Le gouvernement italien préfère Roosevelt à Brüning et Laval

mercredi 17 octobre 2018

Le Parlement italien.

Pris dans la nasse d’un système dont la matrice néolibérale ne peut rien produire d’autre que la désintégration sociale et économique, les élites au pouvoir s’engouffrent mécaniquement dans les erreurs des années 1930. L’exemple d’Emmanuel Macron, notamment dans son allocution d’hier soir face aux Français, est typique de cette tentative de nous enfermer dans un faux débat entre « nationalistes » et « progressistes » – c’est-à-dire entre fachos en chemise noire et technos en cols blancs.

Comme l’écrit Jacques Cheminade dans son dernier éditorial, on « organise la guerre des moins pauvres contre les très pauvres, des peuples européens contre les migrants » , faute de mettre fin au système de spoliation par les banques casino et à son corollaire, l’austérité absurde et criminelle imposée par l’UE.

De ce point de vue, ce qui se passe en Italie depuis l’élection d’un gouvernement de coalition Ligue-M5S (Mouvement 5 étoiles), si les paroles se traduisent réellement en actes, représente un véritable cauchemar pour les gardiens du temple de la City et de Wall Street logés à Bruxelles, qui auraient préféré que les « barbares » arrivés à Rome se contentent d’une politique anti-migrants bête et méchante...

« Acte de désobéissance civile »

Le 11 octobre, les deux chambres du Parlement italien ont approuvé avec une large majorité le Document économique et financier du gouvernement (DEF), ce budget affreusement « expansionniste », comme s’en lamente le journal Le Monde.

Lors de son discours devant les sénateurs, le président de la Commission bancaire du Sénat, Alberto Bagnai, a déclaré : « Les Italiens en ont assez de se faire sermonner par ceux qui personnifient un modèle défaillant d’union entre les pays européens ». Le budget 2019 qui vient d’être voté est un « acte de désobéissance civile » contre les règles erronées et arbitraires de l’UE, a-t-il ajouté. Quelques jours plus tard à Florence, Bagnai a affirmé que le gouvernement italien n’a pas peur des sanctions de l’UE : « mieux vaut payer une amende de 0,2 % du PIB plutôt que de perdre 4 % en an un à cause des politiques d’austérité ».

Les dirigeants de l’UE ont perdu toute crédibilité, a-t-il affirmé au Sénat, à l’image des commissaires européens Moscovici et Dombrovskis, « les auteurs de la gentille lettre » adressée à Rome pour critiquer sévèrement le projet de budget de la coalition, et dont les partis politiques s’effondrent littéralement dans leurs pays respectifs, la France et la Lettonie. À l’époque où Moscovici occupait le poste de ministre des Finances du gouvernement de François Hollande, « pendant deux ans le déficit budgétaire est resté supérieur à 4 %, et lorsqu’on a soulevé le problème auprès de Juncker [le président de la Commission européenne], il a répondu : ‘ils peuvent le faire parce que c’est la France’ », a rappelé Bagnai.

Enfin, à propos de la Lettonie, qui a longtemps été présentée comme un élève modèle de l’UE, ayant scrupuleusement respecté les critères d’austérité et soi-disant réduit le chômage de 19 % à 11 %, on sait aujourd’hui que cette baisse du nombre des chômeurs est principalement due à l’émigration massive de la population active !

À Florence, réfutant les fausses informations diffusées par l’agence Reuters prétendant que le gouvernement italien avait l’intention de tripler le déficit budgétaire en 2019, Bagnai a lancé : « Le gouvernement n’a pas reculé : il a changé. Je peux comprendre que cela ait pu en froisser certains chez Reuters, mais ce n’est pas ma faute : c’est la démocratie ! »

Roosevelt

Fait significatif, dans l’autre chambre, c’est Paolo Savona, le ministre des Relations européennes, au lieu d’un représentant du ministre des Finances, comme le veut le protocole, qui est venu présenter le DEF devant les députés italiens. Le choix de Savona, véritable bête noire de Bruxelles, revêt une haute signification politique ; il est vécu comme un camouflet pour tous ceux qui avaient posé un véto à sa nomination au ministère des Finances. Mais au-delà du symbole, c’est surtout le contenu de son discours qui est d’une grande importance.

Face aux critiques venant d’une opposition déplorant l’insuffisance des dépenses prévues dans le budget, Savona a répondu qu’il y aurait été personnellement favorable, mais que le gouvernement de la coalition a décidé d’agir avec « prudence » tout en restant fidèle à l’idée que seule une politique d’investissements, et non d’austérité, permettra de ramener une stabilité fiscale.

« J’insiste beaucoup sur le fait qu’il est nécessaire de reproduire, cent ans après, ce que [Franklin Delano] Roosevelt réalisa au travers de ses réformes et du New Deal , a-t-il déclaré. Il unifia la partie industrialisée du nord des États-Unis avec la partie agricole — où il y avait des problèmes importants de racisme — et il réussit. Par conséquent, je crois que l’expérience que nous menons en ce moment représente un grand effort d’unité nationale, afin de faire coïncider les intérêts des régions avancées et arriérées — économiquement parlant — du pays ». Ceci est d’autant plus significatif que la Ligue, qui se nommait auparavant la Ligue du Nord, était à l’origine un parti régionaliste qui considérait le Mezzogiorno (la partie sud du pays) comme un poids pour la riche et industrieuse économie du Nord. Solidarité & progrès, avec nos amis italiens du parti Movisol, défendons justement un programme rooseveltien de développement harmonieux entre le Nord et le Sud de l’Italie (lire L’avenir de l’Italie passe par la Renaissance du Mezzogiorno).

« Les conclusions des premières pages du DEF, a poursuivi Savona, sont claires : il s’agit d’un programme ambitieux et nous en sommes tout à fait conscients ; mais le programme du New Deal l’était aussi, même si le contexte était différent. (…) L’objectif est de faire face à l’augmentation de la pauvreté survenu depuis le début de la crise, en particulier parmi les jeunes et les familles nombreuses, et dans la partie méridionale du pays. (…) Nous sommes tous d’accord sur le fait que le pays a besoin d’investissements. Mais le programme gouvernemental est très prudent, car nous sommes conscients que nous devons mettre en œuvre les réformes que Roosevelt avait entreprises. Roosevelt a procédé à une réforme substantielle du secteur financier, de la concurrence et des relations industrielles. Ceux qui connaissent l’histoire (…) savent qu’il a pris des initiatives très importantes ».

Il s’agit là d’une référence évidente à la mise au pas des banques de Wall Street (la loi Glass-Steagall) engagée par Roosevelt à partir de mars 1933, et qui se trouve dans le programme commun de la coalition Ligue-M5S. Cette séparation des banques de dépôt et des banques d’affaires avait mis fin à l’impunité et au pouvoir exorbitant des grandes banques de Wall Street.

Rappelons qu’à cette époque les intérêts financiers de New-York et de la City de Londres voyaient d’un très bon œil les politiques économiques des régimes fascistes et nazis d’Europe qui étaient leurs partenaires, à un moment où les populations européennes supportaient de moins en moins l’austérité imposée de partout, par exemple en Allemagne par le chancelier Brüning, et par Pierre Laval en France. Mussolini, qui disait en 1922 vouloir « en finir avec l’État ferroviaire, l’État postier, avec l’État protecteur », mit en œuvre un programme économique on ne peut plus libéral de privatisations des services publics, d’exonérations fiscales et de renflouements des trusts bancaires et des consortiums industriels. Or, le New Deal de Roosevelt fut tout le contraire.

Ne disait-on pas en France, parmi les « cent familles », « mieux vaut Hitler que le Front populaire » ?