Si la bourse est par terre, c’est la faute à…

mercredi 19 décembre 2018

La chute d’Icare, eau-forte sur zinc, Karel Vereycken.
artkarel.com/icare

La bourse américaine, qui caracole dans les couches stratosphériques de l’atmosphère financière, s’est sans doute trop approchée du soleil, et elle commence sa redescente dans le monde réel. Seulement, l’atterrissage risque d’être rude.

Lundi, les trois principaux indices de Wall Street – le Dow Jones, le Nasdaq et le S&P 500 – ont tous chuté d’environ 2 %. En quelques semaines, ils ont perdu ce qu’ils avaient gagné depuis le début de l’année, et le solde est désormais négatif. La fébrilité s’est accrue dans l’attente de l’annonce par la Réserve fédérale américaine (Fed), ce mercredi, du relèvement de ses taux directeurs.

Comme nous l’avons rapporté sur ce site, de nombreux acteurs du système ont tiré la sonnette d’alarme ces derniers mois, dont la dernière en date est Janet Yellen, l’ancienne présidente de la Fed. Mais ces alertes restent pour l’instant confinées dans un cercle de gens informés ; elles ne parviennent pas dans les oreilles du grand public, et les responsables politiques n’en tiennent pas compte, soit par intérêt, soit par lâcheté ou inconscience.

Parmi ces derniers se trouve le président américain, qui a publié lundi un tweet ô combien révélateur de son ignorance en la matière : « C’est incroyable qu’avec un dollar aussi fort, une inflation à peu près nulle, avec le monde autour de nous qui explose, avec Paris qui brûle et la Chine qui s’effondre [sic], la Fed puisse envisager de relever à nouveau les taux ». L’effondrement des marchés du crédit, des actions, de l’immobilier et de la production industrielle commenceraient-ils donc à inquiéter Donald Trump ?

La veille, le Financial Times publiait un rapport sur la première véritable panne sur le marché de la dette d’entreprise (Corporate debt). La situation est encore pire sur le marché obligataire, rapporte le quotidien londonien, aucune société n’ayant pu emprunter de l’argent sur le marché américain des obligations de sociétés à rendement élevé ce mois-ci. Si ce gel se poursuit jusqu’à la fin du mois, ce sera le premier mois depuis novembre 2008 qu’aucune obligation à haut rendement n’aura été vendue sur le marché. Le site Zero Hedge ajoute que dans cette situation de gel, six offres de prêts à effet de levier et au moins deux émissions obligataires à haut risque ont dû être retirées et « avalées » par les banques d’investissement qui tentent de les commercialiser, ce qui a entraîné d’importantes pertes. Ce phénomène avait été le signe avant-coureur, au début de 2007, des faillites de Bear Stearns, puis de Lehman Brothers.

De son côté, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) a publié le 10 décembre un commentaire rédigé par son économiste en chef, Claudio Borio, mettant en garde contre le fait que les chambres de compensation des produits dérivés, connues sous le nom de CCP ou contreparties centrales, et mises en place par les grandes banques suite à la crise de 2008 afin de minimiser les risques liés aux produits dérivés, se sont elles-mêmes transformées en concentrations de risque et en détonateurs potentiels d’une explosion, notamment en cas de « hard Brexit ».

Dans son papier du 16 décembre, Ambrose Evans-Pritchard, l’éditorialiste ultra-conservateur du Daily Telegraph, ne cache pas ses craintes : « Les piliers de l’économie financière mondiale sont fondamentalement instables et cela pourrait conduire à une effrayante réaction en chaîne dans la prochaine crise », écrit-il.

Pourtant, les outils existent pour éviter qu’une nouvelle calamité financière ne déferle sur une société déjà terriblement exsangue, après avoir subi dix années du couple infernal renflouement bancaire/austérité sociale. Ils impliquent avant tout de ne pas se laisser berner par les sirènes des élites transatlantiques qui, comme toute élite confrontée à la faillite de son système, préfère désigner un ennemi extérieur – la Chine de Xi Jinping ou la Russie de Vladimir Poutine – plutôt que se remettre en cause.

Comme preuve, dans une interview accordée à la BBC à l’occasion du 10e anniversaire de la crise financière mondiale, le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a décrit la Chine comme « l’un des plus grands risques » pour la stabilité financière mondiale : « Le secteur financier chinois s’est développé très rapidement, et ce sur des bases qui ressemblent fortement à celles de la dernière crise financière », a-t-il mis en garde.

Le documentaire « Le monde selon Xi Jinping », diffusé mardi soir sur Arte, avec une instruction à charge contre le président chinois, sans rien dire du sentiment du peuple chinois, de la faiblesse de l’Europe ni de l’agressivité américaine contre la Chine, signale également que la panique règne.

La vérité est qu’en France et en Europe, « nous sommes prisonniers de l’immédiateté », comme l’a précisé le général De Villiers dans son interview dans Marianne, tandis que « la Chine voit à trente ans, la Russie à quinze ans ».

Donald Trump, au-delà des turpitudes du personnage, persiste néanmoins dans son idée que les États-Unis peuvent potentiellement coopérer avec la Chine et la Russie, contre l’avis-même de plusieurs membres de son administration.

L’espoir réside avant tout dans la capacité des populations, plongées depuis quatre décennies dans le chaos économique et la paupérisation, comme les Gilets jaunes chez nous, à se saisir de l’enjeu et à se battre pour mettre un pare-feu entre l’économie réelle et les bulles spéculatives de Wall Street et de la City de Londres, grâce à une loi de séparation des banques de dépôts et des banques d’affaires.