Le Glass-Steagall pour désamorcer la bombe nucléaire financière !

mardi 7 août 2018

« Je ne veux pas effrayer le public, mais nous n’avons jamais eu de QE [« quantitative easing », ou programme de rachats d’actifs par les banques centrales] auparavant. Il n’y a pas de précédent d’inversion d’un tel processus. (…) Les gouvernements ont emprunté trop de dette, et les gens peuvent paniquer si les choses changent ». Celui qui parle ainsi est Jamie Dimon, le PDG de l’une des grosses banques du monde, la J.P Morgan, le 30 juillet sur CNBC.

L’air de rien, au milieu d’une interview décontractée sous le soleil californien, Dimon exprime là le sentiment de panique qui gagne actuellement la planète finance à l’idée que la Réserve fédérale américaine (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) mettent fin au programme de QE, ce qui menace de déclencher la bombe à retardement qu’est l’énorme bulle des produits dérivés financiers. Cette bulle, que les estimations basses chiffrent à 800 000 milliards de dollars, a en effet été constamment alimentée depuis dix ans par les perfusions monétaires de la Fed et de la BCE.

Car, en réalité, derrière l’endettement public — la cible favorite des néolibéraux —, l’un des points chauds de cette vaste pyramide de Ponzi est le niveau d’endettement des entreprises privées (« corporate debt »), qui représente aujourd’hui 500 % des bénéfices privés. Ce ratio est le même qu’avant le krach de 2008, comme le fait remarquer le site financier MarketWatch : « Comparé au produit intérieur brut ou aux bénéfices des entreprises, le niveau de l’encours de la dette des entreprises égale ou excède les niveaux d’avant la crise financière. Les entreprises vont avoir des difficultés pour refinancer cette dette au fur et à mesure que les taux d’intérêts augmenteront et que les dettes arriveront à maturité, ce qui augmente le risque de défauts ».

À la City de Londres, où la dette des entreprises atteint également des niveaux records, on sue à grosses gouttes à la perspective d’un « hard Brexit », qui mettrait en péril l’immense marché des produits dérivés proliférant sur la place financière britannique. Le fait que la Deutsche Bank ait déjà commencé à transférer ses opérations sur dérivés de Londres à Francfort force les Britanniques a proférer des menaces à peine voilées à l’encontre de l’Union européenne, prévenant que sans un accord autorisant les firmes londoniennes à vendre sans restrictions leurs dérivés dans l’UE, des milliers de fonds d’investissement pourraient faire faillite, ce qui provoquerait une crise systémique.

Pour le milliardaire britannique Lord Alan Sugar, le transfert de la Deutsche Bank signe « le début de la fin de la City en tant que fournisseuse de services financiers ». Rappelons que la City de Londres domine largement le marché mondial des produits dérivés, avec chaque jour environ 1000 milliards de dollars de transactions financières. Le London Stock Exchange, qui contrôle la chambre de compensation portant sur les produits dérivés, a prévenu que la perte d’accès à la zone euro pourrait coûter 100 000 emplois à la City.

Le pare-feu : Glass-Steagall

Si l’on ne peut que souhaiter voir disparaître de la surface de la Terre la City de Londres — qui a constitué jusqu’à présent le cœur d’une véritable entreprise criminelle œuvrant contre les intérêts de l’humanité – on n’a toutefois aucune raison de se réjouir à l’idée que le cancer financier soit transféré sur le continent européen.

Puisque le plus gros de la dette des entreprises correspond à des opérations spéculatives sur dérivés, il y a urgence à soumettre les établissements bancaires et financiers à la seule mesure préventive qui vaille : une procédure de réorganisation « Glass-Steagall » – séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires – qui placerait un mur de feu entre d’un côté les opérations traditionnelles de prêts et l’épargne populaire, et de l’autre les titres financiers spéculatifs. Cela nécessiterait la mise en place d’un audit public sur les avoirs financiers des banques, afin de déterminer s’il s’agit de prêts sains ou de paris spéculatifs. Ces derniers seront alors placés dans une structure à part, faisant ainsi assumer les risques aux seuls partenaires financiers concernés.

Cette séparation bancaire ouvrirait la voie au rétablissement d’un système de crédit public assurant que l’émission de crédit et de monnaie ne soit plus entre les mains de faux monnayeurs servant des intérêts financiers privés, et qu’elle soit vouée au développement de l’économie physique.

Le 30 juillet, nos amis militants du LPAC (Comité d’action politique de l’économiste américain Lyndon LaRouche) ont accueilli le Premier ministre italien Giuseppe Conte, qui rendait visite au président Trump à la Maison-Blanche, avec une banderole proclamant « Benvenuto Prime minister Conte – Go Glass-Steagall ! ». Plusieurs médias italiens ont couvert cette manifestation, dont l’agence italienne Vista, qui a publié une vidéo sur son site internet.

Dans un article paru sur le blog Il Gionale, Cristiano Puglisi rappelle que le Glass-Steagall est inclus dans les programmes de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles (M5S), qui viennent de prendre le pouvoir en Italie, ainsi que dans le programme électoral de Donald Trump. « Adopté en 1933, le Glass-Steagall Act a permis de résoudre l’une des principales causes de l’effondrement financier de Wall Street en 1929, qui provoqua la Grande dépression et entraîna le monde vers la 2nde Guerre mondiale », écrit-il. Son abrogation en 1999 par l’administration Clinton « a été la cause de l’effondrement financier de 2008 ».

Jusqu’à présent, le président Trump laisse les loups de Wall Street lui dicter sa politique économique et financière, tout en lui faisant oublier le Glass-Steagall grâce à l’ivresse de la hausse aussi vertigineuse que virtuelle des valeurs boursières. En Italie, bien que Giuseppe Conte ait réaffirmé le 5 juin l’intention du nouveau gouvernement italien de séparer les banques lors de son discours de politique générale, le sujet n’a pas été remis à l’ordre du jour.

« Mais certains militants continuent de se battre », poursuit Puglisi. « C’est le cas par exemple du Movisol, la branche italienne de l’Institut Schiller et du LaRouchePAC, liés à l’économiste et homme politique américain Lyndon Hermyle LaRouche, Jr., qui nage à contre-courant et s’occupe de ces questions depuis de nombreuses années ».

Grâce à la mobilisation du Movisol, une résolution en faveur du Glass-Steagall a été introduite dans cinq régions italiennes, et environ 200 signatures d’élus ont été collectées. En France, notre mobilisation citoyenne pour la « loi de moralisation de la vie bancaire » se poursuit également. Près de 250 députés et sénateurs ont été rencontrés en rendez-vous, et plusieurs d’entre eux ont interpellé le gouvernement à ce sujet. À nous d’accroître l’effort pour que le débat sorte des coulisses du pouvoir et soit enfin ouvert sur la place publique !