Idlib : nouvelle percée de Poutine

mercredi 19 septembre 2018

Le président russe et son homologue turc Erdogan ont signé lundi un accord pour établir le 15 octobre prochain une « zone démilitarisée » de 15 à 20 km de large séparant l’ « opposition armée » d’Idlib et les forces gouvernementales syriennes, afin de créer les conditions pour résoudre pacifiquement le conflit dans la région. La bataille d’Idlib n’aura donc pas lieu, du moins pour le moment.

Par cet accord, Poutine coupe l’herbe sous le pied des pompiers pyromanes de Londres, Paris et Washington, qui comptaient utiliser l’offensive sur Idlib comme prétexte pour une attaque occidentale contre la Syrie.

Le plan est d’ « évacuer les militants radicaux, y compris Jabhat al-Nosra », a expliqué le président russe, ajoutant qu’à l’initiative d’Erdogan, « les armes lourdes, les tanks, les nombreux systèmes de lance-missiles, les systèmes d’artillerie et les mortiers de tous les groupes d’opposition » seront retirés à partir du 10 octobre.

Même si pour l’instant cette zone démilitarisée en Syrie ne concerne qu’une partie du territoire, celle dominée par les rebelles pro-turcs, ce développement désarme temporairement les va-t-en-guerre. La situation n’en reste pas moins très dangereuse, comme on a pu le voir avec l’avion russe descendu lundi soir par erreur par les systèmes anti-missiles syrien, faisant 15 morts, lors de raids israéliens à Lattaquié.

Quelques jours auparavant, Larry Wilkerson, l’ancien chef de cabinet du secrétaire d’État Colin Powell (administration Bush Jr), a mis en garde contre la rhétorique autour de la guerre en Syrie, ainsi que d’autres situations de conflits, y voyant la « résurrection » de l’agenda néoconservateur, dont l’objectif est d’écraser l’Irak, la Syrie et enfin l’Iran. « Cela pourrait mener à un véritable désastre humanitaire », a-t-il dit lors d’une interview sur Real News Network.

Rappelons qu’après avoir été trompés par les mensonges du Premier ministre britannique de l’époque Tony Blair, et du vice-président américain Dick Cheney, Colin Powell et Larry Wilkerson ont admis leur erreur, et se sont depuis lors opposés aux néocons. « Je sais que leur objectif insidieux est de renverser Assad et d’attaquer ensuite l’Iran, mais je ne crois pas que le président [Trump] y soit enclin, à moins qu’il soit encore plus idiot qu’on ne le croit », a affirmé Wilkerson, qui s’est dit toutefois très préoccupé par le fait que plusieurs personnes dans des positions de pouvoir, dont le conseiller à la sécurité nationale John Bolton, tentent actuellement d’orchestrer un scénario selon lequel Donald Trump, pour des raisons politiques ou autres, serait amené à utiliser la force de manière significative contre Assad et finalement l’Iran.

Offensive générale pour la paix

L’accord russo-turc intervient simultanément à la rencontre entre Kim Jong-un et Moon Jae-in à Pyongyang. Cette troisième rencontre de l’année entre les deux dirigeants coréens a eu lieu quatre jours après l’ouverture officielle de la ligne de communication permanente entre les deux Corées. À l’issue de la rencontre, Kim et Moon ont annoncé s’être mis d’accord sur des mesures pour dénucléariser la péninsule, et sur un prochain voyage du dirigeant nord-coréen à Séoul.

Ce processus de dégel a le don de mettre dans l’embarras les ennemis de la paix. Dans son éditorial du 18 septembre, Le Figaro rapporte qu’aux États-Unis, « les opposants de l’intérieur, qui entourent Donald Trump, peinent à dissimuler leur panique à l’heure d’un nouvel élan entre les deux Corées. S’il est bien un dossier qui échappe à leur contrôle, c’est celui de la Corée du Nord ».

Nikki Haley, l’ambassadrice américaine aux Nations unies, est l’une des représentantes emblématiques de ces opposants de l’intérieur. Elle a convoqué lundi (la veille de la rencontre entre Kim et Moon) une session d’urgence du Conseil de sécurité où elle a dénoncé, non sans l’hystérie qui la caractérise, le viol par la Russie de l’embargo sur les exportations de pétrole en Corée du Nord : « Dénier, distraire et mentir, a-t-elle scandé. La Russie nous sert toujours la même chanson ». Sortant le grand jeu, Haley a accusé la Russie de protéger le gouvernement syrien dans son utilisation des armes chimiques, d’avoir orchestré l’empoisonnement des Skripal, de s’être immiscée dans les élections américaines et enfin de tricher sur les sanctions contre la Corée du Nord.

La réalité est que la dynamique mondiale échappe de plus en plus aux néocons et autres fauteurs de conflits et de divisions. En effet, une série de sommets et de forums se déroule depuis plusieurs mois, comme nous le rapportons assidûment sur ce site : le sommet des « BRICS plus » à Johannesbourg, en Afrique du Sud, où les dirigeants de la Turquie, de l’Indonésie, de l’Argentine, ainsi qu’une vingtaine de chefs d’États africains, ont été invités à se joindre aux cinq dirigeants des BRICS ; le sommet Chine-Afrique début septembre à Beijing, avec la participation de 53 dirigeants africains ; enfin, le Forum économique de Vladivostok la semaine dernière, auquel ont participé 6000 représentants de 60 nations, dont 3000 Russes, 1000 Chinois, des Sud-coréens, des Nord-coréens et des Japonais, entre autres.

Un « Global South » est en train de se former, amenant l’ensemble des pays et organisations – Initiative une ceinture, une route (ICR), Organisation de la coopération de Shanghai (OCS), Union économique eurasiatique (UEEA), etc – à coopérer à travers des projets de développement mutuel, « gagnant-gagnant ». Beaucoup y voient une renaissance de l’esprit de la conférence de Bandung de 1955, et une volonté d’en finir avec le néocolonialisme occidental qui a empêché le développement de l’Afrique, entre autres, au moyen des « conditionnalités » du FMI.

Les détentes et rapprochements, parfois spectaculaires, se multiplient entre différents pays. À Vladivostok, Poutine et le Premier ministre japonais Shizo Abe ont annoncé la signature d’un traité de paix entre les deux pays (officiellement toujours en guerre depuis 1945 !) avant la fin de l’année, réglant en particulier le contentieux des îles Kouriles. Dans le même esprit, un accord de paix entre l’Érythrée et l’Éthiopie a été signé le 16 septembre à Jeddah, en Arabie Saoudite, en présence du roi Salman et du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres. Enfin, le Pakistan a annoncé qu’il autorisera l’Inde et l’Afghanistan à commercer via les routes du Nord du pays, ce qui représente un changement majeur dans l’attitude du Pakistan vis-à-vis de l’Inde.

L’évolution de la situation intérieure américaine sera bien entendu décisive, et elle sera en grande partie déterminée par le résultat des élections de mi-mandats du 6 novembre. Si les opposants à une détente entre les États-Unis et la Russie parviennent à faire basculer le Congrès du côté des Démocrates, la situation mondiale risque de se dégrader très rapidement.

Donald Trump vient d’annoncer son intention de déclassifier l’ensemble des documents concernant le « Russiagate », ce qui aura pour effet de mettre en lumière les manigances du « Deep State » et de leur commanditaires des services secrets britanniques, dans leur tentative de coup d’État contre la présidence américaine. Nous y reviendrons dans la prochaine chronique.