Gladiateurs « nationalistes » vs « mondialistes » ? Non merci !

mercredi 10 octobre 2018

Des deux côtés de l’Atlantique, entre l’affaire Kavanaugh et l’hystérie anti ou pro-populistes de gauche ou de droite en Europe, nous sommes en plein cirque romain. Et comme dans tout spectacle de ce type, on encourage les passions les plus basses des êtres humains, les poussant à rejoindre le camp de tel gladiateur contre celui de tel autre, réduisant leur capacité de penser et d’agir à un pouce levé ou baissé.

Et, bien entendu, les événements et enjeux fondamentaux se déroulent précisément à l’extérieur du stade.

En arrière-plan : la crise financière systémique

Deux mois après la fin du troisième plan de « sauvetage » de la Grèce, le pays est déjà dans la tourmente. La semaine dernière, les banques grecques ont dévissé en bourse, enregistrant le mercredi 4 octobre une baisse de 30 %. Comme l’écrit Martine Orange dans Médiapart, « elles ne sont plus, selon le jargon boursier, que des ‘pennies stocks’, le cours de leurs actions dépassant à peine la barre de 1 euro ». En dépit des différentes recapitalisations, elles ont perdu 99 % de leur valeur depuis 2015, et 50 % de leurs créances sont « douteuses », c’est-à-dire in-remboursables. Bref, ce sont des banques zombies.

L’économie grecque a été amputée d’un quart de son PIB en dix ans. Et les plans d’aide européens n’ont fait qu’aggraver le processus. Mais du côté de l’UE, on ne veut plus en entendre parler. Le Mécanisme européen de stabilité (MES) a même publié un communiqué démentant l’existence d’une quelconque intention d’intervenir. Rallumez votre télé, vous allez manquer le programme !

Bien sûr, le problème n’est pas grec. C’est l’ensemble du système financier transatlantique qui est gangrené, et rien n’a été fait pour agir sur ce qui a causé la tempête financière de 2008. Même le FMI, dans son rapport annuel publié ce mercredi 10 octobre, admet que nous faisons face à un danger de « seconde Grande dépression ».

Dans un article publié le 5 octobre et intitulé ’La malédiction de la finance’ étouffe l’économie, le journal Le Monde découvre (enfin) que le secteur financier n’apporte aucun bénéfice à l’économie réelle. Au contraire. En s’appuyant sur le nouveau livre de Nicholas Shaxson et sur une récente étude de quatre chercheurs d’universités britanniques et américaines, l’article précise que le Royaume-Uni a perdu en dix ans l’équivalent de deux ans de PIB à cause du poids excessif de la finance, qui représente 6,5 % de l’économie britannique (4 % en France).

La finance parasite l’économie réelle, la vidant de sa substance. Les cerveaux, au lieu d’être employés dans les secteurs technologiques et scientifiques à forte valeur productive pour la société, finissent dans les salles des marchés, à inventer de nouveaux algorithmes. Plus le secteur financier est gros – et il n’a cessé de grossir sous l’effet des plans de renflouement des banques centrales – plus les flux financiers se dirigent vers des activités peu productives. « Au Royaume-Uni, seuls 3,5 % des prêts vont à l’industrie », s’inquiète Andrew Baker, de l’université britannique de Sheffield.

« Les politiciens qui se lèchent les babines à l’idée d’attirer de nombreux banquiers à Paris grâce au Brexit feraient bien de faire attention à ce qu’ils souhaitent. Économiquement, cela pourrait se retourner contre eux », prévient Nicholas Shaxson.

La Chine, bouc émissaire commun des nationalistes et des mondialistes

Dans ce contexte, les tenants du système et leurs acolytes de Bruxelles, Paris et Berlin se démènent comme des diables pour détourner l’attention de la question financière, et pour façonner un débat stérile montant les uns contre les autres. La tentation est d’autant plus grande que des dirigeants très affaiblis comme Macron et Merkel sont amenés à penser que leur survie politique dépend du fait de se présenter en rempart contre les populismes.

Il n’est donc pas anodin que Steve Bannon, l’ancien conseiller à la sécurité nationale de l’administration Trump, apparaisse partout dans les médias européens. Le tribun de la droite « alternative » américaine, qui n’a pas hésité à mettre une chemise noire lors de sa rencontre avec les nostalgiques de Mussolini au sein de l’extrême-droite italienne, s’affiche en défenseur de la « civilisation judéo-chrétienne » contre les élites du mondialisme financier. Mais à défaut de désigner la mécanique infernale de Wall Street et de la City comme l’ennemi à combattre, Bannon montre son vrai visage en désignant ce qu’il affirme être les coupables : « Les Chinois sont la plus grande menace pour l’ordre international, affirme-t-il dans Le Figaro. Ils ont un régime totalitaire et un modèle financier qui va nous mener à une nouvelle débâcle bien pire que 2008 ».

Oublié le fait que la crise de 2008 a été provoquée par les pratiques criminelles et spéculatives des banques transatlantiques ; oubliée la bombe à retardement d’un système – transatlantique toujours – hypertrophié de dettes et de produits spéculatifs du fait des facilités de renflouement offertes par les banques centrales américaines et européennes… Le bouc émissaire est tout trouvé : le grand ogre chinois !

Ne cherchez pas plus loin pourquoi on accorde une large tribune médiatique à un personnage comme Bannon. Car, dans la perspective des élections européennes de juin 2019, on préfère exacerber le nationalisme étriqué contre le mondialisme techno illuminé, en vous trompant dans les deux cas sur la nature de l’ennemi. Du pain bénis pour l’oligarchie de la City, qui a toujours joué sur ce type de profils pour préserver ses privilèges et ses intérêts. Des agitateurs d’émotions sans cervelle qui, comme le candidat de l’extrême-droite brésilienne, Jaïr Bolsonaro, ne comprennent rien à l’économie et se font conseiller leur programme économique par les « Chicago boys » ultralibéraux, comme au bon vieux temps du régime de Pinochet au Chili.

La réalité est qu’un nouveau paradigme de coopération et de développement économique, porté par la Chine mais réunissant désormais plus d’une centaine de pays en Amérique latine, en Afrique et en Asie, se substitue progressivement et pacifiquement à l’ancien paradigme. C’est cette réalité que les intérêts de la City cherchent par tous les moyens d’arrêter, pour l’instant en vain. Face au fait que de plus en plus de pays de la périphérie de l’Europe – les pays du groupe de Visegrad, la Grèce, le Portugal, et dernièrement l’Italie — se tournent vers l’Initiative chinoise une ceinture, une route (ICR, ou les Nouvelles Routes de la soie), l’UE s’est même sentie obligée de mettre de l’avant un « plan » de connectivité pour des infrastructures destinées à ces pays. Ce plan, présenté par les médias européens comme explicitement destiné à contrer les investissements chinois, est d’autant plus risible que les pays concernés se sont tournés vers la Chine justement parce que l’UE a été incapable de réaliser les projets d’infrastructures promis il y a 25 ans...

Si rien n’est fait, la chute de l’Union européenne s’annonce. Son destin a été scellé à partir du moment où, depuis l’Acte unique et le Traité de Maastricht, elle s’est faite la courroie de transmission du système financier de la City et de Wall Street.

À nous de nous battre pour une véritable Europe des nations, organisée autour d’un développement économique mutuel et d’un dialogue des cultures, et s’intégrant dans le monde à travers les objectifs communs de l’humanité : l’accès à l’eau, l’énergie, la santé pour tous, et l’exploration de l’espace, de la mer, et de tous les domaines encore inconnus de la connaissance.

L’idée d’une Europe organisée autour d’un nouveau « plan Fouchet », comme l’avait évoqué Jacques Cheminade pendant la campagne présidentielle de 2017, réapparaît aujourd’hui, notamment par la voix de Coralie Delaume, qui publie un nouveau livre sur l’effondrement de l’UE.