guerre commerciale n’a rien a voir avec un véritable protectionnisme. Dans la guerre commerciale, l’un cherche à s’imposer à l’autre, par la force, laissant un perdant sur le carreau. Le vrai protectionnisme, est celui qui a été appliqué en particulier au XIXe siècle par les partisans du « système américain d’économie politique », d’Alexander Hamilton à Henri Carey et Abraham Lincoln – Alexander Hamilton étant lui-même inspiré par notre grand Colbert – et en France, plus tard, par Paul Cauwès, Jean Jaurès et Jules Méline.

Pour ces bâtisseurs des nations, le protectionnisme n’était pas une fin en soi, mais un moyen pour développer leurs pays ! A l’époque, « protectionnisme » était synonyme de bouclier pour défendre les populations et les industries naissantes de pratiques de dumping des produits à moindre coût menées par l’Empire Britannique au nom du « libre-échange ». Car ces pratiques provoquent du chômage et de la misère dans un pays en développement où les industries n’ont pas encore les moyens de se défendre contre les grands groupes installés des pays plus avancés. En prenant des mesures de protectionnisme intelligent, l’État agit comme le garant de l’indépendance nationale, le défenseur du travail humain et l’organisateur du développement harmonique des forces productives. Notons au passage que Marx combattait le protectionnisme de Carey et soutenait le libre-échange (Lire : La face cachée de la planète Marx).

Les partisans du protectionnisme avaient identifié la fraude du libre-échange, dont le système se fonde sur l’idée erronée faisant des échanges commerciaux la source de richesse économique de la société – avec le postulat de base voulant que l’homme égoïste cherche le profit en achetant bon marché et revendant cher. Chaque nation ayant adopté cette doctrine a vu s’effondrer ses capacités productives et s’appauvrir la population. C’est le cas de la France au début du XXe siècle, après que les efforts protectionnistes du gouvernement Méline (1896-1898) ont été abandonnés ; la part de la France dans la production mondiale avait alors lourdement chuté.

Ironie de l’histoire, Trump refuse de faire appel à l’autre arme utilisée par ses ancêtres « protectionnistes » pour construire la puissance industrielle américaine : le rétablissement du contrôle du crédit par une Banque nationale publique, permettant d’orienter les flux de crédit vers les investissements productifs. Or, s’il veut rétablir l’« América First », il faudra qu’il passe par là. Mais cela veut dire couper les ailes à ses amis financiers, ce qu’il ne veut manifestement pas faire…

Quel modèle pour aujourd’hui ?

Dans le monde actuel, il n’est pas plus envisageable de continuer de livrer les économies des pays à la logique irrationnelle et cupide des marchés que de revenir à un « protectionnisme » chauvin et replié sur lui-même.

Les Nouvelles Routes de la soie promues par la Chine auxquelles participent actuellement près de 140 pays créent les conditions d’un changement de paradigme, où l’on pensera l’économie du haut vers le bas, et non l’inverse. Nous devons remplacer le système « international » actuel – pollué par la géopolitique du jeu à somme nulle gagnant/perdant – par un système « mondial » de coexistence pacifique et de progrès mutuel. Cela correspond dans la pensée chinoise au concept confucéen du « Tianxia » (« tout sous un même ciel »). Le protectionnisme consistera alors à une harmonisation entre la nécessité pour chaque économie nationale de se développer le mieux possible et la possibilité pour elle de contribuer le mieux possible aux objectifs communs de l’humanité.