Le geôlier de l’Élysée et la prison monétaire de Bruxelles

lundi 10 décembre 2018

À travers leur mobilisation, non seulement les Gilets jaunes ont propulsé la majorité invisible sur la scène, mais ils font progressivement apparaître les murs de la prison dans laquelle nous nous trouvons.

Le discrédit de l’ensemble de la classe politique, déjà fortement entamé au moment des élections de 2017, a été définitivement acté après les 18 mois de la présidence Macron – qui ont vu le charme du « nouveau monde » se rompre aussi vite qu’il avait opéré. Le fait que les trois quarts des Français continuent de soutenir le mouvement des GJ, malgré les images violentes et les caricatures exhibées depuis trois semaines en boucle sur les écrans et sur les ondes, révèle combien les médias perdent de plus en plus leur emprise mentale et émotionnelle sur la population française.

Cependant, les murs de la prison ne sont pas encore complètement apparus à la lumière. Car l’impuissance politique du gouvernement actuel – qu’il compense par l’arrogance et le mépris – ne provient pas de l’Élysée.

Le choix de la défaite, qui s’est transmis de gouvernement en gouvernement depuis le tournant de la rigueur en 1983-84, a été inscrit dans les traités européens calamiteux qui ont été adoptés par nos dirigeants depuis l’Acte unique de 1987.

Par cette « soumission volontaire », nous avons renoncé à notre souveraineté dans tous les domaines, plaçant nos pays sous l’autorité supranationale de la Banque centrale européenne (BCE) et de lobbies exploitant la Commission de Bruxelles au service des marchés financiers.

Comme le fait remarquer Coralie Delaume dans Le Figaro le 6 décembre, « l’Europe est (…) absente des mots d’ordre et des slogans. Pourtant, aucune des demandes formalisées [par les Gilets jaunes] n’est réalisable dans l’Union européenne actuelle, dans le Marché unique et dans l’Euro, qui sont le cadre à l’intérieur duquel prennent place les politiques nationales ».

Le choix de la défaite, ou l’accommodage des restes

Ainsi, les États européens sont devenus des organes sans têtes. Demander la démission ou la destitution de Macron ne vaut donc guère mieux que de demander l’éviction du geôlier de la prison. Et même si le Président décidait de jeter ses préjugés de classe à la poubelle et de rompre avec le petit club d’un millier de millionnaires qui l’a porté au pouvoir, afin d’engager une véritable politique « du peuple, par le peuple et pour le peuple », il serait absolument incapable de le faire dans le cadre actuel de l’UE.

Alors que les européistes ne sont jamais les derniers à faire des leçons de démocratie à tout bout de champ, ils ont progressivement organisé une Europe hors-sol, non-démocratique, supranationale, se payant même le droit d’ignorer les volontés des peuples, exprimées démocratiquement, notamment lors du référendum de 2005 en France et aux Pays-Bas. Comme l’avait précisé sobrement le Président de la Commission Jean-Claude Juncker, en janvier 2015 : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ».

Nous le voyons à l’œuvre aujourd’hui dans le cas de l’Italie, où une Commission européenne non élue tente de gouverner un gouvernement italien dûment élu, pour lui interdire de mener une politique de justice sociale et d’investissement en faveur de l’emploi !

Le Parlement de Strasbourg est la seule institution européenne où siègent des élus du peuple ; mais, comme le dit bien Coralie Delaume, ce Parlement n’en est pas un, puisqu’il n’existe pas de « peuple européen ». De plus, il n’a lui-même aucun pouvoir de modifier les traités définissant la politique économique imposée aux États membres. « Quoi qu’il se passe dans les urnes lors des Européennes de 2019, le pack juridique composé des traités et des arrêts de la Cour continuera d’imposer plus de libre-échange, plus d’austérité, plus de concurrence », écrit Delaume.

Dans le cadre de l’UE, les États sont interdits de mener une politique monétaire, puisqu’elle est entre les mains de la BCE ; ils sont interdits de mener une politique économique et commerciale protectrice puisqu’elle violerait le sacro-saint dogme de la « concurrence libre et non faussée » ; ils sont interdits de mener une politique budgétaire puisqu’ils doivent respecter les « critères de convergence » de la monnaie unique, notamment la fameuse règle des 3 % de déficit public dont la rationalité économique n’a jamais été démontrée.

Les seules variables d’ajustement qui leur restent sont donc la fiscalité et le coût du travail. « Ce qu’il reste d’autonomie pour un gouvernement (…) relève depuis 1983 de l’infiniment petit (…), affirmait déjà en 1986 le jeune François Hollande, alors conseiller de la Cour des comptes. La politique économique est désormais l’art d’accommoder les restes, sous-entendu les rares marges d’autonomie qui subsistent ».

Ce n’est évidemment pas avec une telle mentalité de « l’infiniment petit » que l’on peut combattre le « monde de la finance », comme le futur président en avait exprimé l’intention lors du discours du Bourget en 2012.

Les deux partis politiques qui ont dirigé la France en alternance depuis 40 ans se sont conformés à cette pensée unique.

En avril 1996, devant le Conseil économique et social, celui qui allait devenir quelques années plus tard directeur de la BCE, Jean-Claude Trichet, déclara en effet : « La politique monétaire française de stabilité et de crédibilité est issue d’un consensus multipartisan (…). Le témoin (…) a été passé par M. Delors à M. Bérégovoy, par M. Bérégovoy à M. Balladur, par M. Balladur à nouveau à M. Bérégovoy (…). Cette convergence de la stratégie monétaire, alors même que notre démocratie est restée extraordinairement active [Sic] dans tous les autres domaines (…) me semble très importante ».

Bien avant tout le monde, Jacques Cheminade a anticipé et combattu cette dérive de l’Union européenne, dénonçant notamment « l’acte inique » de 1987, et « l’Europe des vautours » de 1992 (voir ci-contre).

Se faire la belle

Impossible de stopper l’austérité, d’augmenter les salaires et les retraites, de taxer le grand capital, de protéger et redévelopper l’industrie française, de relancer une politique d’aménagement du territoire, bref de mener une véritable politique de progrès économique et de justice sociale, sans sortir de la prison monétaire européenne en annulant l’ensemble des traités européens signés depuis les années 1980. Il est donc notable que certains Gilets jaunes aient récemment appelé à se rendre à Bruxelles plutôt qu’à Paris, et que d’autres aient soulevé la question de la souveraineté monétaire.

En mars 1944, le Conseil national de la Résistance avait inscrit dans le programme des « Jours heureux », parmi les mesures à appliquer à la libération du territoire, « l’éviction des grandes féodalités économiques et financières de la direction de l’économie ». L’enjeu reste le même aujourd’hui, à la différence près que pour nous libérer de l’occupation financière actuelle nous devons sortir de cette UE qui s’est faite la courroie de transmission des féodalités de Wall Street et de la City de Londres.

Aujourd’hui, cette prison se fissure de partout, subissant les coups de butoir des populations qui, partout sur le continent, réclament justice, liberté et dignité, c’est-à-dire de redevenir maîtres de leur destin. À nous de montrer la voie.