Qui est responsable de la guerre en Ukraine ? La réponse d’un ancien ambassadeur suisse

jeudi 9 mars 2023, par Tribune Libre

[sommaire]

Intervention de SE Jean-Pierre Vettovaglia, ancien ambassadeur de Suisse, lors du colloque sur « L’impact global de la guerre en Ukraine », organisé le 28 février par l’Académie de géopolitique de Paris.

Ancien diplomate suisse, administrateur de banque, ministre plénipotentiaire à Genève, ambassadeur à Vienne, Bucarest et à Paris, Jean-Pierre Vettovaglia a également été représentant personnel du président de la Confédération suisse auprès de la Francophonie de 2000 à 2007. Il a aussi fonctionné comme médiateur (RDC, Mauritanie) et comme observateur électoral. Il a dirigé la mise sur pied d’une collection intitulée « Prévention des crises et promotion de la paix », chez Bruylant à Bruxelles.

La réalité géopolitique cachée par le narratif occidental

Merci Monsieur le Président.
Bonjour à mes collègues, Mesdames et Messieurs,

Je vais effectivement répondre à la question posée par l’orateur précédent sur les responsabilités du conflit. D’autant que personne jusqu’à présent n’a parlé de l’OTAN ni des États-Unis d’Amérique.

Je suis un ancien ambassadeur, donc un ancien officier des renseignements. Je ne fais que fournir des renseignements, je ne fournis pas des interprétations. Ça, c’est l’affaire de nos gouvernements.

1. Le narratif occidental

Commençons par le fameux « narratif occidental » que vous connaissez bien et que je vous résume en quelques phrases :

  • « Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, le 24 février.
  • « Il a violé le droit international.
  • « Il est le seul responsable.
  • « Rien ne l’y obligeait.
  • « Rien n’a été fait pour le provoquer. Ce mot de unprovoked (non provoqué) est le mot le plus à la mode aujourd’hui dans les médias et dans la politique. C’est l’expression essentielle de référence à laquelle même Charles III, roi d’Angleterre, a recours. Mais c’est vrai que, à le répéter si souvent, il y a peut-être finalement anguille sous roche.
  • « L’OTAN est une alliance exclusivement défensive. Ce n’est pas le cas, mais on le dit. Rien dans son attitude ne peut être à l’origine de cette guerre inadmissible.
  • « Poutine est à peu près fou, ivre de conquête et nostalgique à la fois de la Russie des tsars et de l’URSS de Staline.
  • « En plus, il est malade.
  • « La Russie doit être rejetée dans son ensemble.
  • « Il y n’y a plus qu’une attitude qui tienne : une russophobie débridée et irréfléchie ».

L’une des grandes prêtresses de l’anti-Poutinisme virulent en France, avec Françoise Thom, s’appelle Laure Mandeville. [1]

Voici ce qu’elle écrit à titre d’exemple du politiquement correct obligé d’aujourd’hui :

La Russie poutinienne, cet étrange dragon qui conjugue les méthodes criminelles du national bolchévisme avec un désir de revanche impérial teinté de mysticisme messianique aussi destructeur que maladif...

Colosimo [2] fait dans la boursouflure :

Poutine réactive le mythe du meurtre originel massifié du XXème siècle en massacre refondateur.

Bernard-Henri Lévy [3] complète plus simplement ce narratif et affabule :

L’Occident n’a cessé depuis trente ans de faire à la Russie toutes les offres de partenariat possibles et imaginables avec l’Union européenne, avec le Conseil de l’Europe, avec l’OTAN... Personne, absolument personne, n’a tenté d’humilier Poutine. Et c’est lui et lui seul qui, sans motif, en réplique à rien, a décidé, un beau matin, de briser les règles qui tenaient vaille que vaille l’ordre international et de lancer cette guerre folle. Il faut que les Ukrainiens l’emportent. La victoire de l’Ukraine, c’est la seule façon d’empêcher la guerre mondiale. Car si Poutine gagne, vous aurez d’autres Poutine qui dans le monde entier diront que l’agression paie, que l’Occident plie et qu’on peut donc y aller.

Le nombre de morts ukrainiens ne lui paraît pas l’essentiel.

Les buts de guerre de Poutine sont « d’effacer l’Ukraine de la carte » (Ursula von der Leyen) puis de s’en prendre à la Pologne, aux Pays baltes, à la Moldavie et à la Géorgie, etc.

Deux mots doivent impérativement figurer dans tous les commentaires sur la Russie : « néofascisme » et « impérialisme ». Tout esprit de nuance a disparu. Critiquer les formes les plus dérangeantes de l’hubris américain équivaut à un rejet complet de ce qu’est l’Amérique que nous aimons. Parmi les « animaux malades de la peste » narrative sans nuance, Etienne Gernelle du Point qui titre son dernier éditorial : « L’antiaméricanisme, ce virus qui rend idiot »... [4]

La guerre en Ukraine devient un combat du bien contre le mal, un combat civilisationnel pour la défense de la liberté et de la démocratie. Le narratif occidental est simpliste, unilatéral et mensonger.

Cette façon de voir les choses pose trois questions essentielles.

A. La question de la responsabilité de l’OTAN dans les hostilités actuelles et de leur déclenchement.

Des milliers de pages ont été écrites sur le sujet.
Le Premier Ministre britannique Rishi Sunak, très récemment, à la Conférence de Munich sur la sécurité en février 2023, a déclaré : « We are just a defense alliance, it’s all unprovoked ».

Mais le premier Secrétaire général de l’OTAN, lord Hastings Lionel Ismay (1952-1957), expliquait que l’OTAN avait été créée « to keep America in Europe, Russia out and Germany down ». En 70 ans, rien n’a donc changé.

Nous n’avons que trop peu d’espace pour tenter d’expliciter ici en détail le rôle jusqu’au boutiste de l’OTAN et sa responsabilité partagée dans la guerre en Ukraine. D’autres l’ont fait pour nous. Je me contenterai d’attirer votre attention sur le meilleur livre publié sur le sujet et d’en citer la conclusion. Il s’agit de « Not one Inch. America, Russia, and the Making of the Post-Cold War Stalemate » [5], (Yale University Press, 2021).

Voici l’extrait choisi que me convainc totalement (en traduction) :

Il n’est pas possible de séparer une analyse sérieuse du rôle de l’élargissement de l’OTAN dans la détérioration des relations américano-russes sans parler de la manière dont cela est arrivé. L’erreur de Washington n’a pas été d’élargir l’Alliance toujours plus, mais de le faire d’une manière à toujours maximiser les frictions avec Moscou. Cette erreur est survenue de par le manque de jugement des Etats-Unis quant au caractère immuable de leurs relations de coopération avec Moscou quoi qu’il arrive et la volonté de Poutine d’y mettre fin le cas échéant.

Alors unprovoked ? non !

Les Etats-Unis ont donc commis une faute majeure : celle de penser qu’avec l’écroulement de l’URSS, la Russie disparaîtrait de la scène internationale en tant qu’entité stratégique, historique, et économique. Et resterait tout au plus une entité humiliée, mineure et docile, une nation vaincue dans la guerre froide.

Les Américains ont eu le choix : soit, ils accompagnaient l’évolution enclenchée par Gorbatchev lui apportant leur soutien économique, politique et financier afin de faciliter la difficile transition. Soit, ils profitaient de l’affaiblissement manifeste de la puissance adverse pour la terrasser définitivement et s’en débarrasser une fois pour toutes. Cette dernière option fut hélas adoptée sans surprise et on laissa l’URSS se dissoudre pour mieux la démembrer et pour intégrer à l’OTAN ses anciennes composantes. Tous les présidents américains ont systématiquement ignoré les nombreuses tentatives de mains tendues par les dirigeants russes. Pour la dernière fois en décembre 2022 à Genève.

Bush et son entourage, Brent Scowcroft et Marlin Fitzwater, déclarent en février 1989 que la guerre froide n’est pas terminée et qu’il s’agit plutôt de « mettre les Soviétiques à l’épreuve » et de laisser Moscou « mariner dans son jus ». Gorbatchev espérait que la bonne volonté dont il faisait preuve suffirait pour que le monde occidental accepte l’URSS comme un partenaire de confiance. « Nous l’avons laissée tomber », dit justement Roland Dumas.

1989/1991 comme 1919 va se révéler comme une paix manquée porteuse de nouvelles tragédies. Les dirigeants occidentaux n’ont pas voulu consolider et organiser la paix. Comme ils n’ont pas compris que leur hégémonie portait la même marque du péché que la Paix de Versailles en 1919 : à savoir l’exclusion des vaincus, en commençant par la Russie postsoviétique.

Comme le fait remarquer aussi Hubert Védrine : « La vision occidentaliste du monde après la guerre froide n’a tenu aucun compte de ce que ressentait ’the rest’ », c’est-à-dire tous les autres. Hubert Védrine l’explique encore dans son article du Figaro du lundi 20 février 2023.

Il rappelle justement que les Kissinger, George Kennan, Jack Matlock, les Mearsheimer et même Brzezinski

disaient que l’on ne pouvait à la fois étendre l’OTAN indéfiniment et avoir une Russie démocratique. Le triomphalisme aveugle des Etats-Unis a eu tort de ne pas intégrer la Russie dans un ensemble de sécurité en Europe, sinon elle pouvait devenir dangereuse.

Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin, elle se casse. Védrine continue :

Il y allait pourtant de la sécurité de l’Europe sur le long terme. Mais la Russie n’a reçu que de la verroterie diplomatique. Une politique réaliste n’a jamais été mise en place. Plus tard, l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine conçu sous influence polonaise coupait économiquement l’Est de l’Ukraine de la Russie ».

C’était, dit Védrine, « une provocation grave qui a eu des effets désastreux ». Il ajoute que si les Européens s’enferment dans des discours sur la guerre des démocraties contre les autoritarismes, ils font fausse route.

De rares voix s’étaient levées en ce sens à Washington, dont celle de George Kennan, légende vivante de la diplomatie américaine. Il disait :

Nous voulions faire triompher la démocratie sur la dictature et nous y avons réussi. Nous devons en tirer les conséquences. Nous ne pouvons continuer à traiter nos ennemis d’hier comme s’ils devaient rester des ennemis pour toujours !.

Il eut beau répéter qu’en humiliant les Russes, on allait favoriser la montée des courants nationalistes et militaristes et retarder la marche du pays vers la démocratie... il fut traité de faible et de naïf. Un conseiller du Président Clinton lui dit qu’il se trompait et que les Russes finiraient par accepter tout ce que l’on leur imposait... parce qu’ils n’avaient pas le choix.

Il me paraît essentiel de relire un extrait de The Nuclear Delusion : Soviet-American Relations in the Atomic Age (1982) de George Kennan (il suffit de remplacer URSS par Russie) :

Je crois que la vision de l’Union soviétique qui prévaut aujourd’hui dans une grande partie de nos établissements gouvernementaux et journalistiques est si extrême, si subjective, si éloignée de ce que tout examen sobre de la réalité extérieure révélerait, qu’elle est non seulement inefficace mais dangereuse comme guide de l’action politique. Cette série sans fin de déformations et de simplifications excessives ; cette déshumanisation systématique des dirigeants d’un autre grand pays ; cette exagération routinière des capacités militaires de Moscou et de la prétendue injustice des intentions soviétiques : cette déformation monotone de la nature et des attitudes d’un autre grand peuple et encore un peuple qui souffre depuis longtemps, durement éprouvé par les vicissitudes du siècle dernier ; cette ignorance de sa fierté, de ses espoirs - oui, même de ses illusions (car ils ont leurs illusions, tout comme nous avons les nôtres, et les illusions, elles aussi, méritent le respect) ; cette application irréfléchie de deux poids, deux mesures pour juger le comportement des Soviétiques et le nôtre, cette incapacité, enfin, à reconnaître le caractère commun de nombre de leurs problèmes et des nôtres, alors que nous avançons inexorablement dans l’ère technologique moderne. Ce sont les signes d’un primitivisme intellectuel et d’une naïveté du cynisme et du soupçon impardonnable dans un grand gouvernement.

On ne peut mieux dire sur l’ignorance du monde russe qui de 1982 à aujourd’hui a subsisté de manière peut-être encore plus exacerbée au fil du temps. Depuis 2001, les couloirs de la Maison Blanche se sont progressivement peuplés de conseillers de plus en plus russophobes avec le temps qui passe pour en arriver aux Straussiens ou néoconservateurs d’aujourd’hui, les Blinken, Nuland, Sullivan, Milley, Lloyd Austin, etc.

Le Pape François s’est exprimé dans le quotidien milanais Il Corriere della Sera au printemps 2022 :

Les aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie ont poussé le Chef du Kremlin à réagir et à faire la guerre à l’Ukraine. Je ne sais si cette colère a été provoquée, mais cela a aidé sa colère à monter. [6]

Le Représentant de Dieu sur Terre n’exclut donc pas la provocation...

Le grand journaliste britannique, ancien diplomate, Alastair Crooke utilise une formule étonnante :

Non seulement il n’y a pas de menace russe qui soit indépendante de la politique américaine, mais c’est l’expansion de l’OTAN pour ’répondre à la menace russe’ qui crée la menace même que l’expansion est censée contrer.

Nous vivons dans un monde absurde. Contrairement à la propagande américaine, grossièrement mensongère et relayée avec zèle par l’invraisemblable Ursula von der Leyen, la Russie n’a pas l’ambition de conquérir un territoire de l’OTAN.

L’objectif de Poutine est de rétablir de l’ordre dans le Donbass, soit dans un coin du monde qui a été sa sphère d’influence légitime pendant des siècles. Et il a attendu huit ans depuis 2014 avant de lancer une opération militaire. De plus, bien que l’argument soit tiré par les cheveux, il intervient sous l’égide de l’article 51 de la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire au nom du droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas d’une agression armée. [7]

La Déclaration d’indépendance souveraine des oblasts de Louhansk et
Donetsk a été déclarée et reconnue par la Douma russe sur 48 heures... et la demande d’aide de défense collective formulée immédiatement. [8]

C’est toujours mieux qu’en Irak ou en Afghanistan ou en Syrie.

La patience américaine eut été infiniment plus courte en cas de menaces en provenance du Canada ou du Mexique, à n’en pas douter. On l’a vu à Cuba en 1962.

Enfin, l’administration américaine a aussi oublié que les Russes savaient lire. Et qu’ils lisaient comme tout le monde les rapports de la Rand Corporation (qui travaille pour le Pentagone) dont celui de 2019 intitulé Extending Russia : Competing from Advantageous Ground, où l’on recommandait ouvertement d’entraver les exportations de pétrole russe, de réduire leurs exportations de gaz en empêchant la construction de nouveaux gazoducs, d’imposer des sanctions, de provoquer une fuite de leurs cerveaux et de procurer une aide militaire létale à l’Ukraine. Le rapport préconisait de pousser la Russie à se sur-étendre et décrivait comment piéger la Russie dans un conflit avec l’Ukraine.

Alors toujours unprovoked ?

On pourrait trouver largement pire auprès d’une commission du Congrès américain le 23 juin 2022 qui, dans une provocation belliciste, évoquait ouvertement la perspective d’un démembrement de la Fédération de Russie en une myriade de petits États. Des cartes circulent, des conférences s’organisent.

Relevons l’insigne stupidité de l’objectif : neutraliser, affaiblir, démembrer la Russie qui essayait depuis 1991 de redevenir une nation européenne et l’attirer dans une opération militaire.

Le leader de la minorité au Sénat américain Mitch McConnell ne cache rien :

Les raisons les plus basiques pour continuer d’aider l’Ukraine à dégrader et battre les envahisseurs russes sont des intérêts américains : cold, hard and pratical.

Dan Crenshaw, élu du Texas à la Chambre des Représentants, républicain, dit :

Investir dans la destruction de notre adversaire militaire, sans perdre un seul soldat américain, me frappe comme une excellente idée.

Une dernière citation du Center for European Policy Analysis qui, dans un rapport intitulé « It’s costing peanuts for the US to defeat Russia », écrit que

dépenser 5,6% du budget américain pour détruire à peu près la moitié des capacités militaires russes conventionnelles est un investissement résolument incroyable.

Le gouvernement américain ment sur pratiquement tout ce sur quoi il a la main. Nommez une chose sur laquelle il ne ment pas !? C’est un vrai défi. La question a été posée par un grand esprit indépendant américain.

Tout ceci prouve qu’une fin rapide du conflit n’est pas intéressante ni même désirable pour les Etats-Unis. Cette guerre sert leurs intérêts stratégiques, ce qui contredit l’affirmation selon laquelle les Occidentaux n’en voulaient pas et la fiction que l’invasion russe n’était pas provoquée. Le spectacle des prétentions !!! Parlons alors plutôt d’« agresseur agressé »

Un dernier point enfin au sujet de l’insistance de nos politiciens et journalistes qui hurlent nuit et jour aux violations du droit international en Ukraine, tel que mis en place par la Charte des Nations Unies depuis 1945. Ils oublient sans doute le cas de l’annexion d’une partie du Golan par Israël et les colonies de peuplement illégales en Cisjordanie illégales aux yeux du même droit international qu’ils invoquent. On n’aura pas la mauvaise grâce de leur rappeler l’illégalité dans laquelle s’est mise la France en provoquant la mort de Kadhafi dans une opération militaire très remarquablement coordonnée au sol et dans les airs. [9]

On n’osera pas leur rappeler Guantanamo, les prisons noires de la CIA, les centaines de milliers de morts en conséquence des sanctions américaines selon les rapports de l’ONU, et cerises sur le gâteau, tous les morts par drones américains validés par la Maison Blanche dont le Président se trouve ainsi responsable de plusieurs milliers de morts tués dans des pays avec lesquels les USA ne sont pas en guerre. Et on voudrait nous parler de droit international public, celui-là même que les Etats-Unis ont remplacé par le « rules based order », c’est-à-dire des règles façonnées à Washington.

L’Occident est donc d’avis que la guerre que mène la Russie en Ukraine est une grossière violation du droit international. Avec un agresseur et des victimes.

Mais procédons à un bref décompte des violations de la Charte des Nations Unies : Toutes les guerres de l’OTAN [10] ne sont pas en conformité avec le droit international sauf sa première intervention dans le Golfe, au Koweït, qui était parfaitement dans les clous onusiens.

Ainsi, en ce qui concerne les violations du droit international, l’OTAN mène devant la Russie depuis 1989/1991 par sept interventions illégales (Serbie (1999), Afghanistan (2001), Irak (2003), Libye (2011), Ukraine (2014), Yémen (2015), Syrie (2015) à deux depuis (Géorgie et Ukraine). En termes de victimes d’interventions militaires et de sanctions préventives, le rapport est à chercher entre plusieurs millions de victimes du côté des agissements américains et moins d’une centaine de mille du côté russe. Force est de conclure que les Etats-Unis et la Russie ne jouent pas dans la même ligue. Il faut en être conscient. Notre monde est étouffé par la tartufferie intellectuelle de nos semblables.

Mais les « va-t-en-guerre » néoconservateurs américains ont leur propre droit, le « rules based order », que l’on façonne soi-même à sa propre convenance et qui diffère largement du droit international classique. L’acte de guerre commis par les USA dans les eaux de la Baltique sans approbation du Congrès américain est anticonstitutionnel, donc criminel, et surtout contraire au droit international. The Big Lie.

Avez-vous entendu un seul journaliste européen dénoncer ces agissements. Un seul responsable
gouvernemental ? Motus et bouche cousue avec violation des dix devoirs du vrai journaliste
selon la Charte de Munich du 24 novembre 1971 (ou Déclaration des devoirs et des droits des
journalistes).

B. Le rôle joué par l’Ukraine elle-même dans le déclanchement des hostiltés

B.1. « La provocation »

Zelensky s’est fait élire en 2019 avec 73% des voix sur un programme sans concession : lutte
contre la corruption, contre les inégalités, la fin du système oligarchique... La paix dans le
Donbass était l’autre priorité. Rien de tout cela n’a connu un début de commencement de
réalisation.

Le Donbass avait subi :

  • 132 attaques ukrainiennes par bombes, obus, mines, grenades en août 2020.
  • 2919 en août 2021.
  • 3379 en janvier 2022.
  • Et 8096 sur trois semaines de février 2022 [11]

Ce sont les statistiques officielles de l’OSCE. L’intensification des frappes sur les civils du Donbass est avérée, vérifiée par une organisation internationale qui a recensé près de 14.000 morts civils au Donbass russophone.

Toutes ces informations n’ont pour ainsi dire jamais été reproduites par des médias occidentaux
« mainstream ». Mais pour la Russie, (et pour n’importe qui d’ailleurs), c’est le signe incontestable du déclenchement imminent d’une offensive terrestre. Une armée ukrainienne de plus de 100.000 hommes équipée et entraînée par l’OTAN s’apprêtait à fondre sur ces territoires...dans l’indifférence de l’Occident encore une fois. Les oblasts de Louhansk et de Donetsk une fois envahis et fortifiés n’auraient plus pu être repris par la Russie sans une guerre autrement plus sanguinaire que l’Opération spéciale. D’où l’opération militaire spéciale préventive du 24 février 2022.

La Russie avait-elle un autre choix ?

  • 1400 explosions le vendredi 19 février.
  • Le 21, la Russie reconnaît l’indépendance des deux Républiques (ce que Poutine s’était toujours refusé à faire depuis 2014) et signe avec elles des Traités d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle.
  • La ratification des traités survient le 22.
  • Devant l’intensification des frappes depuis le 14 février, les deux Républiques demandent l’assistance militaire à la Russie en vertu de l’accord signé le 21.
  • Le 24, Poutine lance son opération militaire en invoquant l’article 51 de la Charte des Nations Unies sur le droit à la défense collective.

Unprovoked ? certainement pas.

L’on peut retenir deux hypothèses aussi « provocatrices » l’une que l’autre :

  • Soit les bombardements intenses de la population civile du Donbass annonçaient l’entrée en action imminente de l’armée ukrainienne contre les populations russophones, et la Russie devait réagir.
  • Soit l’armée ukrainienne n’avait pas l’intention d’intervenir et comptait provoquer une
    intervention russe susceptible d’entraîner une réaction de l’OTAN.

Bien joué avec le feu. Dans les deux cas, il y a provocation de l’Ukraine.

Les « aboiements » de l’OTAN aux frontières de la Russie ont fourni le cadre général et l’intensification des tirs ukrainiens sur la population civile du Donbass aura été l’élément déclencheur ou l’étincelle qui a mis le feu au baril de poudre.

B.2 Les provocations

D’autre part, les autorités ukrainiennes ont régulièrement agi de manière à susciter l’ire des Russes :

Rinat Akhmetov, l’homme le plus riche d’Ukraine avant la guerre, a déclaré que Zelensky s’était emparé du pouvoir, de tous les pouvoirs, sous couvert de la réforme. L’Ukraine n’a jamais été une véritable démocratie. C’est un État géré par des clans et des oligarques, tout -à- fait sur le modèle russe. Fox News par la bouche de son animateur Tucker Carlson parle de l’Ukraine comme d’une tyrannie. Fox News ! ...on est aux Etats-Unis !

En février 2021, Zelensky promulgue un décret interdisant huit médias d’opposition dont trois chaînes de télévision. En mars 2021, c’est un autre décret pour la reconquête de la Crimée.

Les douze partis d’opposition ont été interdits un à un, le dernier le 22 octobre 2022. Des assassinats d’opposants politiques ont eu lieu sans que l’on sache qui les a commis. Certains ont été enlevés, ont disparu ou ont été exécutés dans la rue aux yeux de tous, tout comme des journalistes et des élus de l’opposition. Ces meurtres ont rythmé la guerre civile
depuis 2014.

Le négociateur officiel des Ukrainiens russes vivants dans l’Est de l’Ukraine, Denis Kireev, a été tué en pleine rue à son retour de Kiev le 6 mars 2022. Il avait osé évoquer les liens historiques entre Kiev et Moscou. Les dirigeants politiques ukrainiens affirment que le pays doit être épuré. Toute personne porteuse de culture russe ou qui admet la valeur de cette culture doit disparaître. Comme le député Oleg Kalachnikov tué devant sa maison en 2015.

Écoutons le no 2 du régime en personne, Oleksiy Danilov après que son Chef Zelensky a signé un décret le 4 octobre 2022 interdisant toute nouvelle négociation avec la Russie. Il déclare ceci le 1er décembre 2022 en appelant à la « destruction de la Russie » :

Ils ont juste besoin d’être détruits pour qu’ils cessent d’exister en tant que pays, à l’intérieur des frontières dans lesquelles ils existent maintenant. Ce ne sont que des Barbares.

Voilà à qui l’on a à faire : Zelensky et Danilov ont deux visages. Chez eux, ce sont de véritables psychopathes, fauteurs de guerre. A l’étranger, de gentils innocents, un croisement de Mère Thérèsa et de Jeanne d’Arc.

Un autre d’exemple des politiques en cours : les Accords de Minsk II du 12 février 2015 indiquaient que les régions du Donbass devaient pouvoir déterminer elles-mêmes leur langue officielle.

Le 21 octobre 2022, Danilov déclare : « La langue russe devrait disparaître
complètement de notre territoire en tant qu’élément de propagande hostile et de lavage du cerveau pour notre population ».
Et il ajoute : « nous ne retenons personne ».

Tous les médias ont été purgés et sont sous étroite surveillance. De nombreux collaborateurs de la télévision ont été renvoyés « dans leurs marécages où ils peuvent croasser en langue russe », dit Danilov.

Zelensky a fait interdire la langue russe comme support écrit dans son pays. L’Institut du livre ukrainien a fait détruire cent millions de livres en russe (tous les livres d’auteurs russes Tolstoï, Pouchkine, etc., les livres de cuisine et de couture, tous les imprimés en langue russe ou les livres imprimés en Russie).

N’avez-vous jamais entendu qui que ce soit relever ce fol holocauste de papier, sans doute unique au monde par sa stupidité et son ampleur ? Un seul journaliste occidental l’a -t-il relevé ? Un seul pseudo-expert mondain convoqué pour minauder et pérorer devant les caméras des chaînes d’information permanente comme BFMTV et LCI l’a-t-il relevé.

Les biens des investisseurs et sociétés russes (au nombre de 4000) ont été nationalisés sans indemnités (pillage sans vergogne) et enfin l’Église orthodoxe russe interdite d’opérer en Ukraine dès le 1er décembre 2022.

De nombreux civils sont arrêtés par les Services de Sécurité de l’État accusés d’avoir collaborés avec les Russes. De fait, l’Ukraine a bâti son identité depuis 2014 sur une haine de la Russie. [12] Elle reste par ailleurs un pays de corruption systémique. [13]

L’Ukraine est donc très loin d’être innocente dans ce conflit, elle l’a en partie provoqué, poussée à la faire par Washington. Elle savait pertinemment que la Russie, comme le dit son Ambassadeur au Conseil de Sécurité à New York, ne peut pas accepter un nid de guêpes russophobes à ses frontières. Si la Russie est un « agresseur agressé », l’Ukraine est un « arroseur (d’obus) arrosé (d’obus) ».

B.3 Mais pourquoi tout cela ? Deux raisons indépendantes et surtout diverses.

Certes l’Ukraine a droit à sa souveraineté et à son indépendance. Elle a le droit de se tourner envers l’Occident et l’Union européenne en particulier. Cette Ukraine inféodée à l’Europe et aux intérêts américains s’est coupée de l’Est du pays, malgré toutes ses promesses électorales de 2019.

L’Ukraine veut entrer dans l’OTAN d’une part et d’autre part l’Amérique veut affaiblir la Russie, provoquer un changement de régime et démembrer la Russie autant que faire se peut, bref en finir avec la Russie pour longtemps grâce à une guerre qui perdure et même s’éternise, jusqu’au dernier des Ukrainiens. Ces deux objectifs ne se recouvrent que partiellement puisque faire la guerre à la Russie par Ukraine interposée mène cette dernière à la ruine jusqu’au dernier Ukrainien de 16 à 60 ans encore provisoirement valide.

L’enjeu essentiel pour l’Ukraine est son accession rêvée à l’OTAN qu’elle voit comme garante de son indépendance et de sa survie. Elle sait que cet objectif restera inaccessible tant que le conflit du Donbass ne sera pas réglé. Pour autant, les autorités ukrainiennes n’ont jamais voulu de la solution politique prévue par les accords de Minsk, c’est-à-dire impliquant une autonomie de certaines régions du pays. Les ultra-nationalistes y voient l’embryon d’une décomposition
du pays qui risque de se pérenniser.

Par conséquent, il faut une victoire décisive sur la Russie. Ils veulent une Ukraine pure. Il s’agit donc de repousser les russophones hors des frontières ce qui suppose une confrontation avec la Russie. Oleksei Arestovitch disait en mars 2019 déjà :

avec une probabilité de 99,9%, notre prix pour rejoindre l’OTAN est une grande guerre avec la Russie.

De plus il y a une grande pression internationale pour pousser l’Ukraine à rétablir sa pleine souveraineté sur l’ensemble du territoire. Le Fonds Monétaire International, basé à Washington, avertit l’Ukraine en mai 2014 qu’elle n’aura pas son prêt de 17 milliards de dollars si elle ne reprend pas le contrôle de l’Est du pays.

  • Le 25 février 2022, Zelensky laisse entendre qu’il est prêt à négocier avec la Russie.
  • Le 27 février, l’UE arrive avec un paquet d’armes de 450 millions d’euros pour inciter l’Ukraine à se battre...
  • Le 21 mars, Zelensky fait une offre qui va dans le sens de la Russie.
  • Le 23 mars, l’UE arrive avec un autre paquet de 500 millions pour des achats d’armes.

Les USA et la Grande Bretagne font pression sur Zelensky pour qu’il retire son offre et les négociations d’Istanbul de s’enliser. Boris Johnson était passé par là avec deux messages : Poutine est un criminel de guerre. Il faut faire pression sur lui et ne pas négocier avec lui. « Si l’Ukraine est prête à signer des accords de garanties avec lui, la Grande Bretagne ne l’est pas ». La messe était dite.

Le Premier Ministre israélien Naftali Bennett, impliqué dans les négociations de paix du printemps 2022 disait dans un article de presse du 5 février 2023 que les Etats-Unis et leurs alliés avaient bloqué toute tentative d’un accord de paix entre l’Ukraine et la Russie au printemps 2022. Il ajoute dans son interview qu’une décision avait été prise par l’Ouest de continuer à affaiblir Poutine et de ne pas négocier avec lui.

En avril 2022, à Istanbul, le MAE turc Mevlut Cavusoglu affirmait que des membres de l’OTAN voulaient que la guerre continue pour affaiblir la Russie.

En fait, l’Ukraine n’est qu’un pays prétexte, destiné aux pires destructions, mais utile pour l’accomplissement d’un but stratégique américain : l’affaiblissement de la Russie. Au printemps 2022, Lloyd Austin le confirmait par une déclaration. Le clan occidental est devenu le parti de la guerre, une guerre qui dure et c’est bien le problème.

Selon les services de renseignements américains et britanniques, la chute de la Russie, rapidement à bout de souffle grâce aux sanctions, était imminente, un véritable slam dunk promis à la Maison Blanche.

Allez-y, taper les Russes, avec les sanctions en plus, ils sont morts...

On ne peut pas avouer publiquement cette analyse gravement erronée, cette très mauvaise évaluation de l’adversaire...d’où l’actuelle fuite en avant vers le pire. Vers l’attrition de tout en Ukraine : marché du travail, ressources financières taries, comme les recettes fiscales, pénurie d’eau, de chauffage et d’électricité, production agricole en déshérence, croissance retardée, ventes d’obligations du gouvernement et levées de fonds n’attirant plus personne, dix mobilisations pour remplacer les morts... (au-delà de 130.000), il manque de 5 à 7 milliards d’euros mensuellement pour que survive l’État ukrainien et qu’il paie ses fonctionnaires.

L’Ukraine ne vit désormais que grâce aux prêts occidentaux qu’elle sera dans l’incapacité dejamais rembourser. La fiabilité de sa dette est nulle, la moitié du budget est destinée à l’armée, à la police et à d’autres dépenses militaires. Sans parler des pertes disproportionnées, et même de l’attrition possible de l’armée ukrainienne, des pertes de territoires, de l’émigration, des flux de réfugiés, du pays détruit... Mais la guerre continue... et plus elle continue, plus l’emprise territoriale des Russes s’étendra jusqu’à englober Odessa et toucher les frontières moldaves.

Mais sa victoire reste garantie à 99% selon Anthony Blinken...qui ne trompe plus personne. Comme le dit Henry Kissinger :

Etre un ennemi de l’Amérique peut être dangereux, mais être un ami est fatal ...

C. La méconnaissance de la Russie et les jugements portés sur Vladimir Poutine.

L’Occident refuse de comprendre les intentions de la Russie, ses craintes et ses réflexes. Cet autre peut être un rival ou un ennemi et cela devrait rendre encore plus importante la nécessité de sonder sa façon de vivre et de penser. C’est ce que dit aussi le sage Maurice Gourdault-Montagne. [14]

Andreï Makine le dit tout aussi clairement que Amin Maalouf dans un autre contexte. Alexandre Soljenitsyne avait pourtant bien expliqué que la violence subie par des générations de peuples de la Grande Russie avait forgé là-bas des caractères exceptionnels qu’on ne retrouvait pas à l’Ouest. 27 millions de morts russes dans la lutte contre Hitler restera toujours un drame héroïque et une fierté de l’URSS. On ne peut pas lui enlever cela.

La Russie est habitée par plusieurs centaines de peuples et pour maîtriser cette diversité culturelle, ethnique et confessionnelle, il faut sortir des lambris dorés. Il nous faut penser aux difficultés que l’Europe rencontre face à sa propre diversité, sans rien dire de la France qui n’y arrive visiblement pas. La démocratie a toujours été un luxe de pays riches. Tous les Russes, même les chats, ont été mis dans le même panier.

Pourtant personne n’a jamais songé à faire endosser à tous les Américains la brutalité de leurs guerres, My Lay, Abou Ghraib, Guantanamo, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie, etc. Mais la mode est aux réflexes médiatiques pavloviens. Et aux diktats de la pensée autorisée. La mémoire de chaque peuple est constituée de mille fragments historiques, dit Makine, qui n’excusent rien mais que l’on doit toujours prendre en compte si l’on veut prévoir les réactions des uns et des autres.

Pour les Occidentaux, la nostalgie des Russes pour l’URSS est difficile à comprendre.

Vraiment ? de bonne foi ? par ignorance crasse de l’histoire ? Ce retour nostalgique passe par une mémoire blessée de la Seconde guerre mondiale et ses énormes sacrifices. Les valeurs collectivistes sont tout simplement attrayantes par rapport au capitalisme ultra-libéral et mafieux qui régnait en Russie sous Eltsine, décennie où les Russes ont pu avoir l’impression que leurs dirigeants avaient vendu leur âme aux chimères marchandes occidentales, représentées par des armées d’économistes de Harvard, de grandes banques et sociétés américaines tombées sur la Russie pour rafler la mise comme l’on dit.

Nous n’avons pas à faire à une lutte du bien contre le mal. Nous avons à faire à une lutte féroce entre deux hégémonies, à un conflit civilisationnel. La morale n’a rien à y voir. L’Ukraine n’est qu’un triste prétexte.

D’un côté, Washington ne comprendra jamais qu’un concert des Nations est le meilleur gage de paix entre des pays libres. Et que l’hégémonie d’une hyperpuissance est par nature instable et que cette volonté de puissance peut transformer un régime démocratique en une « intraitable bête de proie ». [15]

C’est ainsi que la domination d’une démocratie peut devenir tyrannique. Comme le dit Simone Weil,

« conquérir le monde et libérer le monde sont deux formes de gloire incompatibles ».

De l’autre côté, la Russie est une puissance continentale obsédée certes par la fragilité de son régime et avide de trouver sa sécurité. Elle la recherche dans l’assujettissement de ses voisins.

Il lui faut donc maîtriser à ses marges, c’est-à-dire dans son étranger proche, assez d’espace, dominer assez de peuples, même au mépris de leur liberté, identité ou aspirations. C’est sa doctrine Monroe, si familière de l’Amérique. C’est une forme d’isolement, assorti d’une puissance militaire considérable, au sein d’un territoire vaste comme aucun autre, qui doit être tenu dans un corset de fer. En ce début de XXIème, la civilisation russe et la civilisation occidentale sont de fait de plus en plus incompatibles.

Les Européens n’ont rien compris à la Russie, ni aux raisons du soutien du peuple russe à son leader. Le Centre Levada à Moscou qui est jugé indépendant voire dans l’opposition estime en janvier 2023 que le soutien du peuple russe à Poutine s’élève à quelque 82%. De quoi faire pâlir tous les politiciens occidentaux en place. [16]

Ces deux empires sont tous les deux bâtis sans prise en compte de l’intérêt des populations soumises. Ils laissent tous les deux entrevoir des méthodes de domination brutale comme en Géorgie et en Ukraine d’un côté et de l’autre avec comme priorité celle d’éviter la survenance de toute nouvelle puissance par tous les moyens, une application extraterritoriale du droit américain, la dictature du dollar et une politique de sanctions aussi absurde qu’inefficace qui affaiblit l’Europe et le Japon soit des Alliés contre qui le sabotage de trois gazoducs sur quatre en Mer Baltique réjouit publiquement Biden, Blinken et surtout l’impossible Victoria Nuland.

C’est la plus complète des « panurgisations » selon le mot de Védrine.

L’élite russe actuelle ressemble beaucoup à la vieille noblesse tsariste. Elle a la même distance sidérale du peuple, la même propension à l’arrogance et à a violence. On a beau avoir passé à travers une révolution prolétaire (1919-1991), un libéralisme effréné (immédiatement après 1991, période d’Eltsine), le résultat est toujours le même : au sommet, il y a toujours un tsar entouré de sa garde. Il n’y a jamais eu de place pour la démocratie et les droits de l’homme. Pas encore. [17]

La verticale du pouvoir est cependant encore la seule réponse satisfaisante capable de calmer les angoisses de la majorité de la population. Et puis Poutine a puni les oligarques, c’est important. Il a montré qu’il savait comment traiter les voleurs et les traîtres. Les grandes multinationales américaines qui voulaient s’implanter en Russie dès 1991 et mettre la main sur ses richesses ont été rejetées, ce que Washington n’a jamais pu admettre, eux qui ne voyaient dans la Russie qu’une grande station d’essence et rien d’autre. Les Américains ne supportent qu’une Russie à genoux. Ils n’acceptent pas que quelqu’un puisse s’opposer à leur hégémonie.

L’immense majorité des Russes demande deux choses à l’État : l’ordre à l’intérieur et la
puissance à l’extérieur.
 [18]

La nouvelle élite est prête à tout pour défendre l’indépendance de la Russie. Il va s’agir désormais pour eux de mobiliser tous les éléments de force pour retrouver la place de la Russie qui lui revient sur la scène mondiale, à savoir une grande puissance et non une quantité négligeable comme le voudraient les Américains. La nouvelle élite concentre un maximum de pouvoir et un maximum de richesse. Entre un Russe et un Occidental il y a de très fortes différences de mentalité, insurmontables dans un avenir proche. [19]

La Russie a réalisé que l’imitation forcenée de l’Occident (les années après 1990) n’étaient pas la bonne voie. Les symboles de la grandeur russe sont des aigles impériaux, des christs-rois et des portraits de Staline, vainqueur de la Deuxième Guerre mondiale (plus de 27 millions de soldats tués dans la guerre contre Hitler contre seulement moins de 400.000 morts du côté américain).

Fraternité et force, Foi et patrie. Par rapport à ces valeurs et vu de Moscou, celles de la société occidentale ne sont plus dignes d’admiration : individualisme forcené, société geignarde et victimaire, abandon de la religion, wokisme, « bêlements niaiseux des écolos » (comme le dit Olivier de Kersauson), déclinaison de la société en LGBTQIAA+..., impostures multiples du
vocabulaire contemporain (dans les cours de danse à Sciences Po, il n’y a plus d’hommes et de femmes, mais des leaders et des suiveurs), disparition du bon sens...Pour les Russes au pouvoir, l’Occident est décadent et ne promeut que des fausses valeurs. Pour les Russes, le mouvement woke s’attaque à la matrice intellectuelle même de l’âme européenne.

Personne en Occident ne veut comprendre une évidence : pour Poutine, la guerre est aussi un processus dont les buts vont au-delà du simple succès militaire de la conquête de la Crimée et de quelques oblasts parlant le russe. Plus que la conquête, l’objectif est la lutte contre le chaos.

Tout le monde doit voir que la révolution orange voulue et préparée par les Etats-Unis à Kiev a précipité l’Ukraine dans l’anarchie et la destruction. Les Russes veulent démontrer que quand on commet l’erreur de se confier aux Occidentaux, cela finit ainsi : ceux-ci vous laissent tomber à la longue et vous restez seul dans un pays complètement détruit. L’avertissement vaut pour la Géorgie, la Moldavie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan. C’est-à-dire partout où la Rand Corporation conseille au Pentagone de fomenter
des révolutions Orange. C’est infiniment important. L’Ambassadeur de Géorgie avec qui je discutais à fin février 2023 me disait craindre la victoire russe tout comme une défaite russe.

Une victoire russe va encourager Moscou à régler ses problèmes avec la Géorgie et la Moldavie. Une défaite russe va encourager Moscou à chercher des compensations en Moldavie et en Géorgie...

La Russie restera longtemps l’usine à cauchemars de l’Occident. Aujourd’hui en Russie, laseule solution est le pouvoir retournant à son origine primaire : le pur exercice de la force. [20]

Ce que l’Occident ne veut pas voir est que ses amis prônant la liberté et la démocratie en Russie n’ont plus voix au chapitre. L’histoire d’amour de la Russie avec l’Europe est terminée. Le débat n’est plus entre des libéraux orientés vers l’Ouest et des conservateurs. Il n’est plus qu’entre les conservateurs partagés entre nationalistes et ultra-nationalistes. Mal comprendre un conflit, c’est forcément mal s’apprêter à le résoudre. Ce sont douze téléphones du Président français à Vladimir Poutine au début de la guerre qui n’ont servi à rien.

2. Au-delà de la guerre en Ukraine, quelques vérités s’imposent.

A. Ce sont les hommes qui font la politique et ils se sont discrédités

Distribuons la palme d’or du Festival des aberrations. Je compte parmi mes amis un avocat américain qui vit à Paris et qui possède l’un des meilleurs blogs qui soient avec beaucoup des plus remarquables esprits indépendants américains : il dit toujours que

Washington est le plus grand hôpital psychiatrique à ciel ouvert au monde.

Cet établissement compte malheureusement beaucoup de succursales, partout dans le monde.

  • Palme d’Or :
    Ursula von der Leyen : « L’affirmation d’une implication américaine dans le sabotage des gazoducs nous paraît absurde. Dans toutes les années d’existence de l’Amérique, pas un seul exemple de violation du droit international n’a pas être établi et confirmé ». Il y a aussi cette déclaration du 24 février : « Poutine a échoué dans tous ses plans stratégiques : il n’a pas pu effacer l’Ukraine de la carte ».
  • Palme d’argent :
    Rishi Sunak à la Conférence de Munich :

    Nous sommes juste une alliance défensive. Tout est non provoqué.

  • Palme de bronze :
    La Première Ministre de l’Estonie Kaja Kallas : « Les pays de l’OTAN doivent prendre le contrôle de Moscou et de manière contraignante transformer la mentalité des citoyens russes de manière à ce qu’ils ne constituent plus jamais une menace ».

Accessit :

  • Josep Borrell : « L’Union européenne est l’armée de l’Ukraine car ce conflit constitue une menace existentielle pour la sécurité européenne. » Ou alors

    La livraison d’armes à Moscou par Pékin serait une ligne rouge pour l’UE.

  • Le Secrétaire d’Etat américain Anthony Blinken : « The US has no doubts about Ukraine’s victory » mais ses militaires le contredisent.
  • Macron qui « veut » une victoire de l’Ukraine...sans écraser la Russie. (« Il le veut » ...).
  • Biden : Putin’s goal is to wipe out Ukraine off the map (Ursula von der Leyen a fait du
    copier/coller).

N’oublions pas un accessit français donné à Valérie Pécresse qui quitte une réunion en disant à la cantonade :

Faut que j’y aille, je dois m’occuper de l’Ukraine !.

Biden, le 11 mars 2022 :« L’idée selon laquelle nous allons envoyer des tanks en Ukraine, ça s’appelle la troisième guerre mondiale ». Biden le 25 janvier 2023 :« Aujourd’hui j’annonce que les Etats-Unis vont envoyer des chars Abrams à l’Ukraine ».

Un concours d’irresponsables, sans aucun contrôle de soi. Les démocraties vivent aussi des temps de passions au cours desquelles la réflexion est corrompue par des a prioris. Il en est ainsi de l’Ukraine. Le principe démocratique, aussi beau
soit-il, n’en est pas moins dangereux. Ce n’est pas un principe pacifique, il peut être aussi conquérant que les régimes autoritaires ou autocratiques. Penser aux 400 interventions de l’Amérique en dehors de ses frontières depuis sa création, il y a seulement 250 ans. Peu de choses distinguent les partisans de la démocratie et les tenants d’un pouvoir fort. Soyons réalistes : seule la victoire des armes décide de la vérité.

C’est vrai que l’on assiste à un grand affaissement de la vie politique. On en est même totalement abasourdi. Comment tolérer ceux qui nous dirigent alors que nous ne parvenons plus à adhérer à leurs visions. Le délitement de l’autorité dans nos pays occidentaux, quelles qu’en soient les raisons, jette une lumière cruelle sur nos dirigeants. Il y a comme un épuisement des institutions et infiniment trop de concentrations du pouvoir entre les mains des politiciens qui occupent des
postes à haute irresponsabilité gouvernementale. La défiance à l’égard des politiques s’accroît considérablement mais à propos de l’Ukraine l’unanimité règne en maître.

Quelles en sont les raisons ? L’impéritie la plus crasse : jamais les hommes politiques n’ont été aussi médiocres. Manque de travail intellectuel, manque de vision au-delà du court terme, affaissement culturel, manque de repères historiques et prééminence d’un seul objectif prioritaire : accéder au pouvoir et le garder. Ce dernier élément porte au repli sur soi, à l’individualisme, et à la complète déresponsabilisation qui entraîne une incapacité à faire émerger des compromis. Qu’est-ce qui domine alors : une gestion à courte vue portée par l’opinion publique que l’on ne va pas contrarier, entièrement dépourvue de toute pensée stratégique.

En fin de compte, que constate-t-on ? Une déconnexion des élites et des médias, le mépris social, l’arrogance, les échecs, les stratégies à trop court terme, toutes les concessions faites à l’électoralisme. Rien sur le temps long.

Il faut comprendre les ressorts du chaos que les Etats-Unis ont répandu eux-mêmes autour d’eux depuis plus de 30 ans, l’anarchie que les néoconservateurs ont provoquée par leur volonté de faire survivre le leadership américain en se donnant pour mission de susciter des révolutions démocratiques sur toute la planète, révolutions qui ont plongé l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie et l’Ukraine dans la guerre civile ou étrangère, dans l’implosion et la destruction. Il
s’agissait seulement de donner du lustre à la plus banale et la plus aveugle des politiques de force.

A tel point que leur niveau de sottise est abyssal et donne presque une idée de l’infini, selon la formule consacrée. Avec les Straussiens et les néocons américains, républicains comme démocrates, les Biden, Blinken, Nuland, Sullivan, Pompéo, John R. Bolton et tant d’autres, le niveau a fortement baissé parmi les responsables politiques américains qui enfilent comme des perles les pires mensonges à des médias en pâmoison et surtout aux ordres. La fatigue
démocratique est partout à gauche et à droite. Beaucoup de nos gouvernants européens déshonorent leurs pays de par une vassalisation librement choisie, stupide et irréfléchie à l’égard de l’Amérique.

Sur les plateaux de télévision (BFMTV, LCI et bien d’autres) règnent de pseudo-experts et les pires bateleurs. Les réseaux sociaux ont bouleversé les conditions du dialogue et polarisé le débat public le plus souvent avec des relents de haine, parfois exacerbée. N’importe quel imbécile de pacotille peut y tenir des propos de bistrots, révélateurs de son absence de QI, de toute éducation et de toute culture. C’est le caniveau qui croise le haut du pavé sans que l’on puisse aujourd’hui établir une différence. N’oublions pas que le mot « intellectuel » est né sous la plume de Maurice Barrès en 1898 et se voulait une insulte. Est-ce que cela explique leur disparition actuelle ?

Dans La trahison des clercs, publié en 1927, en plein entre-deux-guerres, le philosophe Julien Benda, s’élevait déjà contre la tentation d’abdiquer les valeurs universelles de justice, de vérité et de raison au profit de causes particulières et d’idéologies. La phobie antirusse et l’anti-poutinisme ont ravagé la France en 24 heures après le 24 février 2022...Avait-on jamais vu auparavant une dialectique aussi radicale submerger la France ?

En fait nos gouvernants se retrouvent au cœur des passions et de l’irrationnel. Certains sont franchement irresponsables et cyniques. Bruno le Maire fait partie de la joyeuse troupe, lui qui voulait faire la guerre économique à la Russie et mettre les Russes à genoux.

Les intérêts les plus étroits qu’ils soient électoraux, financiers, militaires ou politiques prévalent sur la logique d’un bon gouvernement. Raymond Aron le décrivait déjà dans Les Désillusions du progrès en 1969.

L’histoire de l’Amérique est partie sur des fondamentaux assez radicaux : en 1823, la Cour Suprême des Etats-Unis déclare que « le droit de conquête s’acquiert et se maintient par la force ». Si ce n’était pas de mauvais goût, l’on pourrait dire que Poutine se conforme au droit américain.

Kennedy nous a très probablement sauvé de la vitrification nucléaire en 1962 en résistant à ses généraux. Il avait un Sous-secrétaire d’État, George Ball, qui en voyant le militarisme le plus virulent s’emparer de l’État-major étatsunien, avait eu des paroles très dures pour qualifier les généraux : « a sewer of deceit », des égouts de tromperie. Nous avons à la place de George Ball une Victoria Nuland qui nous fait vivre tous les jours dans des égouts de mensonges et de
provocations en cascade.

En France, Natacha Polony est l’une des rares à garder la tête froide. Elle parle d’exaltation irréfléchie de l’Occident, d’émotions manichéennes, de polarisation des opinions. Sa franchise ne va pas de soi de nos jours.

B. La disparition de la vérité remplacée par le viol des foules : la fabrique du consentement.

Il est devenu urgent de débarbouiller le quotidien de ses mensonges, de ses impostures et de ses aveuglements. Même si l’histoire est « ce mensonge qu’on ne conteste plus », disait Napoléon. Comme le dit si bien l’excellent Jean-Marie Rouart, Académicien, nous sommes « happés par le vide abyssal de la modernité ». De deux manières : avec des réflexions corrompues par des a priori et un refus d’aller au-delà des causes superficielles décrites sur les plateaux de télévision par des « sachants ».

Le premier exposé complet de « fabrique du consentement » a été écrit en 1923 par le neveu de Freud, Edward Bernays, aux Etats-Unis, dans son premier livre « Crystallizing Public Opinion ». [21]

Il explique que

la manipulation consciente, intelligente, des opinions et des habitudes organisées des masses joue un rôle important dans une société démocratique : ceux qui manipulent le mécanisme social imperceptiblement forment un gouvernement invisible qui dirige le pays.

Il est à la fois ironique et amusant de constater que Donald Trump a fait du rétablissement dela liberté d’expression l’axe de sa campagne de 2024. C’est vrai qu’elle est menacée partout chez nous.

Ainsi le narratif unique est désormais bien installé. Ses adversaires ont droit à la plus totale des discriminations voire à leur éloignement des grands médias. Leurs idées ne sont pas dignes d’être débattues et ne valent même pas la peine d’être combattues.

Le débat est devenu combat pour le pire : le retour de l’anathème (mais vous êtes un poutiniste !), la disqualification idéologique (les intellectuels français avaient adoré le communisme, ils détestent la Russie), le refus du pluralisme.

L’expression de « post-vérité » est entrée dans le dictionnaire d’Oxford qui définit ce concept comme des circonstances dans lesquels les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion.

Ce sont les « monstres » de Gramsci surgis entre le passé qui n’en finit pas et l’avenir pas encore avéré. Deux principes se sont dégagés : le dogmatisme de ses propres opinions et l’intolérance aux opinions d’autrui. Autrement dit, chacun se croit détenteur de la « vérité » sans prêter une quelconque valeur aux jugements d’autrui.

La période a ses dix commandements, selon le livre exceptionnel de Anne Morelli. [22] Ces dix commandements collent parfaitement avec la guerre actuelle en Ukraine. Un tweet déclenche une guerre, la photo d’un enfant noyé ouvre les frontières, le sexe ou la couleur de la peau comptent plus que le contenu d’une œuvre ou d’un discours, la raison semble désormais impuissante à guider notre histoire.

Il existe depuis 1971 une Charte de déontologie de Munich dite Déclaration des devoirs et des droits des journalistes adoptés par la Fédération européenne des journalistes qui distingue dix devoirs. Au jour d’aujourd’hui, aucun journaliste « corporate » ou « mainstream » ne respecte l’un quelconque de ces dix devoirs.

Ceci veut dire que l’exercice du journalisme au quotidien au service du narratif a changé la nature du travail pour le pire bien entendu. Le premier devoir de la charte implique pourtant pour le journaliste de respecter la vérité. Pourquoi ne le font-ils pas ? La raison en est simple : dans le monde d’aujourd’hui les journalistes se taisent car leurs critiques éventuelles seraient considérées comme un acte antipatriotique. Les Russophobes qui sont légion en France et qui tiennent le haut du pavé, forts de leur bonne conscience que confère le sentiment de lutter pour la justice et la démocratie, s’estiment en droit d’interdire toute parole non conforme à leurs convictions et de jeter l’opprobre sur leurs adversaires.

Citons Régis Debray dans « I.F. suite et fin » avec Pierre Conesa [23] :

après avoir commencé dans le panache au début du siècle, l’épopée intellectuelle française a sombré dans le délire, et aujourd’hui dans le ridicule, surtout sur les questions internationales...

Conclusion brève :

Le Secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterrez a déclaré le 6 février 2023 :

Les perspectives de paix ne cessent de se réduire. Les risques d’une escalade et d’un carnage supplémentaires ne cessent d’augmenter. Je crains que le monde ne soit pas en train d’avancer vers une guerre plus large en dormant comme un somnambule mais qu’il le fasse les yeux ouverts ».

En s’impliquant toujours plus dans le conflit ukrainien, l’Europe joue avec le feu qui finira par la brûler elle-même. Un véritable suicide annoncé. Védrine trouve choquant que des

gens soient prêts à se battre jusqu’au dernier Ukrainien.

Oui, c’est révoltant en ce qui concerne les conséquences au plan humain en Ukraine et l’achat à si bon marché de notre bonne conscience et du sentiment du devoir accompli. En fait, l’on se tire dans le pied.

Albert Camus écrivait : « le goût de la vérité n’empêche pas la prise de parti ». Je vous propose d’inverser le propos au vu de l’emprise de plus en plus marquée du politiquement correct sous forme de désinformation des masses :

la prise de parti ne devrait pas empêcher le goût de la vérité.

Avec un coucou américain dans les nids européens, cela promet d’être difficile. Je sais que le concert des Nations est un meilleur gage de paix entre des pays libres qu’une hégémonie de nature instable et injuste. Je sais que la volonté de puissance peut transformer le plus amène des régimes en un intraitable monstre.

Je sais enfin que l’organisation du monde en hégémonies concurrentes dans un monde devenu bipolaire, puis multipolaire, multiplie les risques des inévitables affrontements et rejette fort loin les amitiés dédiées à la recherche du Bien.

Comment trouver les moyens d’éviter le pire ? Certainement pas en donnant du matériel militaire, puis des chars pour continuer par des avions de chasse et enfin des troupes au sol...qui s’y trouvent déjà sous la forme de conseillers, de troupes spéciales et de mercenaires mais en recherchant inlassablement la paix. Nier la cobelligérance est une insulte au bon sens. [24]

La reconquête de tous les territoires perdus par l’Ukraine est une utopie mortifère. Tout le monde va finir par lâcher prise (avec un soupir de soulagement en Europe). Le scénario du soutien occidental assez massif pour donner à l’Ukraine les capacités de retrouver sa pleine souveraineté n’est pas à l’ordre du jour.

Nous sommes très éloignés d’une exigence de paix. Nos gouvernements occidentaux n’exigent pas la paix et n’en veulent pas. Nous sommes devant le « sanglant chaos du monde » (une citation empruntée à Andreï Makine). Exiger la paix devrait pourtant être la condition sine qua non de nos dirigeants. Et surtout, comme le dit l’ancien patron du CICR, Peter Maurer :

dans
les conflits, il ne faut pas d’étiquette en termes de bons et de mauvais.

Le mot de la fin :

Eh bien alors, « dansons sur le volcan », car nous sommes tous métaphoriquement à Naples près du Vésuve. Gustave Flaubert utilise la formule dans une lettre à Eugène Delattre le 10 janvier 1859 :

On a dit que nous dansions sur un volcan ! Pas du tout ! Nous trépignons sur la planche pourrie d’une vaste latrine. L’humanité, pour ma part, me donne envie de vomir et
il faudrait aller se pendre s’il n’y avait pas, par ci par là, de nobles esprits qui désinfectent l’atmosphère.

Je suis sûr que tous ces nobles d’esprit sont réunis ici aujourd’hui, autour de vous, cher Président.

Merci beaucoup.


[1Dans le Figaro du 29 janvier 2023, Laure Mandeville est senior fellow de l’Atlantic Council’s European Center et a été correspondante du Figaro aux Etats-Unis de 2009 à 2016...

[2Dans le Figaro du jeudi 23 février 2023.

[3Dans le Figaro du mardi 21 février 2023

[4Dans le Figaro du mardi 21 février 2023.

[5M.E.Sarotte, très brillante Kravis Professor of Historical Studies at Johns Hopkins University, certes membre de l’establishment néoconservateur réuni autour du Council on Foreign Relations. Mais on l’excusera pour cette fois, tant son livre de 550 pages est subtil et plein de nuances. Graham Allison l’a complimentée en décrivant le livre comme un « riveting account of fateful choices to expand NATO and their consequences for relations with Russia today ».

[6« Aboiements » : Il s’agit d’une traduction de Marianne. Cris d’orfraie...semble correspondre davantage aux intentions du Pape.

[7Voir le chapitre 2 de cet article.

[8Voir sur ce point voir le chapitre 4, « La montée des tensions », p. 177, de l’excellent livre de Jacques Baud, intitulé Opération Z, chez Max Milo, Paris, 2022.

[9Cf. Jean-Pierre Vettovaglia, Réflexions sur la Prévention des conflits africains, La Revue Internationale et Stratégique, no 94, été 2014.

[10Cf. Daniele Ganser, Les Guerres Illégales de l’OTAN, une chronique de Cuba à la Syrie, Collection Résistances, Éditions Demi-Lune, 2016, p. 432.

[11Voir Jacques Baud, op. cit., p.186 et 188.

[12Cf. Arno Klarsfeld, dans Omerta, no 1, p. 22.

[13Cf. Alexandre de Galzain, dans Omerta, no 1, p. 26

[14Cf. Maurice Gourdault-Montagne dans le premier numéro de Omerta de février/mars/avril 2023, revue dont la sortie a même rencontré les avis hostiles de Bund, quotidien de Berne en Suisse qui le traite d’ « intellectuel auto-proclamé ».

[15L’expression est de Michel de Jaeghere dans son dernier et magnifique ouvrage La Mélancolie d’Athéna, Les Belles Lettres, 2022, essentiellement les chapitres 14 et 15 en ce qui concerne notre sujet.

[16Pour comprendre, lire Le Mage du Kremlin de mon compatriote Giulano da Empoli. Ou alors inviter Hélène Carrère d’Encausse chez vous, elle vous le donnera en cadeau avec ses recommandations de le lire en urgence... c’est ce qui se raconte à Paris

[17Le Mage du Kremlin, op.cit.

[18Le Mage du Kremlin, op. cit.

[19Le Mage du Kremlin, op. cit.

[20Le Mage du Kremlin, op.cit.

[21Edward L. Bernays, Crystallazing Public opinion, G & D Media, 2019, reprise de l’original de 1923. Edward L. Bernays, Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, p. 143., 2007 pour une édition française. Paru en 1928. On lira aussi Friedrich A. Hayek, La Route de la Servitude, 1946, Chapitre 11 intitulé La Fin de la Vérité.

[22Anne Morelli, Principes élémentaires de propagande de guerre, Éditions Aden, 2010, p. 193, Edition originale en 2001, dont « les dix commandements » sont cités par Pierre Conesa dans son dernier livre, remarquable d’ailleurs, Vendre la Guerre, Le complexe militaro-
intellectuel
, Editions de l’Aube, 2022, 352 pages. Ce n’est pas l’un des moindres mérites de Pierre Conesa d’avoir permis la redécouverte de ces dix commandements.

[23Pierre Conesa, op.cit., p.96

[24La notion de cobelligérance n’est pas consacrée en droit. En effet le terme lui-même qui est plutôt celui de « partie au conflit » n’est pas consacré en droit des conflits armés, notamment constitué des quatre Conventions de Genève de 1949 et de leurs Protocoles additionnels de 1977. Ces textes ne disent rien du moment à partir duquel un Etat est partie à un conflit armé. Lire la juriste suisse Djemila Carron dans son livre « L’acte déclencheur d’un conflit armé international.

Toutefois, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie avait estimé que la République fédérale de Yougoslavie était bien partie au conflit parce qu’elle avait apporté un soutien militaire aux Serbes de Bosnie. Elle avait financé et équipé un groupe armé engagé dans le conflit et joué un rôle important dans la planification et la supervision des opérations militaires. Les Etats-Unis d’Amérique sont clairement des cobelligérants à ce titre : ils participent à la planification et à la supervision des opérations militaires, ne serait-ce que par les renseignements fournis à l’Ukraine par leurs satellites espions.

Par contre, la simple fourniture d’armements et l’entraînement de troupes armées à l’étranger n’est pas de nature à vous faire considérer comme cobélligérants. Les Etats-Unis ne reconnaissent pas la compétence de ce tribunal naturellement.