La jeunesse a besoin d’Espace !

lundi 15 février 2021, par Sébastien Drochon

Sarah Amiri, directrice de l’Agence spatiale des Emirats arabes unis.

Aujourd’hui, la région du Moyen-Orient est en pleine tourmente et traverse quelques-unes de ses heures les plus sombres. En lançant la mission martienne Al-Amal (espoir) nous transmettons un message à cette région dont la moitié des habitants sont des jeunes. Notre projet est porté par une équipe dont les membres ont moins de 35 ans, dont l’âge moyen de 27 ans et dont 34% sont des femmes. C’est en misant tous ses espoirs dans ces jeunes qu’une nation entière tente ainsi d’envoyer un message d’espérance à toute la région.

La science est pour moi la forme de collaboration la plus internationale. Elle est sans limites, sans frontières. Elle est avant tout animée par la passion de chacun à vouloir agrandir le savoir de toute l’humanité.

Ces propos sont ceux de Sarah Al Amiri, directrice de l’agence spatiale des Emirats arabes unis, présidente du Conseil des scientifiques des Emirats arabes unis et cheffe de projet adjointe au projet de la mission Mars pour le centre spatial de ­Dubai. Elle est également ministre d’État des Sciences ­avancées.

Du haut de ses 34 ans, cette jeune femme nous offre ici la réponse la plus incisive aux récentes bouffées délirantes (dignes d’un Dr. Folamour) de l’actuel dirigeant du STRATCOM américain, l’amiral Charles Richard, déclarant qu’une guerre nucléaire contre la Russie et la Chine était désormais une « ­réelle possibilité ».

Comme l’affirme Mme Al Amiri, et comme l’ont toujours défendu le parti politique Solidarité & Progrès et Jacques Cheminade, aucune alternative à la crise existentielle que nous traversons actuellement ne pourra voir le jour sans un programme spatial international ambitieux impliquant la jeunesse de tous les pays.

Nous ne parlons pas ici d’un programme militaire - rien n’est plus absurde que de militariser l’espace quand on peut au contraire en faire une aire de progrès partagé et de coexistence pacifique - ni d’un échappatoire infantile visant à quitter la Terre et ses « fléaux ».

Nous parlons ici d’un programme visionnaire capable de mobiliser l’humanité et sa jeunesse à la frontière des connaissances, lui permettant ainsi de créer les conditions d’un progrès continu partagé par tous.

Pourquoi évoquons-nous cela aujourd’hui ? Tout simplement parce que la possibilité nous est offerte. Tous les 26 mois, la planète Mars est au plus près de la Terre et il nous est alors possible de l’atteindre pour mieux l’étudier et la comprendre.

C’est à cette occasion que les Émirats arabes unis, la Chine et les États-Unis, ont lancé l’été dernier trois importantes missions martiennes qui arrivent tout juste à destination en ce mois de février 2021.

Histoire de nous montrer qu’il existe bien une alternative au monde fini auquel l’occupation financière et culturelle veut nous soumettre, un tour d’horizon s’impose sur ces missions pionnières qui font l’actualité.

9 février : la sonde émiratie Al-Amal (Espoir)

La sonde émiratie Al-Amal.

Le 9 février dernier, sept mois après le lancement depuis le centre spatial de Tanegashima au Japon, les Émirats arabes unis ont réussi à insérer en orbite martienne leur sonde spatiale Al-Amal (« Espoir » en arabe).

Jusqu’ici, seuls les Etats-Unis, l’Europe, l’URSS et l’Inde étaient parvenus à l’atteindre. Les Emirats arabes unis entrent donc dans l’histoire avec cette mission unique visant à fournir la première image complète du système météorologique et du climat de Mars tout au long de l’année martienne.

La sonde, munie en effet de sa caméra couleur et de ses deux spectromètres (l’un dans l’infrarouge et l’autre dans l’ultraviolet), pourra observer les changements du climat martien sur toute la surface de la planète, entre la haute et la basse atmosphère, à tout moment de la journée et pendant toutes les saisons de l’année. Chose qui n’a jamais été réalisée auparavant.

Avec le petit bonus en prime : toutes les données recueillies seront ouvertes aux scientifiques à travers le monde, contribuant ainsi à une meilleure compréhension commune de notre deuxième planète la plus proche. Un merveilleux cadeau que les Emirats arabes unis nous offrent ici !

10 février : la sonde chinoise Tianwen-1 (Question au ciel)

L’astromobile Tianwen-1, ici descendu de sa plateforme.
CGTN

Le 10 février, c’est au tour de la Chine d’insérer en orbite martienne sa sonde Tianwen-1 (qui signifie « Question au ciel ») de plus de 5 tonnes avec à son bord un petit rover censé atterrir sur Mars au mois de mai.

Une première pour la Chine pour qui la Lune n’a déjà plus de secret (ou presque) et qui avance à pas de géant dans l’exploration de notre système solaire en effectuant ici, en une seule mission, ce que les Américains eux-mêmes ont mis plusieurs décennies à accomplir.

L’orbiteur chinois est conçu pour fonctionner pendant au moins une année martienne, soit deux ans terrestres, et embarque avec lui sept instruments. A l’intérieur, l’atterrisseur qui attend son heure pour poser le rover sur mars dans quelques mois. Enfin, le rover, quant à lui, devrait rouler sur la planète pendant au moins 90 jours et y effectuer une série de mesures à l’aide des six instruments dont il dispose.

18 février : l’astromobile américain Perseverance

Perseverance, l’astromobile de la NASA.

Le 18 février, enfin, les dents vont se serrer et les cœurs s’arrêter lorsque l’énorme astromobile Perseverance, conçu par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA, entamera ses « 7 minutes de terreur » durant sa descente dans l’atmosphère martienne.

Ces fameuses 7 minutes d’un atterrissage des plus spectaculaires, censé mettre en œuvre le parachute le plus grand jamais fabriqué et dont toutes les phases s’enchaîneront de manière automatique, sans intervention humaine.

On se souvient du succès de Curiosity en 2012 ; on espère évidemment le même succès cette fois-ci. D’autant plus que la mission Mars 2020 dont Perseverance fait partie est des plus importantes. Elle est une des étapes cruciales pour garantir le retour d’échantillons de sol martien prévu pour l’année 2031 (sous réserve de financements comme toujours) ; échantillons qui devront nécessairement être analysés sur Terre afin d’y découvrir ou non une éventuelle trace de vie, les moyens n’étant pas encore au point aujourd’hui pour obtenir directement de tels résultats sur Mars.

Notre « Twingo martienne » de près d’une tonne, bardée de caméras (dont la fameuse SuperCam toulousaine déjà testée sur Curiosity), de spectromètres et autres radars extrêmement sophistiqués, aura donc pour mission d’effectuer les premières analyses chimiques sur place. Elle identifiera ainsi, au sein du cratère Jezero où elle aura atterri, les sites les plus intéressants pour effectuer ses prélèvements géologiques par carottage.

Prélèvements qu’elle laissera sur place et que les futurs programmes martiens auront pour mission de rapporter sur Terre. Le cratère martien Jezero n’a d’ailleurs pas été choisi au hasard. Il abrite un delta argileux arborant tous les signes d’une région autrefois riche en eau liquide, offrant les conditions les plus propices à une ancienne (voire peut-être actuelle) présence de vie dans le sous-sol.

Ajoutez enfin à cette passionnante mission un autre petit bonus : le déploiement du tout premier hélicoptère spatial expérimental Ingenuity (d‘à peine un kilogramme), augurant une nouvelle ère d’exploration martienne aérienne dans les temps à venir ; et vous voilà conquis !

Car oui, ces nouveaux accomplissements doivent nous rendre à nouveau optimistes et nous redonner ce sens que nous pouvons accomplir de grandes choses si nous nous en donnons les moyens.

Mais soyons clairs : nous n’obtiendrons jamais les moyens nécessaires à des missions bien plus ambitieuses tant que nous resterons emprisonnés dans ce système financier prédateur et son capitalisme vert malthusien, que les multimilliardaires de la planète poussent actuellement à travers leur « Grande Réinitialisation » (ou « Great Reset »).

N’en déplaise à ceux qui voient en Elon Musk le nouveau héros du spatial, les 1,5 milliard de dollars que ce dernier a dilapidés via sa firme Tesla dans la bulle du Bitcoin auraient certainement été plus utiles dans la recherche, l’éducation, la santé, l’énergie nucléaire (voire la fusion thermonucléaire), ou bien encore dans une mission spatiale digne de ce nom.

Sans non plus aller jusqu’à nier l’apport essentiel du secteur spatial privé dans les missions les plus ambitieuses, nous n’hésitons pas à dire qu’une telle ambition n’est possible que si la spéculation financière prédatrice disparaît définitivement des affaires du monde et si les nations deviennent pleinement souveraines et libres de coopérer ensemble pour le bien commun.

1,5 milliards d’euros, c’est d’ailleurs le coût (évalué au départ) de la mission européenne ExoMars qui n’a pas pu décoller comme prévu en 2020. Si cette dernière avait bénéficié de plus de moyens pour anticiper les problèmes techniques qui ont reporté son lancement à 2022, l’Agence spatiale européenne (ESA) aurait certainement été au rendez-vous martien, avec les autres, en ce mois de février 2021. Ce n’est malheureusement pas le cas.

Nous devrions tirer une bonne leçon de cet échec et en profiter pour changer une bonne fois pour toute notre système moribond qui nous empêche d’aller de l’avant ; retrouver l’esprit qui, dans les années soixante, avait permis les premiers grands accomplissements du spatial ; aux temps où les dirigeants des Etats avaient encore une vision et où l’austérité financière n’avait pas sa place.

C’est pour revenir à cet esprit pionnier que nous appelons nos scientifiques et nos ingénieurs, de même que tous nos concitoyens, à mener le combat sur le terrain politique, et à défendre avec nous les réformes économiques absolument nécessaires pour assurer l’avenir des secteurs de la recherche et de l’industrie spatiale en France, en Europe, et dans le reste du monde.

L’un des objectifs prioritaires de cette recherche devrait être de maîtriser la fusion thermonucléaire afin, non seulement de pouvoir produire une énergie abondante et efficace pour le monde entier, mais aussi de développer des moteurs de fusées du futur réduisant considérablement le temps de trajet entre la Terre et Mars. Ainsi, on pourrait commencer à envisager sérieusement une mission habitée.

Utopique ? N’oublions pas que l’exploration spatiale fait et fera toujours partie de notre histoire commune. Loin d’être une fuite en avant, elle est avant tout l’aspiration du genre humain dans son ensemble, la porte qui nous ouvre de nouveaux horizons et repousse les limites d’un monde fini.

Cet appel ne vient donc pas seulement de nous. Il vient de cette jeunesse qui aujourd’hui aspire à une vie meilleure. Une vie qu’elle ne pourra obtenir que si nous fixons un horizon sur le long terme et portons nos efforts vers les étoiles et au-delà.