Les faucons Bolton et Pompeo ont-ils volé trop près du soleil ?

vendredi 17 mai 2019

Chronique stratégique du 17 mai 2019 (pour s’abonner c’est PAR ICI)

Le vent du changement souffle si fort aujourd’hui qu’il peut même nous arriver la chose étonnante d’entendre un néocon, abonné aux discours belliqueux, louer le dialogue et la coopération pacifiques.

C’est ainsi que, lors de sa conférence de presse commune avec Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, suite à leur rencontre à Sotchi, le secretaire d’État Mike Pompeo a déclaré : « Nos deux nations sont fières de leurs histoires respectives et elles éprouvent chacune un respect envers la culture de l’autre ».

Précisons toutefois que Pompeo a jugé nécessaire de faire comprendre qu’il exprimait là les conceptions de Donald Trump, et non les siennes. « Le président Trump a clairement exprimé son souhait de voir s’améliorer les relations entre nos deux pays, a-t-il affirmé. Ce sera bénéfique pour nos deux peuples, et je pense que nos discussions d’aujourd’hui sont un bon pas dans cette direction ».

Les néocons dans la tourmente

Il faut dire que depuis le fiasco des deux tentatives récentes de coup d’État contre le régime Maduro au Venezuela, et dans le contexte actuel des tensions avec l’Iran, un nombre croissant de voix, à gauche comme à droite, appellent à écarter des leviers de commande Mike Pompeo et surtout John Bolton, le conseiller à la sécurité nationale, en charge chaque matin de « briefer » le président américain.

L’animateur vedette de Fox News, Tucker Carlson, affirmait mardi : « Plus que tout au monde, (…) John Bolton adorerait obtenir une guerre contre l’Iran. Ce serait comme Noël, Thanksgiving et son anniversaire réunis. Mais c’est le président Trump qui contrôle l’armée, pas John Bolton. La question est : à quel point Bolton est-il influent à la Maison-Blanche ? ». De son côté, le célèbre journaliste de CNN, Peter Bergen, rappelle que « Bolton était un fervent défenseur de la guerre en Irak ; et il n’a jamais exprimé aucun doute sur le bien-fondé de cette décision. (…) Le président Trump, au contraire, avait déclaré l’an dernier que la guerre en Irak fut ‘la pire décision qui n’ait jamais été prise’. Juste avant de prendre ses fonctions en tant que conseiller à la sécurité nationale, Bolton s’était fait l’avocat d’une guerre préventive contre la Corée du Nord ».

Dans un article publié le 15 mai, le Washington Post rapporte, en s’appuyant sur les confidences de responsables de l’administration sous anonymat, que Trump est « frustré de certains de ses conseillers », dont il pense qu’ils veulent entraîner les États-Unis dans un conflit militaire avec l’Iran, et saboter ainsi sa promesse de se retirer des guerres coûteuses à l’étranger. « Il est mal à l’aise avec la rhétorique du changement de régime », affirme l’une des sources du quotidien.

Le président américain, qui continue toutefois de nier tout conflit avec John Bolton, souhaite, contrairement à celui-ci, résoudre diplomatiquement la question iranienne : « Il veut parler avec les Iraniens ; il veut un accord », et il est ouvert aux négociations avec le gouvernement iranien, affirme le responsable. « Trump n’est pas enclin à utiliser la force sauf en cas de ‘gros coup’ des Iraniens », rapporte le Washington Post, c’est-à-dire en cas de morts américains ou d’une escalade dramatique.

Chasser le fantôme de Bernard Lewis de la Maison-Blanche

Dans cette bataille qui se livre actuellement au sein de l’administration, l’enjeu est de libérer enfin les États-Unis de la doctrine géopolitique héritée de l’Empire britannique. Comme le souligne l’ancien ambassadeur britannique Alastair Crooke dans un article publié le 13 mai sur MintPress News, la source d’inspiration de la politique de Pompeo et Bolton vis-à-vis de l’Iran (il aurait pu ajouter de la Russie, la Chine, le Venezuela, la Corée du Nord, la Syrie, etc.) est la vision de Bernard Lewis, le promoteur originel du « choc des civilisations » popularisé par Samuel Huntington. « Lewis avait conçu un plan visant à fracturer tous les pays de la région – du Moyen-Orient à l’Inde – sur des bases ethniques, sectaires et linguistiques », écrit Crooke.

En février 2003, lors d’une conférence de l’Institut Schiller, l’économiste et homme politique américain Lyndon LaRouche avait identifié plus précisément la nature de ce plan de balkanisation de la région : « Zbigniew Brzezinski et Samuel Huntington, deux disciples du professeur de Harvard William Yandell Elliott, ont concocté ce plan de concert avec l’ancien dirigeant du Bureau Arabe du Royaume-Uni Bernard Lewis, afin de bâtir à l’échelle mondiale une parodie anglo-américaine fascisante de l’Empire romain, (…) en s’appuyant notamment sur le concept de ‘choc des civilisations’, autrement dit de guerres de religions globales ». Selon LaRouche, le plan Lewis, en ciblant la région entre la Méditerranée et l’océan Indien, et donc indirectement les 1,3 milliards de musulmans de la planète, a pour objectif de plonger le monde dans un chaos culturel et d’empêcher toute paix sur le continent eurasiatique.

La « paix par le développement mutuel »

Le problème, pour ces idéologues nostalgiques de l’Empire, c’est que la dynamique de coopération entre nations autour des Nouvelles Routes de la soie, lancées par la Chine en septembre 2013 (au moment où les Occidentaux cherchaient un prétexte pour bombarder la Syrie), est devenue aujourd’hui une force de transformation inarrêtable. Elle détermine d’ailleurs en partie le cours de la lutte interne qui fait rage aux États-Unis entre les va-t-en-guerre et les partisans d’une détente internationale.

Dans un entretien le 10 mai GBTimes, une plateforme internet semi-officielle proche du pouvoir chinois, Helga Zepp-LaRouche, la présidente internationale de l’Institut Schiller et veuve de Lyndon LaRouche, rappelle qu’après le lancement par Xi Jinping de l’Initiative de la Ceinture et de la Route (ICR) en 2013, les Occidentaux ont d’abord feint de l’ignorer ; puis, constatant l’ampleur que prenait le projet, avec rapidement une centaine de pays qui l’ont rejoint, ils ont lancé une attaque coordonnée de calomnies et de fausses informations contre l’ICR, avec des arguments tous aussi facilement réfutables les uns que les autres, et qui cachent mal la frustration et l’hystérie des élites occidentales face à cette initiative positive – d’autant plus que l’ICR véhicule partout un esprit de progrès et de coopération mutuels, quand le modèle néolibéral n’apporte que pauvreté, désintégration sociale et chômage de masse…

Voici comment Helga Zepp-LaRouche définit le changement en cours :

« Je pense que nous sommes probablement la génération vers laquelle les générations futures se tourneront en disant : ‘Comme c’était une époque fascinante ! Car il s’agissait d’un passage d’une ère à une autre’. Le changement que nous vivons aujourd’hui sera sans doute plus important que le changement en Europe entre le Moyen Âge et les temps modernes. (…) La prochaine ère de l’humanité sera beaucoup plus créative que l’actuelle ; il est important de le concevoir, car nous allons pouvoir la façonner en apportant notre propre contribution créative. Et il n’y a pas beaucoup de périodes dans l’histoire où c’est le cas : Nous avons donc de la chance ! »

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