Mais que fait la France en Irak ?

vendredi 10 octobre 2014, par Christine Bierre

Alors que le pays est mis au pain sec par Bruxelles, que le taux de croissance reste désespérément collé au zéro et que les dépenses militaires ont été coupées jusqu’à l’os, Paris a accepté de rejoindre la coalition contre l’Etat islamique (EI) en Irak.

Or, il est désormais reconnu que les Etats-Unis n’ont pas besoin de l’appui de la France pour mener cette guerre, si ce n’est pour profiter du prestige dont notre pays jouit dans le monde arabe, pourtant usé jusqu’à la corde depuis notre participation aux guerres contre la Libye et contre Bachar al-Assad, en bonne voie de renvoyer ces pays à l’âge de pierre.

Pour l’heure, la contribution française à cette guerre apparaît comme symbolique : pas plus de 1 % de la campagne aérienne en cours. Si le dispositif français – 6 Rafale, un ravitailleur C-135FR et un Atlantique 2 (avion de recueil du renseignement) – effectue des survols tous les jours, depuis le début des frappes françaises le 19 septembre, il n’a mené que deux frappes en Irak. Ce sont les renseignements qui semblent peser le plus lourd dans le dispositif actuel.

Pour quelles raisons ? Budgétaires, en partie. Les engagements militaires devraient dépasser 1,1 milliard d’euros, alors que seulement 450 millions ont été provisionnés dans le budget 2014.

Selon certains, les militaires français préfèreraient être aux premières loges dans l’opération « Barkhane », où 3000 soldats français « patrouillent » sur le corridor sahélo-saharien, haut lieu de transit des djihadistes et des trafiquants, que de n’avoir qu’un strapontin dans l’opération américaine en Irak.

Des « points d’appui » militaires ont été créés par la France sur une bande allant de Faya au Tchad à Atar en Mauritanie, en passant par Madama au sud de la Libye, au Niger, et Tessalit au Mali.

De plus, la France semble aller en Irak avec des pincettes, comme si elle craignait des manipulations ou la main lourde sur la gâchette de « nos alliés », souvent à l’origine d’énormes bavures. En Irak, la France a tenu à conserver son autonomie militaire, afin de pouvoir repérer et choisir elle-même ses cibles. Aussi a-t-elle limité ses objectifs à trois cibles : les dépôts logistiques, les postes de combat stratégiques éloignés des populations civiles et les concentrations de troupes et véhicules.

Contre l’Etat Islamique ou contre Bachar al-Assad ?

La France ne craint-elle pas d’être entraînée dans une autre guerre, où elle a déjà perdu pas mal de plumes, celle contre Bachar al-Assad en Syrie ? C’est de là, en effet, que les pires embrouilles pourraient venir. Car après avoir provoqué l’implosion de la Libye et de terribles destructions en Syrie, les États-Unis et Londres semblent bien déterminés à poursuivre leur œuvre maléfique. La Russie, en soutenant Bachar al-Assad, avait bloqué l’avancée des États-Unis en Syrie pendant un temps. Chassés par une porte, ils sont revenus par une autre, celle de la guerre contre « les égorgeurs » de l’État islamique en Irak, qu’ils pourraient mettre à profit pour amasser dans la région la puissance aérienne pour en finir avec Assad.

A l’origine des soupçons envers « nos alliés », la question : vont-ils détruire réellement le monstre qu’ils ont créé pour combattre le régime de Bachar al-Assad, mais qui, tel un Frankenstein, leur aurait échappé ? Si oui, pourquoi s’allient-ils pour le faire aux trois pays qui l’ont porté sur les fonts baptismaux : le Qatar, l’Arabie saoudite et la Turquie ?

L’État islamique est issu de la mouvance « Al-Qaida en Irak ». Lors de la guerre en Syrie, un conflit éclate entre l’Arabie saoudite et le Qatar pour le contrôle de la mouvance djihadiste qui mène la guerre à Bachar al-Assad. L’Arabie saoudite s’allie alors au Front Al Nosra, le Qatar à l’Émirat islamique en Irak et au Levant (EIIL).
L’EIIL, devenu entretemps État islamique (EI), a été financé par les alliés de Londres et de Washington dans la région.

Quant à l’entraînement et à l’assistance sur le terrain, deux pays sont en ligne de mire : Israël et la Turquie. « Ils ont d’excellents renseignements, confiait un haut gradé militaire à notre journal, ils ont été entraînés en Turquie et ils sont renseignés par les Israéliens. »

La Turquie ne cache même pas son jeu. Le 2 octobre, le Parlement turc a voté à 298 voix contre 98 pour le déploiement de troupes turques en Syrie et en Irak. La veille, le Premier ministre Erdogan avait déclaré au Parlement que le départ de Bachar al-Assad restait la priorité pour la Turquie.

Trois priorités ont été établies par son ministre de la Défense Ismet Yilmaz :

  1. Etablir de zones tampons en Syrie pour l’assistance humanitaire aux opposants de Bachar al-Assad,
  2. Créer des zones d’exclusion aérienne et 3) entraîner et soutenir les forces de l’Armée syrienne libre en Turquie.

Enfin, notons cet aveu du vice-président américain Joseph Biden, à Harvard le 1er octobre, visant la Turquie :

Le président Erdogan – un ami – m’a dit : vous avez raison, nous avons laissé entrer trop de gens, maintenant nous essayons de fermer la frontière. (…) Il a fallu un certain temps pour que la Turquie, une nation sunnite, se rende compte que l’EI était une menace immédiate à sa sécurité !

Que faisons nous donc en Irak ? Les militaires craignent, à juste titre, la jonction de ces mouvements djihadistes et leur répercussions en Europe : 700 Français ont rejoint l’EI ! Mais cette guerre ne traite pas les questions de fond : l’utilisation par les Etats-Unis, Londres et leurs alliés, du djihadisme contre leurs adversaires. Il faut mettre fin à ces pratiques et lancer une politique de développement permettant de faire disparaître le djihadisme à tout jamais.