La voie d’eau, un vecteur historique de relance économique

dimanche 29 septembre 2013, par Karel Vereycken

De mémoire de batelier, il est rarissime qu’un parti politique s’intéresse au transport fluvial. Pourtant, pour S&P, c’est un enjeu majeur.

Quelques-uns des projets promus par Solidarité & Progrès.

Accroître la part de la voie d’eau dans un transport multimodal combinant fluvial, rail et route est une solution d’avenir. Certes moins rapide, ce mode de transport est l’exemple même de l’utilisation par l’homme d’un flux de densité plus élevé, car fournissant un travail supérieur avec une énergie bien moindre. Ainsi, avec un litre de carburant, une tonne de marchandise se transporte sur 20 km par la route, 80 km par fer et 104 km par fluvial à grand gabarit. Un seul convoi fluvial de 4400 tonnes transporte autant de marchandise que 220 camions ou quatre trains entiers !

Plus important encore, le fluvial, au lieu d’aggraver l’hyperconcentration démographique qui empoisonne nos grandes métropoles, permet d’aménager l’ensemble du territoire en y répartissant plus harmonieusement la population et ses activités. Pour cela, il faut, aussi bien en France, en Europe que dans le monde, un maillage dense et varié capable de canaliser du développement là où aujourd’hui il n’y a rien.

C’est pour recruter des alliés dans cette bataille que les militants de S&P sont intervenus à Toulouse où se tenait, du 16 à 19 septembre, le 26e Congrès mondial des canaux et voies navigables (WCC2013) organisé, sous l’égide de l’association Inland Waterways International (IWI), par la Mairie de la ville rose et les communes du Canal des deux mers.

Trois cents élus, bateliers, décideurs publics et acteurs privés, spécialistes et amateurs de quatorze pays (Etats-Unis, France, Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Chine, Serbie, Canada, Italie, etc.), s’y sont retrouvés pour partager une même passion, celle de promouvoir, développer, vivre et préserver l’héritage mondial de la voie d’eau.

Changer d’image

Pour Toulouse, ville dont l’image colle souvent au rugby et à l’aérospatiale, ce fut l’occasion de mettre en valeur l’héritage du Canal du Midi, construit sous Colbert par Pierre-Paul Riquet entre 1666 et 1681. Ce Canal des deux mers, qui a permis de relier par une voie navigable la Méditerranée (Sète) à Toulouse pour accéder ensuite via la Garonne à l’océan Atlantique, a été classé patrimoine historique de l’humanité en 1996. Voies navigables de France (VNF) s’est engagée à replanter sur vingt ans les arbres qui en bordent les 239 km. Rongés depuis 2006 par un mal incurable, les 42 000 platanes seront abattus et remplacés.

Le romantisme n’est pas l’avenir

A Toulouse, plusieurs visions se sont confrontées. D’abord une vision romantique, qui s’inscrit dans le fantasme d’un monde postindustriel centré sur les loisirs et les services. Pour elle, l’avenir de la voie d’eau n’est qu’une source de détente et de revenus du tourisme qu’il faut y développer. Dans les centres urbains, les usines en déshérence deviennent des centres de loisirs et l’eau y accueille plus volontiers les poissons que l’industrie.

Le Grand Canal qui relie entre elles les cinq plus grands fleuves chinois est le plus grand canal ancien ou rivière artificielle du monde. Les parties les plus anciennes remontent au Ve siècle av. J.-C. Une première écluse à sas à deux portes mobiles est citée en 948.

A l’opposé, les travaux des historiens ont permis de rappeler à quel point les canaux jouent un rôle majeur dans l’aménagement des territoires et la naissance des grandes nations. Plusieurs chercheurs chinois, notamment Xingming Zhong de l’Université de Qingdao et Wang Yi de l’Académie chinoise d’héritage culturel, ont mis en évidence comment le Grand Canal, point de jonction entre les cinq grands fleuves du pays de presque 1800 km, mis en chantier à partir du VIe siècle avant J.C., a permis d’assurer la souveraineté alimentaire de la nation. Presque mille ans avant la Renaissance européenne, les hydrauliciens chinois construisaient des écluses rudimentaires mais efficaces.

Aujourd’hui, la Chine montre un grand intérêt pour le projet de canal de la Morava qui permettrait de relier la ville de Thessalonique en Grèce au grand couloir de transport fluvial Rhin-Maine-Danube, un raccourci de plus de 1200 km pour les exportations chinoises !

Avancer sur deux jambes

En privé, plusieurs décideurs admettent que pour avancer, mieux vaut marcher sur deux jambes : le tourisme et l’industrie. Pour cela, il ne faut pas seulement valoriser l’ancien, mais savoir faire du neuf !

C’est le constat de Vanessa Krins, de l’Institut du patrimoine wallon. En Belgique, une fois que les équipements du canal du Centre, permettant le transport du charbon essentiel à l’industrie belge, se révélèrent obsolètes, le pays fit construire un « nouveau canal du Centre » au grand gabarit, inauguré en 2002 et équipé de l’ascenseur funiculaire de Strépy-Thieu, le plus grand ascenseur à bateaux du monde, permettant de franchir une dénivellation de 73,15 mètres ! A lui seul, il remplace six ouvrages (les 4 ascenseurs à bateaux et 2 écluses de l’ancien canal), désormais voués aux activités touristiques.

En Belgique, l’ascenseur funiculaire de Strépy-Thieu, le plus grand ascenseur à bateaux du monde, permet de franchir une dénivellation de 73,15 mètres ! A lui seul, il remplace six ouvrages (les 4 ascenseurs à bateaux et 2 écluses de l’ancien canal), désormais voués aux activités touristiques.

Gabarits multiples

Pour sa part, Michel Dourlent, président de la Chambre nationale de la batellerie artisanale (CNBA), après avoir regretté que la moitié du réseau fluvial français soit « restée aux normes du début du XXe siècle », a observé que pour demain, il n’y a pas « un » gabarit unique. De même qu’il existe des autoroutes, des routes nationales et des départementales, il faut construire un réseau fluvial disposant de plusieurs tailles.

La première urgence, c’est de relier par un ensemble de canaux de jonction grand gabarit le couloir Rhône-Saône aux 20 000 km de canaux du même type d’Europe du nord (Escaut, Rhin, Meuse, Moselle, etc.). (Carte ci-dessus) Idem pour la Seine et les ports du Havre et de Rouen grâce au canal Seine-Nord Europe (SNE).

En même temps, il faut remettre en état le reste du réseau. On déplore que le trafic se réduise sur certains canaux, mais on oublie de dire que c’est uniquement parce qu’on ne peut plus y naviguer en toute sécurité, tellement ils sont à l’abandon ! Pourtant le gabarit moyen et petit, pour des trajets moyens et longs, reste toujours moins onéreux que la route ou le rail.

L’absence dramatique d’un maillage fluvial et ferroviaire dense est un handicap majeur pour les ports français, souligne l’orateur. Pour nos exportations, le plus grand port de France est aujourd’hui Anvers… en Belgique, port qui est en même temps le plus grand terminal ferroviaire d’Europe et dispose d’un hinterland riche en canaux, autoroutes et chemins de fers. A l’opposé, un cœur qui bat mais n’a pas d’artères permettant d’évacuer le sang se condamne à la mort cardiaque.

Le piège de l’UNESCO

A ce titre, il est clair que le port de Nantes souffre du fait que la Loire soit inscrite sur la liste du « patrimoine universel de l’humanité » par l’UNESCO, condamnant d’office ce fleuve… au tourisme. Rappelons également que sans rivières aménagées et canalisées (et les opposants à cette technologie l’ont bien compris), on aura bien du mal à trouver des sites pour nos centrales nucléaires !

La Chine, qui cherche à faire inscrire une partie de son Grand Canal sur la liste de l’UNESCO, et d’autres pays en voie de développement devraient donc se méfier des buts non-avoués de cette organisation, dont le fondateur Julian Huxley fut un eugéniste notoire. Mais permettez-moi de vous rassurer, loin de moi l’idée de bétonner tous azimut le patrimoine de l’humanité ! Pour S&P, un compromis harmonieux peut et doit se trouver entre développement économique et conservation du patrimoine. Cependant, si le label « patrimoine historique de l’humanité » conduit à imposer d’office le non-développement d’un pays, admettons qu’il y a problème.

Rappelons ici que l’article 11.4 de la Convention du patrimoine de l’UNESCO affirme sans ambages que « ne peuvent figurer sur cette liste que des biens du patrimoine culturel et naturel qui sont menacés de dangers graves et précis, tels que menace de disparition due à une dégradation accélérée, projets de grands travaux publics ou privés [sic], rapide développement urbain et touristique, etc. ». Vous constatez comme moi qu’on met ici au même niveau les grands travaux et les catastrophes naturelles !

L’intervention de Solidarité et Progrès

Pour chasser le romantisme, une équipe de militants S&P a accueilli les congressistes devant le bâtiment avec des pancartes déclarant « Creusons des canaux, enterrons la finance ! », leur remettant un tract publié pour l’occasion en français, anglais et chinois. Ils leur ont ainsi rappelé l’impérative nécessité de couper les banques en deux et de rétablir le droit souverain des États à lancer de grands investissements. NetworkVisio.com, un réseau social et média de proximité, s’est entretenu avec Karel Vereycken, directeur du journal Nouvelle Solidarité.

Mais surtout, S&P a pu amener à ce Congrès un nouvel horizon pour les canaux : la maîtrise de la biosphère par l’homme, pour le développement mutuel des peuples. C’est le but des grands projets que S&P défendait dans son tract : « Le projet Transaqua pour la remise en eau du lac Tchad, poumon de l’Afrique dont on craint la disparition programmée en 2020 ; un plan Oasis pour le Proche et Moyen-Orient, incluant le canal mer Morte-mer Rouge, avec l’appui de complexes nucléaires de dessalement de l’eau de mer, qui reste la solution ultime pour toute la région, comme l’avaient souligné Eisenhower et Yitzak Rabin ».

Car en plus du transport de marchandises et du désenclavement de vastes régions, canaux et rivières artificielles seront nécessaires pour développer la végétation et les forêts de demain dans les zones sèches. Ainsi l’Homme pourra augmenter l’efficacité du cycle « naturel » de l’eau, modifier le climat et transformer les déserts en vastes jardins, permettant d’accueillir beaucoup plus d’êtres humains.

Dans la même logique, S&P a fait découvrir le grand projet NAWAPA XXI défendu aux Etats-Unis par nos amis du Comité d’action politique de Lyndon LaRouche (LPAC), suscitant un intérêt certain chez plusieurs responsables américains et canadiens qui ne le connaissaient pas. Enfin, de nombreux contacts ont pu être noués tout au long de ces journées en vue d’actions à mener pour promouvoir le « fluvial du futur ». Le prochain congrès aura lieu en septembre 2014 à Milan, en Italie, un des berceaux de la science hydraulique en Europe, à laquelle Léonard de Vinci, avant de venir bâtir des canaux en France, a apporté sa contribution.

Comment NAWAPA fera décoller la reprise américaine

Un rapide coup d’œil sur une carte suffit pour constater le déséquilibre démographique criant qui caractérise les Etats-Unis. 80 % des Américains vivent en zone urbaine. Or les villes se concentrent sur une faible partie du territoire. La mégalopole atlantique qui s’étend de Boston à Washington regroupe à elle seule plus de 50 millions d’habitants. Ainsi, hormis la côte est et la Californie sur la côte ouest, le pays est largement sous-peuplé.

A l’origine, l’absence d’infrastructures naturelles, notamment l’eau, aussi bien pour le transport que pour l’industrie et l’agriculture. D’année en année, la pénurie est au rendez-vous et ravage les récoltes. C’est pour répondre à ce problème que fut conçu, à l’époque de Kennedy, le projet NAWAPA (North American Water and Power Alliance). Elaboré par le bureau d’engineering Parsons, il agglomère une série de projets de transfert hydraulique visant à dévier une partie des eaux du grand nord américain, qui aujourd’hui se perdent dans l’Arctique, pour les acheminer, en traversant le Canada et les Etats-Unis, jusqu’aux régions désertiques du nord mexicain.

Ce travail herculéen ferait appel à toute une série d’aqueducs à ciel ouvert ou en tunnel, barrages, stations de pompage et ascenseurs fluviaux, alimentés par des usines hydroélectriques ou des centrales nucléaires. Il comprend également un canal transcontinental reliant la côte ouest aux grands lacs. Le projet permettrait d’irriguer sur son passage quelque 128 000 km2 de territoires cultivables. Tout au long du corridor, l’eau transformerait lentement le paysage, agissant également sur le climat et la biosphère elle-même.

Pour le Comité d’action politique de Lyndon LaRouche (LPAC), en première ligne pour défendre ce projet, il ne s’agit pas seulement d’un grand chantier de travaux publics nécessitant la création de quatre millions d’emplois qualifiés, mais aussi d’aménager la moitié du territoire américain jusqu’ici laissé en friche.

Avec la création de nouvelles villes, reliées entre elles par des transports rapides et dédiées à la recherche dans les secteurs de pointe, notamment l’industrie spatiale, les Etats-Unis pourraient faire un énorme bond en avant. Ce « choc de productivité » dans l’économie physique ne viendra pas d’une baisse des salaires, mais d’une transition énergétique, non pas vers des énergies diffuses (solaire, biomasse) ou intermittentes (éoliennes), mais vers l’utilisation intensive d’énergies et de technologies faisant appel à des flux d’énergie de plus en plus dense (laser, torche à plasma, fission nucléaire de IVe génération, fusion thermonucléaire, etc.).