Kilopower : un mini-réacteur nucléaire permettant de travailler sur Mars et la Lune

jeudi 22 août 2019, par Karel Vereycken

Un parasol pour les astronautes en cas de canicule sur Mars ? Non, une mini-centrale nucléaire !
NASA

Le regain d’intérêt pour les vols habités vers la Lune et Mars dans la perspective d’y fonder des bases habitées permanentes, a brutalement rappelé un principe de réalité incontournable : pour effectuer le moindre travail, l’homme et les robots à son service auront besoin d’énergie.

Si les panneaux photovoltaïques rendent d’inestimables services au bon fonctionnement de nos satellites, dès que la distance avec le Soleil s’accroît et que le travail prend des formes plus physiques, le problème de la quantité d’énergie se pose tout autant que celui de sa densité.

En réalité (on ne vous l’a pas dit souvent), l’énergie nucléaire alimente depuis des décennies les engins spatiaux.

Plusieurs réacteurs à fission ont déjà quitté la Terre. En avril 1965, les États-Unis ont lancé un réacteur en orbite, embarqué à bord du satellite expérimental SNAP-10A. Par ailleurs, depuis 1967, l’Union soviétique a lancé plus de 30 réacteurs à fission à bord de ses satellites, jusqu’à la fin des années 1980, lorsqu’on s’est posé la question des risques encourus au cas où un lancement tournerait mal.

Depuis, on fait plutôt appel à des Générateurs Thermoélectriques à Radio-isotopes (GTR), qui convertissent en électricité la chaleur émise par la désintégration radioactive du plutonium-238 ou d’autres matériaux du même type et souvent considérés, à tort, comme des déchets.

Ainsi, Voyager 1 et Voyager 2 de la NASA, le vaisseau spatial New Horizons et le rover martien Curiosity, ainsi que de nombreuses autres missions robotiques, ont eu recours à des RTG dont la sortie de puissance est relativement faible. Celui utilisé par Curiosity et le futur rover Mars 2020 de la NASA, par exemple, génère environ 0,11 kW d’électricité au début d’une mission (cette puissance diminuant lentement avec le temps).

Or, le moindre avant-poste habité sur la Lune ou Mars aura une demande en énergie nettement supérieure, d’au moins 40 kilowatts d’énergie électrique disponible en permanence (40 kWe), permettant, notamment :

  • de recharger les batteries du rover,
  • d’effectuer des forages,
  • d’alimenter quelques lasers pour fondre des métaux,
  • de faire tourner les imprimantes 3D,
  • de purifier l’eau,
  • de générer de l’oxygène,
  • de recharger les combinaisons des spationautes ou
  • de chauffer leurs habitats.

L’industrialisation de la Lune et l’exploration humaine sur Mars exigeront donc une stratégie de production d’énergie bien différente…

Kilopower

C’est là qu’intervient Kilopower, un mini-réacteur à fission très simple qui a passé avec succès toute une série de tests (au sol) entre novembre 2017 et mars 2018 au Glenn Research Center de Cleveland.

Pour Jim Reuter de la NASA :

La clé des explorations humaines et robotiques du futur, c’est de l’énergie abondante, efficace et sûre. Et je m’attends à ce que le Kilopower soit un élément essentiel de l’architecture énergétique lunaire et martienne.

Comme son nom l’indique, le réacteur Kilopower est conçu pour générer au moins 1 kilowatt d’énergie électrique (1 kWe) : son rendement est extensible à environ 10 kWe et il peut fonctionner pendant environ 15 ans. De ce fait, quatre réacteurs Kilopower à plus grande échelle pourraient répondre aux besoins en énergie des explorateurs de la NASA à hauteur de 40 kW, avec un cinquième susceptible de fournir une réserve en cas de besoin.

A partir de l’uranium-235 métal, le réacteur émet, lors d’une réaction de fission nucléaire, des neutrons et de la chaleur convertible en électricité, grâce à un appareil dit « moteur Stirling », un moteur à combustion externe connu depuis très longtemps.

Kilopower est également très compact. Chaque module de 10 kW ferait seulement 3,4 mètres de haut et le composant du réacteur Kilopower environ 1 mètre, en gros la taille d’une grosse corbeille à papier. Mais les pièces sont lourdes : avec le blindage, l’ensemble du réacteur de 10 kW pèserait probablement environ 2000 kg.

Le 2 mai 2018, à Cleveland, la NASA a présenté les résultats des tests du réacteur ultra-compact Kilopower permettant à l’Homme de travailler dans l’espace. En bas, le "coeur" du réacteur, en haut les convertisseurs Stirling, l’ensemble relié par des tuyaux remplis de sodium.
NASA.

Si le projet Kilopower a officiellement démarré en 2015, ses architectes ont prouvé le concept de base en 2012, via une expérience appelée Demonstration Using Flattop Fissions – DUFF. L’ensemble du dispositif pour les voyages spatiaux a été conçu en mars 2018 sous le nom de KRUSTY (Kilopower Reactor Using Stirling Technology).

« Le réacteur permet de convertir 30 % de la chaleur de fission en électricité », affirme fièrement Patrick McClure, responsable du projet au Département de l’énergie (DOE) du Los Alamos National Laboratory (Nouveau-Mexique) – contre 7 % de chaleur disponible avec les GTR.

McClure souligne que « les réacteurs Kilopower seront sûrs ». En effet, le réacteur s’autorégule : si la température s’emballe, le combustible perd sa masse critique et la réaction s’arrête. De plus, les modules en question ne seront pas activés avant d’être installés dans l’espace, il n’y aura donc aucune menace d’exposition à des rayonnements dangereux, même en cas de problème majeur avec les fusées.

A l’heure actuelle, Kilopower est le premier concept réellement novateur en matière de réacteur à fission à utilisation spatiale, mis au point aux États-Unis au cours de ces 40 dernières années. Comme quoi les chercheurs du public ne sont pas forcément moins novateurs que ceux du privé, comme certains le prétendent.

La démonstration spatiale dont Kilopower aura immédiatement besoin n’est pas encore prévue pour le moment. Cependant, il arrive au bon moment. Car s’il est choisi par les grandes agences spatiales mondiales pour les vols habités vers lesquels s’orientent les grandes nations, il permettra enfin de concrétiser réellement ce qui, autrement, ne resterait fatalement qu’un beau rêve.