L’Europe progressiste de Macron

vendredi 8 mars 2019

Tel un héros sans peur et sans reproche, il fait front, seul face à la horde des affreux populistes qui sèment le doute et la confusion à travers notre vieux continent. Dans sa tribune du 5 mars, où il appelle à rien moins qu’une « renaissance européenne », le président français demande aux citoyens Européens de se « tenir debout. Fiers et lucides », pour faire barrage à la menace du « repli nationaliste », des « exploiteurs de colère, soutenus par les fausses informations ».

Aux sceptiques qui ne sauraient plus où est l’Europe ni ce qu’elle fait, et qui n’y verraient plus qu’un « marché sans âme », Emmanuel Macron rappelle promptement qu’il s’agit d’un « succès historique », un « projet inédit de paix, de prospérité et de liberté ». Dans un monde truffé de menaces, de puissances hostiles, elle nous maintiendrait unis, plus forts. « Comment résisterions-nous aux crises du capitalisme financier sans l’euro, qui est une force pour toute l’Union ? » écrit-il. Cette Europe nous a apporté des « milliers de projets du quotidien qui ont changé le visage de nos territoires », comme ce « lycée rénové », cette « route construite », ou encore ce canal Seine-Nord-Europe… Ah non, pardon, ce dernier a été mis en pause par Édouard Philippe. Traité de Maastricht et 3 % de déficit public obligent…

Capitalisme financier, protège-nous du capitalisme financier !

Dans la foulée de sa proposition phare pour la création d’une Agence européenne de protection des démocraties, « qui fournira des experts européens à chaque État membre pour protéger son processus électoral contre les cyberattaques et les manipulations », Macron appelle de ses vœux à « refonder notre politique commerciale » en sanctionnant ou interdisant « les entreprises qui portent atteinte à nos intérêts stratégiques et nos valeurs essentielles ».

C’est sans doute dans cet esprit que l’Espagnol José Manuel Campa vient d’être nommé à la présidence de l’Autorité bancaire européenne (ABE). Car, quoi de mieux qu’un expert issu d’une banque systémique, la Santander, qui plus est « responsable mondial des affaires réglementaires du groupe bancaire espagnol » (en français, lobbyiste en chef de la banque auprès de… l’ABE), pour protéger les épargnants européens contre les abus de la finance folle ?

Comme le fait remarquer l’ONG Finance Watch, « [Campa] est payé pour faire pression sur des régulateurs, pour changer les règles afin de favoriser les grandes banques comme Santander ou du moins vérifier que ces règles ne les gênent pas trop. Et d’ici peu, il va être en charge de superviser ces mêmes règles ». En clair, on confie au renard la bonne gestion du poulailler !

Ce n’est pas le premier du genre, puisque Lord Jonathan Hill, lobbyiste de HSBC, avait pu devenir commissaire européen en charge de la régulation bancaire. Bien entendu, les réfractaires au progrès crieront au conflit d’intérêt. Et bien non, tout cela est parfaitement légal, puisque les règles européennes ne prévoient pas de « cooling period » dans le sens du passage du secteur privé vers le public. Autrement dit le « rétropantouflage » n’est pas encadré. Pas plus en Europe qu’en France d’ailleurs, où François Villeroy de Galhau est passé tout naturellement de directeur délégué de la BNP Paribas à gouverneur de la Banque de France…

Souveraineté à la carte

Nous serons rigoureusement fermes vis-à-vis des « stratégies agressives de grandes puissances » qui tentent de s’ingérer dans nos processus électoraux, par des cyberattaques et autres manipulations, a fait valoir Emmanuel Macron, en fixant son regard valeureux vers l’Est. Nul doute que c’est par soucis de défendre cette « souveraineté européenne », si chère au président, que les gouvernements européens ont rejeté à la quasi-unanimité (seule la Belgique fait exception) la nouvelle liste noire des « pays à haut risque », présentée le 13 février par la Commission européenne, dans la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme !

Cette liste incluait sept nouveaux États, dont l’Arabie saoudite, ainsi que quatre petits États américains, dont Guam et Puerto Rico. La Commission l’a proposée suite à une série de scandales impliquant Deutsche Bank, Swedbank et Danske Bank.

Bien que le principe de la liste n’empêche pas de commercer avec les pays concernés (elle se contente de suggérer aux banques de renforcer leur contrôle), l’Arabie saoudite a usé d’un lobbying persuasif, aidé par le zèle du Royaume-Uni, suivi de la France et de l’Allemagne. « Au départ, 13 à 15 États étaient opposés à la liste noire, explique une source proche du dossier à l’Echo.be, mais les trois grands États sont parvenus à retourner les autres ».

Soulignons au passage que ce sont bien les États, contre l’avis même de Bruxelles, qui ont pris cette initiative !

La nation et l’humanité

Aveuglées par leur arrogance, les élites néolibérales – dont Macron est la caricature – confondent les causes et les effets et, tandis qu’elles laissent progresser partout la gangrène du capitalisme financier criminel, elles s’offusquent du retour des « populismes » et des « nationalismes », et s’adonnent à toutes sortes de gesticulations et d’incantations qui ne peuvent avoir d’autre effet que de nourrir les ressentiments.

Cet aveuglement est double car s’il y a bien un certain retour à la nation, en ce début de siècle, celui-ci n’a plus rien à voir avec celui des XIXe et XXe siècles. Car, c’est contre la chute de leur pouvoir d’achat, provoquée par une mondialisation qui s’est traduite aussi par une perte de leur dignité, et non pour un repli sur soi, que les populations ont chassé les pouvoirs en place au Royaume-uni, aux États-Unis, en Italie, et revêtu leur gilet jaune en France. C’est pour rebâtir une société de progrès et de solidarité garantissant à chaque être humain une vie digne, et à chaque nation une véritable souveraineté et le droit au plein développement.

De ce point de vue, il est significatif que l’action des Gilets jaunes de S&P, en tandem avec les Gilets jaunes constituants, menée à Chamalières, dans le Puy-de-Dôme, devant l’usine de la Banque de France produisant le Franc CFA, pour dénoncer le système de servitude monétaire appliquée par la France sur 14 pays africains, ait remporté un franc succès, aussi bien parmi la diaspora africaine francophone que parmi les Gilets jaunes (voir ci-dessous). De même pour le soutien des Gilets jaunes au Venezuela contre l’ingérence anglo-américaine.

Par ailleurs, l’adhésion de l’Italie aux Nouvelles Routes de la soie promues par la Chine, qui devrait se concrétiser lors de la visite de Xi Jinping à Rome les 22 et 23 mars (nous y reviendrons dans la prochaine chronique), est emblématique de la dynamique actuelle, où les nations se battent pour se libérer des chimères du néolibéralisme et de la dictature financière et monétaire, et créer un nouveau paradigme de relations internationales de coopération autour des objectifs communs de l’humanité.

Comme le disait de Gaulle, qui détestait l’idée d’Europe supranationale, la nation n’a de sens que si elle défend la cause de l’humanité...