Corinne Lepage accuse le nucléaire d’avoir la rage

mardi 29 novembre 2022, par Pierre Bonnefoy

L’ancienne ministre de l’Environnement porte, avec d’autres, une grave responsabilité dans la débâcle du secteur énergétique français. C’est peut-être pour dissimuler ses fautes qu’elle crache son encre antinucléaire dans Le Monde du 18 novembre 2022. Les arguments de sa tribune intitulée « Le nucléaire est l’une des énergies les plus coûteuses », méritent une réponse car ce sont des lieux (vraiment très) communs.

Avant de les examiner, n’oublions pas que Corinne Lepage ne fait pas exception à la règle qui associe le militantisme écologiste à l’industrie des énergies intermittentes : le cabinet d’avocat Huglo-Lepage est une référence pour le conseil auprès des producteurs d’éoliennes qui savent se montrer généreux avec les défenseurs de l’environnement et du climat.

Charité écologique bien ordonnée commençant par soi-même, Lepage a joué un rôle déterminant lors de son passage dans le gouvernement Juppé, dans le processus qui aboutit sous Jospin à la fermeture du surgénérateur Superphénix, éliminant un concurrent gênant de ces mêmes industriels.

Cet exemple de conflit d’intérêt est loin d’être unique dans nos institutions chargées aujourd’hui de la « transition écologique ».

En voici deux autres exemples que Lepage mentionne elle-même à la fin de sa tribune :

A terme, les scénarios de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie [ADEME] ou de RTE [Réseau de transport de l’électricité], fondés exclusivement sur les énergies renouvelables à partir de 2050, devraient être les choix les plus rationnels à effectuer.

Comme le montrent Bernard Accoyer dans son livre, Une affaire d’État – la tentative de sabordage du nucléaire français, et Fabien Bouglé dans le sien, Nucléaire – les vérités cachées, l’ADEME et RTE sont peuplés d’antinucléaires qui ont publié des rapports prétendant montrer qu’un mix électrique à 100 % d’énergies dites renouvelables serait possible. Ces rapports sont ensuite brandis par Lepage et tous les antinucléaires comme « preuves scientifiques objectives » qu’il faut sortir du nucléaire…

Incompétence durable

Le problème de notre avocate comme malheureusement de beaucoup de citoyens dans notre société dominée par le tertiaire, est qu’elle n’a aucun sens de ce qu’est un processus de production physique (industriel ou agricole).

L’erreur généralement commise est de croire que l’on peut extrapoler mathématiquement à l’échelle globale ce qu’on fait à l’échelle locale. Lepage réclame ainsi

un développement massif des énergies renouvelables, en acceptant une réelle décentralisation énergétique et des investissements massifs dans les réseaux de proximité.

De par leur intermittence, ces sources d’énergies locales ne peuvent pas suffire à alimenter le niveau local. Pour l’alimenter par une nuit sans vent, celui-ci a tout de même besoin d’être raccordé au réseau global… à moins d’avoir chez nous une économie sans usine, quitte à sous-traiter dans les pays pauvres, le « sale travail » productif dont nous avons besoin.

Utiliser des énergies locales, peut avoir une utilité pour certaines situations particulières (dans des lieux relativement isolés par exemple). Multiplier les connexions entre des sources locales intermittentes et le réseau global, représente non seulement un gaspillage, pas du tout écologique, en termes de quantités de matière et de surface de territoire utilisées par quantité d’énergie produite, mais cela pose surtout des problèmes de plus en plus difficiles quand ces connexions deviennent plus nombreuses – du simple fait que le courant alternatif à 50 Hertz doit être partout synchronisé pour éviter un black-out général.

Mais intéressons-nous à la question des coûts du nucléaire centrale dans cette tribune. Lepage y écrit que

les Français sont aujourd’hui convaincus d’une série d’inepties : ‘L’énergie nucléaire est la moins chère.’ C’est faux. Si la France a effectivement bénéficié d’une énergie bon marché durant de longues années, grâce au nucléaire payé par les Français, l’énergie nucléaire elle-même est aujourd’hui une des plus coûteuses. Amory Lovins, dans un entretien accordé au Monde le 31 octobre, précise : ‘Les analystes de Bloomberg New Energy Finance disent qu’un nouveau kilowattheure nucléaire coûte cinq à treize fois plus cher qu’un nouveau kilowattheure solaire ou éolien.’

Comparer ainsi le prix d’un kilowattheure produit par du nucléaire à celui produit par le vent ou le Soleil n’a aucun sens par rapport à ce que cela coûte réellement. En réalité, l’électricité intermittente produite par des sociétés privées est très généreusement subventionnée au dépens du consommateur et de la collectivité.

Depuis 2001, (sous le ministère de l’Environnement d’Yves Cochet) EDF est obligée de l’acheter à un prix très élevé, qu’elle revend sur le marché spot à des niveau beaucoup plus bas (de l’ordre de 46,90 € le mégawattheure en 2012). Rappelons au passage que l’essentiel de l’électricité produite par EDF provient du nucléaire et des grands barrages. De plus, depuis 2011, le mécanisme ARENH force EDF à vendre 25 % de sa production d’origine nucléaire à ses concurrents à des prix cassés (42 € le mégawattheure).

Et pour ajouter l’injure à l’insulte, le fameux bouclier tarifaire du président Macron de ces derniers mois, a contraint EDF à racheter cette même électricité à des prix astronomiques à ses concurrents pour la revendre aux consommateurs finaux aux prix réglementés. Dans le court terme tout le monde s’y retrouve (politiques, consommateurs, producteurs privés) à l’exception de la vache à lait nucléaire d’EDF.

De plus, il faudrait rajouter à cela que les installateurs de panneaux solaires et d’éoliennes n’ont pas à assumer les frais de raccordement au réseau, ni la gestion de celui-ci qu’ils compliquent énormément. Corinne Lepage nous vante donc ces objets inefficaces comme si c’étaient des entités indépendantes, en « oubliant » l’environnement économique et physique sans lequel elles ne pourraient pas fonctionner.

Elle aborde ensuite la question de l’indépendance énergétique :

Le vent, le soleil, l’eau dont bénéficie notre territoire assurent notre indépendance. Il n’en va pas de même de l’uranium, qui est extrait de pays ‘complexes’, comme le Niger ou le Kazakhstan. (…) D’ailleurs, l’Allemagne n’a jamais compté le nucléaire comme une énergie assurant l’indépendance du pays.

Il y aurait beaucoup à dire à propos de la citation qui précède, tant elle est en démentie par l’actualité. Parler de « l’indépendance énergétique » de l’Allemagne – pays « modèle » qui organise sa sortie du nucléaire – dans un contexte où le sabordage des oléoducs de la mer Baltique est en train de porter un coup fatal à son industrie ressemble à une très mauvaise blague.

Mais sans doute notre voisin d’Outre-Rhin pourra t-il s’en sortir avec les éoliennes qu’il nous vendra d’autant plus volontiers que son travail de lobbying antinucléaire auprès de l’Union européenne aura porté quelques fruits. On comprend donc aisément l’intérêt que porte Lepage pour le modèle allemand.

Par ailleurs, il y a bien longtemps que la Chine a le monopôle des panneaux solaires dans le monde – ce qui a coulé ce secteur en Allemagne il y a quelques années. Ceci étant posé, il faudra nous expliquer en quoi le vent, le Soleil et l’eau pourraient assurer notre indépendance.

L’Uranium ne nous permettrait pas d’avoir cette indépendance ? Il est vrai que nous le pillons au Niger, l’un des pays les moins électrifiés au monde et où l’espérance de vie est l’une des plus basses. C’est effectivement une honte pour la France, bien que ce ne soit pas cette considération-là qui ait conduit Lepage à mentionner ce pays « complexe ».

Superphénix et Astrid

Cependant, sans l’action de notre ancienne ministre de l’Environnement, nous n’aurions probablement plus besoin de cet uranium. L’attaque qu’elle a menée dans le passé contre Superphénix avait une motivation majeure. Superphénix était notre prototype le plus avancé de la technologie de surgénérateur. Or un surgénérateur permet d’utiliser la quasi totalité d’uranium naturel alors que la proportion d’uranium utilisable dans un réacteur « classique » ne représente pas 1 % de l’uranium naturel. Autrement dit, avec les stocks d’uranium appauvri qui nous restent après avoir consommé le combustible, les surgénérateurs multiplieraient nos ressources par cent ! De plus, Superphénix permettait aux scientifiques d’étudier la transmutation des éléments radioactifs, ce qui aurait permis de résoudre une bonne partie du problème des déchets nucléaires, bête noire des antinucléaires.

La fermeture de Superphénix (ainsi que l’abandon, par Macron, d’ASTRID qui aurait dû prendre le relais) pose donc artificiellement des problèmes dont la cause n’est pas dans l’industrie nucléaire en soi, mais bel est bien dans un certain militantisme écologiste.

Ce militantisme a eu des effets désastreux sur le nucléaire français. Par opportunisme politique, certains partis ont soufflé le chaud et le froid sur l’avenir du nucléaire. Or le nucléaire demande une pensée stratégique sur le long terme : il faut du temps pour former des équipes compétentes, et si une génération se passe sans construction de nouveaux réacteurs, les compétences se perdent. Il en résulte l’imbroglio de l’EPR dont les écologistes voudraient nous faire croire que les causes se trouvent dans le nucléaire en soi, alors qu’elles ne font que refléter l’incompétence et/ou la corruption de nos politiques. (Rajoutons à cela une logique de rentabilité financière à court terme imposée à l’économie nationale qui se traduit par l’utilisation de sous-traitance en cascade dans le nucléaire – autre facteur dans la perte de compétences – dont Lepage a raison de se plaindre ici.)

Fessenheim

La fermeture de Fessenheim contribue à la démotivation et à cette perte de compétence : il s’agit d’un gaspillage scandaleux en période de pénurie et d’un bras d’honneur aux travailleurs compétents de cette centrale. Quoi qu’en dise Lepage, cet événement a donc son importance dans les causes sur le temps long de la crise énergétique actuelle.

Pour couper l’herbe sous les pieds de certains militants pronucléaires naïfs qui pensent que le plus grand problème environnemental étant la « décarbonation » de l’énergie, le nucléaire serait indispensable, elle leur répond que même si un tel argument pourrait sembler recevable, il serait néanmoins impossible d’avoir de nouveaux EPR avant 2035.

Or, compte tenu de « l’urgence climatique » reconnue par ces mêmes pronucléaires, cette échéance serait trop éloignée pour sauver le climat, l’humanité et la planète. Autant par conséquent mettre tout l’effort sur les énergies renouvelables qui seraient disponibles beaucoup plus tôt.

Urgence climatique ? Il est clair que c’est dans les pays en développement que l’utilisation d’énergie fossile par tête va être la plus importante dans les années à venir, et de loin. Allons-nous faire la guerre à la Chine, l’Inde, l’Afrique, pour les empêcher d’utiliser les ressources dont elles disposent pour se développer ? Que l’on admette ou non la nécessité de décarboner l’énergie, le fait est que l’utilisation par la France de centrales électriques modernes à combustible fossile, en attendant le développement d’un parc nucléaire moderne, ne changerait pas grand-chose pour le climat.

En tout cas, ce serait une approche plus efficace, moins coûteuse, et plus respectueuse pour l’environnement que le développement des énergies intermittentes.