Quel nouveau paradigme nous permettra d’échapper à une fin tragique ?

mardi 13 avril 2021, par Tribune Libre

Intervention de Helga Zepp-LaRouche, fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller, lors de la visioconférence de l’Institut Schiller des 20 et 21 mars 2020 sur le thème : « Deux mois après l’investiture de Biden, le monde à la croisée du chemin. » Pour voir le programme complet et accéder aux liens vers les différents discours, cliquez ICI.

Quel nouveau paradigme nous permettra d’échapper à une fin tragique ?

Par Helga Zepp-LaRouche,
fondatrice et présidente internationale de l’Institut Schiller.

Depuis cinq décennies, elle et son époux, le penseur et économiste américain Lyndon LaRouche, n’ont cessé de plaider en faveur d’un nouvel ordre économique mondial plus juste et d’une renaissance des arts et des sciences respectant pleinement la dignité humaine. En Chine, pour le travail de l’Institut Schiller pour expliquer le point de vue chinois, elle est affectueusement qualifiée de « Dame de la Route de la soie ».

Bonjour, je vous salue à travers le monde entier, où que vous soyez en ce moment. C’est un plaisir pour moi de m’adresser à vous. Lorsque nous avons choisi le titre de la conférence, « Deux mois après l’investiture de l’administration Biden, le monde à la croisée des chemins », nous prévoyions des bouleversements.

Pourtant, il est étrange de constater à quel point ces mots étaient prémonitoires. Le fait qu’un président américain en exercice qualifie le président russe de « tueur », comme l’a fait Joe Biden dans une émission de la chaîne ABC, a certainement brisé un tabou. C’était une question piège du journaliste George Stephanopoulos, mais cela a fonctionné. Naturellement, cela vous montre où en est arrivé le soi-disant journalisme aujourd’hui.

Heureusement, le président Poutine a fait preuve d’un bon sens de l’humour en invitant M. Biden à participer à un débat en direct sur internet, soit vendredi, c’est-à-dire hier, soit lundi, puisque M. Poutine voulait se rendre dans la taïga pendant le week-end. Il lui a également souhaité une bonne santé. Cependant, si le président du pays le plus puissant du monde, revendiquant 5800 têtes nucléaires, peut dire une telle chose du président de la Russie, qui en possède 6375 (ce sont les chiffres de janvier 2020), cela indique le danger de la situation dans laquelle nous sommes.

Si l’on considère l’avalanche de notes d’orientation, de mémorandum et de livres blancs sur la défense, définissant de plus en plus la Russie et la Chine comme des rivaux stratégiques, des adversaires et même des ennemis, on peut craindre que nous soyons parvenus à l’acte IV ou V d’une tragédie mondiale qui s’approche rapidement de ce que Schiller appelait le punctum saliens (dénouement ultime).

C’est le point du drame où tous les développements précédents se rejoignent en un moment de décision, où tout dépend du caractère et de la vision des principaux acteurs en scène, dont l’action déterminera si l’on peut trouver une solution à un niveau supérieur, accéder à un nouveau paradigme sur un plan de pensée supérieur, échappant ainsi à une issue tragique, ou, s’ils agiront suivant une logique d’axiomes erronés et qu’alors le drame se terminera en tragédie. Cette fois, cependant, l’évènement ne se déroule pas sur une scène de théâtre, mais il s’agit de notre histoire, de nos vies.

La force de la tragédie

Dans un magnifique article publié en 2007 sous le titre La force de la tragédie, Lyndon LaRouche a dit une chose étonnante qui se rapporte à la raison pour laquelle nous avons décidé de consacrer notre première table ronde (et non la dernière) à la nécessité d’une renaissance de l’art classique, condition absolue pour faire face à cette crise.

Il a rappelé que depuis Vladimir Vernadski et Albert Einstein, on connaît l’organisation de l’univers en domaines rigoureusement distincts : l’abiotique, la biosphère et la noosphère.

Pour LaRouche, un domaine plus avancé encore vient couronner l’ensemble, combinant en un seul sujet les niveaux de la tragédie classique, de la science physique, de la composition artistique classique et de l’art de gouverner tel que le concevaient Eschyle, Platon, Shakespeare, Lessing et Schiller. Ce quatrième domaine est la véritable substance de l’histoire.

Si l’humanité veut résoudre les nombreuses crises existentielles auxquelles elle est confrontée, les dirigeants politiques, à tous les niveaux de la société, doivent accéder à ce quatrième domaine. La réaction des Russes aux remarques de Biden montre qu’ils ont bien conscience que nous sommes arrivés à un tel punctum saliens.

Pour Konstantin Kosachev, vice-président du Conseil de la Fédération russe, une ligne rouge a été franchie :

Ces remarques grossières tuent tout espoir qu’une nouvelle administration mène une nouvelle politique à l’égard de la Russie », déclara-t-il, avant d’ajouter, très en colère : « Ces remarques viennent du Président d’un pays qui largue une bombe quelque part dans le monde toutes les 12 minutes. Il en résulte la mort de plus de 500 000 personnes, en lien avec les actions des États-Unis, depuis 2001. Pouvez-vous commenter cela, M. Biden ?

Il est effrayant de voir comment ces crises se sont accumulées au cours des dernières années, sans que le grand public en ait conscience. Aucun discours public, aucun débat parmi les intellectuels, et encore moins dans les parlements.

Pas à pas vers l’abîme

Dans le domaine des doctrines militaires, un changement majeur s’est produit en direction d’un affrontement avec la Russie et la Chine, avec la publication le 18 décembre 2017 de la US National Security Strategy (NSS), qui définit pour la première fois la Russie et la Chine comme des rivaux géopolitiques.

Cette orientation a été confirmée par la National Defense Strategy parue en janvier 2018, puis par l’Examen de la posture nucléaire, avec la création d’un commandement spatial américain et de la Force spatiale américaine, dont l’objectif est d’imposer la domination américaine dans l’espace pour empêcher la Chine d’y définir les nouvelles règles.

En mars 2021, la Maison-Blanche publia l’Interim National Security Strategic Guidance. Dans ce document de 24 pages, elle affirme sa volonté d’aligner les démocraties mondiales contre les « influences malignes de la Russie et de la Chine », de rétablir dans le monde un ordre fondé sur des règles, de mondialiser l’OTAN en mettant clairement l’accent sur la formation d’alliances dans la région indopacifique contre la Russie et la Chine, et « d’agir rapidement pour rétablir une position de leadership international » dans le programme mondial de lutte contre le changement climatique et de réduction des émissions de carbone, afin d’assurer que ce soit les États-Unis, et non la Chine, qui en définissent les règles.

Tout cela est censé permettre de « surpasser une Chine plus sûre d’elle-même et plus autoritaire » et de l’emporter dans la compétition stratégique avec elle ou toute autre nation.

« Le climat sera érigé au rang de priorité de sécurité nationale. Nous intégrerons l’évaluation des risques climatiques dans nos jeux de guerre, nos modélisations et nos simulations ; nous renforcerons la résilience des missions et mettrons en œuvre des solutions qui optimisent les capacités et réduisent notre propre empreinte carbone. »

N’est-ce pas étrange de faire de la lutte contre le changement climatique une priorité de sécurité nationale ?

Mais si ces documents officiels restent, du moins formellement, dans le domaine du langage militaire professionnel, ce faux-semblant disparaît avec des journaux tels que le Telegraph de Londres, qui a republié le 28 janvier 2021 The Longer Telegram. Ce document de l’Atlantic Council, écrit par un ancien membre anonyme du gouvernement ayant « une connaissance approfondie de la Chine », est censé être l’un des documents les plus importants jamais publiés par cette institution.

Le titre est une référence consciente au « long télégramme » du général George Kennan, appelant à endiguer l’Union soviétique en 1946.

Dans ce document, l’Atlantic Council appelle sans vergogne à un coup d’État contre le président Xi Jinping, fomenté par certains dirigeants mécontents du Parti communiste chinois (PCC), qui seraient prêts, par ailleurs, à abandonner la poursuite du modèle de développement chinois et à se soumettre à la domination étasunienne du monde.

Sans surprise, on retrouve parmi les principaux sponsors de ce groupe de réflexion, quelques-uns des principaux fabricants d’armes américains comme Raytheon, General Dynamics, Boeing, Lockheed-Martin, Northrop-Grumman, ainsi que l’OTAN.

L’opération Alexeï Navalny, orchestrée par les services de renseignement britanniques, vise essentiellement le même objectif : catalyser une opération de changement de régime contre le président Poutine.

La fin de l’histoire ?

Avant d’en venir à la Troisième Guerre mondiale - car c’est vers cela que nous oriente cette montée en puissance - réfléchissons à ce qui nous arrive. Ne nous avait-on pas dit qu’après le démembrement de l’URSS, on avait atteint « la fin de l’histoire » ? (sans doute une des choses les plus idiotes jamais entendues), qu’à partir de ce moment-là, les démocraties occidentales prendraient le contrôle du monde et que tous adopteraient les valeurs occidentales, leur système économique néolibéral, leur politique du genre, le déconstructionnisme dans l’art, etc. Un examen rapide s’impose, car il y a des leçons à tirer si l’on veut éviter une tragédie. Il s’agit en fait d’une rivalité entre deux systèmes opposés, deux conceptions complètement différentes du monde et du rôle de l’homme, et par conséquent, de l’avenir de l’humanité.

En 1978, lorsque Deng Xiaoping lança la politique de réforme et d’ouverture visant à sortir la Chine de l’abysse de la Révolution culturelle, son pays était l’un des plus pauvres de la planète. En s’inspirant des meilleurs aspects de la tradition de l’économie physique telle qu’elle a vu le jour avec Gottfried Wilhelm Leibniz, puis Alexander Hamilton, Friedrich List, les frères Carey et le Comte Witte, il remit la Chine sur le chemin du progrès et de l’innovation.

Au cours des 40 années suivantes, cette politique a permis de tirer 850 millions de Chinois de l’extrême pauvreté. Ce qui, en toute impartialité, est l’une des réalisations historiques les plus remarquables de l’histoire de l’humanité. La Chine a atteint cet objectif avant la fin de 2020, alors qu’aux États-Unis et en Europe, on a constaté la tendance inverse : la pauvreté a augmenté.

En 1991, nous avons élargi notre projet de « Triangle productif Paris-Berlin-Vienne », qui constituait la réponse de Lyndon LaRouche, mon défunt mari, à la chute du mur de Berlin en 1989, pour en faire le « Pont terrestre eurasiatique ».

Sur le modèle des anciennes « Routes de la soie », il s’agit d’un système de corridors de développement visant à relier les centres de population et les centres industriels européens à ceux d’Asie, afin d’industrialiser une série de régions enclavées.

Cette idée est toujours apparue comme une évidence à quiconque se situe dans la tradition philosophique de Nicolas de Cues, Vernadski ou plus récemment, Krafft Ehricke.

A savoir, que le principe du vivant a pris de l’ampleur à partir des océans, grâce à la photosynthèse, que des organismes allaient se développer, dotées de métabolismes à densité de flux énergétique plus élevée, et que finalement, une espèce apparaîtrait : l’être humain, dont le pouvoir de raison créatrice établirait une toute nouvelle catégorie d’existence dans l’univers.

Suivant le cours naturel de son évolution, cette nouvelle espèce se sédentarisa près des océans et des rivières et, grâce au développement de nouvelles infrastructures, se déplaça vers l’intérieur des terres. L’ouverture et le développement des zones enclavées de nos continents par le biais de ces couloirs de développement était en quelque sorte une idée évidente lorsque le Rideau de fer s’est désintégré. Une fois achevé le développement des infrastructures sur tous les continents de la planète, la prochaine phase consistait à construire des infrastructures dans l’espace proche, par exemple des sites habitables sur la Lune et sur Mars, servant de tremplins à l’humanité pour devenir une espèce galactique.

Il n’y a pas de limites à la croissance !

Comme je l’ai souligné dans de nombreux discours dans les années 1990, si l’on commettait l’erreur de surimposer une économie de marché débridée à une économie communiste en lambeaux, on pourrait certes maintenir encore quelque temps l’économie de casino, mais on se retrouverait rapidement confronté à un effondrement bien plus profond de l’ensemble du système.

Si le « Triangle productif » et le « Pont terrestre eurasiatique » avaient été mis en œuvre (ils bénéficiaient d’un grand soutien à l’époque), ils auraient constitué le plan de paix idéal du XXIe siècle. Mais ces projets furent rejetés par l’Occident pour des raisons géopolitiques. Au lieu de cela, l’idée des États-Unis, de la Grande-Bretagne et de la France (de Mitterrand) en particulier, était de transformer l’ancienne superpuissance qu’était l’Union soviétique en pays du tiers-monde, réduit à exporter ses matières premières.

Concrètement, la « thérapie de choc » de Jeffrey Sachs appliquée pendant la période Eltsine provoqua une réduction de la population d’environ 1 million de personnes par an !

Aux États-Unis, en 1992, la politique du PNAC (Project for a New American Century) renforça la conviction de Dick Cheney que les États-Unis devaient rester la seule superpuissance et ne tolèreraient aucun rival sur le plan stratégique.

En juin 1992, l’adoption d’une politique équivalente au Sommet de la Terre à Rio, au Brésil, marqua le début d’une gigantesque offensive mondiale de politiques malthusiennes, réaffirmant l’ancienne politique du Club de Rome qui appelait depuis 1972 à mettre fin à la croissance. Lyndon LaRouche s’y opposa avec son livre Il n’y a pas de limites à la croissance.

Le sommet de Rio fut également l’occasion de réaffirmer la doctrine NSSM 200 d’Henry Kissinger de 1974, un document absolument scandaleux qui exigeait la réduction de la population en utilisant l’arme alimentaire.

Les arguments pour justifier un monde sous domination unipolaire varieront selon les besoins de la communication. L’on passa ainsi de l’épuisement des « ressources limitées » à l’agrandissement du « trou » dans la couche d’ozone, aux « pluies acides », à la disparition des forêts, à l’énergie nucléaire synonyme de fascisme, pour aboutir aujourd’hui au « changement climatique ». Cependant, l’enjeu réel, mais non avoué, fut toujours le maintien d’un ordre impérial oligarchique dirigé par une petite élite et le contrôle de la population.

Cette même année 1992, quatorze ans seulement après la mise en œuvre de la politique de réforme de Deng, la Chine avait déjà connu quelques progrès, mais cantonnés surtout aux régions côtières. Le reste du pays connaissait encore une grande pauvreté. En 1996, je participai à une conférence à Beijing, que nous avions proposée au gouvernement chinois deux ans plus tôt, sur le thème « Le développement des régions le long du Pont terrestre eurasiatique ». Elle esquissait la perspective stratégique à long terme de la Chine jusqu’en 2010 – toutefois interrompue par la crise asiatique de 1997.

En 2001, la Chine fut incitée à adhérer à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), dans l’espoir que son intégration au marché mondial la conduirait à adopter les valeurs occidentales, leur modèle démocratique, etc., qu’elle accepterait le « consensus de Washington », l’ordre « fondé sur des règles » et l’économie de casino de Wall Street et de la City de Londres.

L’Initiative une ceinture, une route

Cependant, au lieu de s’incliner devant la « fin de l’histoire », la Chine entreprit de rajeunir sa tradition de 5000 ans d’histoire et de culture, et en 2013, au Kazakhstan, Xi Jinping annonçait la politique de la « Nouvelle route de la soie », qui, en sept ans et demi, allait devenir le plus grand programme d’infrastructure de l’histoire.

Cent cinquante pays y participent, et comme l’a déclaré l’humoriste Bill Maher dans une courte vidéo, « Ne pas reconnaître cela signifie que vous êtes un peuple stupide. »

La Chine a construit 40 000 kilomètres de voies ferrées à grande vitesse, 500 villes entièrement nouvelles pour des millions de personnes, elle mène les recherches les plus avancées sur la fusion nucléaire, elle a posé un astromobile sur la face cachée de la Lune, et maintenant sur Mars.

Et comme Xi Jinping l’a récemment déclaré, la Chine est aujourd’hui plus proche qu’à aucun autre moment de son histoire de l’objectif du grand rajeunissement de la nation et de devenir une puissance de classe mondiale en matière de science et de technologie.

Poutine n’a jamais été aussi diabolisé par l’establishment atlantiste qu’après avoir commencé à inverser les politiques de la période Eltsine et à réaffirmer le statut de la Russie en tant que puissance mondiale, et non régionale, comme Obama l’avait irrespectueusement souligné lorsque Poutine était revenu au pouvoir.

Où cela va-t-il donc s’arrêter ? Si l’administration Biden, la Grande-Bretagne, l’OTAN et l’UE s’entêtent à vouloir contenir la Russie et la Chine, dont le partenariat stratégique se renforce face aux politiques agressives de l’alliance occidentale, en arrivera-t-on inévitablement à une troisième guerre mondiale, qui ne laisserait aucun survivant ?

Thucydide à l’ère de l’arme nucléaire

La rivalité mortelle entre Athènes et Sparte.

Lors d’un voyage à Seattle en 2015, Xi Jinping fit remarquer qu’il n’existait pas de « piège de Thucydide » dans le monde [1], mais que si les grands pays commettaient, de façon répétée, l’erreur d’un mauvais calcul stratégique, ils pourraient s’en créer un.

Pour sa part, l’ambassadeur de Chine aux États-Unis, Cui Tiankai, a fait plusieurs allusions à un article de l’historien américain Graham Allison, écrit en 2012, où il se demandait si les États-Unis et la Chine n’étaient pas sur le point de se retrouver justement dans cette configuration décrite par l’historien grec Thucydide, et d’entrer en guerre.

Thucydide (460-404 av. JC) nous raconte comment la Grèce s’effondra à cause de la rivalité entre Sparte et Athènes, conduisant à la guerre du Péloponnèse. Sortie victorieuse des guerres perses de 500 à 479, puis de 470 à 448 av. JC, Athènes s’imposa comme une sorte de superpuissance politique, suscitant la colère de Sparte, la puissance oligarchique jusqu’alors dominante, qui tenta alors de garder son pouvoir en concluant diverses alliances. Après sa victoire finale sur les Perses et la paix dite de Callias, Athènes aurait pu dissoudre la « Ligue attique », mais sous l’influence des sophistes, elle s’érigea en empire et transforma ceux qui étaient jusque-là ses alliés par choix en vassaux assignés à lui payer tribut.

L’histoire la plus célèbre et la plus instructive pour notre situation actuelle concerne la façon dont Athènes força les habitants de l’île de Milos à accepter cette nouvelle règle, que Thucydide décrit dans le livre V de son Histoire de la guerre du Péloponnèse.

Dans le dialogue entre l’envoyé d’Athènes et le représentant de Milos, le premier affirme que par sa victoire sur les Perses, Athènes a acquis le droit de régner, que le puissant peut faire ce qu’il veut et que le faible doit obéir. Le représentant de Milos fait valoir à son tour que si Athènes ne respecte pas la loi, elle devrait envisager que les autres puissent prendre exemple sur sa dureté si jamais elle était elle-même vaincue. L’Athénien lui rétorque que les Milosiens doivent se soumettre à la loi d’Athènes, dans l’intérêt des deux parties. Stupéfait, le représentant de Milos lui demande comment l’esclavage pourrait être aussi bénéfique que la domination, à quoi on lui répond qu’il vaut mieux devenir un vassal que de mourir. Pour les Athéniens, ce serait un gain s’ils n’avaient pas à les tuer.

Les Milosiens plaident alors qu’ils ne peuvent renoncer à l’indépendance dont ils jouissent depuis 700 ans, mais qu’ils souhaitent rester neutres. L’Athénien rejette cette idée, car leur inimitié serait moins préjudiciable que leur amitié, qui pourrait être perçue comme un signe de faiblesse. De toutes façons, c’est le principe du puissant qui doit s’appliquer dans le monde entier.

Peu après, Athènes déclenche les hostilités et le peuple de Milos est forcé de se rendre sans condition. Les Athéniens massacrent tous les hommes et vendent femmes et enfants comme esclaves. Thucydide décrit ensuite comment l’extrémisme des Athéniens les pousse à un comportement de plus en plus offensif. Ils s’engagent alors dans l’expédition sicilienne de 415-413 avant JC, au cours de laquelle ils subissent une défaite écrasante dont ils ne se relèveront pas.

Peut-être devrait-on repenser à cette histoire lorsque le secrétaire d’État américain Mike Blinken demande à l’Allemagne de renoncer au gazoduc Nord Stream II…

À l’ère des armes thermonucléaires, il faut y réfléchir à deux fois avant de créer un piège de Thucydide là où on n’en a pas besoin. Le conflit le plus important vient de la trajectoire diamétralement opposée de ces deux systèmes. D’un côté, la Chine, et en principe les pays qui collaborent avec elle dans le cadre des Nouvelles Routes de la soie, misent surtout sur l’innovation, sur l’amélioration du niveau de vie de leur population, sur la stimulation de la créativité de leurs citoyens comme source d’innovation.

A l’opposé, la trajectoire de la faction malthusienne consiste à revenir en arrière dans l’histoire, en réduisant la densité de flux d’énergie dans les chaînes de production et en diminuant la consommation, et donc à avoir moins d’individus sur Terre. Depuis leur fameuse réunion de Jackson Hole (Wyoming), en août 2019, les banquiers centraux exercent une pression coordonnée en vue d’imposer un « changement de régime », la « grande réinitialisation », la « décarbonisation de l’économie mondiale » et de « déplacer des milliers de milliards », comme le dit un document de l’UE et du gouvernement allemand, en réorientant les investissements vers les technologies « vertes ».

Ce qui entraînera une réduction spectaculaire du niveau de vie de la population aux États-Unis comme en Europe, l’augmentation de la pauvreté dans le monde entier et, alors que la pandémie et la famine y font déjà des ravages, une réduction massive de la population dans le secteur dit en développement. En d’autres termes, un meurtre de masse.

Zeus et Prométhée

Le poète grec Eschyle met en scène ce conflit dans sa trilogie Prométhée enchaîné, opposant le dieu olympien Zeus, incarnation du système oligarchique, à Prométhée, qu’il punit pour avoir apporté à l’homme le feu, et donc le progrès et la productivité.

L’enjeu central, qui constitue la source de l’opposition radicale entre les deux trajectoires, c’est l’image de l’homme. L’image prométhéenne voit tout être humain comme un enrichissement décisif pour l’humanité tout entière, puisque chacun a le potentiel de faire des découvertes fondamentales dans le domaine scientifique et artistique. L’individu créateur qui découvre un principe physique universel peut susciter une plate-forme entièrement nouvelle, permettant de redéfinir l’ensemble du mode de production humain à un niveau de productivité qualitativement plus élevé, comme ce fut le cas avec la machine à vapeur, les antibiotiques, l’énergie nucléaire, les lasers et d’autres découvertes similaires.

A l’opposé, la conception malthusienne considère chaque homme comme un parasite, un lourd fardeau pour Dame Nature, une source d’émission de carbone contribuant au réchauffement de la planète, et donc, une nuisance dont il faut réduire l’impact.

L’ensemble du raisonnement malthusien n’est qu’une vulgaire fraude scientifique, car le modèle informatique sur lequel repose la prétendue étude du Club de Rome était un programme truqué, dont le résultat avait été décidé d’avance par les programmeurs en charge du paramétrage de l’expérience. Les auteurs, Meadows et Forrester, ont admis plus tard qu’ils n’avaient pas tenu compte du rôle du progrès scientifique et technologique dans leur définition de ce qu’est une ressource.

L’argument malthusien est un mensonge éhonté de l’oligarchie, amplifié par le politiquement correct diffusé par les médias dominants, contrôlés par Wall Street et la City de Londres, et plus récemment, les réseaux sociaux aux mains des géants de l’informatique de la Silicon Valley, les grandes fondations philanthropiques et les groupes de réflexion reflétant les intérêts du secteur financier.

Grâce à une propagande financée à coup de millions de dollars dans des dizaines de pays et de langues, le paradigme malthusien du Club de Rome a fini par s’imposer.

Le « verdissement » de la pensée de millions de personnes, dépourvu de la moindre formation scientifique, les rend vulnérables aux pires mensonges, y compris ceux que l’on répand sur la Russie et la Chine.

Dans La Force de la tragédie, Lyndon LaRouche écrit : « C’est dans cette abolition des capacités scientifiques et des pouvoirs créatifs de l’esprit, chez la majorité de la population, que se trouve la cause même de la tragédie. » C’est « la force invisible mais néanmoins réelle de cette tragédie, celle qui plie la volonté des hommes et des femmes pour éviter le déplaisir redouté de la puissante figure satanique d’un Zeus », qui doit être évoquée et changée.

Une évaluation sobre

Comme l’a souligné Lyndon LaRouche, la tragédie actuelle est fondée sur l’absence totale de compréhension scientifique et rigoureuse qui affecte la population. Cependant, cette notion de tragédie doit faire l’objet d’une analyse stratégique, qui doit être prise en compte par tout observateur sérieux de la situation actuelle des États-Unis.

Commençons donc par analyser sobrement la situation stratégique.

Il est clair que les politiques du système économique et culturel néolibéral ont complètement échoué. Si vous prenez la pandémie, comment se fait-il que toutes les cultures asiatiques s’en soient tellement mieux sorties ? Moins de morts, un retour plus rapide à une vie économique normale. C’est parce qu’elles se fondent sur un système de valeurs privilégiant le bien commun, contrairement au concept néolibéral d’une liberté individualiste où tout est permis.

Regardez la famine, la crise humanitaire absolument invraisemblable au Yémen, en Syrie, dans de nombreux pays d’Afrique et d’Amérique latine. Cette famine « d’ampleur biblique » est le résultat de ces politiques néolibérales occidentales. Pourquoi l’Occident n’a-t-il pas lancé cette « diplomatie du vaccin » qu’il reproche à la Russie et à la Chine ? Pourquoi n’a-t-il pas développé les pays émergents ?

En 1990, alors qu’on lui demandait si l’effondrement de l’Union soviétique prouvait la supériorité morale du système occidental, le pape Jean-Paul II répondit : « Absolument pas, parce qu’il est caractérisé par les ‘structures du péché’. Regardez le tiers monde, et vous comprendrez pourquoi je dis cela. »

L’échec de l’Occident est le résultat d’une profonde crise culturelle, qui n’est comparable qu’à la décadence de l’Empire romain. Regardez notre culture populaire, les divertissements allant du satanique au pervers, la destruction de l’esprit causée par la plupart de ces « divertissements ».

Nous avons connu une érosion, presque une amnésie de la mémoire culturelle de nos grandes traditions. La grande majorité des jeunes n’ont aucune idée de la culture classique. Ils pensent que les Rolling Stones sont des « classiques ». Nos contemporains ne savent même pas ce qu’ils ont oublié.

Histoire universelle

Pour remédier à cela, examinons l’histoire universelle, telle que le poète allemand Friedrich Schiller l’a décrite dans sa célèbre allocution d’Iéna, en 1789. Selon lui, il n’a fallu que quelques milliers d’années à l’homme pour passer de son état de troglodyte asocial au grand art classique, à Dante, Shakespeare, Bach ou Beethoven. Cela tient à la différence absolue entre l’être humain et toutes les autres formes de vie.

La preuve en est sa capacité d’augmenter volontairement la densité de population potentielle relative, qui, en quelques milliers d’années (10 000 ou 20 000 ans maximum), a fait passer l’humanité de quelques millions d’individus à près de 8 milliards aujourd’hui.

Comme Lyndon LaRouche l’a souligné bien souvent, aucun grand singe, aucun animal domestique, ne fut jamais en mesure d’imiter cette capacité créative de l’être humain. Les animaux peuvent imiter certains aspects du comportement humain, mais n’ont jamais découvert aucun principe physique.

C’est là la différence absolument fondamentale entre la biosphère et la noosphère. C’est ce que l’on découvre lorsqu’on étudie les créateurs de la culture humaine au fur et à mesure de son développement, les origines de la culture chinoise, indienne, mésopotamienne, égyptienne et grecque, comment la philosophie confucéenne a jeté les bases des 2500 années suivantes de l’histoire chinoise.

Considérez la sagesse des écrits védiques, la bibliothèque d’Alexandrie, en Égypte, la Grèce classique, la période Gupta en Inde. La collaboration d’Haroun al-Rashid avec Charlemagne, conduisant à la Renaissance carolingienne qui permit à l’Europe de redécouvrir ses trésors du passé. La dynastie Song, la collaboration de Frédéric de Hohenstaufen avec le monde arabe, la Renaissance andalouse, la Renaissance italienne, l’émergence de l’État-nation souverain à travers Cusanus et Louis XI en France, Shakespeare.

Le développement de la musique classique de Bach à Beethoven et Brahms. Shelley, Keats, Lessing, Schiller, Edgar Alan Poe. Toutes ces cultures ont contribué au progrès de l’humanité, et c’est la totalité et la continuité de ces grandes œuvres d’art, de science, de poésie, de musique, d’architecture, de peinture et de politique qui constituent, selon LaRouche, le quatrième domaine de notre univers.

C’est l’histoire universelle, celle qui nous singularise en tant qu’espèce humaine et à laquelle ont contribué tant de grands esprits, qui rend l’humanité potentiellement immortelle. (…)

Si nous établissons un dialogue entre les représentants des différentes cultures, nous aurons un moyen très concret de résoudre la crise actuelle. Il y a de nombreuses mesures concrètes que nous devons prendre pour sortir de cette crise :

  • Dans le domaine militaire, nous devons mettre en œuvre l’équivalent de l’Initiative de défense stratégique - l’idée de rendre les armes nucléaires technologiquement obsolètes. Et nous avons besoin d’une nouvelle architecture de sécurité ;
  • Pour mettre fin à l’économie de casino, nous avons besoin d’un Glass-Steagall mondial et d’un nouveau système de Bretton Woods, un nouveau système de crédit ;
  • Nous avons besoin d’un nouveau paradigme dans les relations entre les nations, qui respecte la souveraineté, la non-ingérence, l’existence d’un système social différent. Alors les choses changeront complètement ;
  • Nous avons besoin d’un système de santé complètement nouveau et moderne dans chaque pays afin de lutter contre les pandémies – celle en cours et celles à venir - et les maladies ;
  • Nous devons doubler la production agricole pour mettre fin à la famine ;
  • Nous devons éradiquer la pauvreté grâce au développement économique pour l’ensemble de l’humanité.

Mais rien de tout cela ne se fera si nous n’adoptons pas un nouveau paradigme de la culture classique qui façonne l’image de l’homme dans le cœur de chacun.

Contrairement aux libéraux, qui disent que tout est permis et que chacun peut faire ce qu’il veut, nous affirmons que l’homme est perfectible à l’infini grâce à l’éducation esthétique. Moralement, intellectuellement et émotionnellement.

Chaque être humain a, grâce à cette méthode d’éducation esthétique, le potentiel de devenir une âme belle et un génie. L’humanité ne sera en sécurité que si nous, l’espèce humaine dans son ensemble, faisons ce saut.

Merci.


[1Dans son récit La guerre du Péloponnèse, l’historien grec Thucydide affirme que dans la majorité des cas, lorsque le développement rapide d’une puissance émergente vient remettre en question le statut d’une puissance dominante, cette rivalité dégénère en conflit militaire où la puissance dominante l’emporte.