Coronavirus : construire d’urgence des unités de soins intensifs ? Yes we can !

mercredi 18 mars 2020, par Karel Vereycken

Algeco a construit une extension du CHU de Brest.

Emmanuel Macron l’a répété lors de son allocution du 16 mars : « La France est en guerre ! » Sans vaccin pour se protéger ni médicament permettant de se soigner, le virus est en bonne voie de contaminer (au moins) plusieurs centaines de milliers, voire des millions de Français.

Soulignons qu’en Italie, les politiques d’austérité draconienne, avec des coupes budgétaires de 37 milliards d’euros, ont provoqué depuis 10 ans la fermeture de 359 services et de 70 000 lits, alors que la hausse de l’espérance de vie avait permis, surtout en Italie du nord, à un nombre conséquent de seniors de vivre plus longtemps et en bonne santé.

En France, selon une étude de l’OCDE, entre 2000 et 2015, le « nombre de lits d’hôpitaux a diminué de 15 % », y compris en soins intensifs (-12,5 %), alors que dans le même temps, la population augmentait de 10 % sur la même période. Du coup, le nombre de lits pour 1000 habitants, qui était de 8 en 2000, a chuté à 6,1 en 2015 et à 6 en 2017 (chiffre de l’OCDE).

Aujourd’hui, pour traiter les cas graves du Covid-19, la France dispose de 5000 lits de réanimation, tous équipés d’un respirateur. « On peut en avoir d’autres en déprogrammant des lits, et des lits sont également adaptés en salles de réveil », précise le directeur général de la Santé, Jérôme Salomon.

Dans un article paru dans Atlantico du 18 mars, Loïk Le Floch-Prigent décrit une situation bien plus grave :

« Nous avons aujourd’hui en France de l’ordre 7 à 8000 lits hospitaliers avec appareillage de ventilation artificielle, avec les matériels de ville, celui des Samu, des pompiers …on pourrait évaluer à 15 000 ce qui serait mobilisable sans apports extérieurs. Le confinement vient d’être décidé parce que les chiffres de Mulhouse où le virus a frappé fort montrent que le pic de nécessités d’appareils pourrait se monter rapidement à 65 000 (même plus pour certains !). Or ces appareils doivent permettre aux patients atteints de respirer 24h sur 24 et ceci pendant au moins quinze jours . Le fait de ne pas disposer du matériel peut conduire rapidement à effectuer une sélection drastique entre ceux que l’on peut sauver …et les autres ! Le cauchemar pour le corps médical ! »

De son coté, le journal Sud-Ouest souligne qu’« avec 25 000 lits de soins intensifs avec assistance respiratoire, l’Allemagne est particulièrement bien équipée comparée à ses voisins européens. La France en a environ 7 000 et l’Italie autour de 5 000. Berlin a d’ailleurs annoncé mercredi vouloir doubler ce nombre dans les hôpitaux dans les semaines à venir. Les patients malades peuvent jusqu’à présent rapidement être suivis et le pays ne redoute pas, dans l’immédiat, que ses hôpitaux soient saturés, comme c’est par exemple le cas en Italie ou dans l’Est de la France. »

L’erreur épistémologique inhérente aux modélisations par ordinateur

Comme l’indique le caractère frauduleux du graphique présenté à la presse début mars par notre ministre de la Santé, l’erreur mortelle de la « division comptable » de la technostructure sanitaire mondiale, c’est de vouloir gérer cette pandémie à l’aide de modélisations informatiques auxquelles la créativité humaine échappe. Or, de par leur nature même, ces modélisations ne permettent, au mieux, que d’optimiser l’existant.

Le graphique du ministre visualise deux scénarios. Dans le premier, la courbe du « pic épidémique classique » (courbe rouge) dépasse de loin le « niveau de saturation des hôpitaux », représenté par une ligne droite horizontale immuable. Ce dépassement produira « un nombre de malades trop important par rapport aux capacités de notre système de santé ».

En réalité, devant cette équation, le choix devient surtout politique et financier. Ainsi, si l’on pense ne disposer d’aucune liberté budgétaire, ce qui était le cas de l’État français sous occupation financière et menotté par les traités européens, on ne peut chercher qu’à « lisser » le pic de la courbe de l’épidémie.

C’est l’acceptation de cette fatalité qui conduit nos décideurs à vouloir étaler l’épidémie (courbe bleue) par de simples « mesures barrières », dans l’espoir de réduire la vitesse de contagion. On gère donc l’épidémie en espérant que le nombre de malades ne crève jamais le plafond du nombre de personnes qu’on peut soigner.

Voilà une des causes de l’échec actuel. Car si toute modélisation n’est pas inutile, il est fou de s’enfermer dans cette logique qui n’envisage aucune mobilisation d’urgence de toute la nation pour augmenter les capacités sanitaires. Ça serait en demander trop ?

L’approche chinoise

C’est cette approche beaucoup plus énergique qu’a choisie la Chine, et qui nous fait cruellement défaut : celle d’augmenter spectaculairement les capacités de santé et de recherche. Elle a donné d’excellents résultats en Chine et a été reconnue par l’OMS comme la « nouvelle norme » pour la santé publique mondiale.

Ainsi, en un temps record (seulement quelques semaines), rien qu’à Wuhan, le berceau de l’épidémie en Chine, quatorze hôpitaux furent érigés. Et aujourd’hui, suite à une forte baisse du nombre de malades dans la région, le dernier vient de fermer ses portes. Selon le siège de contrôle du COVID-19 de la ville, quelque 12 000 patients ont pu recevoir des soins dans ces hôpitaux temporaires depuis février.

Or, chez nous, bien que les discours soient là, les actes se font attendre. Emmanuel Macron suspend la réforme des retraites mais ne dit rien sur le déblocage urgent des 800 millions d’euros que réclame le secteur hospitalier ne serait-ce que pour pouvoir fonctionner en conditions normales, c’est-à-dire sans compter avec l’arrivée de la pandémie.

Dans d’autres pays, la mobilisation économique est décrétée.

  • Au Royaume Uni, plus de 60 entreprises (dont Vauxhall et Airbus) ont répondu favorablement à l’appel du gouvernement anglais visant à produire dans des délais record 20000 ventilateurs médicaux pour le service de santé publique national.
  • En Allemagne, le gouvernement va construire de toute urgence un hôpital à Berlin pour accueillir 1000 malades du coronavirus.
  • En Russie, les travaux viennent également de démarrer à Moscou pour un deuxième hôpital.
  • En Italie du nord, lorsqu’un fournisseur n’était plus en mesure d’approvisionner un hôpital, un fablab a pris le relais et a fabriqué, grâce à l’impression 3D, des valves de remplacement pour des respirateurs artificiels.
Chantier de l’hôpital que l’Allemagne va construire près de Berlin.

Mobiliser l’armée et les entreprises françaises

Disposons-nous, en France, d’entreprises capables de construire très rapidement des hôpitaux temporaires ? Oui, avec la société Algeco, l’un des pionniers dans le domaine du modulaire depuis 1955. Algeco peut construire, en un temps record, des structures modulaires pour des chantiers ou des événements, mais aussi pour des bureaux, des écoles, des laboratoires ou des infrastructures hospitalières.

A l’intérieur d’une structure modulaire du CHU de Brest (vue extérieure du même bâtiment en début d’article)
algeco

Le 16 mars, France 3 Grand Est précisait que, vu le tournant que prend la crise et vu le surnombre de patients arrivant dans les hôpitaux de la région, le Service de santé des armées (SSA) devra déployer sur le territoire alsacien un élément militaire de réanimation (EMR) dédiée à la prise en charge des patients Covid-19.

Pour le ministre de la Santé, Olivier Véran, « cet hôpital de campagne va permettre d’accueillir une trentaine de malades dans des conditions de réanimation, à côté des hôpitaux, de manière à renforcer nos capacités ».  Mais, précise France 3, « s’il y a des besoins plus importants, des Algeco et des lits supplémentaires peuvent être ajoutés ».

Equipement hospitalier sous forme d’algeco à Pessac.
Solution proposée par Clic-Clac House.

Dans un courrier à ses clients et partenaires, Alexis Salmon-Legagneur, directeur général d’Algeco, précise d’ailleurs que sa société « est pleinement engagée pour participer à l’effort collectif de réduction de la diffusion du virus sur notre territoire. La livraison de modules continuera d’être assurée, notamment à destination du secteur hospitalier pour faire face à l’affluence de patients, mais également pour toute entreprise étant amenée à prendre des mesures d’isolement »

Contactée par nos soins, l’entreprise se dit prête, mais reste dans l’attente d’une sollicitation de la part des services de l’État…

Idem, pour la société Clic-Clac House, qui elle propose également son savoir-faire pour déployer des modules dépliables dans des situations d’urgence sanitaire sur le modèle des premiers hôpitaux temporaires construites en Chine en 2003 lors de l’épidémie du SRAS.

Solution venue de l’espace

En complément à ces capacités, la société Health for development (H4D), pionnier dans le domaine de la télémédecine, déclare se joindre « à l’effort international de lutte contre le coronavirus en apportant aux établissements hospitaliers une solution rapide, efficace et fiable pour faciliter la prise en charge des flux de patients en attente de diagnostic aux urgences ».

Pour ceux qui persistent à croire que la recherche spatiale ne sert à rien et que le candidat Jacques Cheminade, qui avait réclamé que la France s’investisse encore plus dans ce secteur, n’était qu’un candidat farfelu, ce que propose H4D est une occasion pour revoir la copie.

Car, plus précisément, en coopération avec le Centre National des Etudes Spatiales (CNES), H4D a développé la « Consult Station », le premier cabinet médical connecté réunissant les instruments de mesure et d’investigation nécessaires à la prise en charge des patients, le tout en visioconférence.

Retombé technologique du domaine spatial, ce dispositif permet la prise des 4 paramètres vitaux clés en 5 minutes et, ainsi, l’identification rapide des patients fébriles, en réduisant le temps de contact entre ces patients et le personnel médical.

Installé en moins de 24h en amont des services d’accueil des urgences, dans une salle dédiée, un module Algeco ou une tente, le cabinet médical connecté H4D est la seule solution de télémédecine permettant de prendre, en totale autonomie, en moins de 5 minutes et 24h/24, les quatre mesures essentielles (température, saturation O2, fréquence cardiaque, tension artérielle) pour orienter efficacement les patients. Après l’impression d’un rapport de ces constantes, les patients identifiés à risque sont intégrés dans le parcours spécifique Covid-19 de l’hôpital.

A l’origine, Consult Station a été développée comme une réponse aux déserts médicaux par le Dr Franck Baudino. Mairies, hôpitaux, cliniques ou industriels soucieux d’établir une antenne médicale sur des plateformes pétrolières, dans des mines ou des clubs de vacances à l’étranger, sont séduits par ces petites cabines de prévention, dépistage et suivi médical à distance.

Or, avec la pandémie actuelle du coronavirus, la téléconsultation permet précisément « la distanciation sociale » permettant aussi bien de protéger les soignants que de réduire la contagion. Or, bien que disponible depuis 2014, seulement 70 cabines de ce type ont été installé en France, essentiellement dans des grandes entreprises et quelques EHPAD. Si cela requiert un coût d’investissement initial, dans un service d’urgences, la Consult-Station permet de réaliser immédiatement les premiers examens, avec un gain de temps de 30 %. Il est temps que les comptables comprennent que pour faire des économies, il faut dépenser.

Comme on le voit, ce ne sont pas les solutions techniques qui manquent, ni le dévouement des personnels, des entrepreneurs et des ingénieurs, mais la volonté politique de réellement y « mettre le paquet ».