La jeunesse sud-américaine et l’aventure spatiale

mardi 13 avril 2021, par Tribune Libre

Intervention d’Alejandro Yaya, vice-président de l’Institut civil de technologie spatiale d’Argentine, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller des 20 et 21 mars 2020 sur le thème : « Deux mois après l’investiture de Biden, le monde à la croisée du chemin. » Pour voir le programme complet et accéder aux liens vers les différents discours, cliquez ICI.

La jeunesse sud-américaine dans l’aventure spatiale

Par Alejandro Yaya, ingénieur chimiste,
vice-président de l’Institut civil de technologie spatiale, Argentine.

Bonjour,

J’aimerais vous parler d’éducation, de science et de technologie, et de rêves qui deviennent réalité. Le monde actuel pose des défis inouïs : aux crises permanentes — économiques, financières, culturelles, institutionnelles – est venue s’ajouter une pandémie. Dans le paradigme actuel post-vérité, nous voyons les fausses nouvelles, les manipulations juridiques, la corruption, les guerres, le trafic d’êtres humains, les migrations, etc. La question se pose : serons-nous capables de nous sortir de ce pétrin ? Comment faire ?

Ces crises ont déjà produit des crises systémiques, qui remettent en cause l’ordre mondial : deux modèles se font désormais face, l’un unipolaire, mondialiste et internationaliste, et l’autre multipolaire, intégré, mais qui respecte l’identité des nations. Lequel l’emportera ? Lequel devons-nous rejoindre ? C’est l’une des questions les plus importantes.

Avec la confrontation entre ces deux modèles, de vieux spectres réapparaissent : L’Est contre l’Ouest ; la Russie contre les États-Unis ; et une nouvelle puissance qui émerge : les États-Unis contre la Chine ; l’OTAN contre la Russie. La Chine, en moins de 30 ans, a réussi à devenir une grande puissance, non seulement économique et commerciale, mais aussi scientifique et technologique, qui défie l’ordre en place et la puissance hégémonique établie, les États-Unis. De plus, les économies des deux pays sont interdépendantes.

Alliance stratégique Mexique-Argentine. Palais présidentiel mexicain lors de la réception organisée en honneur du Président argentin.

La question est la suivante : comment l’Amérique latine doit-elle faire face à ces défis ? Récemment, le président argentin a rencontré le président mexicain et ils ont convenu de nouer une alliance stratégique. Permettez-moi de dire d’emblée que si cette alliance stratégique se base uniquement sur le commerce, elle échouera, comme cela s’est produit dans le passé. Pour que cela fonctionne, il faut qu’elle s’appuie sur une intégration complète. Elle doit avoir pour perspective la reconquête de l’identité du monde hispanique, qui unit tous les peuples des Amériques. La grande patrie. Et le faire.

Et comment, modestement, est-ce que je crois que cela peut être réalisé ? Principalement par la science et la technologie, et par l’éducation. Si nous y parvenons, nous progresserons. Mais il doit s’agir d’une éducation différente, fondée sur la beauté, la technologie et l’art. Car ce sont les défis de ce siècle.

Mettre la R&D au centre

Il y a quelques années, un groupe d’éminents scientifiques et ingénieurs, qui étaient tous enseignants en école technique ou en étaient diplômés, ont fait la proposition suivante : nous concentrer sur la R&D appliquée afin de produire des innovations dans cet environnement éducatif. Le problème est que cela impliquait des adolescents âgés de 13 à 19 ans.

Immédiatement, nos collègues nous ont dit : c’est impossible, ça ne peut pas marcher. Seuls les universités, les groupes de recherche et développement des académies scientifiques et technologiques du pays, ou encore le secteur privé, peuvent s’en charger. Mais les adolescents ne sont pas intéressés ; ce n’est pas leur truc, ils ne le feront pas.

Heureusement, ces enseignants et ces enthousiastes n’ont pas écouté leurs collègues ; ils étaient plutôt prêts à se battre contre des moulins à vent. Ils ont décidé de parler aux parents des enfants et de les inviter à participer au projet. Beaucoup d’entre eux se sont joints à nous. Il est intéressant de noter que beaucoup de ces jeunes n’étaient pas les plus assidus — peut-être même que ce sont les moins assidus qui ont rejoint le projet.

Quoi qu’il en soit, nous étions rigoureux avec chacun d’entre eux. Ils n’avaient aucun bénéfice académique à en tirer, mais ils allaient cependant en apprendre beaucoup, et ce qu’ils allaient faire de leurs études plus tard n’allait pas les gêner.

À l’époque, cette institution enseignait des choses comme la construction, la chimie, la mécanique, l’électronique et l’informatique. Rien n’est plus facile à dire qu’à faire : les projets que nous avons présentés aux jeunes étaient basés sur des technologies de pointe, et ils étaient très stimulants compte tenu de l’époque et du lieu. Ils incluaient la robotique, la construction durable, les télécommunications, l’aéronautique et les sciences spatiales, ainsi que l’internet des objets. La question était de savoir si cela était réalisable.

Tous les projets avaient une chose en commun, un fil conducteur : l’espace. Pourquoi l’espace ? Parce que l’espace est la reine des industries, et que la souveraineté des nations dépend de l’accès à l’espace. Nous pensions qu’il ne fallait pas former ces jeunes pour les révolutions du XIXe ou du XXe siècle, mais pour le XXIe siècle, où l’on parle par exemple d’industrie 4.0.

Tous les moyens étaient mis à leur disposition et à leur portée, malgré nos faibles ressources, qui provenaient de nos propres poches. Personne ne nous finançait.

Néanmoins, nous avons persévéré et avons convaincu d’autres personnes de se joindre à nous. Il fallait que l’on prouve que nous n’étions pas fous. Nous avons décidé d’inscrire les projets prometteurs au plus important concours d’innovation d’Argentine. Pour cela, nous avons adopté une tactique : nous savions que l’essentiel est bien souvent, malheureusement, pas visible à l’œil nu.

Nous n’avons pas inscrit les projets uniquement dans la catégorie technique ; nous les avons également inscrits dans les catégories sur lesquelles ils avaient quelque chose à dire, dont la recherche appliquée et la robotique.

Après avoir passé le stade de l’évaluation et de l’acceptation au concours, le moment de les présenter est arrivé.

Les examinateurs ont immédiatement vu qu’il s’agissait de jeunes lycéens qui faisaient de la recherche appliquée en robotique. Ce qui n’était pas censé se produire dans les lycées techniques. Ils les ont donc interrogés et évalués, et les jeunes ont défendu leurs projets de manière compétente. Ils ont eu la malchance que nous, leurs instructeurs, ne soyons pas là pour les aider.

Alors, dans la confusion, nous nous sommes demandés ce qu’il fallait faire : Si nous les expulsions et les renvoyions dans les lycées techniques, nous jetterions par-dessus bord tout ce que nous défendions sur l’importance de la jeunesse et de l’éducation. Cela aurait été une honte.

Ils ont finalement remporté le premier prix des lycées techniques, avec un projet que les jeunes avaient réalisé dans le domaine de la commande numérique par ordinateur, à partir de pièces électroniques mises au rebut, et qui pouvait être exécuté depuis un téléphone portable.

Ensuite, dans la catégorie robotique, ils ont remporté le deuxième prix avec un dirigeable qu’ils avaient construit et qui pouvait voler de manière autonome, en suivant un protocole de communication lié au premier projet de recherche appliquée.

Aucun prix n’a été remporté dans cette catégorie, mais le projet a été inclus dans le catalogue Inovar. Il s’agissait d’une sonde spatiale suborbitale destinée à rejoindre la stratosphère à l’aide d’un ballon. L’innovation consistait en un protocole pour l’espace lointain utilisant le Wi-Fi.

Quelques années plus tard, n’étant plus dans cette institution, nous avons poursuivi avec enthousiasme au sein d’autres institutions et participé à d’autres concours. Un réseau d’écoles techniques spatiales a présenté une fusée anti-grêle.

La technologie « disruptive » se trouvait dans l’ingénierie. L’un des jeunes ayant participé à ce projet a fondé une start-up, du nom de UA Aerospace. Récemment, il y a environ trois mois, une étape importante a été franchie dans l’histoire de l’Amérique latine : une entreprise privée a lancé une fusée utilisant du carburant liquide, du biodiesel, une première mondiale, devançant les États-Unis d’environ deux semaines pour faire de même.

Certes, nous n’avons pas révolutionné le monde. Mais si je m’adresse à vous aujourd’hui, c’est parce que l’impossible est possible, et parce que les rêves deviennent réalité. Je vous laisse avec une vidéo de l’accomplissement de ce jeune, qui aujourd’hui travaille et aide aussi à former d’autres jeunes. Merci beaucoup.