Appendice 4
Les systèmes de déduction logique

dimanche 30 septembre 2012

Aristote.

On considère généralement Aristote comme le fondateur du premier système déductif logico-formel.

Dans son ouvrage l’Organon, on trouve exprimées pour la première fois toutes les lois de la logique formelle et de la déduction. Par déduction, on entend l’opération de l’esprit qui permet, à partir de l’idée la plus générale et universelle possible, un axiome, de faire apparaître des vérités plus particulières qui se trouvent contenues déjà en germe dans l’idée universelle.

Notons tout de suite – pour souligner l’aberration de ce système de pensée lorsqu’il est érigé en méthode de connaissance – que la logique à elle seule ne peut permettre de parvenir à la vérité. Il s’agit d’une série de règles formelles de déduction de jugements dont la seule prétention est celle de la cohérence interne des formalismes utilisés. Autrement dit, peu importe que la conclusion de l’argument logique soit, du point de vue de la vérité, totalement fausse si, du point de vue de la logique, elle est correcte, c’est-à-dire si les formalismes ont été suivis au pied de la lettre et la cohérence à l’intérieur du système respectée.

Bien que la déduction logique soit utile et nécessaire, car l’esprit infère effectivement des vérités particulières des vérités universelles, le défaut essentiel de cette forme de pensée est qu’elle ne permet pas à l’homme de réer de nouvelles idées ou de transformer un système axiomatique qui ne correspond pas à la vérité en un autre, plus avancé, qui lui soit conforme. On part d’une idée universelle déjà donnée dont on infère les vérités particulières et si, comme il arrive tout le temps dans l’Univers car sa nature n’est pas logico-formelle, apparaît un phénomène nouveau dont cette idée universelle ne peut pas rendre compte, la déduction logique est incapable d’engendrer une autre idée qui fournisse une explication cohérente de ce phénomène. Les systèmes de déduction logique, demeurant par définition à l’intérieur d’un système axiomatique, ne peuvent rendre compte de la création qui organise le passage d’un système axiomatique relativement inférieur à un autre qui lui est supérieur : ils sont absolument étrangers à la capacité créatrice, au pouvoir de formuler des hypothèses, qui distingue l’homme de l’animal.

Aristote conçut pourtant sa logique comme une façon infaillible d’aboutir à des jugements cohérents. C’est cette logique qui fut par la suite appliquée aux systèmes mathématiques et constitua leur « faille » de départ.

Les treize livres des Eléments d’Euclide représentent la première tentative dans l’histoire de présenter un pan entier de la connaissance, celle de la géométrie des trois dimensions, sous la forme d’un système axiomatique déductif.

Dans ce système, les suppositions initiales se composaient de cinq postulats (par exemple, « prouver qu’il est possible de dessiner une ligne d’un point quelconque à un autre ») et de cinq axiomes ou « concepts universellement valides » (par exemple, « si A égale B et B égale C, alors C est aussi égal à A »), et on affirmait qu’en se basant uniquement sur ces suppositions, il était possible de déduire toutes les lois géométriques valides et seulement celles-là.

L’assertion d’Euclide, selon laquelle toutes les lois valides de la géométrie, et seulement elles, sont dérivables de ces axiomes, correspond aux concepts logico-formels modernes de la complétude et de cohérence (non-contradiction) propres aux systèmes axiomatiques.

La cohérence (principe de non-contradiction) est une caractéristique qui représente la condition sine qua non de tout ensemble d’axiomes. Il ne faut qu’une assertion et son assertion contraire puissent être déduites en même temps comme théorèmes du système.

Le fameux mathématicien de Göttingen, David Hilbert, dans son livre Les fondements de la géométrie (1899), présenta un nouveau système détaillé d’axiomes pour la géométrie euclidienne qui satisfaisait les exigences logico-formelles les plus rigoureuses. Le programme de Hilbert, élaboré en collaboration avec John von Neumann, mène à la conclusion que la cohérence arithmétique n’est valable qu’en respectant les méthodes du « fini » (ne considérant pas les infinis parfaits), ce qui revient plus ou moins aux opérations qui peuvent être effectuées par des ordinateurs.

Ce programme fut cependant définitivement infirmé en 1931, grâce au fameux théorème d’indétermination de Kurt Gödel et à certaines conséquences qui en découlent. Gödel montre qu’il est intrinsèquement impossible, dans un système mathématique logico-déductif complet, de dériver du système le postulat même selon lequel ce système est cohérent. Le système ne peut donc trouver en lui-même la cause de son existence !

Ceci aurait dû signifier la mort du système logico-déductif ou au moins la fin de ses applications en mathématique et en mathématique-physique. C’est pourtant exactement l’opposé qui arriva après la Seconde guerre mondiale, en mathématique « pure », sous l’influence du « groupe de Bourbaki » en France. La tentative d’assujettir tous les domaines des mathématiques à des axiomes et à des formalismes a été menée avec force, principalement au détriment de la méthode de la géométrie constructive, la seule permettant un travail réellement créatif.

L’introduction des « maths modernes » dans les réformes de l’éducation des années 60 fut particulièrement destructrice à cet égard. Les exercices de construction géométrique, fondés sur la vérification d’hypothèses et qui constituaient les restes de la géométrie synthétique dans les programmes scolaires, furent éliminés et remplacés par la « théorie des ensembles », véritable lavage de cerveau formel n’ayant plus rien à voir avec le concept de multiplicité de Cantor, et se limitant à la mémorisation et à la combinaison d’axiomes et de définitions absolument contraires à l’esprit de création.

Celui-ci devrait être au contraire stimulé et développé par l’expérimentation d’hypothèses, notamment celles qui remettent en cause un système axiomatique donné et permettent d’accéder à un autre. Nous sommes ici dans le domaine de la démonstration par contradiction : on démontre qu’une hypothèse de complétude donnée est fausse par la découverte (l’élaboration) de nouvelles lois apparemment vraies et qui ne sont pas dérivables du système axiomatique considéré. Ce dernier se trouve ainsi remis en cause et doit être fondamentalement transformé ou remplacé par un autre.

Aux antipodes de l’univers déductif formel d’Aristote, les mathématiques ne sont plus alors un système défini absolu et unique, mais une série d’instruments différents correspondant chacun – avec leurs ensembles de théorèmes et de postulats – à un type de système axiomatique [ Appendice 3 ].